Archive « Leur adieu comprenait non seulement l’expression de leur reconnaissance mais aussi celle de la reconnaissance du peuple français pour lequel pendant ces années terribles les émissions de Londres avaient constitué la seule lumière, le seul soutien au milieu de cette conspiration du mensonge et de la trahison où le gouvernement de Vichy nous contraignait de vivre. Mais cet adieu n’était en réalité qu’un au revoir puisqu’à partir de ce soir une nouvelle émission Paris vous parle sera diffusée à la fois sur les antennes du réseau français et sur celles de la BBC. Nous remercions nos amis Anglais et mesurons toutes les difficultés techniques auxquelles nous nous heurtons quand il s’agit de faire entendre au monde entier la voix de la France, qui ont bien voulu assurer pendant cette demi-heure le relai de nos émissions. À partir de ce soir, nous allons, ceux de Londres et ceux qui étaient restés en France, former une seule équipe, unie par une totale fraternité. »
André-Jean Tudesq : À la libération, le réseau était très endommagé. Les Allemands avaient fait sauter beaucoup d’émetteurs en province. Pratiquement il y avait deux postes : le poste national et le poste parisien, mais l’un des deux n’était vraiment audible que dans la région parisienne et quelques relais en province. Puis, à partir de 1947, un émetteur à Rueil, qui était l’émetteur de l’armée américaine je crois est rendu à la France, et ça devient Paris Inter, qui au début n’est audible que la région parisienne, il y aura ensuite une inversion qui en fera au contraire le poste de plus grande écoute.
Je crois que l’on peut rappeler que la suppression des postes privés à la Libération était liée, en tout cas le prétexte en était en grande partie je crois leur attitude pendant la guerre.
André-Jean Tudesq : Surtout pour le principal en tout cas des réseaux en province, le Groupe Trémoulet, qui avait effectivement mis ses antennes à la disposition des Allemands très rapidement.
D’une certaine façon, est-ce qu’on ne peut pas dire que c’est dans l’après-guerre que naît véritablement la profession de journaliste de radio ?
André-Jean Tudesq : Oui, en ce sens qu’arrive à la Libération une nouvelle génération qui s’improvise un petit peu en raison des circonstances, en raison aussi de l’épuration qui laisse le champ libre, avec des gens qui souvent d’ailleurs viennent de la presse écrite et on commence à voir les journalistes présenter eux-mêmes leurs papiers ou leur émission car il y a toute une discussion interne dans la profession pour savoir s’il vaut mieux parler sur un texte rédiger ou parler simplement sur un canevas. On essaye aussi d’éviter les monologues, qu’il y ait davantage de participation de plusieurs journalistes et de développer aussi les débats, la Tribune de Paris en sera un des meilleurs exemples.
Extrait d’archive « Speaker : Tribune de Paris . Speakerine : Les hommes, les événements, les idées à l’ordre du jour. La dernière Tribune de Paris de l’année 1946 se devait d’apporter à ses fidèles auditeurs une réalisation exceptionnelle. Speaker : C’est pourquoi nous vos proposons ce soir la libre conversation de correspondants, qui parleront pour la première fois de cinq pays différents. Speakerine : Dans quelques instants en effet une discussion va s’ouvrir entre Prague, Londres, Bruxelles, Genève et Paris sur le thème suivant : Maintiendrons-nous la paix en 1947 ? Speaker : Chacun des interlocuteurs entendra tout ce qui pourra se dire dans les autres capitales et il pourra intervenir dans le débat exactement comme s’il se trouvait dans le studio comme ses partenaires. Speakerine : Paul Guimard va donner le départ de ce rallye radiophonique international. Speaker : Alors, silence, s’il vous plaît, Messieurs, quand vous voudrez. / Paul Guimard : Ici Paris, Londres m’entendez-vous ? / Oui, merci. / Paul Guimard : Bruxelles ? / Oui. / Paul Guimard : Genève ? / Parfait. / Paul Guimard : Alors nous pouvons commencer, Messieurs. Vous connaissez la question que nous vous posons ce soir : Maintiendrons-nous la paix en 1947 ? Et si vous me le permettez, nous allons passer tout de suite la parole au professeur Jean Wiéneradec ( ? orthographe du nom incertaine), à Prague, qui ne dispose de son circuit de la conversation que pendant de très peu de temps. À vous Prague. / Speaker à Prague : Allo Paris, Allo Paris, ici Prague, ici radio diffusion Tchécoslovaque, Prague. Je compte : 5, 4, 3, 2, 1, 0. »
Paul Guimard : Un jour, un réalisateur, que j’aimais beaucoup, qui s’appelait Arno Charles Brun, m’a dit : voilà, on va essayer de lancer une émission qui s’appellera la Tribune de Paris, qui sera chaque soir une discussion entre des gens d’opinions différentes mais représentants vraiment le meilleur niveau, chacun dans sa spécialité, on a pensé que vous seriez bien pour la présenter. Au départ, l’ambition, qui a été tenue d’ailleurs, était très simple : le matin, on essayait de faire le tour des questions qui étaient au cœur de l’actualité et on se débrouillait pour susciter un débat le soir même. Petit à petit on s’est aperçu que c’était une vision un peu idéale des choses et qu’un jour ou l’autre on se planterait, c’est-à-dire que l’on n’arriverait pas à organiser ce débat. On s’est aperçu aussi qu’un certain nombre de thèmes étaient récurrents et qu’il était donc aussi simple de les institutionnaliser, nous avons donc créé « La tribune des journalistes parlementaires », qui a été l’émission elle-même vedette à l’intérieur de la « Tribune de Paris », qui était chaque semaine, le même jour, une équipe, à peu près invariable, des journalistes qui venaient discuter de l’actualité de politique intérieure. Puis, un peu plus tard, on a créé, avec une périodicité moins régulière, la « Tribune de politique étrangère ». Pour le reste, c’était selon. Je peux vous citer un exemple, parce qu’il m’est resté comme ça assez vif, il y avait à cette époque un président du Syndicat de la Boucherie, qui s’appelait Monsieur Drugbert, qui était un homme extrêmement pugnace, énergique, à telle enseigne qu’il s’est retrouvé à Fresnes, interné à la suite d’une plainte déposée par le ministre de l’agriculture de l’époque, qui s’appelait Tanguy Prigent. Puis un jour, il a été mis en liberté provisoire en attendant son jugement. Eh bien quand on l’a appris, on a téléphoné à Drugbert, on a téléphoné à Tanguy Prigent et on leur a dit : voulez-vous venir ce soir à la « Tribune de Paris » ? Ils ont dit oui, l’un et l’autre. Donc, l’homme, qui sortait de Fresnes et le ministre, qui l’avait mis au trou, se sont retrouvés de part et d’autre du micro et ils ont discuté. Cela n’a pas été une discussion paisible, cela n’a pas été une discussion violente non plus, car c’était ainsi la « Tribune de Paris », les gens se disaient ce qu’ils avaient à se dire.
