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Les chemins de la connaissance : Promenade dans l’idée de nature, mars 1995

Transcription, par Taos AÏT SI SLIMANE, des cinq épisodes de l’émission de France Culture Les chemins de la connaissance, « Promenade dans l’idée de nature », du 20 au 25 mars 1995.

Avec : Michel Edmond, philosophe ; Jean-Luc Marion, philosophe ; George Collins, philosophe ; Catherine Chevalley, philosophie ; Jacqueline Lichtenstein, philosophe et historienne de l’art ; Chantal Thomas, romancière, essayiste, dramaturge, scénariste.

Production : Stéphanie Katz. Réalisation : Olivier Copin. Mixage : Monique Prat, Cyril Bécue, Roland Allagnès (orthographe incertaine).

La conservation du style oral pour les transcriptions de ce site est un choix méthodologique, cela permet de rester au plus près des dits des locuteurs, de ne risquer aucune interprétation. Les notes de bas de document, ont été ajoutées par moi, au moment de la transcription. Évitez les copier-coller, vous avez plus de chance de profiter d’un document de meilleure qualité en faisant un lien, car j’apporte des corrections à chaque lecture ou sur propositions des lecteurs. Si un ou plusieurs intervenants apportent des corrections, pour préciser un dit, je les intègre bien évidemment quand bien même il y aurait de petits écarts par rapport à l’enregistrement sonore.

Vous pouvez m’adresser vos commentaires et vos suggestions de corrections à cette adresse : tinhinane[arobase]gmail[point]com

Promenade dans l’idée de nature (1/5), lundi 20 mars 1995 : Quelques monstres, un héros et la nature, entre autres inventions grecques avec Michel Edmond.

Annonce : Les chemins de la connaissance, une émission proposée par Emmanuel Hirsch. Cette semaine, une série proposée par Stéphanie Katz « Promenade dans l’idée de nature ».

Emmanuel Hirsch : Stéphanie Katz, bonjour !

Stéphanie Katz : Bonjour !

Emmanuel Hirsch : Vos chemins de la connaissance cette semaine sont une promenade dans l’idée de nature. Alors, la date nous renvoie au printemps, il va être question du printemps au cours de ses chemins ?

Stéphanie Katz : Disons que le printemps c’est une saison qui va inaugurer très bien cette promenade, puisqu’à mon sens c’est une des saisons les plus paradoxales, le printemps c’est cette saison où en voyant pousser les fleurs, le premier rayon ou les hirondelles, on a l’impression de participer de cette nature qui nous entoure, et c’est en même temps peut-être la saison la plus terrible où on éprouve aussi que cette nature nous échappe, surtout aujourd’hui qu’elle est devenue plus que jamais un simulacre.

Emmanuel Hirsch : Dans son livre consacré à l’invention de l’idée de nature, qu’il situe au XVIIIe siècle, Jean Errard semble poser d’une manière fondative l’idée de nature à cette époque, à travers votre émission, on va beaucoup plus loin, puisque l’idée de nature apparaît chez les Grecs, c’est ce que l’on voit, ce que l’on a progressivement maîtrisé.

Stéphanie Katz : C’est ça. En fait, pour les Grecs l’idée de nature c’est ce qui est observable, ce qu’ils ont sous les yeux. C’est une idée de nature très ludique qui naît là, elle va l’être de moins en moins jusqu’à ne l’être plus du tout. Donc, toute l’histoire, c’est de voir ce que va devenir cette idée de nature, qui somme toute est un concept très fluctuant à travers les siècles, qui change selon les le goût du jour.

Emmanuel Hirsch : Parler de la nature, c’est parler aussi de l’homme dans la nature, c’est pourquoi il sera également question de Descartes, de Rousseau, de la philosophie ?

Stéphanie Katz : De la naissance de la science au cœur de la philosophie effectivement avec Descartes, jusqu’à interroger la question de la nature dans notre propre corps, et dans la refabrication artificielle du corps aujourd’hui.

Emmanuel Hirsch : Toute cette semaine, « Les chemins de la connaissance » par Stéphanie Katz, « Promenade dans l’idée de nature », votre invité aujourd’hui est Michel Edmond [1], professeur de philosophie « Quelques monstres, un héros et la nature, entre autres inventions grecques ».

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Michel Edmond : Puisqu’il s’agit de la première émission, je vais commencer par le commencement. Ce que je dirais, on le constate, c’est que l’invention de la philosophie correspond très exactement à la découverte de la nature. C’est intéressant, très rapidement, de comparer par exemple avec le récit, bien connu, de la Genèse dans la Bible. Dans le récit biblique, ça peut paraître bizarre, ce que je vais dire, mais la notion et le mot de nature sont absents. Tout le monde connaît la première phrase « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre », c’est un récit qui concerne les origines du monde. Or, le problème qui se pose, c’est qu’on se demande, qui a écrit cela, « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » ? Supposons qu’un philosophe grec, c’est-à-dire ces philosophes de sixième siècle à peu près avant Jésus-Christ …

Stéphanie Katz : Ceux qu’on appelle les présocratiques.

Michel Edmond : Ceux que l’on va appeler après les présocratiques. Ce qu’aurait remarqué un philosophe grec, c’est que de cet événement important, qui est la naissance du monde, nul être humain n’en a été le témoin. Il n’y a pas de témoin direct. Il n’y a pas de témoin de cette origine, de cet événement. Du même coup, les Grecs diraient qu’il s’agit d’un récit par ouï-dire, on a entendu parler de, et à partir de ce « on a entendu parler de » s’inscrit une tradition, la transmission justement de ce qu’on a entendu, sans qu’il ne soit jamais possible bien sûr de remonter à un témoin direct. Autrement dit, il y a là, quand c’est une connaissance ou un accès à quelque chose par ouï-dire, quelque chose d’inobservable et d’invérifiable.

Stéphanie Katz : Est-ce que c’est ça que les Grecs appellent un mythe ?

Michel Edmond : Effectivement, puisqu’il y avait dans l’Antiquité grecque, avant la naissance de la philosophie, un certain nombre de récits mythiques, qui racontaient eux aussi l’origine du monde. Lorsque la philosophie fait son apparition, elle commence justement, pour gagner ou délimiter sa place après tout, je pousse le mythe pour que la philosophie ait sa place, c’est qu’il y a un double rejet : un rejet des récits mythiques, un rejet du ouï-dire, ceci se fait au seul profit de ce qu’on peut voir directement de ses propres yeux et de ce qu’on peut vérifier. J’ai apporté ici un tout petit livre, d’un philosophe sicilien, qui a habité à Agrigente en Sicile justement, il s’appelle Empédocle [2], et voici par exemple ce que dit Empédocle : « Va, considère de toutes tes forces, le côté manifeste de chaque chose, – manifeste, ça veut dire ce qu’on peut voir – mais, si tu as sous les regards un objet, ne lui attribue que ce que te révèle tes yeux ». Empédocle dit : « N’accorde pas à l’oreille plus de poids qu’aux explications de la parole » Donc, il y a un privilège de ce qu’on peut constater, de ce qu’on peut voir, de ce qu’on peut vérifier. Qu’est-ce qui peut ainsi être vu et vérifier, qui va constituer un peu le noyau logique de cette notion de nature ? C’est qu’il y a dans le monde, comment dirais-je, une présence active d’un ordre.

Stéphanie Katz : Quelles vont être les conséquences immédiates de cette définition de la nature ?

Michel Edmond : On pourrait se demander, par exemple, d’un point de vue moderne, si la nature, qui est considérée comme un ordre, une mise en ordre, peu ou non, par exemple, produire des déchets. Eh bien, les philosophes grecs répondraient d’une manière tout à fait ferme, non, il n’y a pas de déchets dans la nature.

Stéphanie Katz : C’est très étrange, pour nous modernes de penser ça.

Michel Edmond : Mais, c’est au sens - d’ailleurs c’est très curieux - l’équivoque il y a aujourd’hui sur les déchets, sur l’idée même de déchets, parce qu’un déchet, par définition c’est ce qui n’est pas recyclable, il y avait des productions de la nature qui ne sont pas recyclables, et bien la nature se contredirait, son ordre, l’ordre qu’elle est, se contredirait. Or, un ordre qui se contredit, c’est le cas de le dire, c’est contradictoire, ça ne peut pas tenir.

Stéphanie Katz : J’ai une question qui se pose pour nous, est-ce que les hommes, dans ce monde grec, ont le pouvoir de la désordonner, cette nature ?

Michel Edmond : Là aussi, on pourra croire que les Grecs sont bien affirmatifs, mais la réponse est non. Aucun être humain dans ses productions ne peut - bien qu’il puisse faire des dégâts - remettre en cause la nature comme ordre.

Stéphanie Katz : Comment on comprend les dégâts que font les êtres humains à ce moment-là ?

Michel Edmond : Il y a un exemple très intéressant, c’est l’analyse qu’Aristote fait du héros tragique. Le héros tragique, c’est quelqu’un qui transgresse ce que sa nature d’homme peut faire, à tel point même qu’on peut se demander si, ce qui est une question finalement assez grave, c’est qu’à la limite, du moins dans le temps durant le moment où il vit, c’est qu’un héros tragique, qui outrepasse les limites de sa nature d’homme, peut supporter l’insupportable, ce qui est contradictoire. Ce que dit Aristote, c’est que, certes il dépasse ce que peut sa nature, mais sans le punir, la nature l’expulse. Il a outrepassé les limites, il est expulsé. Et cette expulsion, c’est simplement le fait qu’il meurt. Il y a une mort du héros tragique.

Stéphanie Katz : Un peu comme s’il y avait un phénomène organique dans la nature qui se reconstitue toujours derrière les dégâts que font les êtres humains.

Michel Edmond : Il y a une espèce de régénérescence, les êtres humains ne dérangent pas l’ordre de la nature. Évidemment, on pourrait leur objecter que, par exemple, c’est une idée qui ne leur venait pas à l’esprit, nous pourrions par certaines de nos productions, je ne sais pas, par exemple, détruire la Terre. Je dirais que pour un philosophe grec, ça peut nous paraître peut-être inhumain, mais la destruction d’un petit secteur de la nature ne perturberait pas du tout l’ordre global de la nature, absolument pas.

Stéphanie Katz : On pourrait faire sauter la planète, la nature s’en moque …

Michel Edmond : Tout à fait, et cela nous éclaire justement sur un autre aspect, une autre caractéristique de la nature, pour ces premiers philosophes, c’est que contrairement à une idée, une interprétation, un peu trop répandue sur la nature au sens grec, qui est comme une bonne mère ou mauvaise mère, une marâtre, selon le point de vue où on se place, cela nous les éclaire sur le fait que la nature et d’une certaine façon totalement indifférente à ce qu’elle produit. Elle produit ce qu’elle produit, dans l’ordre globalement, bien qu’il y ait des choses qui ratent de temps en temps, mais il y a une indifférence de la nature non seulement à ses propres productions, mais aussi, d’une certaine façon, au monde humain.

Stéphanie Katz : Quelle est la part de mal dans ce monde grec, dans cette nature ?

Michel Edmond : Bien sûr, parce qu’à ce moment-là, ça conduit directement à se demander, le mal - c’est leur théorie, c’est logique, on peut en discuter - ne peut pas affecter l’ordre global. Le mal étant entendu comme une perversion de cet ordre global, ou comme une sorte d’autodestruction par exemple de cet ordre. Par contre, il y a, un peu comme il y a certaines espèces qui disparaissent, des secteurs dans ce grand ordre naturel, qui peuvent, entre guillemets, dégénérer, qui peuvent aussi disparaître, sans que l’ordre global ne soit affecté. Autrement dit, le mal est considéré par eux comme la disparition de quelque chose, mais qui n’affecte d’une partie du tout et qui n’affecte pas le tout.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Michel Edmond : Il y a un philosophe, que certains diront un peu spécial, mais enfin c’est un philosophe, c’est Sade. Sade est un penseur de l’ordre naturel. Et Sade, si j’ai bien compris, en vient à imaginer – une imagination d’homme un peu enfermé, puisqu’il est resté longtemps en prison, à cause de sa belle-mère – qu’il y a un ordre naturel, c’est un grand principe d’arrangement, qui continuerait à fonctionner, sauf qu’il n’y aurait plus rien à ordonner. C’est-à-dire qu’il y aura une destruction totale de toutes les productions naturelles, mais on a du mal à s’imaginer ce que pourrait être un ordre qui continue de tourner comme ça, qui tourne à vide. Je n’ai pas de comparaison qui me vienne. Imaginons, par exemple, une horloge qui aura un mouvement perpétuel, qui continuerait à marcher, mais on aura enlevé les aiguilles, d’où que ça n’indiquerait plus l’heure, mais il y aurait toujours ce mouvement. Sade pense l’idée d’un ordre vide, ce qui est très, très curieux. Mais, ce qui est très intéressant, c’est qu’il a pensé l’idée d’un ordre, dont nous nous disons qu’il serait mauvais, au sens où il détruirait tout ce qu’il produit, c’est-à-dire qu’il produit puis il détruirait ce qu’il produit. C’est une idée terrifiante d’ailleurs. Je préfère ne pas faire allusion à des applications dans le domaine humain, je refuse, et ce serait ça le mal, d’une certaine façon.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Michel Edmond : Ce qui expliquait Empédocle, par exemple : sur la Terre poussait en grand nombre des têtes sans cous, erraient des bras isolés, privés d’épaules, erraient également ainsi des yeux, privés de têtes et de visages, et isolés ces membres - il y a beaucoup d’errance -erraient de-ci de-là. Cela fait un peu penser à ces poupées d’enfants en celluloïd qu’un enfant aurait un peu démembrées, arraché un œil, etc. Tout ça bouge, tout est isolé. Voilà ce qu’écrit Empédocle, il dit : quand une divinité s’unit davantage à l’autre, l’Amitié à la Haine, c’est ce qu’il appelle la Philotès [3], philos, ça veut dire l’amitié, l’Amitié elle est un principe d’ordre, au sens où elle met ensemble ces éléments isolés, pour en faire un tout qui se tient. À ce moment-là, il dit : cette divinité, qui est l’Amitié, la Philotès, ajuste ses membres les uns aux autres. Seulement, elle les ajuste d’une manière un peu curieuse. L’Amitié ajuste ses membres les uns aux autres, comme l’Amitié ne peut pas aller sans la Haine, la Haine, elle aussi - c’est ça qui est curieux - fait partie de l’ordre - finalement ça va rejoindre cette question du mal - mais la Haine, elle, démembre. Elle démembre - ce que membre, si je puis dire - ou remembre l’Amitié. Cette espèce de collaboration, un petit peu bizarre, entre l’Amitié et la Haine qu’est-ce qui naît ? Eh bien, il naît des êtres aux pieds tournés, pourvus d’innombrables mains. Il y eut beaucoup d’êtres à double visage et à double poitrine, des bovins à figure d’homme et des hommes à tête de bœuf, des hermaphrodites pourvus de membres délicats. La question serait de savoir si les monstres remettent en cause cet ordre naturel, eh bien la réponse est non.

