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Maurice Blanchot, signataire du "Manifeste des 121"

« Qui se heurte, en écrivant, à une vérité qu’écrire ne pouvait respecter est peut-être irresponsable, mais doit d’autant plus répondre de cette irresponsabilité […] : l’innocence qui le préserve n’est pas la sienne, elle est celle du lieu qui l’occupe et qu’il occupe fautivement, avec lequel il ne coïncide pas ».

Fragments biographiques et bibliographiques relatifs à Maurice Blanchot, par Taos Aït Si Slimane, Texte intialement publié sur mon blog Tinhinane, le lundi 12 décembre 2005 à 16 h 11.

Pour connaître Blanchot : « Sa vie est entièrement vouée à la littérature et au silence qui lui est propre » disait-il, il vaut mieux plonger dans son œuvre (cf. ci-dessous sa bibliographie) : « L’œuvre est solitaire : cela ne signifie pas qu’elle reste incommunicable, que le lecteur lui manque. Mais qui la lit entre dans cette affirmation de la solitude de l’œuvre, comme celui qui l’écrit appartient au risque de cette solitude ». Il y a également une autre façon de le rencontrer, même partiellement, plonger dans les six cents pages de l’essai biographique de Christophe Bident ou rechercher les abondants articles de Blanchot, depuis Le Journal des Débats jusqu’à la NRF, en passant par Critique, Les Temps modernes, l’Arche et d’autres revues.

Maurice Blanchot est né le 22 décembre 1907 à Quain (Saône-et-Loire). Il est décédé, le jeudi 20 février 2003, à son domicile du Mesnil-Saint-Denis (place des Pensées) dans les Yvelines (78) en Ile-de-France. Il repose au cimetière du Mesnil-Saint-Denis avec Anne Blanchot née Wolf (1910-1997). Fils d’un professeur de lettres, né dans une famille catholique rurale aisée, il eut pour prénom celui du saint du jour de sa naissance.

Après un baccalauréat obtenu en 1922, il fit des études (allemand et philosophie), 1923-25, à Strasbourg où il se lia d’amitié avec Emmanuel Levinas, immigré lituanien, qui l’initia à la pensée de Husserl et de Heidegger. Blanchot dira : [...] Emmanuel Levinas, le seul ami - ah, ami lointain - que je tutoie et qui me tutoie, cela est arrivé, non pas parce que nous étions jeunes, mais par une décision délibérée, un pacte auquel j’espère ne jamais manquer. » A propos d’amitié, la réponse de Maurice Nadeau (Journal en public, 2006, page 216) à la question : Vous étiez un ami de Maurice Blanchot [...] est très éclairante. Il répond : Un ami ? Certes, mais il a lui-même suffisamment parlé de « l’amitié » pour qu’on analyse la nature des relations qu’on appelle « l’amitié ». « ... Sait-on quand elle commence ? Il n’y a pas de coup de foudre de l’amitié, plutôt un peu à peu, un lent travail du temps. On était ami et on ne le savait pas. » Les liens qu’avaient Blanchot avec Bataille ou Lévinas ne sont pas de même nature que ceux qu’il eut avec Dionys Mascolo, Robert Antelme, Louis-René Des Forêts ou moi-même. Et ceux qu’il avait avec ces amis qui furent aussi les miens, ne sont pas non plus les mêmes qu’avec moi. Il a écrit qu’on tutoie les camarades, qu’on vouvoie les amis. Nous avons été camarades dans certaines actions communes et pourtant il ne m’a jamais tutoyé. Il va de soi que, de ma part, cela ne m’est jamais venu à l’esprit. Je pourrais me féliciter qu’il m’ait toujours vouvoyé si, à part le seul « ami » à qui il ait jamais dit « tu », son camarade de jeunesse Emmanuel Levinas, il n’y avait tous les autres, les habituelles relations de tout commerce humain.

Après Strasbourg, il poursuivit, en 1930, des études supérieures à la Sorbonne (Paris) : La conception du dogmatisme chez les sceptiques et des études de médecine à Sainte-Anne, spécialisation en neurologie et psychiatrie qui ne seront pas sanctionnées par un diplôme. En 1935, bien qu’ayant entrepris des études de médecine, Maurice Blanchot était plus attiré par le journalisme et commençait déjà à publier des petits articles. Premier texte en juin 1931 dans la Revue française : François Mauriac et ceux qui étaient perdus. Ses premières collaborations littéraires se feront avec des journaux de droite et même pour des revues d’extrême droite maurrassienne. Blanchot célèbre « le génie de Maurras » et n’a pas de mots assez durs pour Léon Blum, ce « métèque » : « Il représente exactement, ce qui est le plus méprisable pour la nation à laquelle il s’adresse, une idéologie arriérée, une mentalité de vieillard, une race étrangère », écrivait Blanchot dans « l’Insurgé » en 1937. La violence de ses textes s’inscrivait dans un contexte idéologique propice à ce qui deviendra, aux yeux de Blanchot, le péché majeur : l’antisémitisme. Critique littéraire et chroniqueur de politique étrangère au Journal des Débats, puis rédacteur en chef. Il entre au Rempart (qui s’arrêtera en fin de la même année) de Paul Levy en 1933. Blanchot et Paul Levy se retrouvent en 1934 Aux écoutes. Rédacteur en chef, 1935-36, il écrit le Dernier mot et L’Idylle 1936. Il cessera cette forme de militantisme en 1938. En 1940, il rejoint Jeune France, association vichyste. Mais bien avant la fin de la guerre, il met fin à cet engagement. Cité par son biographe Christophe Bident, il dit : « l’homme change d’autant plus que, se jugeant plus changé qu’il ne l’est, lorsqu’il se retourne vers un passé qu’il repousse, il ne veut plus reconnaître dans cette lutte d’autrefois au milieu de la nuit qu’une complaisance malsaine pour la nuit, dans cette volonté ténébreuse qu’une faiblesse, un jeu et une expérience sans sincérité et sans valeur ». A la fin de la guerre, le judaïsme, Auschwitz et la Shoah deviendront pour Blanchot « événement absolu de l’histoire, historiquement daté (...), toute brûlure où toute l’histoire s’est embrasée, où le mouvement du Sens s’est abîmé... ».