Montage d’extraits d’archives de l’émission Tribune de Paris du 1er juillet 1946 dont on peut trouver la transcription sur ce site ici « Speaker : Tribune de Paris. Speakerine : Les hommes, les événements, les idées à l’ordre du jour. L’élection en raz-de-marée qui a mené à l’Assemblée nationale constituante 12 députés nationalistes musulmans, groupés sous l’étiquette des « amis du Manifeste », constitue une étape importante dans l’évolution du problème algérien. Speaker : Car il y a un problème algérien. Speakerine : Paul Guimard va mener le débat. Paul Guimard : J’ai une première question, messieurs : Y-a-t-il un problème algérien ? Cette question nous la posons d’abord à Albert Camus. […] Albert Camus : […] Enfin pour dire toute ma pensée, ce problème algérien, qui est si important pour moi, me paraît maintenant s’inscrire dans un problème beaucoup plus général. Je veux dire que le malaise politique algérien, pour moi, vient de la paresse de la pensée politique de la Métropole. Nous sommes toujours de 20 ans en retard sur la situation politique réelle et ce n’est pas spéciale à la France, c’est vrai pour toutes les nations, il semble que les situations politiques vont comme les avions, très vite tandis que la pensée va avec la lenteur de sa maturité personnelle et n’arrive pas à rejoindre la situation. C’est ainsi que nous nous fixons par exemple sur le problème franco-allemand, comme nous nous fixons sur le problème franco-algérien, alors que le problème, tout le monde sait, est le problème russo-américain. Mais le problème russo-américain, et là nous revenons à l’Algérie, va être dépassé lui-même avant très peu, cela ne sera pas un choc d’empires nous assistons au choc de civilisations et nous voyons dans le monde entier les civilisations colonisées surgir peu à peu et se dresser contre les civilisations colonisatrices. Peut-être que la France avec son génie particulier, auquel je crois pour ma part, aurait avantage à placer le problème dans cette perspective et être la première nation blanche qui pose le problème réellement sur le plan où il doit être posé, c’est-à-dire en essayant de devancer l’histoire plutôt que d’être continuellement à sa remorque. Paul Guimard : Alors, moralité, messieurs, sur le plan pratique, Ferhat Abbas, que demandez-vous de précis ? Ferhat Abbas : Sur le plan pratique, depuis 1900, les colons eux-mêmes ont tracé la voie pour l’avenir de l’Algérie. Et si l’autonomie financière en 1900 s’est imposée aux colons eux-mêmes d’origine française, a fortiori doit-elle s’imposer aujourd’hui, comme le dit Monsieur Albert Camus, pour les autochtones qui, eux, n’est-ce pas, se réclament d’une civilisation musulmane, d’une culture musulmane, et qui pour cela ne renient pas du tout la culture française, et encore moins nient-ils le progrès matériel qui a été crée depuis 1900 en Algérie. Paul Guimard : Et vous, qu’en pensez-vous, Jean Amrouche ? Jean Amrouche : Ce que j’en pense, c’est simplement ceci, si l’on veut résumer cela en termes simples : faut-il faire des Algériens, je veux dire des autochtones, des Français ou faut il les aider à devenir de plus en plus Algériens ? La question est là. Paul Guimard : Le problème est exactement posé, quelle est votre opinion personnelle ? Jean Amrouche : Mon opinion personnelle est celle-ci : c’est que personnalité algérien complètement formée ou en formation, les deux choses se valent […] »
André-Jean Tudesq : Ces débats finalement lorsqu’ils ont 10-12% d’audience, à un moment où il y a environ 65 à 70% des postes qui sont ouverts, 10-12% est un peu un plafond pour ces débats. Il y a eu une surestimation je crois du rôle politique de la radio par la classe politique, c’est-à-dire à la fois par les parlementaires et par les journalistes, y compris et surtout peut être les journalistes de la presse écrie, qui critiquaient beaucoup la radio et qui lui imputaient, un peu excessivement, les difficultés que les journaux pouvaient avoir.
Est-ce que ce n’est pas tout de même disons par certaines de ces émissions d’information que justement les programmes de la radio nationale arrivaient à atteindre un taux d’audience assez considérable ?
André-Jean Tudesq : Le journal parlé. C’est le journal parlé qui dans les émissions d’information a de beaucoup la plus forte audience et ce que l’on voit très rapidement, c’est que l’information radiophonique s’orchestre autour des trois principaux journaux parlés, avec une prépondérance très nette du journal de début de soirée, selon les moments 19h 30 ou 20h, ensuite, du point de vue de l’audience en décroissant, le journal de 13h et en troisième lieu les journaux du matin, 7h 30 généralement je crois. C’est-à-dire une répartition inverse au fond un peu de la répartition actuelle depuis la télévision. À l’époque, la grande audience, c’est le journal de 20h, qui arrive à des périodes de crise, comme par exemple en mai 54, à une coute de près des trois-quarts des postes, 74% en mai 54 à 20h, ce qui représente 10 millions au moins d’auditeurs.
« Extrait du générique : « Actualités de midi », une émission de Jean Calvel, Paul-Louis Mignon et Maurice Hutin. »
Paul Clavel : Je peux parler moi d’« Actualités de Paris », qui a été mon émission préférée pendant longtemps puisque je coiffais un certain nombre de programme, parce que c’est l’émission dont laquelle vont se trouver caractérisés toutes sortes d’éléments de réforme.
Est-ce que vous pouvez nous rappeler à quelle heure elle passe et quelle est sa périodicité ?