Je voudrais donner un autre exemple, que donne Aristote. Il prend l’exemple d’une plante, à laquelle arriverait une aventure tout à fait regrettable, c’est une plante qui n’arrêterait pas de pousser, elle développerait sa tige vers le haut, indéfiniment, et ses racines vers le bas, indéfiniment. Dans ce cas-là, c’est comme pour le héros tragique, la plante meurt, puisqu’elle se déchire. Ce que la nature a fait, elle peut le défaire, ce qu’elle a organisé, elle peut tout aussi bien le désorganiser. Cela veut dire qu’il n’est pas, pour Empédocle, par exemple, du tout exclu qu’un jour ou l’autre, plus tard, naissent des hommes avec trois yeux, ou deux yeux devant et un œil derrière, trois pieds, etc., etc. Ça va dans le sens d’une extraordinaire fécondité de la nature. Cela va nous éclairer sur la différence que font ces philosophes entre la nature et ce qu’on appelle le cosmos. C’est-à-dire que, par exemple, non seulement de nouvelles espèces, qui pour nous aujourd’hui nous apparaîtraient comme monstrueuses, peuvent naître, non seulement des hommes bizarres dans leur corps, mais qui plus est peuvent naître d’autres univers, d’autres cosmos, que celui dans lequel nous sommes aujourd’hui. Il y a une pluralité de mondes possibles, Il peut y avoir d’autres mondes, ou cosmos, qui auraient un ordre, un arrangement tout à fait différent de celui dans lequel on est actuellement.

Stéphanie Katz : Une autre nature ?

Michel Edmond : Non, ce serait la même. C’est bien de poser la question, parce que ce serait la même nature, puisque ça organise. Il n’y a qu’une seule nature, c’est un principe d’ordre et de réorganisation après, mais le cosmos n’est pas du tout identifiable à la nature. On pourrait dire que le cosmos est une des réalisations de la nature.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Stéphanie Katz : Là, on vient de faire un tour dans le monde grec en général, mais il y a un Grec particulier qui pense tout particulièrement la nature, qui soit plutôt en fin de parcours dans l’univers grec, c’est Aristote. Comment il définit la nature ?

Michel Edmond : Il y a une petite phrase d’Aristote, qui est très curieuse, où il dit que la nature est un chemin vers la nature, elle va vers la nature. Je crois que ça peut vouloir dire, ce n’est pas parce qu’il y a un ordre que la nature est figée, comme une espèce d’univers de la Belle au bois dormant. Ça voudrait dire par exemple qu’une fleur est déjà une fleur, qui restera éternellement fleurie, et ainsi de suite. D’ailleurs, ce dont veut rendre compte Aristote, c’est - comment dirais-je - du rapport qui existe entre l’ordre et la pluralité, l’infinité, des mouvements, ou des changements qui se passent dans le monde. Si la nature est un chemin vers la nature, ça veut dire que la nature ne réalise pas tout instantanément, ce qu’elle produit, elle tente de le conduire jusqu’à son terme, si elle produit un pied, il faut que ça fasse un pied. Mais, disons qu’il faut du temps, il faut y aller, donc il y a du mouvement. À partir de là, Aristote établit dans un ouvrage, sa physique [4], une sorte de hiérarchie entre les mouvements. Par exemple, il dit que dans le ciel, les astres obéissent - c’est bien connu, ils ont un certain nombre de mouvements - l’avantage, entre guillemets, c’est que ces mouvements sont réguliers et peu nombreux, et ce qu’il ajoute, un peu malicieusement, c’est que plus on descend des astres vers le monde des hommes, alors là, dit-il, c’est une véritable gabegie, c’est-à-dire qu’il y a un nombre incalculable de mouvements de la part des hommes. Ces mouvements sont très nombreux, certains sont réguliers, mais la plupart ne mènent souvent nulle part. Il y a des mouvements pour rien - pourquoi pas d’ailleurs - il y a des mouvements ratés, il y a des mouvements pervers, c’est-à-dire que par exemple dans le domaine de l’action, qui est intime de mouvement sur le propose tel but et on fait le but inverse, ça, c’est complètement pervers. Et cette démultiplication des mouvements, et leur irrégularité, qui fait toujours partie de la nature, montre quand même que les êtres humains sont à la fois dans la nature et en même temps, c’est un peu contradictoire de dire ça, un pied dedans et un pied ou un demi-pied dehors.

Stéphanie Katz : Ils ne seraient pas que des êtres naturels ?

Michel Edmond : Non. Par exemple, ce n’est pas Aristote qui l’a dit ; c’est un présocratique, dont j’ai oublié le nom - ils ont des noms extraordinaires, Anaximandre, Anaximène, etc. - qui a dit que l’homme était un animal inachevé. Ce n’est pas Nietzsche, c’est un présocratique qui a dit cela.

Stéphanie Katz : En fait, ce défaut de nature chez les hommes, c’est un peu leur chance.

Michel Edmond : Oui, effectivement on est les seuls à agir, à poser des buts que la nature n’a pas posés. À ce moment-là, ça voudrait dire qu’il y a une espèce de nature d’hommes, comme une espèce de noyau, qui est un peu consistant, qui tient bien, quoi qu’il arrive, qui ferait que - contrairement à ce que nous croyons, nous modernes, du moins certains modernes - c’est qu’un homme n’est pas indéfiniment malléable, parce que s’il n’a plus du tout de nature, on peut en faire ce qu’on veut.

Stéphanie Katz : La nature résiste à un moment donné.

Michel Edmond : Il y a une résistance.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Stéphanie Katz : Comment Platon pense la nature ?

Michel Edmond : Ça, alors là, c’est un cas. Sur cette question par exemple de la nature, Platon curieusement semble revenir à ce qui se passait avant la philosophie, comme s’il se mettait en concurrence avec les premiers, ceux qui étaient antérieurs aux présocratiques, c’est-à-dire Hésiode et autres, il refabrique des mythes, qui sont, et il le dit, c’est ça qui est extraordinaire, Platon est quelqu’un qui dit : maintenant je vais mentir où je vous mets en présence d’un personnage qui va vous raconter des histoires. On raconte une histoire de l’origine de l’humanité, mais en même temps chez Platon il y a quelque chose de très tragique, c’est très curieux de voir comment il associe cette idée d’ordre, qu’il présente d’une manière imagée, à l’idée de destruction finalement. Et la pensée de la destruction chez Platon est aussi forte que celle d’une remise en ordre, non seulement d’un point de vue cosmique que du point de vue des cités. D’ailleurs, c’est quelqu’un qui est très sensible à la destruction, aucun ordre n’est. Ce serait peut-être ça la différence entre Aristote, les présocratiques et Platon. Eux, croient à l’ordre la nature, la nature, la nature. Platon, hum, hum …

Stéphanie Katz : Est-ce qu’il y a le principe d’ordre ?

Michel Edmond : Il y en a, mais cet ordre pourrait basculer, pourrait disparaître.

Stéphanie Katz : Et si d’aventure ce principe d’ordre chez Platon, c’était le dialogue, c’est-à-dire cette possibilité de passer d’une bouche dans l’autre, d’un avis dans l’autre, et d’être suspendu entre plusieurs points de vue ?

Michel Edmond : Le dialogue serait de ce point de vue là un anti-chaos. Aristote part de l’ordre, puis il dit : ah, mais il y a quand même un peu de désordre … Platon, lui, ce serait le contraire, partons plutôt du chaos, ou des forces - c’est un des premiers penseurs des rapports de force -, et voyons comment ces rapports de force peuvent d’une certaine façon être organisés de façon à ce qu’il y ait quelque chose, une cité, par exemple, qui soit vivable. Le point de départ n’est pas le même, il faut conjurer tout le temps de la menace, il me semble chez Platon.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Promenade dans l’idée de nature (2/5), mardi 21 mars 1995 : Quand la nature chute dans la science, avec Jean-Luc Marion, philosophe, auteur de « Descartes. Objecter et répondre », au PUF ; George Collins, philosophe ; et Catherine Chevalley [5], traductrice de « Niels Bohr, physique atomique et connaissance humaine », aux éditions Gallimard.

Stéphanie Katz : Quel est le paradoxe en fait aujourd’hui de cette idée de nature ?

J’ai l’impression que la question se pose à partir de la question de libération.

Hier encore, la nature régnait en princesse sur le chaos impénétrable du monde des hommes, parfois quelque peu indifférente, d’autres fois plus exigeante, elle dispensait son ordre moral bon enfant sur les énigmes d’un univers plutôt désordonné. Mais, fils de Prométhée, ses chers bambins en mal de liberté vont pourtant chercher à pénétrer ses secrets. Et bien sûr, ils découvrent née d’un Dieu devenu géomètre, la science fait ses premiers pas. De Descartes à Newton, on passe vite de la technique à la physique, et de la physique à celle que l’on dit quantique. Mais où est donc passée la nature ?

Bienvenue ce matin du côté de l’aventure des sciences, environnement, espaces verts et dons d’organes seront au programme. Question numéro 1 : Comment la nature divine hier encore a-t-elle un jour chuté dans le chaudron de la science ?

Parole donnée à Jean-Luc Marion. Que va-t-il se passer au XVIIe siècle qui va bousculer l’idée de nature ?

Jean-Luc Marion : On peut d’abord lire un texte de Descartes, qui le dit très bien, c’est dans « Le traité du monde », celui que Descartes n’a pas publié : « … par la Nature je n’entends point ici quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais que je me sers de ce mot pour signifier la Matière même en tant que je la considère avec toutes les qualités que je lui ai attribuées comprises toutes ensemble, et sous cette condition que Dieu continue de la conserver en la même façon qu’il l’a créée ... » C’est très clair ici, la nature n’est pas une déesse ou une puissance imaginaire, position biblique, parce que la matière est un modèle pour Descartes. On voit très bien qu’il y a une divinisation radicale de la matière faite par Descartes. Pourquoi et comment ? Au XVIIe s’est installée une thèse, dont nous ne sommes pas d’ailleurs toujours pas sortis, nous n’avons peut-être pas à en sortir, une thèse, une hypothèse, qui est la suivante : la nature doit être entendue par rapport à des modèles mathématiques, c’est-à-dire entendu selon des quantités des mouvements. Il y a une herméneutique quantitative et mathématique de la nature, qui est produite par Descartes, par Galilée naturellement, et qui se développe jusqu’au débat actuel de la physique quantique. Nous sommes dans une situation où la nature est un objet. Comment est-ce qu’on est passé outre ? On est passé ou par de nombreux aménagements des modèles, mais surtout par cette conviction, illustrée par Kepler avant même Galilée et Descartes, que Dieu a créé le monde, ce que tout le monde admettait, ou à peu près, et qu’il a créé le monde selon un langage et des critères mathématiques. Dieu a créé le monde mathématiquement. Donc, si Dieu a créé mathématiquement, alors nous pouvons bien pratiquer une herméneutique mathématique de ce qu’il a créé, nous essaierons ainsi seulement de reconstituer le modèle divin. C’est-à-dire qu’on a attribué à Dieu la responsabilité de notre herméneutique mathématique de la nature, d’une certaine manière pour qualifier celle-ci. Peu à peu cette référence à Dieu s’est estompée, mais on voit bien que c’est l’autorité divine qui, d’une certaine manière, a instauré, a permis d’outrepasser l’interdit aristotélicien de traiter mathématiquement de la physique.

Stéphanie Katz : Qu’est-ce qui s’est passé entre ce XVIIe siècle et toute la tradition théologique, et notre époque actuelle, qui fasse qu’aujourd’hui peut-être on peut aller jusqu’à dire qu’il n’y a plus d’idées de nature ? Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’elle disparaisse à ce point, presque évaporée ?

Jean-Luc Marion : Il y a deux évolutions constantes. La première c’est que la notion de nature pouvait être maintenue dans une herméneutique mathématique, aussi longtemps qu’on pensait que Dieu pensait mathématiquement quand il a créé le monde. Dès lors que la définition de Dieu s’est déplacée du champ - à mon avis heureusement - de l’épistémologie au champ de l’éthique, à ce moment-là, la nature devient simplement l’objet, et l’objet a ses exigences, que Kant marquait déjà très bien, c’est-à-dire que l’objet a comme exigence de pouvoir être produit et reproduit. L’objet de la science est toujours répétable. Dans ce cas, il perd absolument tout indépendance par rapport à l’acte qui le connaît, même si on admet qu’il est autre chose que l’acte qu’on connaît, il est toujours produit, et dans cette production, il devient parfaitement objet, et il perd cette forme d’indépendance, sinon l’antériorité qui est caractéristique de l’idée de nature. Il perd tout caractère originaire, l’objet ne peut plus, en aucune manière, être originaire, il est toujours produit, reproduit, et ce qu’on appelle la technique n’est plus simplement un mode de connaissance, mais c’est un mode de production. Et, peu à peu, nous sommes passés de l’interprétation mathématique des phénomènes physiques à la production mathématisée des objets physiques, et à ce moment-là, la technique a substitué aux choses naturelles les objets, et les objets qui eux ne sont plus naturels, par définition.

[Musique + diverses sonorités de la nature + extrait de : « La conférence des oiseaux » Farid Al-din Attar XIIe siècle]

Stéphanie Katz : En fait, nous en sommes là, à avoir mis à mal la notion de nature, pour mettre en avant quelque chose que vous appelez des effets de nature, qu’est-ce que c’est ces effets de nature ?

