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Matins du 8 mars 2010, avec Hélène Cixous

Transcription par Taos Aït Si Slimane, d’une partie des Matins de France Culture, du 8 mars 2010, qui recevaient Hélène Cixous, à retrouver d’ailleurs sur Dailymotion). Hélène Cixous est professeur, écrivain, poétesse, auteur dramatique, philosophe, et surtout grande figure du féminisme.

Je vous suggère la lecture de La mort de la Méduse, par Jean-Pierre Vernant

Édito sur le site de l’émission : A l’occasion de la célébration de la journée internationale des droits des femmes, qui, rappelons le, fête son siècle, et à l’occasion de son actualité, nous recevons dans Les Matins Hélène Cixous. Auteur de théâtre, le spectacle qu’elle a écrit pour Ariane Mnouchkine – les Naufragés du fol espoir – triomphe actuellement au théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes. Par ailleurs, les éditions Galilée font paraître dans quelques jours en un volume intitulé "Le rire de la Méduse et autres ironies", deux textes d’Hélène Cixous. Initialement parus en 1975, ces deux textes sont fondamentaux dans l’histoire du féminisme. Hélène Cixous y met en place la notion d’écriture féminine et, en dissociant les deux questions du genre et du sexe, ces textes marquent les débuts des gender studies. Rappelons qu’Hélène Cixous a également créé le premier département d’Études féminines sur le continent européen ; c’était à Paris VIII en 1974.

Mais il ne sera pas question que des grandes heures du combat féministe ce matin. Nous demanderons à Hélène Cixous de 2010 de nous dire ce qu’elle pense du chemin parcouru depuis, et quel regard elle porte sur la condition des femmes aujourd’hui.

Marc Voinchet : Hélène Cixous, auteur de théâtre. Vous connaissez bien sûr le dernier spectacle qu’elle a écrit pour Ariane Mnouchkine, « Les naufragés du fol espoir », qui triomphe actuellement au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes. Par ailleurs, les éditions Galilée font paraître, dans quelques jours, intitulé « Le rire de la Méduse et autres ironies », deux textes d’Hélène Cixous, parus en 75. Deux textes fameux, fondamentaux même, faut-il le dire, dans l’histoire du féminisme. Hélène Cixous y met en place la notion d’écriture féminine en dissociant deux questions, celle du genre et celle du sexe. Deux textes qui marquent en France les débuts des « Gender studies ». Rappelons qu’Hélène Cixous a créé le premier département d’études féminines sur le continent européen, c’était à Paris 8 à Vincennes, en 1974. Hélène Cixous invitée des Matins de 7h 40 à 9H.

[Divers annonces et autres programmes des Matins dont les informations]

Il est 7h 40 sur France Culture, chers auteurs, chères auditrices, une fois n’est pas coutume, je vais commencer ce matin en vous lisant un Mail que toute la radio de France Culture a reçu vendredi. Vous connaissez tous Colette Bonnier (orthographe pas sûr), dite Coco, « the voice », la speakerine, l’animatrice de France Culture, voici ce qu’elle a envoyé, Hélène Cixous, à toutes les émissions de la chaîne : chers tous, je vous rappelle que le 8 mars n’est pas la journée de La femme mais la journée internationale des droits des femmes. Je vous en supplie, ne faites pas de cette journée politique, une journée biologique. Merci, amitiés à vous, Coco.

Donc, aujourd’hui nous avons décidé, à la faveur aussi des parutions sur les tables des libraires, de vous recevoir. Bonjour Hélène Cixous.

Hélène Cixous : Bonjour.

Marc Voinchet : Je rappelle, pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore tout à fait, que vous êtes auteur de théâtre, notamment en ce moment on peut voir le spectacle que vous avez écrit pour Ariane Mnouchkine, « Les naufragés du fol espoir », à la Cartoucherie de Vincennes, au Théâtre du Soleil,. C’est un triomphe. Par ailleurs, les éditions Galilée font paraître, en un Volume, « Le rire de la Méduse et autres ironies », deux textes initialement parus en 1975. Deux textes fondamentaux, fameux, reconnus, lus dans le monde entier, traduits dans beaucoup de langues et qui sont importants dans l’histoire du féminisme. Vous y placez, Hélène Cixous, entre autres, la notion d’écriture féminine en dissociant deux questions, les deux questions du genre et du texte. On peut dire que ce livre, « Le rire de la Méduse et autres ironies » avait marqué le début du « Gender studies » en France et qu’un an auparavant vous avez été la première femme à créer le département d’études féminines sur le continent européen en 1974. Il ne sera pas question seulement des grandes heures du combat féministe, ce matin, nous vous demanderons aussi ce que vous pensez du chemin parcouru justement depuis ce moment-là. Peut-être une première question. Aujourd’hui, dans L’Humanité, Paule Masson écrit : « Normal que l’éditorial soit écrit par une femme : nous sommes le 8 mars. Cette journée internationale des droits de la femme est notre jour de lumière. Une fois dans l’année, nous sommes sûres de faire parler de nous. Mais dans ce domaine-là plus que dans tout autre, les grandes promesses tiennent souvent de la fable. »

Hélène Cixous : Je n’ai jamais pensé que je vivrais les jours où la question de la reconnaissance, pas seulement des droits des femmes mais de leur part dans l’humanité, de leurs talents, de leur génie, ce que Rimbaud avait annoncé, je n’ai jamais pensé que je le vivrais parce que c’est peut-être dans toutes les histoires qui font l’histoire celle qui rencontre le plus d’obstacles et se développe le plus lentement. Il y a une résistance absolument fondamentale à la reconnaissance de l’autre, qui se manifeste principalement dans les rapports en ce qui concerne les hommes et les femmes. J’en ai pris conscience assez vite dans mon existence, dans mon histoire car j’ai commencé par faire l’expérience des racismes, puisqu’on en parlait ce matin, des rejets, de la haine du prochain, en rencontrant le racisme anti arabe et l’antisémitisme. Ça, c’était mon expérience primordiale et qui a fait…

Marc Voinchet : Quand vous étiez petite fille à Oran ?

Hélène Cixous : Quand j’étais enfant en Algérie, en grande période à la fois de la Guerre, période de Vichy, des lois antijuives, etc. en même temps période ultracolonialiste. Et cela fait un peu masque ou voile au sort réservé à la majorité des opprimés qui étaient des femmes. Il a fallu que j’aie 18 ans, que j’arrive en France, pour me rendre compte que le combat numéro un, le plus ancien, l’actuel, le futur, c’était celui concernait la prise en considération absolue, sans aucune réserve, sans aucune condition, des femmes quelques soient les continents. Et là, tout à l’heure on parlait justement de différences ou d’oppositions entre Est Ouest, on devrait dire Nord Sud etc., très généralement, planétairement, mondialement, on continue à être dans un retard qui a l’air structurel, en ce qui concerne le respect de l’humanité, de ce qui fait l’humanité. L’humanité elle-même se mord elle-même, se déchire elle-même, décapite elle-même ses têtes féminines. Et ça, c’est quelque chose qui se répète, qui recommence et qui fait que chaque fois justement cette histoire pâtit du sentiment de la répétition. Les gens vont vous dire : pourquoi encore ne fois une année de la femme ?