Paul Clavel : 12h 30 tous les jours, y compris le dimanche. C’est l’émission dans laquelle peu à peu on va sortir peu à peu du studio. C’est une émission où j’ai commis un crime de lèse-majesté lorsque j’ai ouvert les fenêtres du studio. On m’a dit : mais vous allez entendre les bruits de la cantine, qui était au rez-de-chaussée ! Et j’ai dit : j’espère bien ! Parce que comme ça, il y aura de la vie dans l’émission. Le studio, c’est une atmosphère de nulle part ! La totale disparition des bruits annexes, ça ne crée pas le relief, on parle dans l’abstrait. Là je tiens beaucoup à cette innovation parce que par la suite on a multiplié les émissions faites en extérieur, et « Actualités de Paris » a été une émission où l’on a cherché à improviser plutôt que de lire, parce que l’improvisation donne plus de facilités, et puis l’improvisation c’était inconnu, il y avait l’improvisation des sportifs, c’était : mes chers auditeurs, nous sommes en ce moment sur la route du Tour de France, mais c’était un domaine à part. Dans une émission d’information, rendre compte d’un spectacle ou d’un film, en improvisant, c’était avant-guerre impensable. Alors ça, c’est un des points sur lequel l’équipe d’« Actualités de Paris » elle-même démontre qu’elle était faite pour créer du nouveau puisqu’il y avait Desgraupes, Dumayet, Simone du Breuil, Monique Berger, Lizzy Léna, etc., enfin il y a ça qui a fini… c’était moins net dans les émissions lues par speaker, les speakers apprenaient à se débarrasser un peu de leur maniérisme.
« Archive : Veillez écouter le 32ème numéro du « Journal officieux », directeur Louis Ducreux, rédacteur en chef Frédéric Grendel, illustration musical André Popp et son trio. Générique en musique et chanté par un duo, une femme, probablement Denise Benoît : Pour commencer c’est Paul Guy qui nous parle. ? une voix masculine : D’aspect officieux de Pierre Aubertin. Denise Benoit : Et puis Grendel répond du tac-au-tac. ? une voix masculine : En évoquant ( ? manque deux mots) Denise Benoit : Sur le cinéma on a tout dit mais écoutez ce que dit (manque un mot) ? une voix masculine : Vivement elle est Jean-François, qui ce soir des enfants parlera. Et pour bien terminer cette émission, pour que chacun puisse s’endormir heureux. Denise Benoit : Des souvenirs mêlés de chansons mettront un point au Journal officieux. ? une voix masculine : Tout est parfait, tout est au mieux maintenant, commençons. Ha, ha ! [à partir de là sans musique] ? une voix masculine : Il y a une dizaine d’années j’ai désiré chanter mes chansons dans l’émission de Jean Nohain, alors je lui ai passé une audition à 7h du matin. Denise Benoit : Drôle d’idée ! ? une voix masculine : Oui, c’est l’heure à laquelle il m’avait donné rendez-vous, alors moi... Denise Benoit : Il pensait que vous ne viendriez pas ! ? une voix masculine : En tout cas, nous étions tous les deux au rendez-vous. Et quand j’eus eu fini de chanter, devine ce qu’il m’a dit ? Denise Benoit : C’est merveilleux ! Merveilleux ! ? une voix masculine : Non, non, pas du tout ! Denise Benoit : Ah ! ? une voix masculine : Non, il m’a dit : Moi aussi j’aimerais chanter mes chansons mais comme je n’ai pas plus de voix que vous, je m’abstiens Monsieur, je m’abstiens. Tu sais j’ai bien d’autres souvenirs liés à Jean Nohain. Un jour, pendant l’Occupation, alors que le Midi de la France était devenu tellement gris et tellement ennuyeux, Jean Nohain nous a offert un coup de soleil, les couplets de son opérette « Plume au vent », dont Claude Pingault avait écrit la musique, Giselle Pascal y débutait [1]. »
Je n’embrasse pas les garçonsJe n’écoute pas leurs chansonsJe ne vais pas à RobinsonJe ne suis pas un petit poissonQue l’amour prend à l’hameçonNon, je n’embrasse pas les garçonsJe n’écoute pas leurs chansonsOn peut me traiter de glaçonJe n’embrasse pas les garçons, nonJe n’embrasse pas les garçons, non[…]
« ? une voix masculine : Il y avait aussi des tas de choses dans « Plume au vent ». Il y avait des chœurs qui chantaient une espèce de nostalgie gastronomique que tout le monde ressentait à ce moment-là. Denise Benoit : Ah ! ? une voix masculine : Tu connais : La bonne soupe aux choux avec de pommes de terre, avec des pommes de terre la bonne soupe au choux, la bonne soupe au chou… [les deux chantent en même temps] Il y avait d’autres couplets aussi… »
« Archive : Europe n°1, qui fait ce soir sa première émission sur la plus puissante du monde : 400 kilowatts. Et sur longueur d’onde vous pourrez prendre Europe n°1 sur 1202. 1202 mètres de longueurs d’onde d’Europe n°1. Eh bien maintenant nous commençons notre émission. [Applaudissements] Ici, Jacques Delestre, qui vous parle de Colombes dont Jo Moutet vous invite à la danse avec sa grande formation. »
André-Jean Tudesq : Europe 1 est né en 1955, en fait il faudrait dire en 1954 et même peut-être en 1953 tellement il y a eu des débats longs pour sa naissance et des polémiques très violentes, polémiques qui étaient d’une part suscitées par un des promoteurs de l’affaire, Charles Michelson, et polémiques aussi sur le plan politique parce que le poste d’Europe 1, le nom même l’indique, correspondait au fond à une volonté politique européenne des partis qui soutenaient la construction de l’Europe, de l’Europe des six à ce moment-là, et l’un des patrons, des parrains plus exactement d’Europe 1 se trouvait être Guy Mollet par exemple. Si bien que le poste d’Europe 1 a été, avant même sa formation, l’objet de critiques très violentes, d’une part d’éléments nationalistes gaullistes mais surtout de la part des communistes.