George Collins : Des effets de nature, ce sont des événements qui nous arrivent et qui nous font penser qu’il y aurait une nature derrière comme cause. Mais, si on dit effets, ce qu’on dit par-là, c’est que la nature, elle n’est là que sous forme de donnée à travailler, de donnée à recevoir, de donnée à intégrer, voilà ce que j’appelle un effet de nature.

Stéphanie Katz : En fait, la nature n’est plus seulement une base du monde, elle devient simplement un de ses éléments ?

George Collins : Voilà, exactement.

Stéphanie Katz : Vous dites aussi un mode, un état d’esprit, une mémoire. C’est beau, ça, la nature, c’est une mémoire.

George Collins : Oui, oui. C’est une mémoire et j’oserais dire c’est une hantise, c’est un spectre, c’est-à-dire que ce n’est ni quelque chose de réel ni quelque chose d’inexistant, c’est quelque chose qui occupe un entre-deux. C’est probablement scandaleux pour beaucoup de ceux qui nous écoutent, qui pensent que la nature est une chose disponible, à portée, je ne pense pas qu’en philosophie on puisse faire droit à cela.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Stéphanie Katz : À cela à partir de quelle découverte la définition classique de la nature a-t-elle basculé ?

Catherine Chevalley : Ce sont tout spécialement les fondateurs de la mécanique quantique qui ont mené une réflexion systématique sur le concept de nature. La mécanique quantique est une théorie qui est apparue tout à fait au début du XXe siècle, ceux qu’on peut appeler les fondateurs de la théorie quantique sont au moins : Niels Bohr, Werner Heisenberg, Wolfgang Pauli, Albert Einstein, Erwin Schrödinger, Max Born, Pascual Jordan et Louis de Broglie.

Stéphanie Katz : Quelle est la crise qui a donné naissance à la physique quantique ?

Catherine Chevalley : Quand on suit les principales étapes du travail de Bohr en particulier dans la rupture avec les théories de la physique classique, qui la conduit jusqu’à la situation de 1928, on s’aperçoit qu’il a interprété ses différentes étapes, ces différentes ruptures, à chaque fois en fonction de ce qu’était la description héritée de Kant, de l’objectivation des phénomènes. Par exemple, en 1924 il pose qu’on va être obligé de renoncer aux représentations spatio-temporelles de phénomènes.

Stéphanie Katz : On les retrouve.

Catherine Chevalley : C’est ça. Ensuite, il pose qu’on va être obligé de renoncer à l’exigence de continuité, puis essentiellement après la formulation des relations de la détermination par Heisenberg, c’est le renoncement à la causalité, tout au moins un déterminisme classique. Par conséquent, il y a une sorte de double logique interne de la construction la théorie quantique, d’une part une logique interne qui est purement physique, qui vient de la difficulté que posait l’interprétation théorique des expériences, et d’autre part il y a cette logique interne de la langue, si on peut dire, qui fait qu’à chaque étape majeure de la construction de la physique atomique et quantique, les gens qui la faisaient, et qui étaient les héritiers de cette tradition de pensée, interprétaient ces ruptures comme une sorte de désagrégation progressive, si on peut dire, de la manière héritée de Kant, de comprendre la nature et l’objectivation des phénomènes naturels.

Stéphanie Katz : En fait, ils n’ont pu que se rendre compte que le langage kantien n’était plus adéquat pour définir les expériences auxquelles ils avaient à faire.

Catherine Chevalley : Oui, c’est ça. Très, très vite, des gens comme Heisenberg et Pauli se sont rendus compte que c’était effectivement cette référence à Kant, et à Descartes d’ailleurs, d’une certaine manière toute la tradition moderne de la pensée de la nature, qui était remise en question.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Catherine Chevalley : De fait, même qu’au cours de la construction de la théorie quantique, ils aient été amenés à redéfinir la notion même d’objet. Le problème qui se posait était celui de savoir comment comprendre le changement de cadre conceptuel, qui était forcément pour eux un changement global ? Avec la redéfinition de la nature comme la nature dont nous faisons partie nous-mêmes, comme dit Bohr, de la nature qui devient en réalité l’ensemble de nos interactions avec la nature, avec le phénomène, c’est tout le mode de pensée, l’ensemble des concepts qui étaient associés à la théorie classique qui changent.

Stéphanie Katz : Quelle va être cette nouvelle conception de la connaissance que Bohr va nous proposer ?

Catherine Chevalley : Il avait une conception unifiée de la connaissance, pour lui l’acte de connaître exhibait des traits communs dans tous les domaines où il s’exerçait, que ce soit la physique, la biologie, la psychologie, l’ethnologie, l’art ou la littérature ; en particulier. Bohr a beaucoup insisté sur le fait que la physique n’était en aucune manière le modèle privilégié à la connaissance.

Stéphanie Katz : Et ça, c’est tout à fait nouveau.

Catherine Chevalley : C’est une idée sur laquelle Bohr insiste énormément, et qui d’une certaine manière bouleverse effectivement l’ensemble de la manière dont on comprenait auparavant le rapport entre la connaissance de la nature et son rôle dans la philosophie, en tant que théorie de la connaissance, et le reste. Le reste étant tout le domaine de ce qu’on appelle maintenant les sciences humaines.

Stéphanie Katz : Il propose également un statut tout particulier au langage ?

Catherine Chevalley : L’accent mis sur le langage chez Bohr est absolument manifeste, nous sommes toujours suspendus dans le langage. L’accès à l’expérience dépend entièrement de la manière dont nous sommes capables de faire jouer plusieurs langages, de langage ordinaire et de langage formalisé, en particulier dans le cas de la physique, l’un sur l’autre, l’un avec l’autre. Le langage humain n’est pas pour Bohr un reflet de l’essence des choses, la conception qu’ils se fait du langage n’est pas du tout une conception représentationaliste, elle est beaucoup plus performative, comme on dira aujourd’hui. Il pense que le langage est réellement constitutif de l’objectivité.

Stéphanie Katz : En fait, nous quittons complètement une nature immuable, inexorable à analyser, et on est en train d’entrer dans un champ interactif entre l’objet et le sujet ?

Catherine Chevalley : Le problème de la division entre subjective et objectif ne peut plus se poser de la même façon. On ne peut plus prétendre que la nature est l’ensemble des phénomènes indépendants de l’observation. Mais ça ne veut absolument pas dire que Bohr ait eu envie d’introduire quoi que ce soit de l’ordre de la conscience de l’observateur. Ça, c’est ce qui la plaie du mysticisme, il s’en est défendu très violemment.

Stéphanie Katz : Qu’est-ce que vous diriez pour préciser cette transformation de la notion de nature avec la physique quantique ?

Catherine Chevalley : C’est notre interaction avec les phénomènes que nous choisissons d’étudier dans telle région d’expérience qui est, à proprement parler, ce qu’on peut appeler la nature maintenant.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

[Insert] « Femme : Alors, moi, je viens parce que réellement je suis débordée, dans mon jardin, par l’arome d’Italie. Homme : L’arôme d’Italie, oui. Vous appelez ça arome, c’est une plante qui commence à sortir déjà … Femme : Oh, la-là, il y en a plein le jardin … Homme : … qui a des feuilles, il y en a qui appellent ça de la salade sauvage, des choses comme ça, ça ressemble … »

Jean-Luc Marion : Il faut tout simplement reprendre ici une analyse très célèbre, qui est devenue banale, de Heidegger, qui explique que le Rhin, - le grand fleuve qu’il connaissait, mais n’importe quel autre fera l’affaire, prenons la Loire, puisqu’il y a eu des problèmes sur les barrages de la Loire - que se passe-t-il lorsqu’on construit un barrage hydro-électrique sur un fleuve ? En un sens, la modification du paysage et de l’environnement, comme on dit, peut être considérée comme relativement faible, ce n’est pas nécessairement une destruction de l’environnement puisqu’il y a de nouvelles irrigations possibles, on augmente le niveau de vie des populations concernées, ce n’est pas nécessairement une destruction, ça peut être bien fait, et heureusement ça l’est souvent, bien fait. Donc, quelle différence y-a-t-il ? Pourquoi c’est une différence essentielle ? Réponse de Heidegger, parce que le fleuve qui se suffisait à lui-même, qui coulait, qui coulait des jours heureux en même temps qu’il coulait, le fleuve qui s’autorégulait lui-même, et qui, si je puis dire, ne demandait rien à personne, se justifiait lui-même sa propre existence, le fleuve est transformé d’un coup, avant le premier coup de pioche, dès que les plans sont faits, dès que le projet est fait, il est transformé, ce fleuve, qui n’est plus le même, en machine à produire de l’énergie, d’un coup. On peut dire de la même façon, en France, par exemple, on en parle maintenant parce que les inondations posent le problème de la transformation de l’espace agricole, nous voyons très bien qu’apparemment rien n’a changé dans la campagne française, on a abattu quelques haies, la taille des champs a augmenté, etc., on voit les effets maintenant pour le problème de ruissellement d’eau, mais ceci n’est que l’indice d’une chose beaucoup plus profonde, c’est que les champs sont devenus des usines chimiques à transformer de l’azote, du carbone, etc., en certains produits, qui ne sont même plus des produits agricoles, qui sont déjà des matières premières de l’industrie agro-alimentaire, c’est à dire que les champs ont été intégrés à ce qu’on appelle la chaîne alimentaire, et qu’ils ne sont plus qu’une usine.

Stéphanie Katz : Ils ne seraient plus de la nature …

Jean-Luc Marion : D’une certaine manière, ils ne sont plus de la nature. Ils sont totalement déterminés en termes d’investissement, par exemple, en termes de performance chimique, que l’on peut changer, car on change la nature des sols, etc. Ils ne sont plus des lieux où le paysan vit. Le paysan, n’est d’ailleurs plus un paysan, il ne vit pas toujours à l’endroit où il produit, il ne produit pas pour sa substance. Il est un entrepreneur qui délocalise son usine à la campagne. D’une certaine façon, le champ a cessé d’être naturel. J’entends bien qu’il est naturel en un sens mais en fait tout ce qui le compose a été déterminé comme une machine. On pourrait multiplier les exemples en disant que le concept de nature est devenu un concept de vide ou mort, sauf si on pense qu’entre la technique et la nature il n’y a plus de différence. Nous sommes incapables de concevoir - mais c’est très bien, puisque c’est ça que nous avons voulu - une nature qui ne soit pas d’une manière d’une autre soumise à la technique. Peut-on stopper l’identification de la nature par la technique et à la technique ? C’est peut-être totalement impossible.

Stéphanie Katz : En fait, si vous êtes en train de faire se rencontrer, presque se remplacer, le concept de nature et le concept de technique, si la nature devient la technique est-ce qu’on peut encore dire que l’idée de nature est une idée morte ? Elle n’est pas morte, elle est devenue technique ?

Jean-Luc Marion : Oui, mais il y a une grande différence entre l’interprétation technique de la nature, même prise en un sens positif, et la nature elle-même, c’est que la définition de la nature, c’est quel est le principe, l’origine inconnue, tandis que la définition de la technique, c’est que c’est elle a une origine connue, à savoir une origine cybernétique, au sens fort du terme de gouvernement, qui est la rationalité, exercée par des intelligences finies.

[Musique + diverses sonorités de la nature + extrait de la « Conférence des Oiseaux »]

George Collins : Je commence avec les (manque un terme incompris), ces pierres de taille, qui actuellement sont acheminées vers Beyrouth, pour la reconstruction des façades de la ville. Les architectes, comme les maçons, savent qu’il faut impérativement respecter le sens du lit de la pierre, c’est-à-dire qu’il faut la poser dans le sens de sa situation d’origine dans la carrière, si on la retourne, le haut vers le bas et le bas en haut, la pierre s’effritera beaucoup plus rapidement, sous les effets conjugués des intempéries et de l’usure. Il y a là mon sens une image, un exemple, un détail peu connu de la vie des chantiers de construction, qui dit beaucoup de l’idée de nature dans le monde des hommes. Cette idée est centrale, elle est ancienne, c’est que la nature donne et ordonne et qu’il faut le savoir. Il y aurait un fondement naturel à respecter et tout d’abord à connaître et le reste s’ensuit, vient se penser après comme sur une pierre d’angle.

Stéphanie Katz : Est-ce qu’il s’agit des liens qui unissent la question de la nature à la question de l’origine ?

George Collins : Bien sûr, bien sûr, c’est la question. On dira en conclusion que de même que nous n’avons pas accès à l’origine, de même l’accès à la nature nous est barrée.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

[Insert] « Femme : On m’a offert une plante que je ne connaissais pas du tout. Pourtant si, il paraît que j’ai la main verte, je les aime les plantes, mais là, c’est un Medinilla Magnifica. Homme : Magnifique, c’est une plante d’appartement. Femme : Oui, la personne qui me l’a offerte, je dirais presque avec amour, en me disant que c’est une plante rare. Homme : Elle l’a acheté ? … Femme : … des feuilles, cela fait 15 jours que je l’aie, elle fait des clochettes qui ne s’épanouissent pas comme sur l’image. Homme : Oui, ça fait de grosses cloches, avec une langue … »

Catherine Chevalley : La transformation de la nature en artefact, en produit artificiel. Cela crée une situation absolument nouvelle où l’homme ne rencontre aurait plus que des objets et des structures dont il sera lui-même l’auteur. En ce sens que c’est la nature elle-même qui est produite comme artefact. C’est une remarque qu’on peut trouver aussi chez Bachelard, sur laquelle on peut d’autant plus s’interroger aujourd’hui, que d’une certaine manière on en est à l’étape suivante, on en est à produire l’homme comme artefact.

Jean-Luc Marion : Est-ce que notre propre corps va devenir intégralement un objet technique productible et reproductible ?

Stéphanie Katz : Comme le champ dont vous parliez tout à l’heure ?