Marc Voinchet : Elle n’est pas si ridicule que ça, entre guillemets. Selon ses détracteurs, cette journée de la femme, ce 8 mars, certains disent : eh bien, oui, la belle affaire ! Les hommes vont s’acheter une bonne conscience en célébrant cette journée auprès des femmes et puis après, pschitt, plus rien !

Hélène Cixous : Elle est indispensable mais évidemment elle est, comme toutes les mesures de ce genre, elle nécessaire et non suffisante. Cette journée de la femme ça doit être aussi...

Marc Voinchet : C’est la journée des droits des femmes, ce n’est pas une question biologique.

Hélène Cixous : bine sûr, mais vous savez, les droits des femmes cela s’accompagne d’une réflexion des droits des hommes et d’une réflexion des femmes. Parce que je ne veux pas séparer les choses. Dès que l’on procède par opposition homme-femme, on dresse un camp ou un champ de bataille et c’est le piège. Il faut que...

Marc Voinchet : Dans Libération aujourd’hui, Joy Sorman, jeune écrivain, qui se déclare très fière des mouvements qui ont pu avoir lieu avant elle, elle a 36 ans, sur les questions du féminisme, qui ne les rejette pas dit : il faut peut-être libérer l’homme de ses carcans pour arriver à avancer ensemble vers une équivalence, une égalité de droits.

Hélène Cixous : Bien sûr, parce qu’on ne peut pas penser femme sans penser homme. Il est impossible justement de diviser. C’est un piège quand on divise, quand on oppose, il faudrait arriver à penser ce qui fait la noblesse et l’intérêt d’être humain, c’est-à-dire le passage d’un sexe à l’autre, l’échange, la connivence, le toucher, le contact. Il y a du féminin dans les hommes, il y a du féminin dans les animaux. Tout ce qui cloisonne, divise, rejette va contre la vérité la plus profonde. Ça, c’est effectivement un travail qui est à faire. Le problème c’est que quand on doit faire, quand on doit courir aux urgences, comme tout à l’heure on a cité des tas d’exemples, tant et tant de lieux sur la terre où les femmes en tant que telles, comme une sorte de masse, sont livrées au massacre, on met un accent sur le secours porté aux femmes, ce qui est absolument indispensable, mais il est évident que secourir les femmes, cela veut dire aussi secourir le corps humain et en particulier le corps masculin.

Marc Voinchet : Hélène Cixous, pour comprendre ce que vous dites, est-ce que par exemple ce que vous dites là, ça vous animait, avec la même intensité, que ce qui vous a fait écrire ce « Rire de la Méduse » ? Parce qu’il faut en parler de « Rire de la Méduse », en 75, qui a connu des fortunes diverses, on peut dire, une fortune immense, texte extrêmement connu dans le monde, souvent traduit parfois sans doute mal et mal compris aussi, qui est un texte phare, pour beaucoup de femmes et que l’on ne trouvait plus. Et Galilée du coup décide de le rééditer. Alors, le l’ai dit, c’était tout juste un ana après que vous ayez fondé ce DEA d’études féminines à Vincennes, je vais, sans doute cela vous paraître trop arbitraire, en lire des bouts. Il y a une vitalité, un humour, un éclat de rire incroyable, dans ce livre Manifeste, voilà : « ça en est fini des contes des petites Poucet et des grandes mères ogresses, servantes de leurs fils paternels », ou encore cette phrase page 64, magnifique : « chaque corps distribue de façon singulière, sans modèles, sans normes, la totalité non finie et changeante de ses désirs », puis beaucoup de choses sur la libido des femmes. Racontez-nous la genèse de ce texte. C’était une colère terrible, une envie aussi… une colère et un rire ?

Hélène Cixous : Oui, c’était la résultante de quelques années d’expérience. D’abord, il faut dire que c’est un texte qui se situe dans un champ, qui est un champ littéraire et philosophique et bien sûr avec un apport psychanalytique indispensable, que j’ai publié en 75. Alors, deux mots, parce qu’il faut absolument être dans une loyauté à l’égard de la réalité et de l’histoire. En 68, a commencé le mouvement des femmes en France. Je vois partout que l’on dit : les 40 ans du mouvement des femmes, en fait c’est en 68 que cela commence sous l’impulsion d’Antoinette Foulque avec Monique Wittig. Donc, déjà il y avait quelque chose d’intéressant parce qu’il y avait à la fois du politique, de l’analytique et de l’écriture qui était en jeu. Je dois dire qu’en 68, cela ne m’occupait pas. J’étais en train, moi, de créer l’Université de Paris 8, où je comptais bien que l’on ouvrirait le monde universitaire à une pensée moderne où devrait idéalement trouver sa place une réflexion sur les différences sexuelles dont on ne tenait aucun compte en littérature. Alors, en tant qu’écrivain et en tant qu’universitaire, je souffrais beaucoup d’être constamment obligée de m’enclore dans les limites académiques. Et en tant qu’écrivain, je me disais toujours : j’adore la littérature, j’adore Kafka, j’adore Joyce, etc., où sont les femmes ? Il faut dire, et ça, c’est une chose qu’il faut rappeler, que dans ces années-là, il y avait très peu de femmes écrivains sur la terre. Très peu. Je les comptais, elles étaient toutes sur mes étagères. Et j’étais toujours en train de guetter, vraiment internationalement, le livre de femmes, non pas que cela soit…

Marc Voinchet : Il y avait marguerite Duras,…

Hélène Cixous : Il y en avait deux ou trois.

Marc Voinchet : Marguerite Yourcenar,…

Hélène Cixous : Il y en avait deux ou trois femmes qui écrivaient et encore, certaines en déniant complètement alors le rapport au féminin. Non pas que je veuille que la littérature soit féminine, absolument pas ! D’ailleurs dans le « Rire de la Méduse »

Marc Voinchet : Vous parlez de Shakespeare, de Genet,…

Hélène Cixous : Absolument ! Mais pourquoi ! Parce que les hommes sont capables de femmes, ils sont complètement ouverts. Encore une fois je préfère toujours que l’on arrive à l’au-delà qui nous est promis et qui est justement l’humanité. C’est-à-dire les deux ensemble, multipliant les différences parce qu’il ne faut pas parler de la différence sexuelle mais des différences sexuelles au pluriel.