1940 fut également l’année de la rencontre avec Georges Bataille (avec qui il aura des liens fondamentaux) et Denise Rollin (sa future femme). En décembre Paulhan (qui l’avait reçu à Gallimard dès 1940) le conseille à la N.R.F. (Nouvelle revue française). En 1941, paraît son premier livre Thomas l’obscur. En novembre 1941 Blanchot et sa sœur sauvent Paul Levy, qu’ils préviennent de son arrestation imminente... Ils mettent également en sûreté la femme et la fille d’Emmanuel Levinas. En 1942, paraît son roman « Aminadab » (prénom d’un frère de Levinas fusillé en Lituanie par les nazis). En 1944, il sera sauvé in extremis des balles nazies par ses amis résistants.

Blanchot fera d’autres rencontres importantes : Dionys Mascolo en 1943 et Robert Anthelme en 1953. A l’Automne 1945, il fut membre du jury du Prix des Critiques. En 1946 il collabore à L’Arche, aux premiers numéros des Temps Modernes, à la revue Critique. Vers la fin de l’année 1946, Blanchot s’installe à Èze. De 1946 à 1958, ses articles deviennent plus denses. Il collabore à la Nouvelle Revue Française et crée son espace littéraire. C’est aussi l’époque de ses prises de position contre la guerre d’Algérie ; en 1958 (antigaulliste farouche- ce qui le sépara momentanément de Paulhan -, opposé à toute idée d’homme providentiel), il rejoint le comité d’action contre la guerre d’Algérie fondé en 1955.

Bien que retiré de la vie publique, Maurice Blanchot interviendra dans le domaine politique au cours des décennies suivantes.

A partir de février 1960, la presse stigmatise, comme des traîtres à la communauté nationale, les membres d’un « réseau de soutien » à la lutte de libération de l’Algérie arrêtés par la police, qu’anime le philosophe Francis Jeanson, ancien gérant des Temps modernes et bien connu pour son combat anticolonialiste.

Dès juin 1960, Maurice Blanchot et Dionys Mascalo, un des fondateurs du Comité d’action des intellectuels contre la poursuite de la guerre d’Algérie, élaborent la déclaration sur le droit de l’insoumission dans la guerre d’Algérie qui sera amendée lors de premiers contacts (Marcel Péju, Claude Lanzmann, Jean Pouillon, Pierre Vidal-Naquet,…). Le projet de texte validé, ils passèrent tout l’été 1960 à recueillir les signatures individuellement - notamment par l’équipe des Temps modernes et celle des Lettres nouvelles -, de ceux qui paraissent susceptibles de s’y associer. Tous les noms qui comptent sur la scène intellectuelle et artistique ont signé. Le 6 septembre, avec les 121 noms (qui seront rapidement rejoints par quelques dizaines d’autres) déjà obtenus, la Déclaration est « rendue publique » - aucun organe légal d’information ne se risquant à la publier. Elle circule de mains en mains, dénoncée comme un appel à la désertion par une les médias, tandis que ses signataires se voient inculpés les uns après les autres. Le « Manifeste des 121 » amplifiera la visibilité et la « publicité » du procès du « réseau Jeanson ». Maurice Blanchot signe également en 1999, la pétition « LE 17 OCTOBRE 1961 : POUR QUE CESSE L’OUBLI » dont la première liste de signataires a été publiée dans Libération le 19 octobre 1999.

Tout en se donnant pour le Manifeste des 121, Maurice Blanchot travail avec détermination au projet de la Revue international lancé, notamment par Dionys Mascalo, entre 1960 et 1964. Il publie le Manifeste des 121 avec Mascolo et Schuster, des écrivains comme Marguerite Duras, Italo Calvino, Pasolini, Genêt, Edgar Morin, et René Char y proposent des textes. L’expérience échouera au bout de quatre ans, ce qui désespéra Blanchot.