Jean-Luc Marion : Oui, comme le champ. Actuellement, la question du don d’organes, du don d’organe à la science, comme on dit, etc., est en train de changer de nature. Ce n’est plus du tout un problème de générosité, ce n’est plus comme ça que ça se pose, c’est un économique. C’est un problème de savoir si mon corps peut devenir un réservoir d’objets réutilisables. Et le fond de la question est un problème d’objectivation absolument complète. Est-ce qu’on va considérer mon corps comme un bien qui appartient à la société, au point que la société peut le réutiliser dans la mesure du possible sans finalement me demander mon avis ? La vraie question qui se pose là derrière, c’est de savoir si l’individu appartient totalement à la société, ou s’il est irréductible à la société. Les gens qui pensent qu’il n’y a aucun problème là, ce sont des gens qui pensent que l’individu appartient totalement la société. Je connais des épistémologues ou des philosophes de la société qui le disent, c’est leur droit le plus stricte. Moi, cette idée me semble, pour dire les choses calmement, profondément monstrueuse. La bataille de la nature se joue dans le corps propre, aux deux sens du corps propre, dans ce corps qui m’est propre et dans les propriétés du corps humain en tant que tel. Je crois que la question de la dénaturalisation de la nature se continue, la bataille, l’évolution - parce que ce n’est pas une bataille évidemment - se joue maintenant au plus près, c’est-à-dire que l’objet qui était lointain, l’objectivation qui était lointaine, se retourne maintenant sur l’observateur. Donc, la question de la nature n’est pas close, peut-être d’ailleurs que si le corps propre doit être sauvegardé, cela ne sera pas en terme de la nature mais en termes de droit, ou en termes d’éthique, ce qui est tout à fait différent, ce qui est sans doute une argumentation beaucoup plus forte.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Promenade dans l’idée de nature (3/5), mercredi 22 mars 1995 : De Sade à Rousseau, entre ombre et lumière, avec Jacqueline Lichtenstein, philosophe et historienne de l’art, professeure d’esthétique et de philosophie de l’art, auteure de « La couleur éloquente » aux éditions Flammarion, et Chantal Thomas [6], auteur de Sade, aux éditions du Seuil.

Stéphanie Katz : Nous n’avons pu hier qu’observer, impuissants, comment la nature aura un jour chuter des altitudes de l’Olympe dans la marmite bouillonnante de la science des hommes, mais l’histoire ne s’arrête pas là, et comme dans les bons films, notre héroïne se relève puis repart.

Bienvenue aujourd’hui à sa troisième escale, le siècle de la clarté absolue, qui n’aura eu d’égale que la profondeur de ses cachots. Et si à l’aube de la Révolution française, entre Rousseau et Sade, l’éblouissement des lumières naturelles cachait mal la part d’ombre du désir ? Une nature en noir et blanc ? À voir.

Jacqueline Lichtenstein : L’idée de nature, ou le concept de nature, est probablement de tous les concepts philosophiques, pour parler vite, le concept le plus polysémique. Au départ, la nature c’est aussi bien la Phusis, la nature qui fait l’objet d’une science, qui est la science de la nature, la science du mouvement, les êtres en mouvement, qui s’oppose à la métaphysique d’un côté, aux mathématiques de l’autre. Mais, la nature c’est aussi l’essence, ce qui renvoie l’idée, c’est aussi ce qui renvoie au beau, à partir d’une idéalisation de la nature, vous avez l’idée de belle nature, là je parcours comme ça des siècles, l’idée de belles natures, de nature idéale, la nature naturelle, la nature naturante et la nature naturée … En fait, je crois que ce qui rend difficile de parler de la nature comme ça, c’est que le concept de nature prend son sens à chaque fois à l’intérieur d’une opposition. Selon ce à quoi on l’oppose, il a un sens particulier. C’est-à-dire que la nature, c’est ce qui s’oppose à la culture, et dans ce champ d’opposition, ça tout un ensemble de significations. La nature ça peut être la campagne par opposition à la ville et c’est un autre champ d’opposition, qui peut recouper le premier champ d’opposition. La nature ça peut être l’essence et à ce moment-là ça va s’opposer à l’apparence, ou alors ça s’oppose à l’artifice. Il y a comme ça tout un ensemble de couples d’opposition, et on peut en privilégier un, et c’est à partir du privilège même, si on décide que la nature c’est ce qui s’oppose à l’artifice, on entre tout à fait dans un nouveau champ sémantique.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

[…] la terre était tohu-et-bohu, une ténèbre sur les faces de l’abîme, mais le souffle d’Elohîms planait sur les faces des eaux.
Elohîms dit : «  Une lumière sera.  » Et c’est une lumière.
Elohîms voit la lumière : quel bien  ! Elohîms sépare la lumière de la ténèbre.
Elohîms crie à la lumière : «  Jour.  » À la ténèbre il avait crié : «  Nuit.  » Et c’est un soir et c’est un matin : jour un.

Chantal Thomas : Quand on pense idée de nature, on associe presque automatiquement un Rousseau. Je crois que pour lui, ça a été l’idée force par excellence. D’abord comme idée polémiste, ou machine de guerre, contre la société. En ce sens, il s’est servi de l’idée de nature comme un modèle à opposer au monde qui l’entourait. Mais, je crois aussi que l’idée de nature pour lui était beaucoup plus que ça, que c’était aussi une sorte de rapport poétique à une réalité à laquelle avant lui, on n’avait donné aucune voix, aucun intérêt, en tous cas dans son époque. Il est le seul, et le premier, à faire du paysage un lieu d’inspiration, à la fois de consolation et d’inspiration poétique, pour cette manière de chanter la nature, alors que le monde entier, et le monde social n’aurait aucun intérêt, je pense, aux « Rêveries du promeneur solitaire », qui sont comme son testament.

Stéphanie Katz : Quelle place occupe le paysage alors dans cette œuvre ?

Chantal Thomas : La nature est le seul interlocuteur. Il s’adresse à la nature alors que le reste du monde est un désert, elle est donc la confidence. Et la nature et aussi une présence concrète, physique, à la fois scientifiquement et bizarrement, étrangement, appréhendée pour lui, puisque c’est aussi un passionné de l’herborisation, et qu’alors que c’est un moment où il dit croire moins au livres, mais c’est ambigu, parce qu’il écrit le livre quand même, il défend l’herborisation.

Stéphanie Katz : Le paysage ce n’est pas une nature sauvage, une nature des origines, c’est une nature déjà travaillé par l’histoire par les hommes. Il y a un moment étonnant où il se promène, il pense au plus loin de tout, il s’aperçoit qu’il y a une fabrique et il est catastrophé.

Chantal Thomas : Ça, c’est une attitude qui est complètement à l’antithèse de l’attitude des encyclopédistes, qui voyaient le monde du travail et le monde humain dans une possible réconciliation avec la nature. Et Rousseau à la fin de sa vie, en tous les cas, voit dans l’intervention humaine un facteur de destruction.

Stéphanie Katz : Il est original à son époque dans ce rapport-là à la nature ?

Chantal Thomas : Moi, je crois complètement. Je crois vraiment. Il voit dans la nature à la fois le seul recours contre un univers du progrès, qui lui paraîtrait discutable, et, intimement, le seul refuge contre - ça c’est des thèmes plus proches de la paranoïa - une méchanceté humaine illimitée.

Stéphanie Katz : Donc cette nature serait une nature bonne totalement bonne ?

Chantal Thomas : Totalement bonne.

Stéphanie Katz : C’est un peu contradictoire, non ? Quel est ce paysage que Rousseau a visité pour n’y voir qu’une nature bonne ?

Chantal Thomas : En fait, ce n’est pas le jardin, non, le jardin c’est Voltaire justement. Le jardin c’est cette idée que la nature en soi ne produit rien de vraiment passionnant, il faut qu’elle soit modifiée, corrigée, pensée par la main de l’homme.

Stéphanie Katz : Qu’est-ce que vous pensez de cette idée d’une nature interlocutrice à laquelle on pourrait s’adresser, personnifiée ? Qu’est-ce qu’elle est censée répondre cette nature ?

Chantal Thomas : Je crois que la nature, elle est pensée à ce moment-là, ou sentie, dans un rapport très proche de Dieu. Et, s’adressant à la nature, Rousseau s’adresse à Dieu, où quand il écoute la voix de la nature, dans une perception diffuse, c’est la Parole de Dieu qui l’atteint.

[Musique + diverses sonorités de la nature]

Stéphanie Katz : En quoi cette référence à la nature devient polémique, voire politique ?

Chantal Thomas : Dans sa pensée, quand il se réfère à l’état de nature, par exemple, dans le « Discours sur l’origine de l’inégalité », à ce moment-là, il pense une sorte d’état idéal, un temps d’avant l’injustice. C’est en ce sens que la pensée de Rousseau qui, sur certains points, comme la musique, a pu être d’accord avec la pensée des encyclopédistes. Je crois qu’elle est profondément différente, sinon opposée. C’est avec le social, c’est avec le progrès, en particulier avec le progrès des arts, que l’artifice et l’injustice gagne. Et, à ce moment-là, quand il se réfère à la nature, quand il pense à l’état naturel, il pense un état d’avant la séparation et d’avant le malheur de l’oppression.

Stéphanie Katz : Les arts auraient donc comme mot d’ordre d’imiter la nature pour Rousseau ?

Chantal Thomas : Mais les arts tels qu’ils se pratiquent par ses contemporains, non. Ils font vraiment l’effet inverse d’accroître le malheur de l’homme en société. Les arts tels que lui les désirs doivent effectivement ramener à l’état de nature. Mais à ce moment-là, il ne pense pas vraiment les arts, parce que par exemple contre le théâtre il oppose la fête. Il pense la nature contre les arts, je pense.

Stéphanie Katz : La nature de Rousseau se tiendrait entre politique et esthétiques ?

Chantal Thomas : Oui, elle se tient entre politiques et morale aussi. Elle est comme modèle, l’idée d’un rapport harmonieux entre les hommes, et surtout d’avant, ce qui est pour lui la catastrophe, l’événement de l’argent et de tous les conflits de classe, qui sont liés.

[Musique + diverses sonorités]

Stéphanie Katz : On va en venir à Sade, puisque vous dites une chose étrange, qui est que Sade a beaucoup lu Rousseau, et s’en est beaucoup inspiré.

Chantal Thomas : Oui. D’abord Sade, puisqu’il a passé l’essentiel de sa vie d’auteur en tous les cas en prison, et même avant d’ailleurs, est quelqu’un qui lisait énormément, qui avait une curiosité intellectuelle vraiment illimitée, et une énergie de lecture et d’écriture fabuleuse. Et Rousseau fait partie des auteurs qu’il a lu de très près, et constamment médité, dans une exaspération et un acharnement à le contredire, qui ne s’est jamais lassé. Il y a d’ailleurs une (manque un mot incompris) intéressante où il demande qu’on lui fasse passer, je crois, que c’est « Les confessions », quand il était à Bastille, le livre est interdit, et il trouve très drôle l’idée que Rousseau pourrait être quelqu’un qui pervertirait sa pensée. Oui, la pensée de Rousseau était à l’horizon de sa pensée, comme une sorte d’antithèse qui rend encore plus flamboyante son horreur d’une coïncidence entre nature et vertus.

Stéphanie Katz : Pourtant vous dites qu’ils ont tous les deux le même point de départ, c’est-à-dire qu’ils ont tous les deux commencé à écrire - déjà un point commun la littérature - en se posant eux-mêmes comme étant leur propre énigme, et que ce serait le même point de départ.

Chantal Thomas : Aussi bien du côté de Rousseau que du côté de Sade, il y a, je crois, la notion profonde et difficile à vivre d’une singularité.

Stéphanie Katz : Ils sont tous les deux intrigués d’une singularité, la leur, posée comme ça au cœur de la nature, l’un cherche à retrouver une nature perdue, quand l’autre tente à inventer toutes les stratégies pour s’y opposer ?

Chantal Thomas : Oui. Dans Rousseau, il y a une approche sensuelle du monde, mais une sorte d’ellipse sexuelle, ce n’est pas une grande œuvre érotique, Rousseau, il y a la compensation sentimentale, perpétuellement. Je crois que ça a beaucoup inspiré Sade au sens où il a vraiment, à travers le personnage de Justine, représenté un exemple même de quelqu’un qui serait rousseauiste. Tous les arguments de Justine face aux libertins, également résolus et également vicieux, qu’elle rencontre sont des arguments même de Rousseau.

Stéphanie Katz : En fait, quand il lui arrive malheur à Justine, c’est à Rousseau qu’il arrive malheur.

Chantal Thomas : Oui et de ce point de vue, il n’arrête pas de leur arriver malheur, pour la plus grande joie des autres, les libertins.

[Musique + diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Sade aurait tenté de ramener la nature à l’intérieur du corps dans la structure érotique ?

Chantal Thomas : Oui, il a une sorte d’esprit encyclopédiste fabuleux.

Stéphanie Katz : En ça, il reste un penseur des Lumières.

Chantal Thomas : Totalement. Simplement, ce qu’il décide lui de répertorier et d’explorer, c’est très exactement ce que les Lumières, la part de mal ou d’ombre, que les Lumières ont du mal à formuler.

Stéphanie Katz : Il serait un peu l’encyclopédiste du crime ?

Chantal Thomas : Oui, vraiment, il y a vraiment cette idée chez lui de répertorier les passions, les manies pratiquées, réellement pratiquées. Et dans cette optique, la nature a un rôle ambivalent, il s’en sert à la fois comme argument contre la répression religieuse, à ce moment-là c’est au nom de la nature que, par exemple, Juliette est admonestée à suivre tous ses désirs. Par contre, si cette nature doit servir comme argument dans le sens d’une normalisation, alors il va défendre frénétiquement un comportement contre-nature. C’est vraiment selon la situation dans laquelle se trouvent ses personnages. C’est pour ça, que dans la nature même, par exemple, dans les phénomènes naturels, celui qui l’adorait, pour lequel il avait un véritable culte, c’était les volcans. Dans sa prison, il demande à sa femme que l’on lui envoie une gravure du Vésuve. Un élément naturel qui lui plaît, dont il aime la pensée, c’est à la fois esthétique mais c’est très symbolique, c’est comme symbole d’une sorte de puissance destructrice, illimitée.

Stéphanie Katz : Une puissance de jouissance aussi.