Marc Voinchet : Hélène Cixous, encore une fois pour bien comprendre le contexte, il faut aussi d’ailleurs citer Catherine Clément, qui est dans la mouvance qui vous impulse, encourage à écrire ce texte…

Hélène Cixous : Ça, ce n’est pas du…

Marc Voinchet : C’est raconté dans le livre…

Hélène Cixous : Catherine est une amie, comme vous le savez, on avait de grandes amies à l’école, nous sommes de jeunes femmes, mais ce n’est pas elle qui m’encourage. Nous sommes des femmes jeunes qui parlons entre nous, comme cela se fait toujours, de « qu’est-ce que c’est qu’être femme », c’est-à-dire avoir des difficultés de relation avec un univers où l’on voit bien que même si l’on est universitaire, même on est au sommet en apparence, on est toujours alibi, on est toujours refoulée, on est toujours marginalisée par un consensus majoritaire masculin. Donc, ça, ce sont des choses dont je parlais avec Catherine et bien d’autres. À ce moment-là, on a des amitiés qui sont des amitiés de secours, de solidarité et lorsque j’écris ce texte-là, c’est que – parce que 75, c’est relativement tard par rapport à 68 – depuis quelques années, alors même que j’ai créée l’université idéale en 68, je vois à Vincennes, se reproduire les mêmes modèles de répression, de marginalisation, etc., des femmes par les hommes et par les femmes parce que la misogynie n’est pas le propre des hommes.

Marc Voinchet : En un mot, Hélène Cixous, puisque nous arrivons à la fin de la première partie, mais rassurez-vous nous aurons du temps après le journal de 8h, c’était un texte de…

Hélène Cixous : D’urgence.

Marc Voinchet : Voilà, j’allais dire d’hommage à ce qui s’était fait, de rupture ou de…

Hélène Cixous : De rupture. De rupture et aussi parce que vous savez, ça aussi c’est la chose que maintenant on ne sait plus en Europe, mais qu’on sait parfaitement bien dans les pays du côté de l’Asie ou de l’Afrique, surtout en Asie, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de liberté sexuelle. Les femmes avaient un rapport à leur corps qui était un rapport catastrophique, ce que moi, fille de sage-femme, élevée dans la liberté des corps, j’ai découvert avec terreur en me disant : mais ces femmes sont séparées de leur corps ! Ça, tout le monde me le manifestait et je me suis dit, la première des choses à faire, c’est faire que le corps soit reçu avec tous les honneurs et avec toutes ses possibilités aussi bien en littérature, en texte, en philosophie que politiquement.

Marc Voinchet : C’est de tout cela qui fait « Le rire de la Méduse » que republie Galilée. 7h 55, Bonjour Olivier Duhamel.

Olivier Duhamel : Bonjour Marc Voinchet.

Marc Voinchet : Votre chronique aujourd’hui : « Inégalités dans tous les domaines »

Olivier Duhamel : Bonjour à tous. C’était il y a 100 ans, Clara Zetkin lançait l’idée d’une journée internationale des droits de la femme. C’était, il y a 64 ans, le Préambule de la Constitution de 1946 proclamait : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. » Ce principe fait partie de notre Constitution puisque le Préambule de la Constitution de 1958 s’y réfère. Des droits égaux dans tous les domaines, pas dans celui des revenus du travail, les femmes gagnent globalement 27% de moins que les hommes. Certes, c’est pour une part parce qu’elles travaillent moins, occupent 5 fois plus que des hommes des emplois à temps partiel, font moins d’heures supplémentaires, mais cela correspond rarement un choix libre de leur part. De plus, à poste et à expérience équivalents, une femme reste payée 10% de moins qu’un homme. Et si l’on défalque les interruptions de carrières, l’écart reste de 7%. Autrement dit, 7% de discrimination pure et absolue, moins payée exclusivement parce que femme ! Des droits égaux dans tous les domaines, pas dans celui des tâches domestiques, une femme y consacre en moyenne 3h 30/ jours, un homme 2h et l’homme bricole ou jardine pour l’essentiel quand la femme prend à sa charge le gros du ménage, de la cuisine, des soins aux enfants. Des droits égaux dans tous les domaines, pas dans l’accès aux fonctions de direction. 17% seulement des femmes dirigent des entreprises, plus fortement dit, 83% des chefs d’entreprise sont des hommes. Plus l’entreprise est importante, plus la discrimination s’accroît. Dans les instances dirigeantes, on compte de 95% d’homme à Carrefour, Véolia, Vinci, Vivendi, ArcelorMinttal, SMT Electronic, Lagardère, EADS, Vallourec, que des mecs ou presque. Des droits égaux dans tous les domaines, pas dans la fonction publique. On y trouve une majorité de femmes, 60%, mais 85% des emplois de direction sont occupés par des hommes, presque 90% dans la fonction publique d’État, plus encore dans la préfectorale, quasiment tous dans l’armée. Des droits égaux dans tous les domaines, pas dans les médias. Une enquête du CSA n’y décompte qu’un tiers de femmes à l’écran, seuls les arabes et les ouvriers sont plus mal traités. Des droits égaux dans tous les domaines, pas dans les prix littéraires, plus de 90% des Prix Goncourt ou des Prix Nobel de littérature ont été donnés à des hommes. Il est vrai qu’hors le jury du Femina, ce sont les hommes qui donnent le prix. Des droits égaux dans tous les domaines, pas chez les élus. 82% d’homme à l’Assemblée nationale, 78% au Sénat, 86% des maires, 89% des conseillers généraux, etc. Seules exceptions, les conseillers régionaux et les parlementaires européens, élus par des scrutins de liste, la parité s’y quasiment imposée. Nous nous étonnons pas alors si en France l’inégalité entre hommes et femmes est plus fortement perçue qu’ailleurs. 77% des Français et des Françaises la constatent, selon le dernier eurobaromètre rendu public en février, et cela n’est pas prêt de changer. Regardez le Conseil constitutionnel : 1 femme, 10 hommes, et regardez les dernières nominations, effectuées par trois hommes, trois présidents, de la République, de l’Assemblée nationale, du Sénat : ils ont choisi 3 hommes. Nul doute que Jacques Barrot, Hubert Haenel et peut-être même Michel Charasse, se disent partisans de l’égalité entre hommes et femmes, mais aucun d’entre eux n’aurait cédé sa place.

Marc Voinchet : Merci, Olivier Duhamel. Et bien, voilà un peu de grains à moudre, si j’ose dire, pour la seconde partie de l’émission, grâce à vous. C’est vrai que l’on pourrait se poser la question dans les entreprises : mais que font les DRH, par exemple ? Cela paraît…

Hélène Cixous : Très souvent, ce sont souvent des femmes.

Marc Voinchet : Oui, ce sont des femmes mais il y a aussi des hommes DRH, qu’est-ce que vous voulez, personne n’est parfait.

[Diverses annonces, journal, etc.]

Marc Voinchet : Je vois Alain-Gérard Slama qui vient d’arriver et qui est en train de mettre la dernière main à sa chronique. Hélène Cixous, - « Le rire de la Méduse et autres ironies », chez Galilée - nous faisions, en début d’émission, déjà une espèce au fond d’état des lieux du féminisme aujourd’hui, est-ce que quand vous regardez les espérances des années 70, est-ce que vous les considérez aujourd’hui - pardon du jeu de mots – comme les naufragées du fol espoir ?