Le 19 mars 1962, le cessez-le-feu est déclaré en Algérie, l’indépendance effective sera proclamée le 5 juillet. Le 8 juillet 1962, Blanchot perdra un ami très proche, Georges Bataille (né à Billom le 10 septembre 1897). En 1970 il perd sa compagne, Denise Rollin, et son frère René. Son ami Emmanuel Levinas mourra en 1995, peu avant Marguerite Duras et Dionys Mascolo.

A partir de 1964, une correspondance suivie (jusqu’à la mort de Blanchot) le liera à Jacques Derrida.

En 1966, il signe l’appel à la constitution de « comités de soutien au peuple vietnamien ».

Lorsque éclate mai 68, Maurice Blanchot manifeste, publie des tracts, participe même à une nuit de barricades, participe aux réunions du comité « Ecrivains/Etudiants » qui siégeait, à Censier, aux côtés de Daniel Antelme, Claude Roy,Marguerite Duras,… « Nous ne sommes plus des manifestants, nous sommes des combattants », proclamera-t-il. Dans l’allocution prononcée lors de l’incinération de Blanchot Jacques Derrida dira : « ... au même moment, en mai 68 donc, Blanchot était de tout son être, corps et âme, dans la rue, radicalement engagé, comme il le fut toujours, dans ce qui s’annonçait comme une révolution. ».

Dans les années 90, il quitte un de ses éditeurs, Fata Morgana, lui reprochant d’avoir publié un livre d’Alain de Benoît, théoricien d’extrême droite. La Quinzaine Littéraire du 1er novembre 1996 (relayée par le Monde et d’autres quotidiens) fait état des échanges entre Fata Morgana et Maurice Blanchot, ce dernier demandant à Bruno Roy de choisir entre lui et Alain de Benoist, nouvellement publié par la maison d’édition.

En 1996, il signa la pétition pour la reconnaissance couple homosexuel, et celle de la désobéissance civile contre les lois Debré en 1997.

La signature en 2002 d’une pétition « Pas en notre nom » contre la guerre d’Irak, aura été le dernier geste politique publique de Maurice Blanchot.

Biographie


- Thomas l’obscur, roman, Ed. Gallimard, 1941, réed. Ed. Gallimard, Coll. L’Imaginaire, 1950, ISBN 2-07-072548-0. Cette deuxième version est plus réduite.

- Aminadab, roman, Ed. Gallimard, Coll. L’imaginaire, 1942, ISBN 2-07-077029-X

- Faux pas, essai, Ed. Gallimard, Coll. Blanche, 1943, ISBN 2-07-020731-5

- Le Très-haut, roman, Ed. Gallimard, 1948, ISBN 2-07-071447-0

- L’Arrêt de mort, récit, Ed. Gallimard, Coll. L’Imaginaire, 1948, ISBN 2-07-029699-7. La rééd. de 1971 ne contient pas la fin du récit publié en 1948.

- La Part du feu, essai, 1949

- Lautréamont et Sade, essai, 1949 qui devient en 1973, La Folie du jour.

- Au moment voulu, récit, Ed. Gallimard, Coll. Blanche, 1951, ISBN 2-07-020735-8

- Celui qui ne m’accompagnait pas, récit, Ed. Gallimard, Coll. L’Imaginaire, 1953, ISBN 2-07-073438-2

- L’Espace littéraire, essai, Ed. Gallimard, Coll. Folio, 1955, ISBN 2-07-032475-3

- Le Dernier Homme, récit, Ed. Gallimard, Coll. Blanche, 1957, ISBN 2-07-020738-2

- Le Livre à venir, recueil d’essais, Ed. Gallimard, Coll. Folio, 1959, ISBN 0-07-032397-8

- L’Attente, l’oubli, récit, Ed. Gallimard, Coll. L’Imaginaire, 1962, ISBN 2-07-075838-9

- L’Entretien infini, essai, Ed. Gallimard, Coll. Blanche, 1969, ISBN 2-07-026826-8

- L’Amitié, essai, Ed. Gallimard, Coll. Blanche, 1971, ISBN 2-07-028044-6. Dédié à la mémoire et à la mort de Georges Bataille.

- Le Pas au-delà, récit, Ed. Gallimard, Coll. Blanche, 1973, ISBN 2-07-028786-6

- De Kafka à Kafka, essai, Ed. Gallimard, Coll. Folio, 1981, ISBN 2-07-032843-0

- Après coup, 1983

- participe en 1986 à un ouvrage collectif sur Nelson Mandela.

- Penser l’Apocalypse, 1987

- En 1996, sont réédités Les intellectuels en question et Pour l’amitié.
- L’Instant de ma mort, récit, 1994

Pour en savoir plus, lire également :


- Maurice Blanchot partenaire invisible, Christophe Bident, Ed. Champ Vallon. 1998, ISBN 2 87673 253

- Un témoin de toujours, hommage de Jacques Derrida, lors de l’incinération de Maurice Blanchot, lundi 24 février 2003

- site Maurice Blanchot et ses contemporains : http://www.mauriceblanchot.net/blog/



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