Chantal Thomas : Oui, absolument, c’est la terre entière qui entre en orgasme. Dans la nature, il choisit précisément à la fois la force de renouvellement de la nature, mais surtout ce que ce renouvellement implique de mort. La nature, de ce point de vue et entre dans sa pensée, dans son système, parce qu’elle inclut le négatif. C’est en ce sens qu’il est complètement anti rousseauiste, parce que la nature intervient pour Rousseau comme une force positive, comme une force morale, et comme une manière d’entendre la voix de la vertu ou la voix de la conscience.

Stéphanie Katz : Chez Rousseau, la nature était divinisée, où se trouve Dieu chez Sade.

Chantal Thomas : Il est à la portée du blasphème autant que possible.

Stéphanie Katz : Donc, il est là.

Chantal Thomas : Il est là. Il est très là. La manière dont les libertins se rechargent aux êtres, aux concepts qu’ils veulent tuer, qu’ils veulent atteindre les oblige à avoir toujours l’être ou le concept qu’ils exècrent le plus de l’avoir toujours en représentation, donc Dieu. Dieu est présent et même nécessaire, comme pour tout athée convaincu.

Stéphanie Katz : Peut-être que Dieu c’est le regard, c’est le spectateur absolu, pour quelqu’un comme ça, qui était passionné de théâtre.

Chantal Thomas : Oui, aussi, c’est aussi un grand metteur en scène, Sade on est conscients.

[Musique + diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Je voudrais vous proposer une phrase de Sade : Ne perd pas de vue que le romancier est l’homme de la nature. Elle l’a créé pour être son peintre, s’il ne devient pas l’amant de sa mère, dès que celle-ci l’a mis au monde, alors qu’il écrive jamais.

Chantal Thomas : C’est une belle exhortation à l’inceste.

Stéphanie Katz : Combiné à la création.

Chantal Thomas : Oui.

Stéphanie Katz : Donc la nature, en tous les cas, est là, on ne peut pas dire que Sade est un anti naturaliste, il ne s’y oppose pas.

Chantal Thomas : Seulement, il identifie la nature à la partie la plus secrète, la moins dite, et la plus reconnue, comme coupable et interdite des désirs humains. Donc, la nature que le romancier doit peindre, selon lui, c’est la nature que le discours officiel de vertu, ou le discours religieux, demande de taire ou de brimer. Mais, ça, c’est aussi la force, je crois, du projet Sade qui est à la fois réaliste, il a vraiment cherché à décrire très exactement des pratiques sexuelles, particulièrement les pratiques libertines d’un certain milieu, telles qu’elles se pratiquaient dans les maisons closes à cette époque. Quand il se dit historien du sexe, c’est en ce sens qu’il rend compte de quelque chose qui se produisait effectivement. C’est cette force de lucidité et cette force de témoignage qui est extraordinaire aussi chez Sade. Mais, à partir de là, à partir de ce qui se passe, de certaines pratiques, il va plus loin et en développe tous les prolongements fantasmatiques. La nature qui est incarnée par des personnages dans ses romans, c’est une sorte d’excès du désir, qui habituellement étuve (je ne suis pas sûre que cela soit vraiment le mot utilisé), dont on est à peine conscient.

Stéphanie Katz : Ce serait un peu trop simple de penser que Sade ferait l’apologie de l’artifice contre la nature, donc serait contre la nature, un anti naturaliste. Je me demandais dans quelle mesure l’artifice et le théâtre et la langue, chez Sade, ne faisaient pas elle aussi nature. Est-ce que ça n’est pas justement un principe organisateur, cet artifice, cette représentation permanente et la langue porteuse ?

Chantal Thomas : Il faut s’entendre sur le terme nature justement, parce que si on pense le terme nature comme une donnée, qui serait là avant, qu’on la parle, qu’on la mette en scène, qu’on l’écoute, et qu’il faudrait rejoindre à l’issue d’un processus, ce qui est le cas de Rousseau, la nature existe en soi, et le poète ou l’écrivain entre en communication avec elle, de ce point de vue, Sade n’est absolument pas naturaliste. Mais, c’est vrai que si on pense la nature comme un élément de son système ou un élément de santé théâtre, à ce moment-là elle intervient.

Stéphanie Katz : Comme une comédienne, il la met en scène.

Chantal Thomas : Voilà. Je ne crois vraiment pas qu’il y ait pour lui l’idée d’une force naturelle en soi, qui indiquerait quoi que ce soit, et qui préexisterait le discours que lui, Sade, veut tenir dessus.

[Musique + diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Où se trouve la nature dans les corps chez Sade ?

Chantal Thomas : Cette nature, je crois que c’est vraiment un élément de son de son scénario, mais les possibilités dont son capable et les corps des libertins sadiens excèdent toutes données naturelles, c’est des personnages vraiment fantastiques, c’est un peu des personnages analogues aux Dieux de la mythologie. Les personnages des libertins bien sûr, mais c’est un peu vrai d’une certaine façon du côté des victimes. C’est des personnages qui ne s’usent jamais, dont les corps ne s’usent jamais, ne se fatiguent jamais, ne tombent jamais malade, qui sont une sorte de pure amplification du désir de jouir et de la capacité de jouir, et ça, c’est effectivement absolument hors nature ; même si à un certain moment, après quelques couples de Champagne, l’idée de nature leur chante, et à ce moment-là ils en font l’apologie.

[Musique + diverses sonorités]

Chantal Thomas : Le paysage naturel, disons, auquel il se sent appartenir c’est Lacoste, c’est la Provence, mais pour lui, ça se voit dans sa correspondance, il aime tout de Lacoste, le vent, l’apprêté, la dureté de cette nature, mais aussi le charme des cerisiers, tout. Mais il le conçoit, il l’aime, il y est attaché comme à une sorte de prérogative de son être, il est né de ça, et c’est là où il se reconnaît, mais dans une vision indistincte de ces de sa conception de seigneur et de d’une vision très féodale. Il aime tout de la Provence, mais ça s’incarne, ça se concrétise dans le Château de Lacoste. Je pense qu’il aimait tout, et quand il est en prison, une de ses grandes souffrances, d’abord c’est de ne plus se promener, parce que ne plus marcher lui est extrêmement pénible, et aussi de plus sentir l’air, le vent, respirer l’air du ciel.

[Musique + diverses sonorités]

Promenade dans l’idée de nature (4/5), jeudi 23 mars 1995 : Sous le réverbère des capitales la littérature maquille dame Nature, avec Jacqueline Lichtenstein, auteur de « La couleur éloquente » aux éditions Flammarion.

Jacqueline Lichtenstein : « Ces femmes occupées à se laver, occupées à nettoyer l’humide horreur d’un corps qu’aucune lotion n’épure. » Voilà le corps féminin pour Huysmans, c’est l’horreur du réel. Et cette horreur, elle est dite dans une phrase aux sonorités mallarméennes, c’est-à-dire d’une beauté absolument stupéfiante, de pureté, de limpidité, de pure sonorité d’artifice, et l’un est absolument la condition indissociable de l’autre.

[Musique + diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Allez, on continue la balade. Trois pas plus loin, un siècle plus tard. Aggravant apparemment sa déconfiture, la nature a repris aujourd’hui du galon. Elle a trouvé un bon stratagème. Pour échapper à ses ennemis, elle va opter pour le déguisement. Ni vue ni connue, une nature à l’envers, tête en bas, pied en l’air, et la campagne reine prend des allures de fête foraine. Capitale, syphilis, mode et maquillage sont au programme.

Dans la littérature du XIXe siècle, il y a un écrivain qui se sert de l’idée de nature d’une façon peut être nouvelle, on va voir, c’est Zola, qui l’installe au cœur de l’architecture de sa série des Rougon-Macquart, pour lui donner un sens particulier. Qu’est-ce que ça va être l’idée nature chez Zola ?

Jacqueline Lichtenstein : Il l’installe, comme vous dites, au cœur de l’architecture des Rougon-Macquart, et c’est une nature on pourrait dire, pour parler très vite, comme ça c’est une nature biologique, à une conception biologique et biologisante de la nature. Un autre avait installé autre chose au cœur de son architecture, c’était Marx, qui était l’idée de ce qu’on pourrait appeler une nature sociale, économique. C’est d’ailleurs pour cela que Marx paradoxalement préférait Balzac, ou que les marxistes préféraient Balzac à Zola.

Effectivement, je dirais que dans le cas de Zola, la nature est assimilée au réel, la nature c’est le réel, d’où le rapport entre naturalisme et réaliste, le réel sous tous ses aspects, un réel qui n’est plus affecté d’un coefficient de valeur, soit d’un coefficient de valeur métaphysique soit d’un coefficient de valeur esthétique, à la belle nature, ou l’idée de nature, mais le réel tel qu’il apparaît à la perception aller, à l’artiste, à l’écrivain, aux sujets qui le subissent ou vivent. La nature c’est aussi bien, effectivement, la nature sociale, la nature humaine, la nature de l’homme, que la campagne, le monde paysan, etc. Donc, c’est la nature dans sa beauté, on ne peut même pas parler de beauté ou d’horreur encore, c’est de la nature dans sa platitude, ou dans sa réalité. Je crois que c’est un point important, et parce que ça va produire des effets très important, il va y avoir avec Zola une sorte de désacralisation de la nature, et ce que j’appelle une vision ou une conception iconoclaste de la nature, Zola va casser, c’est ce qui va lui être reproché fortement, comme on le reprochera à Courbet en peinture, c’est de casser, de briser, les images de la nature au service - et ça je crois que c’est un mouvement qui ne va pas cesser de se développer jusqu’à la fin du XIXe siècle - d’un éloge de l’art.

Stéphanie Katz : Est-ce que c’est comme ça que vous réussissez à comprendre cette idée d’une part un peu originelle, comme ça, qu’il place à l’intérieur de chacun de ces personnages, qu’on retrouve dans la série d’un personnage dans l’autre ?

Jacqueline Lichtenstein : C’est évident que chez Zola cette problématique de l’individu elle est liée à cette idée de tare génétique. Mais chez tous ces auteurs, il y a la recherche d’un point de résistance, d’un point de résistance au social, d’un point de résistance à l’histoire, d’un point de résistance à tout ce qui est d’ordre, disons, de la détermination commune, pour affirmer, ou rechercher la singularité de l’individu.

[Diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Quelle est cette nature qu’invente Baudelaire ?

Jacqueline Lichtenstein : Baudelaire dit : « Il faut venger l’art de la toilette des ineptes calomnies dont l’accablent des amants très équivoques de la nature » Au fond, cette phrase, c’est à mon sens la première fois, on l’a fait avant, mais c’est la première fois que c’est formulé d’une manière aussi claire et aussi violente, c’est une réponse au Gorgias [7] de Platon, dans la mesure où dans le Gorgias de Platon, vous savez il y a une série de distinctions, à un moment il est question de la rhétorique bien sûr, mais Socrate fait une série de distinctions entre ce qu’il appelle les vrais arts et les arts apparents, l’art qui s’occupe du vrai bien du corps, c’est la gymnastique et la médecine, et les arts qui s’occupent du bien apparent du corps sont, ce qui correspond à la médecine, c’est la cuisine, et ce qui correspond à la gymnastique, c’est la cosmétique. Alors, la gymnastique ça donne un corps sain, on fait de la gymnastique, du jogging, etc., on a bonne mine, et la cosmétique, ben on est malade, on n’a pas fait de gymnastique, on fume beaucoup, on boit beaucoup, et on se met du rouge aux joues, on se poudre. La cosmétique ne fait que cacher, ou que masquer, voiler une déficience sur le plan, disons, de la nature. La cosmétique c’est le domaine de l’art, c’est le domaine de la couleur, de l’illusion, et ça renvoie nécessairement à un anti naturalisme, c’est-à-dire un refus de privilégier une conception naturelle, une vision naturelle du corps, qui consistera à croire, c’est ce que Baudelaire dit dans ce magnifique texte, que la nature est laide et que déjà les sauvages maquillent les enfants, etc., parce qu’ils savent très bien que la nature en tant que telle est absolument épouvantable, hideuse, ce qui est quand même quelque chose de très nouveau, l’idée que la nature c’est épouvantable, c’est affreux, et que donc il faut de l’art. Je n’en donnerai qu’un exemple, c’est ces deux phrases, quand on les met ensemble produisent un effet tout à fait stupéfiant, concernant la femme, c’est que d’un côté Baudelaire dit : « la femme est naturelle, c’est-à-dire abominable » et de l’autre côté, il dit, à propos de la femme, « idole elle doit se dorer pour être adorée ». En fait, si on réfléchit, ces deux phrases s’emboîtent absolument, et sont indissociables. La femme est naturelle, donc abominable, elle est abominable parce que naturelle. La nature est du côté de l’abomination et de l’horreur, et quand la femme est naturelle, elle est abominable, quand elle est mère, quand elle est biologique, etc. C’est pour cela que la femme belle, l’idée de beauté, si vous voulez, c’est complètement dissocié de l’idée de nature, ça je crois, vous me posez tout à l’heure la question à propos de Zola, c’est ça qui va être très important, c’est que l’idée de beauté se dissocie complètement du référent nature, pour qualifier uniquement la représentation artistique. Au fond, je citerais Nietzsche, tout à fait approximativement, lorsqu’il dit que la différence entre l’art et les autres systèmes d’illusion, la religion est une illusion, la science est une illusion, etc., et l’art bien sûr est une illusion, mais l’art est la seule l’illusion consciente d’elle-même. C’est la seule illusion qui ne prétend pas passer pour une vérité, qui ne prétend pas passer pour de la nature. De ce point de vue-là, l’amour des images de l’art, évidemment, ne fonctionne pas du tout de la même façon que l’amour de la nature, ou l’amour des images de la nature, puisque c’est un amour pour les images dont on sait que ce ne sont que des images.

[Diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Quelle fonction remplie chez Baudelaire cette apologie du célibat dans le cadre de son anti naturalisme ?