Hélène Cixous : Non, je pense qu’il y a eu quand même évidemment de grands bonds en avant en particulier dans le domaine qui était verrouillé, qui était celui de la libération, si nécessaire, sexuelle. Et ça, nous le devons à la loi Veil. Ça, c’est évidemment un moment, une date absolument décisive. Donc, il y a, il y a eu un énorme progrès, en tout cas dans notre pays, dans ce domaine-là. Puis, cela s’arrête-là.

Marc Voinchet : Comment vous entendez ce mot, que l’on dit beaucoup aujourd’hui, on dit qu’il y a par rapport aux années 70, par rapports aux droits des femmes, à la situation des femmes, ce fameux bâclage, ce retour de bâton. Vous le constatez ?

Hélène Cixous : Oui.

Marc Voinchet : Il est beaucoup dit aussi par de jeunes femmes de la génération d’aujourd’hui.

Hélène Cixous : Oui. Oui, oui, tout à fait. Mais ça, je dirais que c’est la loi de tous les genres d’histoires. C’est-à-dire que chaque fois que l’on fait une avancée ensuite on fait quelques pas en arrière, ainsi procède l’humanité. Je veux dire que les lois sont indispensables, elles ne sont jamais suffisantes. On en a des exemples. Voilà ! Que les jeunes femmes, et j’en vois beaucoup d’exemple, surtout dans les journaux, parce que je pense que dans les journaux vont chercher ces jeunes femmes, ils pourraient en chercher d’autres, ils pourraient chercher des jeunes femmes plus éclairées…

Marc Voinchet : Vous pensez que c’est un peu orienté, quand on va chercher des témoignages...

Hélène Cixous : Ils vont chercher des jeunes femmes qui sont obscurantistes plutôt que des femmes qui sont éclairées parce qu’il y en a. donc, on a souvent, comme ça, le sentiment d’entendre des voix qui sont des voix, moi je dirais ultraréactionnaires, de femmes qui bénéficient des luttes qui les ont précédées, qui ont disposent de droits dont leurs mères te grands-mères ne disposaient pas, de libertés sans lesquelles elles ne pourraient pas s’exprimer et qui ont une sorte de discours que je considère comme profondément égoïste, mais c’est très banal, à l’égard des autres femmes de la même culture et des femmes en général. Parce qu’il ne faut pas quand même dire que si chaque pays a son niveau et sa figure de culture très précise, déterminée nationalement par une histoire, toute une archive, par exemple la nôtre est une archive républicaine, chaque communauté, chaque société de femmes a un devoir de solidarité à l’égard de toutes les autres mondialement. C’est-à-dire que je ne peux pas même pas imaginer par exemple que lorsqu’on tient un discours en France on oublie d’être responsable de ce qui est en train de se passer pour les femmes iraniennes, pour les femmes chinoises, pour les femmes pakistanaises, etc. Ça, ce me paraît comme quelque chose de terriblement régressif et très regrettable.

Marc Voinchet : Il faut se garder d’un effet national, selon vous, aux luttes des femmes et au féminisme aujourd’hui ?

Hélène Cixous : C’est national centré, c’est une forme de replis qui est vraiment déshonorant.

Marc Voinchet : Nous allons attaquer la ligne droite du débat, dans les Matins de France Culture, avec la chronique d’Alain-Gérard Slama. Bonjour Alain-Gérard.

Alain-Gérard Slama : Bonjour, cher Marc.

Marc Voinchet : Vous avez lu, le très beau « sexte » d’Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse et autres ironies », c’est entre autres un des mots forgés par d’Hélène Cixous, dans ce livre, dans la complicité que l’on sait aussi de la poétique, notamment de Jacques Derrida, il y en a bien d’autres, nus aurons l’occasion de les évoquer. Vous avez lu « Le rire de la Méduse », le titre de votre chronique : « Le rapport inversé ».

Alain-Gérard Slama : Oui, c’est sur la base de cette lecture, bien sûr, et en raison d’un point qui n’est pas vraiment aborder dans ce livre que je voudrais poser une question. Et si vous m’avez vu remanier mon texte, c’est que bien entendu sur un sujet pareil, le risque d’être lynché est toujours très grand quand on exprime surtout du point de vue qui est le mien, c’est-à-dire de quelqu’un qui n’est pas, vraiment pas, j’en ai peur, une femme. Alors, je voudrais rappeler ce matin une question de principe dont on a tort, selon moi, de modifier l’importance, de minimiser l’importance. Il est clair que la France a pris un retard considérable dans la promotion des femmes. Il est évident que le handicap quantitatif dont souffre la représentation féminine dans la vie politique, dans les grands groupes financiers et industriels est patent et qu’il doit cesser. Il doit cesser mais pas n’importe comment. Je crois que les discriminations positives, je viens à ce sujet brûlant, en la matière seraient la pire des solutions. Je vous interroge un peu là-dessus. Elles sont la pire des solutions parce qu’elles replacent une injustice par ne autre injustice. Le fait particulier d’être une femme l’emportant sur les critères généraux d’aptitude à une fonction. Elles seraient la pire des solutions parce qu’elles recourent à la contrainte. Elles sont la pire des solutions parce que les bénéficiaires de cette contrainte souffriront toujours de ne pas devoir leur promotion à leurs mérites mais à leur condition. Et elles sont la pire des solutions parce quelles confondent une condition juridique avec une condition biologique et que les différenciations des règles universelles du droit en fonction d’une appartenance revient à considérer comme des sujets de non-droit ceux qui ne relèvent pas de cette appartenance. La banalisation de critères d’ordre biologique tel que le sexe ou la couleur d’ailleurs pour imposer des distinctions juridiques est la négation même du principe d’égale dignité des êtres humains qui est à la clef de la démocratie. Alors, on nous dit, pour justifier les discriminations positives, qu’il s’agirait d’une solution provisoire destinée à rétablir précisément une égalité. Mais le contenu de la notion d’égalité est ici faussé puisqu’il s’agit d’une égalité purement numérique et on ne connaît pas dans notre pays de nouveau statuts qui soient restés provisoires de surcroît. Les États-Unis, plusieurs États, et même la Cour suprême, ont renoncé aux discriminations positives, quand la Cour suprême précisément s’est aperçue que loin de faire avancer l’égalité entre les groupes ethniques, cette mesure creusait l’écart entre ses bénéficiaires et le reste de la population noire. Alors, deuxième thème de mon propos, ce matin, cela sera donc une seconde interpellation, pour parler noble, je vous fais observer que dans les sociétés démocratiques développées, le pouvoir des femmes comme productrices de modes de consommation et même de valeur ne cesse de progresser. Je lisais tout récemment sr la couverture d’un magazine la question suivante : « La crise aurait-elle eu lieu si Lehman Brothers s’était appelé Lehman sisters ? »

Marc Voinchet : C’était dans Le Monde d’hier, la chronique de Langellier, excellente, oui…