Jean Pierre Rioux : Je crois que quelques aient été les malheurs politiques, financiers, toutes les polémiques sur Europe 1, ce qui a sauvé le poste, qui était en difficulté financière, rappelons le, pendant très longtemps, cela a été quand même l’adhésion immédiate d’un certain nombre d’auditeurs. Parce qu’il faut se remémorer un petit la rupture que cela a pu représenter. Je ne prends que l’exemple des premières paroles d’Europe 1, ces premières heures de janvier 55 où il y a eu successivement la bienvenue par Micheline Francey, un disque de Gilbert Bécaud, l’étoile montante, et puis une voix du premier bulletin d’information, bien connue des auditeurs matinaux de France Culture maintenant, qui est la voix de Jean Pichon. Il y a eu là je dirais avec Pichon, avec des gens comme Siegel, comme Sabbagh, un nouveau type d’information, qui faisait du speaker, ancien animateur très attentif, des journaux nourris d’interventions en direct, une primauté aussi je crois sur Europe 1, une volonté délibérée de privilégier l’information sur la distraction finalement, et là je dirais que les postes nationaux ont accusé le coup, si j’ose dire, et puis la promotion de toute une culture de masse, qui ravissait les plus jeunes auditeurs. Europe 1, c’est quand même la nouvelle chanson, c’est le jazz, je dirais que les concerts classique ou l’accordéon musette des postes parisiens ou nationaux en ont pris un coup, je dirais vulgairement.
« Speakerine : Europe 1, reportage à Budapest, novembre 1956. Journaliste : Attaquant avec de très puissants moyens : chars de 4 tonnes, mortiers de 85, canons tractés de 100, les troupes soviétiques ont écrasé, en 5 jours de batailles de rue, les insurgés Hongrois, à Budapest. 65 000 morts tel est le bilan officieux de la lutte de la population de Budapest contre l’Armée rouge. 65 000 morts, des centaines de blessés, des centaines d’immeubles abattus à coups de canons, abattu de la même manière qu’a été touche l’hôtel Duna, simplement parce que dans les environs de l’hôtel Duna, sur les bords du Danube, un tireur isolé des insurgés avait tiré sur un char russe. / Bruit environnants le reporter / Reporter 1 : Et bien, il semble que la bagarre a commencé… Reporter 2 : Il y a un char qui s’avance vers nous en ce moment, tourelle braquée la tourelle Dina, il vient de tirer une rafale de mitrailleuse. Reporter 1 : On essaye de voir en se mettant un peu au-dessus de la fenêtre mais je vous avoue que c’est extrêmement dangereux. Reporter 2 : Un deuxième char le suit de près. Report 1 : Oui, il y a des coups de feu, on va essayer de se camoufler parce que c’est extrêmement dangereux. Report 2 : Tu as arrêté ton truc ? Reporter 1 : Non. Reporter 2 : Ils peuvent entendre... Reporter 1 : Oui, on doit entendre les chars mais ils ont exactement les tourelles tournées vers nous et… Reporter 2 : Le canon est levé, [déflagration] ils viennent de tirer un obus. Reporter 1 : Oui, oui, j’ai vu. [Déflagrations] Reporter 1 : Ils tirent à la mitrailleuses, vous entendez les balles qui claquent contre les murs. [tirs soutenus] Vous entendez les balles claquer sur les murs. Reporter 2 : Un troisième char arrive. Reporter 1 : Ah, oui ? ! Reporter 2 : Tourelle levée en direction de… Reporter : Un troisième char arrive, je ne sais pas si vous avez entendu, c’est (manque un mot) qui nous dit ça. Vous entendez le bruit des chars, les gens dans l’hôtel sortent doucement. Reporter 2 : Un quatrième char, tourne sa tourelle. Reporter 1 : Dans quelle direction ? Reporter 2 : A ta gauche. Reporter 1 : Pas vers nous alors ? Reporter 2 : Ah, si. Reporter 1 : Il tourne sa tourelle vers nous ? Il vaut mieux se baisser, oui je crois. Vous entendez de temps en temps, les bruits de balles qui tapent. [Obus et balles qui claquent] ils sont en train de tirer sur l’hôte, je suis navré, j’arrête le magnétophone. »
Joseph Pasteur : Il est faut dire qu’à l’époque, la rédaction de la Radio nationale, qui sommeillait jusque là, avait été réveillée en sursaut par l’apparition d’Europe 1. Ce sont des journaux avec un ton nouveau, avec des documents pris en extérieur, grâce au Nagra. Gayman, conscient du danger que représentait Europe 1, a voulu constituer une équipe capable de soutenir le challenge et il a confié à Pierre Desgraupes, fin 1955 début 1956, une émission qui s’appelle Paris vous parle, qui comportait outre Desgraupes, Dhordain et Michel Péricard. Et je suis venu me joindre à eux à la mi 57. Nous nous sommes beaucoup amusés et je crois que nous avons fait de la bonne radio en utilisant d’une part les reporters, que nous avions réussi à mobiliser et à envoyer sur des coups, et d’autres part, ce que n’avait pas Europe, le réseau de correspondants de l’ORTF, à travers le monde, qui s’exprimaient certes d’une façon sur un ton compassé mais qui apportaient parfois sur un événement un éclairage intéressant. On s’est tiré la bourre avec Europe pendant, je ne sais plus combien : un an, deux ans, trois ans, et puis après, les uns et les autres étant partis vers d’autres destinées, tout cela est un peu retombé. Mais, cela a été une période passionnante !
Mais Paris vous parle était en fait une mission qui existait déjà depuis très longtemps.
Joseph Pasteur : Oui.
Simplement l’équipe s’est renouvelée. Elle passait sur quel programme ?
Joseph Pasteur : À l’origine, Paris vous parle passait sur la chaîne nationale, c’était à 19h 45. Une émission parfaitement emmerdante, qui était faite par des chroniqueurs disons recommandés par des ministres, à qui on payait une pige comme ça pour être agréable au ministre, enfin c’est ce que j’ai cru comprendre. Puis, quand il s’est agit de créer une nouvelle émission concurrente d’Europe, qui passait, elle, à 19h 15, c’était aussi Paris vous parle, mais sur un autre réseau, qui était le réseau actuel de France Inter. À partir du moment où le Paris vous parle de Desgraupes a existé, les prisonniers, comme disait Couderc, - Couderc disait : Tu vois les gars de la rédaction, ce sont les prisonniers, parce qu’ils travaillent uniquement sur dépêches, ils sortent de leur bureau, ils déchirent la bande de l’AFP, ils lisent la dépêche et ils écrivent, c’est des prisonniers, ils ne sortent pas. C’était excessif bien sûr. Eh bien, le prisonniers se sont pris au jeu et au lieu de confier par exemple les chroniques qu’ils faisaient aux speakers, qu’ils sont venus eux-mêmes au micro, avec évidemment tout un tas de maladresses et un apprentissage qui a été pour certains d’entre eux très long, mais c’était un progrès. Finalement cela a été bénéfique pour l’ensemble de la radio nationale.