Jacqueline Lichtenstein : Qu’est-ce que ça veut dire le célibat ? Le célibat ça veut d’abord dire, Baudelaire le dit très explicitement, c’est un et pas deux, parce que le mariage c’est deux, mais surtout c’est 3, tout de suite. Comme disait, je crois, Borges dans un texte, il me semble qu’il parle d’un peuple, je crois que c’est dans (manque le nom), avaient pour compter un, deux, l’infini, c’est-à-dire qu’il suffit d’avoir deux puis on a tout de suite trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix … Donc, le mariage c’est deux, donc trois, puisqu’il y a tout de suite un enfant. Freud a dit des choses intéressantes aussi là-dessus. Donc, le célibat c’est un, c’est l’affirmation de la singularité, c’est l’idée que l’artiste, la position de l’artiste est une position dénaturée. Alors, on s’aperçoit que les seules femmes, disons, qui sont les compagnes de l’artiste, ce sont les modèles, qui sont très souvent des prostituées, ou des semi prostituées, ou des femmes du demi-monde, etc., c’est-à-dire des femmes qui sont du côté de l’artifice, du côté de la toilette, qui n’ont pas d’enfants …

Stéphanie Katz : Des femmes du côté de la stérilité.

Jacqueline Lichtenstein : Des femmes du côté de la stérilité, ce sont les compagnes de l’artiste, et du plaisir bien évidemment, mais un plaisir sans production, là aussi on a une grande opposition entre création et fécondité, bien évidemment. Et de ce point de vue-là, la femme est la compagne de l’artiste, on peut donner des exemples dans énormément de romans, tant qu’elle est elle-même modèle, prostituée, etc., d’ailleurs elle s’y connaît en art Rosanette s’y connaît assez bien en art, par exemple, mais quand elle devient épouse et donc mère, de deux tout de suite on passe à trois, c’est une catastrophe. Elle cesse d’être la compagne de l’artiste pour devenir la rivale de l’artiste, pour introduire une rivalité qui, dans tous les cas, va être funeste à l’art et à l’artiste. Mais, ici c’est vraiment l’opposition entre arts et nature qui qui fonctionne.

[Diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Il y a une autre apologie que fait Baudelaire, qui est une apologie apparemment aussi naturelle, qui est celle de la ville ?

Jacqueline Lichtenstein : Oui, bien sûr, et ça renvoie évidemment chez Baudelaire à sa conception de la beauté moderne. L’homme moderne est un citoyen, on retrouve aussi nos fonds de définition antique de l’homme, mais c’est un citoyen des villes et pas de n’importe quelle ville des capitales. Des capitales et pas de n’importe quelle capitale, puisque à ce moment-là la capitale des capitales ou le paradigme de la capitale c’est Paris. Comme l’a dit Benjamin, Paris capitale du XIXe siècle. Pourquoi la capitale ? Parce que c’est un lieu cosmopolite, l’artifice, de l’électricité, c’est un lieu où on rencontre quoi ? La parisienne, il y a de très beaux textes, il y en aura de plus en plus sur la parisienne, personnage totalement artificiel, avec un éloge du vêtement, là encore on retrouve tout l’éloge du maquillage, de l’artifice. C’est aussi le monde de l’industrie, la ville est un univers totalement artificiel et dénaturalisé à tous points de vue. La question de la mode, ici, joue un rôle quand même très important, le fait que Baudelaire associe la beauté moderne ou la définition moderne de la beauté à la mode, dans ce fameux texte sur la mode, est très important, parce que la mode quoi de plus éphémère, quoi de plus artificiel, quoi de plus anti naturel, c’est vraiment ici une opposition par exemple au nu, ou à l’idée d’un vêtement qui suivrait les lignes du corps formé par la gymnastique, encore une fois la mode c’est du côté de la cosmétique, par opposition à la gymnastique.

Stéphanie Katz : J’aimerais vous proposer une hypothèse, cet anti naturalisme de Baudelaire m’apparait sous un jour particulier, on dirait qu’il ne met réellement la nature à mort, mais qu’il remplace un ancien principe, qui était le principe de nature, par le principe de modernité, avec toute la définition qu’on vient d’en faire, et qu’il n’y a pas là une disparition totale de la nature, comme on peut la vivre aujourd’hui, en passant du côté du virtuel, mais une autre nature, qui serait la nature de la modernité artificielle et toutes sortes de choses.

Jacqueline Lichtenstein : Oui, c’est intéressant, on pourrait parler, je crois peut-être pas seulement chez Baudelaire mais jusqu’à Huysmans, peut-être que ce sont des gens qui s’inscrivent dans le renversement du platonisme, mais qui donc maintiendraient les deux termes, c’est-à-dire qu’ils ne passeraient pas un autre niveau, qui serait ce niveau ou la distinction nature-artifice cesserait de jouer. Là, c’est vrai la distinction nature-artifice continue à fonctionner, elle est renversée du point de vue des valeurs, si vous voulez,. Donc, il y a une réévaluation, comme dira Nietzsche, de ces termes, mais l’opposition elle-même n’est pas supprimée, elle l’est d’autant moins, comme je le disais tout à l’heure, que l’éloge de l’artifice se substitue à l’éloge de la nature, et que cet éloge de l’artifice accompagne, au sens fort, ici, c’est-à-dire que l’un est la condition de possibilité de l’autre, accompagnera de plus en plus une vision de la nature comme horrible, ce dont on ne peut supporter la vision effroyable, c’est Méduse, c’est l’horreur, la nature c’est l’horreur.

[Diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Quelle va être la nature de Huysmans ?

Jacqueline Lichtenstein : Il y a chez Huysmans quelque chose qui, a été pointé évidemment par d’autres, fait penser au Sartre de « La nausée », c’est-à-dire que la nature c’est le monde de la réification, c’est le monde de l’excrément, c’est le monde de la chosification. Il y a une sorte d’histoire naturelle de la matière, qu’on trouve même dans ses textes sur la peinture, qui fait que la matière devient magma, ça coule, ça se pétrifie, ça se corrompt, etc. C’est Jean-Pierre Richard qui a une excellente expression à propos de Huysmans, il parle d’une cuisine infernale, une cuisine des enfers. Il y a quelque chose comme ça, je veux dire, que la nature c’est une sorte de cuisine des enfers, comme une mayonnaise qui à chaque fois tourne mal. Par opposition à ça, il y a la grande cuisine des peintres, ou la grande cuisine des artistes. Au fond, chez Huysmans, la nature n’est sauvée, ne devient intéressante, c’est-à-dire esthétisable, intéressante pour le regard d’un artiste que dans le cas de la maladie. Là, on peut peut-être retrouver une filiation avec Zola. Dans la maladie la nature devient artiste, d’une certaine manière sur les corps malades, on a l’impression, en tout cas, c’est ce qu’il décrit, que la nature peut dire E anch’io sono un pittore, « Et moi aussi je suis peintre », dans le cas de la tuberculose, dans le cas de la syphilis, dans le cas de la lèpre, parce que là, on à faire à des corps, auxquels la nature a donné les couleurs de l’artifice, les joues rouges, évidemment la stérilité, la décadence, la dégénérescence, etc. Je pense, par exemple à cette idée de la nature qui devient artiste dans la maladie, c’est-à-dire dans le moment où la nature se retourne contre elle-même, à une lettre extraordinaire, je ne me souviens plus la date [8], de Flaubert qui visite une léproserie à Damas, et qui écrit à son ami, il lui dit : j’ai visité une léproserie, c’était épouvantable, ils ont des moignons au bout des bras, c’est épouvantable, etc., les couleurs sont extraordinaires, et il dit à un moment : « Ô coloristes, où êtes-vous donc ? Quels imbéciles que les peintres ! », l’idée est que la nature n’est intéressante que quand elle se retourne contre elle-même dans la maladie, dans la dégénérescence, dans la décadence, etc. Mais …

Stéphanie Katz : Nous sommes aussi à l’époque d’une découverte d’une autre maladie, c’est les découvertes de Charcot.

Jacqueline Lichtenstein : Absolument, là on a une problématique de l’individu très forte, et cet individu artiste chez Huysmans, il a cette caractéristique de souffrir la plupart du temps de troubles pathologiques du système nerveux, de la perception, ce qu’on appelait à l’époque le nervosisme, qui n’est pas la névrose psychologique ou psychologisante telle qu’on l’entend aujourd’hui, mais qui vraiment le nervosisme, une maladie du système nerveux, qui fait qu’il est d’une sorte de sensibilité exacerbée, ce qui permet à Huysmans, de dire de tous les peintres, par exemple que les grandes inventions de l’art moderne, sont dues au fait que beaucoup de peintres impressionnistes souffrent de daltonisme, que Cézanne a une maladie ophtalmique … Ils ont tous des maladies ophtalmiques, Degas, d’ailleurs, va devenir aveugle … C’est très intéressant cette l’histoire de maladies, parce qu’on retrouve justement l’idée de la nature malade, comme si la maladie artiste permettait ou interdisait à l’artiste d’avoir une perception naturaliste du réel, et permettez à l’artiste une perception totalement hystéricisée, c’est un mot qu’emploie Baudelaire déjà, c’est-à-dire une perception qui joue uniquement sur d’extraordinaires finesses, délicatesses, de sensibilité, de couleur qui frappent, etc. Donc, peu à peu se met en place, chez Huysmans ça se met en place très, très clairement, très nettement, une opposition entre deux rapports de mode de perception : un mode de perception naturaliste, qui est un mode de perception effroyable, et dans l’art, c’est la peinture pompier, par exemple, et un mode de perception artiste qui est totalement d’ordre nerveux, totalement artificiel, là, je dirais que la pathologie visuelle, la pathologie de l’œil, un thème vraiment important chez Huysmans, l’idée que l’artiste ne voit pas comme le bourgeois, ne voit pas de manière naturelle, et que c’est pour ça qu’il voit mieux, qu’il voit plus loin, on pourrait dire qu’on retrouve le thème de l’aveugle voyant bien sûr. Mais, cette pathologie de l’œil, d’abord ce n’est pas radicalement l’artiste du bourgeois, là on a encore une opposition extrêmement importante, et c’est cette pathologie de l’œil qui permet à l’artiste d’inventer un monde totalement nouveau. Taine dit à un moment que « la perception est une hallucination vraie ». C’est la maladie artiste, la maladie de l’œil, de la folie aussi, pour parler vite, qui produit de la beauté.

Stéphanie Katz : Comment comprendre la source catholique et chrétienne de cet art du XIXe siècle, de ces auteurs du XIXe siècle, puisque, à part Zola, c’est à peu près systématique, ce sont tous des chrétiens, des catholiques fervents ?

Jacqueline Lichtenstein : Des catholiques surtout, le protestantisme, lui, est du côté de la nature. Il y a plusieurs choses. D’abord, on pourrait commencer par dire de manière générale que le catholicisme a toujours été du côté de la peinture, du côté de l’art, du côté des images, de l’art, il y a quand même la Contre-Réforme … Même avant, c’est l’église qui a sauvé la peinture de la condamnation philosophique et métaphysique. Je dirais qu’il y a un long compagnonnage entre le catholicisme et l’amour de l’art.

Stéphanie Katz : De là à aller faire l’apologie de la maladie …

Jacqueline Lichtenstein : Ça, c’est le premier point. Alors, de là à faire l’apologie de la maladie, ce n’est pas totalement surprenant, en ce sens, comme vous le disiez, tout à l’heure en parlant de renversement, au fond, il y a l’idée de la nature corrompue, l’idée de la nature mauvaise, l’idée de la nature malade, la nature est assimilée au mal, donc la beauté ne peut être que du côté de l’art, et dans une anti nature, dans une décadence, dans une dégénérescence, dans une corruption, en précisant tout de même que c’est un catholicisme un petit peu étrange, chez Huysmans c’est un catholicisme très médiéval, un Moyen-Âge très huysmanien où justement il y a les obscurités du désir, du diable, du démon, c’est le Moyen-Âge de l’imaginaire quand même. C’est le Moyen-Âge des succubes et des incubes, du bien et du mal, d’une sorte de sexualité rampante ou d’un désir qui envahit tout. Mais, il y a ce fond de nihilisme et de vision noire.

Stéphanie Katz : C’est paradoxal malgré tout.

Jacqueline Lichtenstein : Est-ce que c’est paradoxal ? On l’a chez Nietzsche aussi, c’est toute la problématique de l’époque, c’est ce que Nietzsche appelle « Le Gai Savoir », c’est-à-dire la beauté sur fond de tragique, la beauté sur fond de conscience de l’horreur. Nietzsche disait à propos de Grecs qu’ils étaient superficiels par profondeur. On pourrait appliquer cette phrase à ces auteurs. L’affirmation des pouvoirs de l’art et de l’artifice, parce qu’ils ont compris, qu’ils pensent avoir compris, l’horreur du réel, donc il faut mettre un voile dessus, il faut mettre le voile de l’art.

Stéphanie Katz : C’est donc une apologie d’image, ce qui est quand même un leitmotiv de la pensée catholique, le monde est une image.

Jacqueline Lichtenstein : Absolument, à quoi on pourrait dire que ces gens-là ajoutent le fait qu’il ne doit être qu’une image pour pouvoir être supporté. Vous avez la phrase de Nietzsche « Nous avons l’art pour ne pas périr de la vérité », il faut qu’il soit une image sinon en crève.

Stéphanie Katz : Donc, dans ce renversement la nature qui a d’abord longtemps été principe de vérité tout d’un coup elle devient principe d’illusion.

Jacqueline Lichtenstein : Oui, absolument. Croire en la nature, c’est l’illusion la plus grande, c’est une naïveté totale. C’est ne pas savoir, ne pas prendre la mesure de ce que c’est.

Promenade dans l’idée de nature (5/5), vendredi 24 mars 1995, Ici et maintenant - Les dangers d’un fantasme d’Apocalypse, avec les philosophes Jean-Luc Marion et Georges Collins.

Stéphanie Katz : Georges Collins, nous sommes ici chez vous, et j’ai beau chercher autour de moi, dans la maison, j’ai bien l’impression que d’une façon tout à fait singulière, il n’y a pas de plantes vertes dans cet appartement. Est-ce que cela nous donnerait à penser sur les liens actuels de la pensée et de la nature ?