Alain-Gérard Slama : L’excellent Langellier, bien sûr il disait : cum granu salis. De façon plus frappante encore, l’évolution des mœurs a inversé la figure classique de Casanova, vous savez, le col lectionnaire crispé. Dans la figure plus répandue aujourd’hui, de plus en plus répandue, de la collectionneuse tranquille, j’entends par là de la jeune femme émancipée, qui considère qu’une nuit n’engage pas au-delà de la nuit et même qu’un moment n’engage pas au-delà du moment. D’un côté je vois bien l’instrumentalisation terrible, terrifiante du corps féminin mais de l’autre je vois, pour ne pas y être insensible, le parti que nombres de femmes savent en tirer. Alors, il se peut que dans ces pratiques de plus en plus répandues persiste l’éternelle aspiration de la rencontre du prince charmant, mais enfin dans les faits ce sont aujourd’hui davantage les garçons qui rêvent de cocon, de durée et de mariage. Alors, cette inversion, ce renversement des mœurs se traduit, du moins c’est ce que je crois observer, par un certain renversement du rapport de dépendance entre les hommes et les femmes. Et mais ici évidemment je pense à un champ culturel bien précis, les démocraties occidentales, et cela va évidemment à l’encontre de ce que vous veniez de dire, la nécessité pour une femme de toujours penser la condition féminine en termes, je dirais, planétaires. Là je pense en termes vernaculaires. Dans un pays conservateur, comme la France, cette évolution peut expliquer les résistances, les blocages, les bâclages. Mais c’est là un blocage, à mon sens, lui alors pour le coup provisoire et résiduel appelé à disparaitre de lui-même avant que ne se trouve enfin un équilibre dont nous savons d’avance qu’il ne sera jamais sans heurts et sans conflits.

Marc Voinchet : Hélène Cixous, je vous vois prendre beaucoup de notes.…

Hélène Cixous : Je peux répondre ?

Marc Voinchet : Oui, je vous en prie, c’est le moment…

Hélène Cixous : Oui, je réponds volontiers. D’abord, je ne voudrais pas vous décevoir, mon cher Gérard, mais je ne suis pas en désaccord avec votre premier point. Je pense que la question de la discrimination positive demande réflexion, discussion, que c’est extrêmement compliqué.

Alain-Gérard Slama : Vous me ravissez.

Hélène Cixous : J’espère que ce n’est pas seulement parce que je e suis pas en désaccord avec vous. C’est très compliqué, je pense que votre argument : on répond à une situation dramatique et millénaire par une loi qui proposerait une égalité numérique qui correspondrait à une abstraction mathématique, est tout à fait juste. Je partage absolument ce point de vue, le problème c’est que nous devons être pragmatiques. Moi, personnellement je redis, et je redis, c’est bien pour ça que je déplace ma réflexion, je ne suis pas une femme politique, je suis une femme politique poétique, je suis bien contente d’ailleurs à traiter de choses qui sont moins éphémères et plus radicales par justement la littérature et la philosophie, donc je pense toujours que les lois sont un moindre mal et non pas un mieux. Lorsqu’on avance la loi pour la parité, je suppose que c’est à cela que vos pensiez, je suis très hésitante à cet égard. Je me dis que je suis obligée d’obéir au principe, qui est le principe éthique et le principe aussi du moindre mal. D’ailleurs le principe c’est le moindre mal. C’est peut-être que l’on ne peut pas faire autrement mais c’est un très mauvais signe que d’avoir une loi qui procède par un décret d’égalité numérique. D’ailleurs on le voit, cela ne marche pas, on la contourne, etc. Alors,…

Marc Voinchet : Cela dit, juste un mot Hélène Cixous, aux législatives de 2002, il y avait 12,5% de femmes élues. En 2007, 18,7%. Dans Alternatives économiques, qui est un excellent numéro de mars, hors série, un numéro consacré aux inégalités hommes/femmes, ils font ce constat : à ce rythme de progression-là, au nombre de sièges obtenu homme /femme, la parité sera atteinte à l’Assemblée dans 25 ans.

Hélène Cixous : Si l’on progresse de cette manière-là, si l’on peut dire.

Marc Voinchet : Oui, si en plus cela ne ralentit pas, on ne sait jamais.

Hélène Cixous : Est-ce que je peux rajouter justement que ceci est peut-être aussi un leurre, parce que j’ai bien connu tout ça ? Pourquoi ? Parce qu’à la base, on laisse entrer les femmes, dans tous les domaines. Au sommet, elles ne sont plus là. C’est le processus de décapitation, et toujours le même quoiqu’il arrive. Tous les chiffres que l’on nous adonné tout à l’heure le disent. Pour le moment, on est loin d’avoir changer. Je voudrais quand même introduire ici en hommage à son courage, la figure de Ségolène Royal, qui a été et qui continue à être trainée dans la boue, on fait comme si c’était pour des raisons politiques mais moi je pense que le fond…

Marc Voinchet : Vous pensez qu’il y a un fond très misogyne, macho, sur le jugement...

Hélène Cixous : Absolument ! Qu’il y a une véritable phobie à son égard, qui se manifeste évidemment en se déguisant, parce qu’en plus je dois dire que la phobie misogyne est lâche. Alors, je reviens à ce que disais mon interlocuteur de tout à l’heure, nous sommes dans des solutions de fortunes, on essaye de boucher les trous du rafiot mais c’est évident que ce n’est pas suffisant. Alors, la deuxième partie, après je vous dirais ce que je pense que l’on devrait pouvoir faire. L’histoire des garçons qui rêvent de mariage et de stabilité, etc. tout ce que vous avez dit m’a beaucoup intéressé mais alors là je me suis sentie en territoire étranger parce que personnellement je n’avance rien dont je ne sois pas témoin. Il y a des tas de domaine où je n’ai rien à dire parce que je ne sais pas, je n’ai pas rencontré les gens,… Les gens dont vous parlez, je ne les connais pas. Je ne sais pas du tout qui est ce peuple où les garçons rêvent de mariage et les femmes pas et où les femmes sont devenues des Don Juan ou des Casanova, ça je ne connais pas. Ce n’est pas du tout mon univers. J’en ai plusieurs mais celui-là, je ne le connais pas du tout, alors je n’ai rien à dire. Sauf que je me dis qu’il doit y avoir aussi une part soit de branchitude ou de fiction dans ces énoncés. Donc, je mets de côté, je ne peux pas répondre à ca. Mais pour revenir justement à la question de la loi, ce qui me distingue de ce que l’on a appelé en France le féminisme, c’est que je ne suis pas une adepte, une croyante, dans les effets magiques des lois. Je pense toujours que ce sont des outils de secours mais que nous, nous avons un travail de fond à faire, qui est infiniment plus complexe, qui n’est pas un travail d’actualité mais qui est un travail de temporalité sans fin, sempiternel. Ça, c’est un travail, si je voulais e concrétiser politiquement, c’est un travail d’éducation. Ce travail là, ce n’est pas la loi, si la loi dans la mesure où l’on devrait dans l’éducation nationale, aussi bien dans le primaire que dans le supérieur, faire faire un travail sur les questions de différences sexuelles, sur tous les mythes dont les femmes sont victimes, comme celui de la Méduse dont j’aimerais bien reparler, et sur les histoires de l’histoire de femmes, qui sont nombreuses et différentes selon les pays mais qui sont indispensables. Ça, je sais que cela existe par exemple en préparatoire. En préparatoire d’histoire, pour les écoles normales supérieures, il y a ça, il y a l’histoire du féminisme, c’est déjà ça. En fait on devrait commencer tout à fait à l’origine, dans les petites classes, et le poursuivre régulièrement, de même que l’on a introduit maintenant en histoire, -vous savez que l’on est en train de supprimer l’histoire, comme l’histoire est quand même un des facteurs qui permettent aux gens de se faire une opinion et d’être un petit peu plus intelligents, on est en train de l’éliminer – alors là, moi je pense que la seule réponse…