Chanson interdite sur les antennes de la RTF en 1956.
Fleur au fusil tambour battant il vaIl a vingt ans un cœur d’amant qui batUn adjudant pour surveiller ses pasEt son barda contre ses flancs qui bat.Quand un soldat s’en va-t-en guerre il aDans sa musette son bâton d’maréchalQuand un soldat revient de guerre il aDans sa musette un peu de linge sale.Partir pour mourir un peuA la guerre, à la guerreC’est un drôle de petit jeuQui n’va guère aux amoureux.Pourtant c’est presque toujoursQuand revient l’étéQu’il faut s’en allerLe ciel regarde partirCeux qui vont mourirAu pas cadencéDes hommes il en faut toujoursCar la guerre car la guerreSe fout des serments d’amourElle n’aime que l’son du tambourQuand un soldat s’en va-t-en guerre il aDes tas de chansons et des fleurs sous ses pasQuand un soldat revient de guerre il aSimplement eu d’la veine et puis voilà...Paroles et Musique : Francis Lemarque, 1953
La radio dans la vie politique française, 1944-1958, une liberté surveillée, deuxième partie.
« Paris vous parle, édition de Paris Inter, préparée par Pierre Desgraupes et Roland Dhordain. 27 novembre 1956. Pierre Desprauges : Eh bien, commençons pour les nouvelles du Moyen-Orient. Journaliste ? Le gouvernement égyptien a démenti aujourd’hui avoir jamais envisagé une expulsion massive des nationaux Français et Britanniques. Ce démenti a été publié par les journaux du Caire et transmis au gouvernement helvétique, pour qu’il en fasse part aux gouvernements anglais et français, par l’intermédiaire de Monsieur Koenig, chargé de représenter les intérêts des deux pays au Caire. La déclaration ajoute que les ressortissants, Anglais et Français, seront libres de décider s’ils veulent rester ou non. Les autorités suisses ont refusé de commenter ces nouvelles en déclarant que toutes les informations en leur possession étaient transmises aux gouvernements intéressés. Pierre Desprauges : Merci Rémi Valat. Dans le prolongement de ces nouvelles, et en marge des problèmes du Moyen-Orient, nous allons vous faire entendre maintenant un document que vient de nous envoyer, de Londres, notre envoyé spécial permanent Jacques Salbert, il s’agit de l’interview de notre confère de la BBC, Douglas Stuart, qui vient de passer, comme correspondant de la BBC, cinq moi au Caire et qui vient d’être expulsé. Il est arrivé à Londres ce matin et Jacques Salbert lui a posé, pour les auditeurs de « Paris vous parle » quelques questions, voici ses réponses. À vous Londres. Jacques Salbert : Allo Paris, ici Jacques Salbert, qui vous parle de Londres. Eh bien ce soir je ne suis pas venu au studio seul, je suis venu en compagnie d’un de mes confrères de la BBC, Douglas Stuart, qui, il y a quelques jours encore, était en Égypte. Quand êtes-vous entré exactement ? Douglas Stuart : Dimanche. Je suis quitté l’Égypte et je suis rentré lundi. Jacques Salbert : Par avion ? Douglas Stuart : Par avion. Jacques Salbert : Sans trop de difficultés ? Douglas Stuart : Sans difficultés… Jacques Salbert : You can speak english if you like and I translate in frensh… Journaliste ? […] censure militaire françaises dominée, a-t-il dit, par l’affaire de Suez. Le ministre à de nouveau réaffirmé le bien fondé de l’opération franco-britannique. Il a toutefois reconnu que tous les buts […] »
Jean Pierre Rioux : Au bout d’un moment où le contrôle quasi obsessionnel de la radio parle, le pouvoir politique et gouvernemental, pensez au fond les tous débuts de la IVème République et la Guerre froide, quelque part entre 46 et 49, là il y a vraiment une pression est très forte. La seconde grande crête c’est évidemment la Guerre d’Algérie où là à partir de 55 et jusqu’au bout le contrôle sera très fort. Il faut quand même rappeler aux auditeurs que les gouvernements sous la IVème République ont absolument je dirais toute latitude dans ce domaine quasiment. On le disait, au début de l’émission, que la radio a un statut de simple administration publique, que tout ceci relève au fond directement de Matignon, qu’auprès du Président du Conseil un Secrétaire d’État à l’information a quand même beaucoup de pouvoir, et là avec des noms et des gens qui ne sont pas sans entre gens, je dirais, et sans importance. Au tout début, avant même l’installation de la IVème, le général de Gaulle ait choisi Teitgen puis Malraux, ce n’est pas rien, ensuite Gaston Deferre dans le cabinet Gouin, au cabinet André Marie apparaît à l’information un jeune homme plein d’avenir, nommé François Mitterrand, puis sous Guy Mollet, Gérard Jacquet, Michel Soulié, et de Gaulle achève en nommant Jacques Soustelle en 58. Donc, il y a eu je crois conscience par les chefs de gouvernements de l’importance de l’enjeu radiophonique, ils ont souvent désigné des gens efficaces, plus ou moins tristement efficaces, pour surveiller de très près le directeur général et l’ensemble de l’information politique.
André-Jean Tudesq : À partir de 1947, aussi bien les communistes que les gaullistes seront quasiment interdits d’antenne au moins au niveau de la grande information. Il restera des chroniqueurs communistes sur un certain nombre d’émissions, notamment d’émissions culturelles, mais non dans l’information. Et alors, il y a une très grande susceptibilité aussi des autorités gouvernementales, précisément parce qu’il faut bien savoir qu’elles sont attaquées de toutes parts quand dans cette année de 1947, qui a vu de très grandes grèves politiques par exemple, qui à l’automne ont paralysé la France.
Jean Pierre Rioux : Avec des rectifications de tir, je ne prends qu’un exemple, j’oublie un peu la date mais c’est en 48, lorsque l’émission de l’équipe des Temps modernes et de Jean-Paul Sartre est en fait supprimée parce que tout bonnement on y avait en clair comparé de Gaulle à Hitler. Donc là on a fait cesser cette expérience un peu trop intellectuelle et dérivante. Donc, il y a quand même une relative recherche d’équilibre, que l’on ne trouvera peut-être plus, me semble-t-il, au simple sens de la radio d’information, au moment de la Guerre d’Algérie.