Georges Collins : Oui effectivement. Je crois que la nature serait très difficile à trouver chez moi, c’est un petit peu mon propos de dire que la nature est effectivement extrêmement difficile à trouver. J’avais un moment donné une plante verte, c’était un caoutchouc, je crois, et au bout de six mois, c’était tout à fait une œuvre minimaliste, j’ai fini par la descendre.

Stéphanie Katz : Par le jeter ?

Georges Collins : Oui, on ne peut pas garder une plante minimaliste.

Stéphanie Katz : Est-ce que c’est l’espace de la philosophie contemporaine qui fait ainsi l’économie de la nature ?

Georges Collins : C’est ce qu’on pourrait penser. Au départ, quand je me suis mis à travailler ce sujet, j’en ai parlé autour de moi, c’est vrai qu’on pourrait dire d’une part que la nature est la grand oubliée de la philosophie contemporaine, mais pour peu qu’on reprenne les textes et qu’on déballe nos bibliothèques, on constate une singulière insistance de l’idée de nature dans la philosophie contemporaine. Elle est présente sur un mode inapparent, discret, peut-être fantomal.

[Musique + diverses sonorités]

[Insert – Une femme : Je me permets de vous téléphoner parce qu’on m’a offert un magnifique oranger à Noël 1993. Un homme : C’est un peu le cadeau empoisonné. Une femme : Non, excusez-moi, je ne vous téléphone pas parce que je m’en plains, je vous téléphone parce qu’au printemps dernier …]

Jean-Luc Marion : Le naturel c’est justement ce qui, d’une certaine manière, ne s’apprend pas, le naturel c’est ce qu’on fait sans le savoir. La nature, d’une certaine façon, sous la figure du naturel, ce serait ce qui s’excepterait du savoir. S’excepter du savoir, c’est tout autre chose qu’être ignorant.

[Musique + diverses sonorités]

Stéphanie Katz : Elle aura tout fait, la nature parcourue tous les paysages, du plus bucolique au plus électrique, avec peut-être quelques détours du côté des laboratoires et des oubliettes. Dépossédée de sa parure d’éternité, elle aura tout essayé pour la retrouver. Et voilà, maintenant épuisée, elle est vidée. Et si plus personne n’avait besoin d’elle ? Et si elle n’était plus qu’une nostalgie ? À leur technologie du simulacre et du virtuel, peut être en fait n’est-elle même plus un modèle ?

Bienvenue au pays fantomal, ou puisque tout est permis, en fait plus rien n’est vraiment possible. Mais, attention, quelques parfums d’apocalypse traînent dans les recoins de l’époque.

[Musique + diverses sonorités]

Georges Collins : On pourrait se demander qu’appelle-t-on nature ? On pourrait poursuivre en se demandant qui on appelle à l’idée de nature ? Qui en appelle à elle ? Qui parle en son nom ?

Stéphanie Katz : Peut-être qu’il faut commencer en précisant que la nature ce n’est qu’une idée.

Georges Collins : Oui, c’est très important, c’est très difficile aussi, c’est agaçant. Nous avons du mal à introduire tout de suite l’idée de la nature, et pourtant il le faut. Nous n’avons aucun accès direct à nature, c’est devenu, c’est probablement le cas depuis l’origine, une idée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de d’accès direct. On a à faire à quelque chose qui se tient à distance. On a à faire à une interposition entre nous et elle, que nous allons appeler l’idée.

Stéphanie Katz : Il y a quelque chose de scandaleux à penser l’idée nature simplement en termes d’idée ?

Georges Collins : Oui, on dirait là qu’avec l’idée de nature, nous avons détruit la pureté, l’immédiateté, voire la sacralité de la nature et pourtant c’est inévitable.

[Musique + diverses sonorités]

[Insert – Une femme : … il passé donc tout l’été dans le jardin, dans un coin ni trop chaud ni trop … puis je l’arrosais beaucoup avec les plantes, et puis au moment de l’hiver, comme nous habitons l’Isère, je l’ai rentré. Un homme : Il a commencé à faire ses feuilles …]

Jean-Luc Marion : L’idée de Dieu, d’une certaine manière, a rendu possible la soumission de la nature à l’idéal technique. On a reproché au christianisme d’avoir eu une part dans la dévastation de la nature, ce qui est certain, c’est que la révélation juive et chrétienne, qui dans mon esprit est la même, se caractérise par le fait que la nature n’y est plus une déesse, n’y est plus sacrée. Il y a un texte que l’on connaît moins, qui est le Livre de la Sagesse, qui, au chapitre 12 [9], déclare, c’est un texte qui sera repris à l’infini par Saint Augustin, puis par tout le XVIIe siècle, que Dieu a créé toute chose en nombre, poids et mesure. Et là, on voit très bien que si Dieu est créateur, alors la nature n’est pas originaire. Elle n’est pas l’objet d’un culte. Elle n’est pas auto-créatrice. C’est le refus conscient d’une création à partir de quelque chose. C’est-à-dire de la vieille matrice naturaliste, où Dieu est le démurge qui mettent en ordre une matière mère, qui est supposée préexister. Et ce refus de toute préexistence de la nature, par rapport à l’action créatrice de Dieu, elle a les caractéristiques du judéo-christianisme, mais elle est aussi pour conséquences que non seulement la nature n’est pas Dieu, mais d’une certaine manière même la première créature n’est pas la nature, puisque c’est l’Homme. C’est le récit de la création, où Dieu déclare à l’Homme qu’il se soumette toutes choses dans la nature. Ce qui veut donc dire que la nature n’est pas divine. Alors, se soumettre toute chose, cela ne veut pas dire détruire toute chose. Là, je pense que l’accusation classique, des écologistes profonds, contre ce verset de la Bible, est parfaitement injuste et repose, cela arrive sur les polémiques de ce type, sur une assez large méconnaissance de ce qu’on attaque, peu importe. Donc, on peut dire que le christianisme, les idées sur le christianisme, sont une entreprise de non pas destruction de la nature, non pas mépris la nature, mais de relativisation dans l’espace créationnel de la nature. La notion de création évidemment, d’une certaine façon, ôte son privilège même philosophique à la nature.

Stéphanie Katz : De quoi, en décalant de cette façon la nature de l’origine, le christianisme ou de judéo-christianisme a-t-il cherché à se protéger ?

Jean-Luc Marion : La rupture d’avec le monde antique, le monde grec en particulier, c’est que Dieu est absolument autre, donc la nature ne peut pas être originaire. Ce n’est pas tellement une protection, c’est au sens stricte une ouverture, c’est une percée, je dirais. Toute politique basée sur la nature est nécessairement une politique qui reproduit l’inégalité et la violence de la nature, car la nature n’est pas non violente. Donc, toute politique qui s’inspire de la nature est une politique, d’une manière ou d’une autre, qui s’oppose au droit. Ce n’est quand même pas un hasard si le totalitarisme a souvent fait appel à la nature, ou bien au modèle de l’histoire, qui d’une certaine manière est la nature en mouvement, mais qui de toute façon récuse l’universel abstrait de la démocratie. Donc, il faut faire très attention quand on se bat sur la question de la nature, de mesurer ce que seraient, en dehors du ridicule de l’entreprise, les dangers de toute re-divinisation de la nature.

Stéphanie Katz : Quel a été l’enjeu dans ce cadre de réflexions théologiques de la pensée de Spinoza ?

Jean-Luc Marion : Tout le monde sait que Spinoza a dit : Deus sive Natura, « Dieu ou la nature », ceci a été considéré comme un énoncé absolument révolutionnaire, on est même allé jusqu’à y voir une figure du matérialisme. Ce qui a fait une véritable révolution chez Spinoza, c’est que ce n’est pas tellement qu’il ait dit que Dieu était la nature, c’est qu’il ait dit que Dieu était immanent à la nature, parce qu’on pouvait parfaitement admettre qu’il y ait une transcendance interne à la nature, dans ce cas-là on retrouvait le schéma chrétien. Donc, lui, il reprend un vocabulaire qui lui préexiste et l’interprète non pas en élevant la nature à un surnaturel radieux, mais en rabattant, si je peux dire, Dieu sur la nature. La conséquence ne se fait pas attendre, c’est que bien entendu le déterminisme rationaliste en l’occurrence devient absolu. Bien entendu, on maintient une autre définition de la liberté, qui n’est plus liberté de choix volontaire, mais liberté d’acquiescement, sur un modèle finalement inspiré du stoïcisme, mais d’une certaine manière on a la conséquence, sitôt que le que la nature revient au premier rang, elle a des conséquences sur la définition de la liberté humaine.

[Insert – Un homme : … pour qu’un oranger se porte bien, il faut qu’il vive à l’extérieur, comme un pommier en Normandie, en pleine terre. Dans des bacs, on peut en cultiver, dans des orangeries, bien sûr, puisque Louis XIV récoltait les oranges à Versailles, ainsi que des ananas, dans des conditions tout à fait particulières, en orangerie, où l’on apportait l’humidité, de la chaleur. Mais, maintenant, on n’aurait certainement plus les moyens de le faire …]

Georges Collins : Je vais commencer avec Michel Serres. On peut dire que depuis longtemps, peut-être depuis toujours, Michel Serres aura installé l’idée de nature au cœur de sa réflexion, caractérisée par cette urgence et cette tonalité apocalyptique. J’ai prélevé dans son livre « Le contrat naturel », quelques passages, pour donner une idée de l’idée de nature dans la pensée de ce philosophe. Le premier passage, c’est le procès du présocratique Anaxagore, qui à l’époque de son procès était déjà célèbre non seulement pour ses cours mais surtout pour avoir prévu la chute d’une météorite près d’Aigos Potamos, on l’a accusé et ensuite condamné pour avoir prétendu que le soleil était une pierre incandescente, donc qu’il brûle. Michel Serres pointe l’intérêt de l’étude d’Anaxagore du Soleil et de la Lune, de la Terre et de la Voie Lactée, le véritable enjeu du procès. Voici un homme qui s’intéresse à la nature, au détriment des affaires de la cité. Si tu peux observer les planètes, tu te désintéresses de la patrie, de ce contrat social dont le droit fondamental assure l’existence de la ville, tu romps le contrat et on doit en conséquence te bannir. À partir de cette condamnation, Michel Serres enchaîne sur une définition, une localisation de la nature, et c’est cela qui nous intéresse. Je cite Serres : « Un grand morceau de nature tombe au milieu de la ville, un bel objet des sciences physiques chute soudain dans le terrain des sciences sociales, terreur dans la cité aussi bien que dans les champs, qui advient en exposant l’environnement mondial à ceux qui ne connaissent que l’habitat mondain. » Voilà pour Serres, le miracle, le scandale, l’enseignement infiniment ré-actualisable, et oserais-je dire, le fantasme de ceux que l’on désigne comme les amoureux de la nature.

Stéphanie Katz : Est-ce qu’il y aurait quelque chose de fantasmatique dans l’opposition nature ?

Georges Collins : Oui, dans cette localisation de la nature, comme extérieur aux affaires des hommes, on a une proposition qui relève du désir qu’il y aurait un dehors. Mais, il n’y a pas dehors, la nature n’est ni à l’intérieur ni à l’extérieur. C’est à partir de la nature qu’on a la distinction entre intérieur et extérieur, et revenir en amont, c’est poursuivre un fantasme. Celui de Serres, c’est que la nature pourrait arriver à percer la clôture serrée de la culture, voilà ce qui est fantasmatique. Selon ce fantasme, je reviens à lui, car je le crois important, la nature serait cette force éruptive, inattendue, imprévue et d’autant plus bienheureuse qu’elle correspond au désir inavouable des hommes.

Stéphanie Katz : Quelle définition Michel Serres va-t-il donner de la nature ?

Georges Collins : C’est une définition intéressante, je crois que vous l’aimez beaucoup, il dira : « La nature, c’est l’enfer de la cité et de la culture, le lieu où le roi et le philosophe physicien sont bannis. Le lieu du banc, c’est-à-dire la banlieue de la ville » Cela procède ici à une impressionnante, et je crois fantasmatique, unification du lieu de la nature, en dégageant une idée unifiée, une, telle.

Stéphanie Katz : Qu’est-ce que vous pensez, vous, de cette définition qui fait de la nature une ...

Georges Collins : Je crois que c’est une bêtise. Je crois que c’est impossible de rassembler, d’unifier, de focaliser l’idée de nature sous les espèces d’unicité.

Stéphanie Katz : J’ai envie de vous demander qu’est-ce que c’est, en termes philosophiques, une bêtise ?

Georges Collins : D’abord ce n’est pas quelque chose de naturel. La bêtise est humaine, dans le sens où il y aurait arrêt, ou une précipitation à conclure, là où les données exigeraient un supplément de pensée.

[Insert – Un homme : … mais ça demanderait beaucoup de travail, l’oranger est une plante d’extérieur, je vous le répète, alors dans un pot, même si vous le mettez en bord de fenêtre, il a il a souffert, il a perdu ses feuilles, il a des bourgeons, donc ne vous inquiétez pas, il repartira, mais certainement, il posera encore d’autres problèmes, parce que si vous avez un hiver très froid dans la région et que vous mettez en mode fenêtre eh bien …]

Stéphanie Katz : Jean-Luc Marion, quels sont, selon vous, les ambiguïtés du souci très contemporain de protection de la nature ?

Jean-Luc Marion : Il n’y a pas une ambiguïté, je pense qu’il y a une contradiction dans les termes. Je suis pour la protection de la nature, naturellement, ça va sans dire, mais quand on en est à protéger la nature, c’est que la nature a perdu le rang de matrice originaire. Elle n’est plus originaire, puisqu’elle ne veut pas se réguler, être intacte face à nos activités en retour sur elle. Elle est donc une partie de notre monde, de notre environnement, elle n’est donc plus la source originaire, elle n’est pas la nature.

Stéphanie Katz : Elle n’est plus qu’un cadre ?