Marc Voinchet : Encore un point... Oui, je vous en prie, vous vouliez…

Hélène Cixous : Mais c’est ça, c’est-à-dire assez d’opinions, revenons à un petit peu d’héritage, d’archives, de pratiques des opinions de documents, de témoignage.

Marc Voinchet : De l’opinion mais tout de même Hélène Cixous, toutes les femmes ne sont pas, loin s’en faut, d’accord sur les moyens qu’il faudrait adopter pour lutter contre les droits bafoués, la question par exemple du religieux… Sur la question du signe religieux, je vous promets que nous parlerons de la Méduse, mais vous m’entrainez dans cette question-là, c’est intéressant parce que vous y faisiez aussi allusion tout à l’heure, avant la chronique d’Alain-Gérard, par exemple qu’elle serait votre point de vue ? On voit bien qu’il y a en France une sorte de majorité, de consensus pour dire hommes-femmes, pour dire qu’il faut sans doute légiférer sur la question de la burqa, la question des femmes voilées, qu’il faut sans doute surveiller cela aujourd’hui. Une dépêche AFP tombe ce matin, de Strasbourg, avec par exemple cet avis : l’interdiction de la burqa et du niqab ne libérerait pas les femmes opprimées mais pourrait au contraire aggraver leur exclusion, estime le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Dans ce point de ce point vue, rendu public dimanche, Thomas Hammarberg affirme que la burqa ne doit pas être interdite et que la diversité en Europe doit être protégée contre les réflexes islamophobes. Comment vous tranchez et comment vous analysez ce ébat-là, vous qui voyagez énormément de l’autre côté de la Manche, de l’Atlantique ?

Hélène Cixous : Je voudrais essayer de répondre de la manière la plus complexe. Il n’y a pas de réponse univoque. D’abord à propos des religions, c’est quand même un très gros problème, vous savez que dans toutes les religions qui sont pratiquées, sauf en Inde avec l’Indouisme, ce sont quand même des religions à Dieu masculin. C’est-à-dire que toutes les figures religieuses et toutes celles qui font la loi éthique etc., en particulier dans nos civilisations qui sont des civilisations abrahamiques, elles sont masculines, elles iconisent, si vous voulez, la divinité sous la forme toujours d’un Dieu masculin. D’une certaine manière, au fond toute personne qui entre en territoire soit musulman soit judéo-chrétien se trouve en territoire masculin. On a comme figures : le Christ, Isaac, Ibrahim, Abraham, etc. ça, c’est déjà une grosse question, toutes les femmes devraient se sentir concernée par ça. Je passe. Concernant les histoires de voiles, qui sont des histoires très, très complexes, alors…

Marc Voinchet : Oui, parce que certaines femmes disent il faut aider les femmes à ne pas être sous l’emprise du voile qui est le témoignage de leur soumission à leur religion, d’autres disent non, il faut laisser les gens faire…

Hélène Cixous : Bien sûr qu’il faut les aider.

Marc Voinchet : Qu’est-ce qu’il faut faire ?

Hélène Cixous : Comment les aider ? C’est là justement qu’il y a une discussion à produire. Je sais qu’en France majoritairement on est contre le voile, on le dite, etc. Nous sommes dans une tradition républicaine, nous sommes les descendants de la Révolution française, nous avons comme principe, qui est complètement intégré, qui fait partie de nous, qui a conduit aussi à une forme de colonisation de l’impérialisme français très particulier, très différent de celui de l’Angleterre, un modèle d’intégration, d’homogénéisation, d’uniformisation, tout le monde pareil, une seule langue, on a aussi éliminé les langues, et donc une laïcité. Moi, je n’ai rien à dire contre ça, je trouve ça admirable. Il faut quand même se rendre compte que dans les pays voisins où la tradition et la mémoire sont totalement différentes, j’arrive de Londres par exemple, j’étais au British-muséum, qui est un modèle de musée que nous devrions avoir en France, qui est grand ouvert, gratuit. Vous entrez, vous passez de la rue dans le musée et vous avez la foule cosmopolite parmi laquelle je vois un SDF avec un carton et plusieurs femmes voilées, certaines avec un costume que je ne connaissais pas, peut-être pakistanais ou indonésien, pas avec la burqa mais avec seulement les yeux visibles. Ces femmes sont là à regarder des nus grecs, etc., avec joie et personne ne leur fait la leçon. Les Anglais, les Allemands ne comprennent pas la façon dont les Français réagissent. Chacun évidemment son territoire, son histoire, son archive. Là, je dirais que du coup, il est vrai aussi que les Musulmans en France qui ont une autre archive peuvent ne pas comprendre pourquoi –moi je suis née en Algérie, quand j’étais petite, il y avait une grande partie des femmes Musulmanes qui s’habillaient à la française, une grande partie qui portaient le voile, le hidjab, quelque chose qui était très joli, un vêtement comparable à celui que l’on a en Inde,…

Marc Voinchet : Et que nos grand-mères, pour certains, les Italiennes pouvaient avoir aussi.

Hélène Cixous : Exactement. Nous, nous avons un problème qui est un problème de technique de la loi : qu’est-ce que l’on fait avec la burqa ? Vous savez, le principe se heurte très vite au principe de réalité. Par exemple, je me souviens que lorsqu’on a commencé à parler du voile, tout d’un coup les Siks ont été sommés d’ôter leur turban. Moi, je me disais : pauvres Siks ! Moi, cela ne me gêne pas qu’il ait une longue barbe et un turban. Donc, ce n’est pas si simple. Je pense qu’il faut faire un calcul. Si vraiment nous avons 2000 femmes qui portent la burqa, la première des réponses c’est l’éducation. Il faut créer partout, dans toutes les communes, des lieux pour les femmes où les choses puissent se discuter, où il y ait les moyens culturels où les femmes Musulmanes pour qui il est intolérable, comme j’en connais, que celles d’à côté se voile de cette manière caricaturale, puissent discuter entre elles. Est-ce que si l’on fait une loi sur la burqa on va pouvoir l’appliquer je n’en suis pas sûre.

Marc Voinchet : De même que les autres lois en l’occurrence pour es droits des femmes.