« Speaker : Jean-Paul Sartre et ses collaborateurs présentent leur émission, « Les temps modernes », 20 octobre 1947. […] Jean-Paul Sartre : Vous l’avez vu ce grand portrait du général ? Je sais bien, derrière lui, il y a la République, mais toute blanche, toute effacée. Elle disparaît la pauvre République, cela serait peu de dire que le général s’assoie dessus, il s’étale dessus, et avec quel air ! et quel visage ! Cela donne un choc, je vous assure, cette petite moustache et puis ces paupières lourdes sur un regard de fer, et cette bouche et ce cou de forcené, à part la mèche sur le front, tout y est, je vous dis, tout ! Tout le monde le dit en passant… ? : ( ? début de phrase inaudible) Vous tenez à le dire alors… Jean-Paul Sartre : Et vous, vous y tenez à m’empêcher de le dire ? ? : Heureusement on a du temps. Tenez, Pontalis, donnez-nous votre avis sur la question. Pontalis : Moi je trouve que l’on peut parfaitement le juger sur cette photo. D’abord nous nous ne prenons pas une photographie au hasard, ce n’est pas nous qui la choisissons, c’est de Gaulle qui l’a choisi, probablement parce qu’il a trouvé ressemblante et qu’il y voyait un instrument de propagande, il pensait qu’elle parlait, comme on dit, et en effet elle parle tout à fait le même langage que ses livres. J’ai eu l’occasion de feuilleter « Le fil de l’épée », un ouvrage que de Gaulle a publié en 32 mais qu’il a fait republier en 45, c’est un véritable journal intime. Qu’est-ce qu’on y trouve ? Eh bien, Georges Mounin le disait excellemment dans un article des « Lettres françaises », en octobre 1945, à l’époque c’était un des premiers à rompre l’unanimité à détruire le mythe de de Gaulle, auquel, je m’empresse de le dire, tous les partis ont collaboré, il parlait de la conception à la Plutarque du grand homme qui a toujours été celle de de Gaulle, c’est-à-dire une conception qui est fondée sur le prestige, sur l’inculture des masses, vous savez, comme disait Merleau Ponty, de Gaulle méprise l’homme, d’ailleurs il ne parle jamais du peuple mais de la foule. Il n’a d’estime que pour le grand homme, c’est-à-dire pour lui. Écoutez-le : Que les événements deviennent graves une sorte de lame de fond pousse au premier plan l’homme de caractère. ? Ah, vous êtes bien des intellectuels, tous ! Nous avons la guerre à nos portes, la guerre étrangère, la guerre civile, la famine, le désordre et vous discutez, vous pesez le pour et le contre, vous jugez par vous même. Tenez, vous venez de me prouver une seule chose, c’est que Soustelle a eu tort de laisser encore deux libertés. Il aurait dû commencer par supprimer la liberté de penser. Speaker : Jean-Paul Sartre et ses collaborateurs : Simone de Beauvoir, Maurice Merleau Ponty, JB. Pontalis, A. Bonnafé et R.J. Chauffard, vous ont présenté leur émission « Les temps modernes ». Le débat de ce soir était consacré au gaullisme. »
Paul Guimard : C’est une émission que Sartre avait faite, qui avait été jugée, je ne sais pas pourquoi, incongrue. Et pour arranger les choses, on a précisément proposé à Sartre de venir dans le cadre de La tribune de Paris, qui était comme le jardin d’une ambassade, si vos voulez, exterritorialisée. Donc, c’était, même pour la direction de la radio, très précieux d’avoir ce refuge où l’on pouvait dire « eh ben non, ça, ça ne va pas du tout » mais alors à La Tribune de Paris, s’ils veulent vous prendre, alors là nous on ne contrôle pas. Eh bien certaines personnes se sont peut-être rendu compte que c’était peut-être leur denier terrain neutre, qu’ils pouvaient encore venir là, et après cela n’a plus été la même chose.
« Archives, poste parisien, 27 octobre 1953, 20h 30 / Speaker : Veillez écouter l’émission « Paix et liberté ». Monsieur Jean-Pierre David, secrétaire général du mouvement, vous parle. Jean-Pierre David : Notre allocution du 16 septembre dernier, consacrée aux journées d’études et déformation des instituteurs communistes, a soulevé de nombreux échos. Les approbations qui nous sont parvenues autant des membres du corps enseignant, fidèle à l’école laïque, que des parents d’élèves opposés à la modification partisane des programmes ont montré toute l’utilité de cette mise en garde. Les pseudos instituteurs, pour la plupart des permanents appointés du parti de Malenkof ou parlementaires depuis des années […] ayant juré fidélité à l’Union soviétique dans le message qu’ils adressent à Maurice Thorez, lors de leurs journées d’études, les instituteurs communistes se sont déclarés comptables, devant leur parti, de la défense de ces positions d’une façon intransigeante. C’est la plus grave atteinte portée à la liberté d’enseignement à l’école laïque. Nous n’avons donc jamais conseillé, nous, ni les groupements nationaux, qui font la majorité de ce pays, d’enseigner aux enfants quelles sont les conditions de vie en URSS, dans ce pays où le cheptel, de l’aveu même de Monsieur Khrouchtchev, est inférieur à celui des temps des Tsars, et où la ration de beurre quotidienne est de 5,22 grammes par personne. Cela serait pourtant un joli problème à proposer aux enfants en se basant sur le rapport Khrouchtchev de septembre, qui fixait le plan de production de beurre, pour les 210 millions de Soviétiques, à 400 000 tonnes pour 1954. Combien cela représente-t-il par jour ? Compte non tenu des prélèvements massifs pour les dirigeants du parti et autres privilégiés du régime. Mais si les non communistes, malgré leur supériorité numérique, ne veulent en aucun cas politiser les programmes scolaires, il leur appartient de préserver leurs enfants de toute tentative de déformation […] »
Ces émissions nouvelles, créées au moment de la Guerre froide, qui sont anticommunistes, on peut dire d’une certaine façon que ce n’est...
Paul Guimard : Que ce n’est pas du journal parlé.
Que ce n’est pas du journal parlé et que Gayman s’est débrouillé pour leur réserver une petite case marginale.