Jean-Luc Marion : Eh bien, elle est, comme on dit souvent, un environnement. Quand on dit que la nature, c’est, entre autres la protection de l’environnement, je sais que certains écologistes parfois radicaux, n’aiment pas le terme d’environnement, mais pour une large part, la protection de la nature, c’est l’environnement. Si on définit la nature par l’environnement, on définit la périphérie par le centre évidemment. Le centre, c’est nous. Donc, dans la protection de la nature, la nature, c’est celui qui la protège, la nature, et ce qui est protégé, n’est plus, au sens conceptuel rigoureux, la nature. Elle n’est plus qu’une partie, une dérivation, un effet de sens ou de puissance d’un centre qu’elle n’est plus. Donc, il n’y a pas de constat plus radical que la nature, d’une certaine manière, est devenue problématique ou même a disparu, que le mot d’ordre de la protection de la nature.

[Musique + diverses sonorités]

Georges Collins : Le cœur du livre de Serres se situe dans un développement consacré au principe de raison, qu’à toute chose raison doit être rendue. Serres relève ici que celui qui doit rendre raison a dû d’abord en recevoir un don. Et là, nous arrivons à l’équation centrale, qui donne que la nature est, avant tout autre chose, une instance donatrice originaire. Alors, selon le principe de raison, le don exigerait un contre-don, une restitution. Chaque effet de nature présente cette demande de réponse.

Stéphanie Katz : En fait, nous devrions rendre à la nature ce qu’elle nous a donnés.

Georges Collins : Exactement, voilà, c’est ce que dit Serres.

Stéphanie Katz : La vie par exemple.

Georges Collins : Voilà, étant donné que la nature nous a donné la vie, ne lui devons la vie. Étant donné que la nature nous aurait donnés la raison, ne lui devant la restitution intégrale de toute notre raison. Aujourd’hui que pouvons-nous rendre au monde, qui nous donne le donné, c’est-à-dire la totalité du don ? Que rendre à la nature qui nous donne la naissance et la vie ? Réponse équilibrée, dit Serres, la totalité de notre essence, la raison elle-même. Il ne faut rendre à la nature ni moins de raison que demande le donné ni plus, le principe exige de parvenir à un équilibre. Nous sommes, à mon avis, ici, au cœur du problème de l’idée de nature.

Stéphanie Katz : Qu’est-ce que vous pensez de cette obligation de restitution, d’agir comme la nature, d’imiter la nature ?

Georges Collins : Oui, oui, on le voit, il re-pointe la mimesis, l’imitation de la nature. On a envie de lui dire, mais oui, mais tout de suite derrière, il y a une kyrielle de questions qui se posent avec une urgence tout aussi urgente que l’urgence que nous ressentons devant la disparition et la destruction de la nature. Comment mesurer ? Comment caler ? Comment ordonner ce processus d’échange ? Qui va décider de ce qui est équitable ? Qui va statuer sur ce qu’il y a à rendre ? S’il faut tout rendre, comment faire pour accéder à ce tout ? C’est exactement le même problème que comment faire pour accéder à la nature.

Stéphanie Katz : Pourtant dans cette idée de restituer à la nature ce qu’elle nous aurait donné, donc d’imiter son geste, d’imiter la nature, est-ce qu’il n’y a pas quelque chose comme un écho de cette dynamique qui a motivé les pires retours à l’ordre ?

Georges Collins : Oui, nous ne nous sommes jamais loin de ce danger-là, de cette pente dangereuse. Je crois qu’on pourrait dire que les écologistes dans leurs efforts, par ailleurs louables et nécessaires, que la part d’ombre de ces efforts, c’est précisément le danger d’un retour à un ordre terrible, qui est fasciste, qui nous ferait revenir à la pire des dominations, sous prétexte d’un ordre naturel.

Stéphanie Katz : De plus, on l’a vu tout à l’heure, cette nature des origines, n’a jamais existé, on peut difficilement restituer quelque chose qui n’a jamais existé.

Georges Collins : Oui.

Stéphanie Katz : Donc, c’est un vaste mensonge ou un fantasme ?

Georges Collins : Ou alors une bêtise. Malgré la critique sévère que je suis en train de niveler contre ces penchants, il y a des gens actuellement qui travaillent pour sauvegarder la nature. Ces gens-là ne sont pas dans l’illusion, il ne faudrait pas me faire dire ça, il y a des problèmes urgents, mais il y a l’impératif catégorique de ne pas céder sur les exigences de la pensée, la pensée exige de tout penser, la nature et l’ensemble de ces autres, la loi, la liberté, la convention, le monde des hommes, j’arrête là, la liste est longue.

Stéphanie Katz : L’art …

Georges Collins : L’art, bien entendu. Il ne peut y avoir de retour, de remonter, pourtant cette poussée, cette tendance, cette pulsion est, et sera, toujours constamment disponible sous forme de pièges, de tentations, de mœurs. Si l’idée de nature nous intéresse, c’est qu’elle se tient dans un rapport essentiel au don et c’est lui qui donne à penser. C’est le don qui produit l’effet de nature. La constante, la permanente, l’indéracinable pulsion, la pente naturelle de l’esprit, c’est de tout rapporter à la grande et généreuse nature : art, convention, loi, liberté, société, histoire, esprit, tout doit revenir à elle.

Ce que je voulais dire en conclusion, c’est que cette bêtise-là, est probablement inévitable. Dès qu’il y a un effet de nature qui pointe son nez à l’horizon, l’effet de cet effet, c’est de nous rendre bêtes, c’est de nous rendre inégaux à la tâche imposée, une tâche de restitution, une tâche dedans, une tâche de pensée.

Stéphanie Katz : Ça vous semble d’actualité aujourd’hui cette question de la nature ?

Georges Collins : Oui, oui, bien entendu, d’une actualité brûlante, car finalement nous ressentons tous qu’il y a urgence, un péril. Il me paraît impossible de ne pas contextualiser cette série d’émissions en ayant recours à ces rumeurs d’apocalypse. Si une certaine idée de la nature se propose à nouveau à la pensée, c’est qu’il y a un parfum de vengeance dans l’air. La nature serait sur le point d’en finir, à sa façon, avec les outrages que l’homme lui fait subir. C’est ça probablement le contexte le plus le plus grave, le plus inquiétant et le plus difficile à penser.

notes bas page

[1Michel Pierre Edmond : né le 01 juin 1935 à Beyrouth, mort le 27 décembre 1913 Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Philosophe, spécialiste de philosophie politique. Auteur de : Aristote, la politique des citoyens et la contingence (2000) ; Le philosophe-roi, Platon et la politique (1991) ; Une Mère en trop (1986) ; Philosophie politique (1972) ; Ibn Khaldoun, situation dans la culture arabo-islamique (1964)

[2Cf. sa page WikipédiaEmpédocle est un philosophe, poète, ingénieur et médecin grec de Sicile, du Ve siècle av. J.-C. Il fait partie des philosophes présocratiques, ces premiers penseurs qui ont tenté de découvrir l’arkhè du cosmos, son « schéma ». L’originalité d’Empédocle est de poser deux principes qui règnent cycliquement sur l’univers, l’Amour et la Haine. Ces principes engendrent les quatre éléments dont sont composées toutes les choses matérielles : l’eau, la terre, le feu et l’éther (l’air). L’Amour est une force d’unification et de cohésion qui fait tendre les choses vers l’unité (par exemple les organismes vivants) ou même l’Un quand il s’agit du cosmos. La Haine est une force de division et de destruction qui fait tendre les choses vers le multiple.

[3Dans la mythologie grecque, Philotès est une divinité allégorique parfois assimilée à Aphrodite.

[4Physique, un traité de physique et de philosophie d’Aristote, une introduction épistémologique à l’ensemble des ouvrages d’Aristote, notamment dans le domaine des sciences naturelles, une réflexion sur la connaissance des réalités naturelles et sur la nature en général. La nature se définit de différentes manières pour Aristote, quoique le sens principal soit un principe de changement immanent aux êtres qui le possèdent. Suivant le fil directeur de son enquête sur les choses de la nature, Aristote aborde de nombreux concepts majeurs de sa philosophie, comme la théorie des quatre causes, soulève les enjeux principaux de sa philosophie, notamment le rapport entre la forme et la matière.

[5Catherine Chevalley, née à New York en 1951, agrégée de lettres, philosophe, professeure de philosophie à l’université de Tour. Elle soutient une thèse de doctorat d’État sur travaux, sous la direction d’Anne Fagot-Largeault et Jacques Merleau-Ponty, intitulée « Ontologie et méthode dans la physique contemporaine : la physique quantique et la philosophie classique de la nature », en 1995, à l’université Paris-Nanterre. Elle est ancienne attachée au CNRS, son champ d’étude se concentre autour de la philosophie des sciences (Kepler, Galilée, Descartes et Pascal), de la philosophie politique (Foucault) et de la philosophie de la physique contemporaine (Bohr, Heisenberg, Kuhn)

[6 Chantal Thomas : romancière, essayiste, dramaturge, scénariste, spécialiste de la littérature, universitaire et académicienne, elle a succédé à l’Académie française, le 28 janvier 2021,à Jean d’Ormesson au fauteuil 12

[7Source : Gorgias (Platon) Gorgias est un dialogue de Platon, ayant pour sous-titre De la rhétorique même s’il ne s’agit pas d’un traité sur l’art d’écrire, parler ou composer un discours. Il s’agit d’examiner la valeur politique et morale de la rhétorique. Deux thèses s’affrontent : celle de Gorgias, sophiste qui enseigne la rhétorique et considère que « l’art de bien parler » est le meilleur de tous les arts exercés par l’homme, contre celle de Socrate, qui dénonce la sophistique comme un art du mensonge

[8Gustave Flaubert en toutes lettres. Le voyage en Orient. La première lettre que Flaubert envoya de Damas fut pour Louis Bouilhet en date du 2 septembre 1850. […] « Il y a deux ou trois jours nous avons été voir la léproserie d’ici. C’est hors la ville, près d’un marais d’où des corbeaux et des gypaètes se sont envolés à notre approche. Ils sont là, les pauvres misérables, hommes et femmes (une douzaine peut-être), tous ensemble. Il n’y a plus de harem, de voiles pour cacher les visages, de distinction de sexes. Ils ont des masques de croûtes purulentes, des trous à la place de nez, et j’ai mis mon lorgnon pour distinguer à l’un d’eux si c’étaient des loques verdâtres qui lui pendaient au bout des bras. C’était ses mains. (Ô coloristes, où êtes-vous donc ? Quels imbéciles que les peintres !) Il s’était traîné pour boire auprès de la fontaine. Sa bouche, dont les lèvres étaient enlevées comme par une brûlure, laissait voir le fond de son gosier. Il râlait en tendant vers nous ses lambeaux de chairs livides, et la nature calme tout à l’entour ! de l’eau qui coulait, des arbres verts, tout frissonnants de sève et de jeunesse (le vent du soir soufflait), de l’ombre fraîche sous le soleil chaud, puis deux ou trois poules, qui picotaient par terre dans l’espèce de basse-cour où ils sont. Les clôtures étaient en bon état, leur logement même est très propre. Nous étions conduits par un frère lazariste qui avait la tête ceinte d’un turban noir très serré et qui aime à causer pédérastie »

[9Livre de la Sagesse - Chapitre 11 Source

1 Elle fit réussir leurs œuvres par la main d’un saint prophète.
2 Ils firent route à travers un désert inhabité, et dressèrent leurs tentes dans des régions sans chemin.
3 Ils résistèrent à leurs ennemis, et tirèrent vengeance de leurs adversaires.
4 Ils éprouvèrent la soif et vous invoquèrent, et l’eau leur fut donnée d’un rocher escarpé, et d’une pierre, l’apaisement de leur soif.
5 Ce qui avait fait le châtiment de leurs ennemis devint pour eux une bénédiction dans leur détresse.
6 En effet, tandis que les eaux d’un fleuve intarissable étaient troublées par un sang impur,
7 en punition du décret qui frappait de mort les enfants, vous donniez à vos fidèles, contre tout espoir, une eau abondante,
8 leur montrant ainsi, par la soif qu’ils ressentirent alors, de quel châtiment vous frappiez vos adversaires.
9 Après cette épreuve, quoique punis avec miséricorde, ils surent comment étaient tourmentés les impies jugés dans la colère.
10 Vous avez éprouvé les uns comme un père qui avertit, et vous avez châtié les autres comme un roi sévère qui condamne.
11 Absents ou présents, ils furent également tourmentés.
12 Un double chagrin les saisit, et ils gémissaient au souvenir de ce qui était arrivé.
13 Car en apprenant que leurs propres tourments tournaient à l’avantage des fugitifs, ils reconnurent la main du Seigneur.
14 Celui qu’ils avaient autrefois exposé et rejeté avec mépris, ils l’admirèrent à la fin des événements, lorsqu’ils eurent souffert une soif bien différente de celle des justes.
15 En punition des pensées extravagantes de leur perversité, qui les égaraient et leur faisaient adorer des reptiles sans raison et de vils animaux, vous leur envoyâtes en châtiment une multitude de bêtes stupides :
16 pour leur apprendre que l’on est puni par où l’on a péché.
17 Il n’était pas difficile à votre main toute-puissante, qui a fait le monde d’une matière informe, d’envoyer contre eux une multitude d’ours ou de lions féroces,
18 ou des bêtes nouvellement créées, pleines de fureur et inconnues, respirant une vapeur enflammée, exhalant une fumée infecte, ou lançant par les yeux de terribles éclairs,
19 capables, non seulement de donner la mort par une blessure, mais de foudroyer de peur par leur seul aspect.
20 Et, sans cela même, ils pouvaient périr par un simple souffle, poursuivis par la justice, et dispersés par le souffle de votre puissance. Mais vous avez tout réglé avec mesure, avec nombre et avec poids.
21 Car la souveraine puissance est toujours à vos ordres, et qui donc résisterait à la force de votre bras ?
22 Le monde entier est devant vous comme l’atome qui fait pencher la balance, comme la goutte de rosée matinale qui tombe sur la terre.
23 Mais, parce que vous pouvez tout, vous avez pitié de tous, et vous fermez les yeux sur les péchés des hommes pour qu’ils se repentent.
24 Car vous aimez toutes les créatures, et vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait ; si vous aviez haï une chose, vous ne l’auriez pas faite.
25 Et comment un être subsisterait-il, si vous ne le vouliez, se conserverait-il, si vous ne l’aviez appelé à l’existence ?
26 Mais vous pardonnez à tous, parce que tout est à vous, Seigneur, qui aimez les âmes.

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