Hélène Cixous : Évidemment que le voile est une insulte aux femmes et la Méduse en est justement. C’est l’exemple le plus archaïque, le plus mythique. On l’a voilée de force, la Méduse, avec de pseudos serpents sur sa tête.

Marc Voinchet : Vous faites la transition exactement. Je vois que Cécile Ladjali m’a piqué mon livre, pour retrouver des passages qui sont annotés dans « Le rire de la Méduse ». Le rapport avec la Méduse, justement pour revenir aux sources de ce texte de 75, que publie Galilée, dont je disais en préambule qu’il a été souvent traduit, diffusé dans le monde entier, y compris en Iran, sous le manteau, vous me disiez Hélène Cixous…

Hélène Cixous : Oui.

Marc Voinchet : Comment on connecte cette journée du jour, toutes les questions afférentes à ce jour à ce fameux « Le rire de la Méduse » ?

Hélène Cixous : Je dois dire que ce n’est pas un calcul…

Marc Voinchet : Non, non, oui…

Hélène Cixous : Alors, disons ceci, la Méduse c’est une figure très importante que j’ai essayé de réhabiliter. Je rappelle très, très rapidement l’histoire, c’est une des trois Gorgones, qui était considéré dans l’Antiquité comme redoutable aux hommes, c’est-à-dire que l’homme ne pouvait pas la regarder sans être saisi et pétrifié. Pétrifié pourquoi ? Parce que la Méduse a un regard, un regard perçant. Déjà, c’est très important. La Méduse vous voit.

Marc Voinchet : Alain-Gérard Slama recul sur son siège…

Hélène Cixous : Elle a beaucoup d’autres pouvoirs. C’est une femme d’ailleurs, on l’oubli parce qu’on se dit que c’est quelque chose de répugnant. Elle est même enceinte au moment où on la tue. Ce qui n’est pas rien ! Elle est mortelle, c’est une des trois Gorgones mais elle est la seule à être mortelle, et elle va être massacrée pour faire plaisir à tout un aréopage de rois et autres, dont le principal est Persée, qui est le modèle même - comme Thésée, le Thésée d’Ariane etc. – du misogyne classique de l’Antiquité. Et on disait –Freud interprète ça d’une manière extrêmement forte en remarquant justement que si les hommes sont pétrifiés lorsqu’ils voient la méduse, c’est qu’en fait ils sont raidis, ils réagissent à la menace de la castration en ayant une érection, une érection qui n’est pas de jouissance parce qu’elle reste toute raide, comme dans une caricature…

Marc Voinchet : Du coup, il faut tuer la Méduse, lui couper la tête…

Hélène Cixous : On lui coupe la tête, on ne lui coupe pas autre chose que la tête parce qu’il faut décapiter la femme menaçante. Moi, je pense que la Méduse est une image remarquable de ce que les hommes n’analysent pas lorsqu’ils sont misogynes –encore une fois la misogynie n’est pas le privilège des hommes, les femmes aussi sont très souvent misogynes – c’est exactement la réaction inanalysée d’une phobie qui se manifeste lorsqu’on est en face d’une femme qui a de la force et qui donc vous voit tel que vous êtes.

Marc Voinchet : Cécile Ladjali, vous avez le livre en mais.

Cécile Ladjali : Dans votre livre, « Le rire de la Méduse », Hélène Cixous, vous revenez à Nietzsche, qui dans l’origine de la tragédie énonce « Le crime sera masculin » et vous, vous ajoutez : « Le crime mais pas la faute » parce que le crime est du côté de l’homme et la faute du côté de la femme. Puis après, vous citez Électre qui est dans un étrange entre-deux, est-ce que pour s’émanciper, échapper à sa condition de femme, la femme doit devenir une criminelle, avec tout le scandale que cela suppose, passer à l’action et dans son action, en tuant peut-être effrayer l’homme ?

Hélène Cixous : Alors, ça, évidemment, je suis absolument non violente.

Cécile Ladjali : C’est une métaphore.

Hélène Cixous : Oui. Là, je pense que nous sommes exactement dans l’imagerie admirable, dont nous descendons, où tout est cliché. Ce sont des clichés fondamentaux qui ont une vérité. Électre et toutes ces jeunes femmes étaient des filles de pères. Il n’y a pas de fille de mères dans les grands classiques. Ça, c’est très important. C’est-à-dire qu’elles n’aiment pas la mère.

Hélène Cixous : Oui. Là, je pense que nous sommes exactement dans l’imagerie admirable, dont nous descendons, où tout est cliché. Ce sont des clichés fondamentaux qui ont une vérité. Électre et toutes ces jeunes femmes étaient des filles de pères. Il n’y a pas de fille de mères dans les grands classiques. Ça, c’est très important. C’est-à-dire qu’elles n’aiment pas la mère.

Cécile Ladjali : Elle la déteste.

Hélène Cixous : Elle n’aime pas la mère et là je reviens à quelque chose d’absolument essentiel, c’est qu’une des ouvertures qu’il faut absolument entretenir, c’est le bon rapport au maternel, qui est si peu pratiqué. Je connais ça depuis toujours, j’ai toujours été très saisi de découvrir à quel point fils et filles pouvaient se retourner contre celle qui leur a donné la vie. Bien sûr on a le fantasme de la mauvaise mère. Quand on est dans un rapport de violence, d’agressivité, dans une pulsion de mort à l’égard du maternel, de la mère, on dira que la mère est criminelle, elle veut me tuer, elle ne veut pas me donner la vie, etc., etc. ce que j’ai vu justement chez les jeunes femmes que l’on a interviewées dans les journaux. Ce sont des femmes qui détestent la mère. Pourquoi ? Elles se croient supérieures à la mère ? Mais elles mêmes sont virtuellement, comme toute femme et comme la plupart des hommes, mère en puissance. Les hommes aussi ont du maternel. Il y aurait une révolution à faire si l’on travaillait sur les liens, les rapports de ce que je considère moi comme l’idéal à viser pour l’humanité, qui est l’amour ou l’amitié. On en manque ! N’en parlons pas de la sphère politique, chaque fois que je regarde ça, je me dis : mon Dieu, c’est la fosse aux bêtes sauvages ! On fonctionne à la haine.

Marc Voinchet : Si vous deviez écrire un texte aujourd’hui, imaginons que l’on vous dise : Hélène Cixous, faites un deuxième, si j’ose dire, « Rire de la Méduse ». vous l’écrieriez un peu de la même façon, sans changer un mot ou vous ajouteriez d’autres chose ? Vous définiriez d’autres priorités puisque vous venez de dire qu’il y avait une révolution à faire il faudrait que l’on mette l’accent davantage sur l’amour et l’amitié ?

Hélène Cixous : Je pense que d’une part j’ai bien fait d’écrire cela à ce moment-là parce que je ne l’aurais pas écrit ensuite. Il faut avoir une très, très grande colère. La colère, une fois qu’elle s’est exprimée, qu’elle a coulé dans une forme, elle ne va pas se répéter. Elle a fait œuvre.