Paul Guimard : Oui, oui, Gayman détestait ces émissions, comme tout le monde. C’était une propagande tellement maladroite. C’était le Moujik avec le couteau entre les dents. C’était voué à la chute et cela n’a pas tardé à chuter.
Est-ce que par contre, en ces années de Guerre froide, il y a une attitude spécifique que l’on vous recommande d’adopter envers le PCF et même d’ailleurs, du point de vue politique intérieur, aussi envers le RPF, qui sont les deux forces...
Paul Guimard : Je vais vous dire, on nous ne recommande rien, je vais vous choquer peut-être, mais quand Mendès est au pouvoir, nous recevons la visite d’un attaché de cabinet de Mendès, qui vient et qui dit à Gayman ce qu’il doit faire. Et Gayman, courtoisement, le reconduit à la porte, et il se trouve que nous voyons Gayman, qui nous dit : bien entendu vous tenez ça pour nul et non avenu. Non pas qu’il ait la moindre hostilité à l’égard de Mendès, mais le genre de démarche, il ne tolérait pas ça.
Le 26 juin 1954, le Président du Conseil, Pierre Mendès France, inaugure une série de causeries radiophoniques hebdomadières.
« Archives, Pierre Mendès France : Nous nous retrouvons, après une semaine de travail, dans le calme de cette soirée de samedi. Voici une semaine qu’a été constitué, dans un temps record, le nouveau gouvernement. Cette semaine vous avez pu vous en apercevoir a été chargée. Je tiens maintenant à venir m’entretenir avec vous. Mon propos n’est pas de vous donner de grandes nouvelles, ni de vous annoncer des décisions importantes que vous ne connaissiez déjà. Les nouvelles vous les avez eues par les journaux, qui ont fait dans l’ensemble un travail d’information sérieux dans les jours qui viennent de s’écouler. Les décisions politiques, dès qu’il y en a, j’en dois la primeur au Parlement et ainsi vous les apprenez aussitôt. Non, l’objet principal de cette allocution est de vous dire mon intention, de m’adresser régulièrement à vous, pour vous parler en toute simplicité, comme ce soir, et vous tenir au courant de ce que fait et de ce que pense le gouvernement, qui est votre gouvernement. Je crois que c’est l’une de mes taches d’expliquer à l’opinion la signification et la portée de nos actes, et ce devoir est plus impérieux encore quand il s’agit d’entamer avec résolution, puis de poursuivre avec persévérance, un grand effort de rénovation, forcément ardu, auquel tout le pays doit être associé, auquel le pays doit concourir de toute son énergie. »
Jean Pierre Rioux : Il est incontestable que les causeries du samedi de Pierre Mendès France, soit celles de son premier passage au pouvoir en tant que ministre du général de Gaulle, entre novembre 44 et mars 1945, jusqu’à sa démission, et puis celles qu’il donne en tant que Président du Conseil, de juin 54 à janvier 55, ont beaucoup fait pour la popularité de Pierre Mendès France, et pour qu’entre un homme politique, un responsable politique et l’opinion, les Français, une sorte de courant un peu nouveau passe. C’est vrai que c’est un peu une exception, qu’il ne faut peut-être pas majorer d’ailleurs, dans l’ensemble du dispositif politique, la classe politique veut entretenir avec la radio nationale, mais c’est vrai que là le côté, je dirais, très véridique et très sincère de la prestation politique de Pierre Mendès France passe particulièrement bien parce qu’elle a son bon support médiatique, cela va de soi.
André-Jean Tudesq : On a beaucoup accusé le gouvernement Mendès France d’avoir voulu contrôler les moyens d’information, notamment la radio. Paul Reynaud, je crois, a dit que la radio française était la plus contrôlée d’Europe à ce moment-là. Cela s’explique, ces dénonciations, en quelque sorte par le fait qu’il y a eu vraiment un renversement politique quand même, avec l’arrivée du gouvernement Mendès France, et par conséquent certains commentateurs politiques de la radio ont été éliminés. Ils ont été éliminés surtout d’ailleurs par Monsieur Jean-Jacques Servan-Schreiber, qui était le conseiller sur ce plan. Et bien sûr les élections font toujours crier au scandale à l’épuration. Cela dit, il me semble que le gouvernement Mendès France, sur ce plan, n’a été ni plus ni moins interventionniste que ses prédécesseurs et ses successeurs.
Reportage de la RTF le 15 novembre 1954. Depuis 15 jours, le FLN a déclenché l’insurrection algérienne.
« Archives, RTF, 15 novembre 1954 : / reporteur (?) : Ici Pasteur. Je pensais vous parler ce soir de Foum Toub où je me suis rendu ce matin, et j’en profite pour vous préciser que dans ce secteur tout était alors fort calme. Mais, malheureusement l’actualité me contraint à vous parler ce soir Pasteur, ce petit village situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Batna. Ici donc Pasteur, et très exactement la maison de Monsieur Gilles Godin, l’adjoint spécial qui, la nuit dernière, a vécu les événements que vous connaissez tous à présent, au cours desquels un garde-champêtre, ancien combattant musulman, a été tué, un colon, Monsieur Marcel Vezon, blessé, aux dernières nouvelles son état est sérieux certes mais non grave, et un rebelle abattu. Nous sommes actuellement dans la modeste salle à manger de Monsieur Godin et Gibert Perez a posé son magnétophone sur une table à côté de revolvers et de fusils de chasse. Les murs de cette maison sont criblés de point d’impact, et d’ailleurs des traces de balles ont labouré les murs des bureaux des Poste et de la plupart des maisons. Dans les rues patrouillent, armés, les anciens combattants musulmans. Mais que ces phrases ne vous fassent point supposer que j’ai trouvé ici, à Pasteur, une atmosphère de guerre, non, mais plutôt celle qui règne au lendemain d’un crime, car c’est un crime qui a été commis la nuit dernière. Comment des hommes dignes de ce nom ont-ils pu oser attaquer une agglomération où au milieu d’une population musulmane, calme et laborieuse, ne vit que dix hommes, généralement âgés, et cinq ou six femmes, des veuves, également fort âgées ? Monsieur Gilles Godin, l’adjoint spécial, qui a 65 ans, son frère Lucien, 70 ans, ont fait les coups de feu pendant plusieurs heures avec derrière eux, couchée, une jambe cassées, leur sœur... »
Paul Guimard : Les événements d’Algérie ont duré, disons, dans une semi-clandestinité jusqu’au mois de mai 58. Pendant presque 4 ans, on parlait de ça presque comme on parle des accidents de la route aujourd’hui, de temps en temps pour en faire une statistique, pour dire : depuis le premier janvier 55, il y a eu tant d’attentats, tant de victimes, etc. Mais jamais on n’exposer aux auditeurs le fait qu’il y avait une rébellion pour l’indépendance de l’Algérie. Ce n’était pas clairement dit. Alors, évidemment tout cela se passait en Algérie, sous le contrôle du Gouvernement général, nous n’avions pas d’envoyés spéciaux là-bas, nous nous contentions de reproduire, quand il se passait quelque chose d’énorme, comme un attentat à la bombe dans un café d’Alger, ceux qu’envoyait Radio France à Alger, sans chercher à savoir ce qu’il y avait derrière.