Marc Voinchet : Le livre a été traduit dans le monde entier, c’est ce qu’il faut préciser. Des traductions diverses et variées. On en a oublié l’original !

Hélène Cixous : C’est un livre symptôme parce qu’il est traduit vraiment dans tous les pays du monde. Au début cela m’énervait d’ailleurs parce que j’étais précédée, partout où j’allais, par la Méduse. Je me disais : elle exagère, elle me double celle-là. Puis, elle m’a appris des choses. Par exemple, elle m’est revenue par vagues, disons tous les 5 ans, d’un autre pays. Je me disais, ça, c’est drôlement intéressant. Je me rappelle de ma surprise, il y a 7-8 ans, en voyant arrivaient des tas de Coréennes, qui étaient des profs universitaires, qui avaient mis au programme « Le rire de la Méduse et autres textes ». Quand elles me parlaient, je me disais : tiens, les Coréennes sont en ce moment en 70. C’était en 2000.

Marc Voinchet : C’est un marqueur de temps, qui vous permet de repérer l’état des sociétés.

Hélène Cixous : Absolument ! En ce moment, ce sont les Chicanas aux États-Unis, au Mexique, qui sont maintenant à ce moment d’urgence où « Le rire de la Méduse » répond à quelque chose de leur urgence. Donc, de ce point de vue-là, c’est extrêmement intéressant. Et comme je vous le disais, effectivement ces textes ont été traduits en persan, d’ailleurs par des hommes, qui sont de grands écrivains et qui vont l’étudier dans la clandestinité. Je reviens à ce que maintenant je ferai, eh bien, je le fais en fait mais je le fais en fiction. Je ne le fais pas par appel et manifeste mais par des textes où j’insiste énormément, non pas que cela soit mon projet, parce que mon projet est d’écrire, de faire des phrases qui nous amènent plus loin que ce que notre pensée arrive à élaborer de manière consciente. Donc, je veux aller au-delà. Mais, un de mes personnages principaux de mes textes, c’est ma mère, qui est dans sa centième année, et qui est pour moi l’exemple d’une héroïne, sans héroïsme, c’est-à-dire d’une force extraordinaire, totalement naturelle. Mon dernier livre s’appelle « Elle s’évade », c’est quelqu’un qui justement reconquière constamment une liberté. Alors, je pourrais dire que cela a commencé quand elle était jeune parce qu’elle était une Allemande sous le régime nazi, et que cela continue maintenant où à 100 ans, elle cherche à échapper, à surmonter les lois de l’humanité, c’est-à-dire l’extrême vieillesse, la difficulté de maintenir une dignité, un intérêt, de faire vie avec des moyens extrêmement réduits.

Marc Voinchet : Il est des femmes pour dire, c’est intéressant ce que vous dites-là, que la vieillesse est un des impensés du féminisme.

Hélène Cixous : Là aussi, je ne sais pas. Ces énoncés généraux je ne sais jamais d’où ils viennent. Ce que je sais c’est que cela rejoindrait un petit peu ce que je disais quant au regard que l’on porte vers la mère où à l’amour qu’on ne lui porte pas, qu’on lui refuse, qu’on lui dénie. Mais je pense que la vieillesse, c’est certainement, pour moi en tout cas, c’est… Autre fois, le continent noir, c’était (manque un mot) féminine, maintenant je pense…

Marc Voinchet : Vous faites un sort au continent noir dans « Le rire de la Méduse ».

Hélène Cixous : Oui parce que c’était l’expression qui était employée très généralement à cette époque-là, en provenance de la psychanalyse et par la psychanalyse de l’époque, c’est-à-dire le mystère de la sexualité féminine. Maintenant, je dois dire que pour moi le continent noir c’est celui que moi-même je ne connais pas, c’est-à-dire celui du très grand âge qui est celui que nous ne connaissons jamais. C’est le plus difficile à connaître. Il est devant nous, il nous attend. Les très vieilles personnes en général on ne les écoute plus, on leur ôte la parole. Elles ont une parole, une parole différente. Par ailleurs, nous-mêmes n’avons pas l’expérience, nous sommes devant des Himalaya de grandeurs qui nous sont inaccessibles. Nous devons absolument tout faire pour les explorer.

Anne-Marie Beauvau ( ?) : Juste une question. Que pensez-vous de la phrase, très généreuses, du grand poète palestinien, Mahmoud Darwich : « Demain sera féminin » ?

Hélène Cixous : C’est un remake merveilleux de Rimbaud. Le poète a toujours dit ça et moi je me dis : maintenant, il faut que le futur soit présent.

Marc Voinchet : Jacques Derrida avait dit : « Un de ces quatre, elles y arriveront ». Elles y sont arrivées ou pas ?

Hélène Cixous : Non. Comme je vous l’ai dit, nous sommes en route. Le chemin est encore long mais il y a chemin.

Marc Voinchet : On va célébrer bientôt l’entrée à l’Académie française de Simone Veil, qui dans Le Journal du Dimanche ne va pas par quatre chemins en disant qu’elle s’est très bien comment elle est, et elle a été une femme alibi. Et si vous n’êtes pas très farouche Hélène Cixous, je vous invite à lire, dans Le Monde 2, les circonstances qui l’on fait élire grâce à Jean d’Ormesson, qui est un homme d’ailleurs dont le féminin n’est pas à démontrer, de l’élection à l’Académie française de Marguerite Yourcenar, c’est lui qui l’avait voulue. Mais alors les commentaires qui entouraient cette élection étaient terribles. Claude Lévi-Strauss disait qu’elles étaient contraires aux règles de la tribune, encore là cela va à peu près. André Chanson considérait qu’elle était réactionnaire donc qu’il ne fallait pas l’élire. Et surtout, Albert Cohen avait déclaré au micro de Jacques Chancel, qu’étant si grosse et si moche, elle ne saurait être un grand écrivain. C’est grave, c’est quand même un grand écrivain Albert Cohen !

Hélène Cixous : Écoutez, cela veut dire qu’il faut réviser la lecture que l’on fait d’Albert Cohen en se rendant compte qu’il ne peut pas ne pas être aussi misogyne dans ses écrits. Après tout on peut poser des questions aux écrivains et à leur responsabilité. Maintenant, je vais plutôt faire référence à quelqu’un qui est un immense écrivain, Flaubert, dont toute la correspondance s’adresse à sa muse, Louise Colet, qui est aussi un écrivain, il faut dire un écrivain mineur, et à laquelle il prêche constamment d’être un homme. Seule un homme peut-être un écrivain, il le dit avec une splendeur infinie, il ne dit pas qu’elle est grosse et moche. Cependant, le pas en avant qu’il fait, c’est qu’il dit que l’écrivain doit être une âme. Alors, soyons des âmes.

Marc Voinchet : Alors soyons des âmes et soyons les autres, si je vous ai bien lu, dans « Le rire de la Méduse ». [Remerciements et autres annonces]



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