Je crois que Gayman en fait avait renoncé sciemment à justement envoyer des reporters, parce que dans les premières années des événements d’Algérie, il avait constaté que ces reporters venant de Métropole ne pouvaient pas faire leur travail correctement dans les régions touchées par la rébellion.
Paul Guimard : Bien sûr. Qu’est-ce que vous vouliez faire ? Mettez-vous à la place de Gayman ! Il y avait un mur infranchissable de la part des responsables de l’ordre en Algérie, de l’administration ; qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre ? On ne pouvait pas non plus, comme l’ont fait un peu plus tard les Yougoslaves, les Espagnoles ou les Américains, envoyer des équipes en Tunisie, franchir la frontière, le barrage, etc. Et quand on est Radio ou télévision nationale, il y a des choses que l’on peut difficilement faire dans le dos de l’administration nationale, c’est évident.
« Archives, Europe N° 1, reportage d’Alger, 6 février 1956 : / Reporteur (?) : Le cortège est maintenant sur le point d’arriver. Vraiment l’atmosphère d’Alger est oppressante. Les gens sont massés, vous les voyez manifester. Les figures sont tendues. Les gens sont encadrés par les troupes en casques. Au-dessus de moi, toujours ces petits avions d’observations, qui rappellent évidement des très mauvais souvenirs et qui patrouilles. Vous entendez la foule qui se déchaîne car voici les motocyclistes qui précèdent la voiture du Président du Conseil, Monsieur Guy Mollet. »
Président du Conseil depuis 5 jours, le socialiste Guy Mollet doit faire face à la population européenne qui redoute l’application d’une politique de réformes en Algérie.
« Archives, Europe N° 1, reportage d’Alger, 6 février 1956 : / Reporteur (?) : La foule couvre la fanfare de la garnison qui rend les honneurs. Voici maintenant la Delahaye du Président du Conseil, Monsieur Guy Mollet descend, il est pâle. Il est précédé d’une centaine de journaliste environ, ils sont tous assez mal à l’aise si l’on juge par leur physionomie. On jette des pierres sur le Président du Conseil. Des pierres volent et le Président du Conseil reste impassible. Une pierre d’ailleurs vient de l’atteindre au genou. Les manifestants qui sont dans le square en face brisent des branches arbres, ramassent des pierres et les jettent. Les CRS se déplacent et vont certainement charger la foule. Ça y est, Les CRS chargent la foule tandis que le Président du Conseil reste impassible. »
André-Jean Tudesq : Cette émission en direct, du 6 février 1956, a été je crois ce qui a fait comprendre aux Français de la Métropole que le problème algérien était vraiment un très grave problème. Jusqu’alors au fond cela n’avait pas tellement sensibilisé l’opinion, qui était prête un petit peu à suivre ce que le gouvernement pouvait dire là-dessus. C’est vraiment cette retransmission à la radio qui a sensibilisé, je crois, l’opinion française, ce qui montre l’importance, l’impact de la radio quand même sur l’opinion. Et là il s’agissait non pas de commentaires de l’information mais de l’information en direct, c’était la radio qui faisait l’événement.
Dans quelle mesure finalement est-ce que d’une part l’idée que se faisait la classe politique correspondait à la réalité, je veux dire son impact et ses possibilités ? Et dans quelle mesure finalement est-ce que le type de relations mises en place par les hommes politiques à l’égard de la radio a été, si j’ose dire, efficace ou au contraire a eu des effets pervers ?
Jean Pierre Rioux : Il y a peu de périodes de notre histoire nationale et dans notre histoire de la radio où c’est vrai le contrôlé ait été aussi ployant, délibéré, continu, systématique. Cela dit on a un peu l’impression que la classe politique, toutes couleurs confondues, a intériorisé je dirais des leçons tirées de l’immédiate avant guerre ou de la guerre elle-même et qu’elle a une conception instrumentale de la radio un petit peu désuète, ou qui en tout cas devient de plus en plus peut-être obsolète par rapport à l’évolution de la société et des auditeurs qui eux-mêmes galopent devant. Je crois que ce que tous les gouvernements de la IVème République n’ont pas assez vite compris c’est que la radio devenait un immense média de consommation culturel d’abord, de distraction, de société de consommation de masse aussi qui arrivait dans cette France des années 50, et que les auditeurs cherchaient d’abord de l’information et pas de l’explication, voire même de la propagande. C’est je crois la clef du succès d’une solution comme celle qu’a adoptée Europe N° 1 à partir de 56, avoir trouvé une radio qui est à la fois plus souple, plus à la portée, je dirais ,du mouvement culturel d’une société et qui laisse à l’auditeur, avec tout un tas de pieds et des tas de ruses, nous en sommes tous d’accord, mais laisse à l’auditeur le soin de se faire un peu son information lui-même. C’est ce que je crois les politiques de la IVème République, dans ce domaine comme dans d’autres, n’ont pas toujours compris à temps.
« Archives Quelques phrases en allemands non transcrites ici. ? Nous ne sommes pas disposés à laisser placer cette radio sous le feu de canons allemands. »
« La Radio dans la vie politique française », par Bruno Leroux et Janine Antoine. Aujourd’hui, 4ème émission, « 1944 et 1958, une liberté surveillée », avec la participation de Jean Pierre Rioux, André-Jean Tudesq, les témoignages de Jean Calvel, Paul Guimard, et Joseph Pasteur. Avec les documents de la phonothèque d’Europe N°1 et le Archives de l’INa. Mixage, Claude Massé, Jean-Michel Godin. CRPLF, Communauté des radios publiques de langue française.