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Michel Leiris, signataire du "Manifeste des 121"

Résumé biographique et bibliographique de Michel Leiris, par Taos Aït Si Slimane. Un texte initialement publié sur le mon blog Tinhinane, le vendredi 5 août 2005 à 15 h 15.

Le résumé biographique, ci-dessous, ne respecte pas l’ordre chronologique et n’est pas thématique. Autour d’une ossature souple, noueuse, rhizomique, il y a de multiples variations. De la vie de Leiris, je vous livre des constellations, des amas d’étoiles, quelques planètes, des queues de comètes,… un ciel riche mais orageux imparfaitement visible. Michel Leiris fut un acteur et un réflecteur des événements majeurs (littérature, arts, politique) de son temps. Il aurait fallu avoir son talent pour faire émerger de la succession des dits ci-dessous une fresque esthétique, poétique. Il avait l’art de combiner, harmonieusement, la narration et l’analyse. Les mots et les idées se déployaient, sous sa plume, en toute liberté, sa pensée et son imaginaire s’étaient, très tôt, affranchis des carcans et des règles inhibitrices.

Pour plus d’informations et vérification des diverses citations, lire, prioritairement, son œuvre, l’art autobiographique ayant constitué une partie importante de son activité littéraire, cf. Bibliographie ci-dessous.

Poète, ethnographe, critique d’art et essayiste, satrape (à partir du 8 septembre 1955) du Collège de Pataphysique, Julien Michel Leiris est né le samedi 20 avril 1901 dans le quinzième arrondissement de Paris (41 rue d’Auteuil). Hospitalisé à l’hôpital américain de Neuilly (du 7 au 20 novembre 1989) suite à une crise cardiaque, il est décédé le dimanche 30 septembre 1990, à 9 h 15 du matin, dans sa maison de Saint-Hilaire (Essonne). Incinéré au crématorium du Père-Lachaise, ses cendres ont été placées dans le caveau où reposent Lucie (1882-1945) et son mari Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), Jeanne Godon, Louise Alexandrine Leiris (née Godon le 22 janvier 1902 à Paris), dite Zette, épouse de Michel Leiris. Louise était la fille « naturelle » de Lucie Godon qui avait trois sœurs plus jeunes : Jeanne (1886-1973), Berthe dite Béro (1893-1984), qui épousera en 1925 le peintre Élie Lascaux (1888-1968) et Germaine (1896-1918). Louise fut confié à ses grands-parents et à sa tante Jeanne à Sancerre, on la passa pour la cinquième des filles Godon, la quatrième n’étant que de six ans son aînée. Quand Daniel Henry et Lucie Kahnweiler revinrent à Paris en février 1920. Ils firent venir, auprès d’eux, Louise Godon, qui passait toujours pour la sœur de sa mère. Seuls quelques proches dont Picasso connaissaient la réalité qui fut révélée à Michel Leiris lors de son mariage avec Louise, en 1926. Dans leurs écrits, Kahnweiler et lui respectèrent le secret familial, qui ne fut dévoilé qu’après la mort des concernés (Daniel Henry et Lucie Kahnweiler et Louise et Michel Leiris), à l’occasion de la parution du Journal 1922-1989, en 1992.

Son grand-père paternel Jacques Eugène Leiris (1819-1893), employé de commerce, avait pris part aux journées de juin 1848 et avait été déporté en Algérie. Son grand-père maternel, Jean-Marie Caubet (1822-1891), discipline d’Auguste Comte et franc-maçon, était haut fonctionnaire et chef de la police parisienne.

Sa mère, Marie-Madeleine née Caubet (1865-1956), catholique fervente, avait fréquenté la Sorbonne, parlait couramment l’anglais mais n’exerça aucune fonction rémunérée. Son père, Eugène Leiris (1855-1921), travailla dès l’âge de quatorze ans. Il fut agent de change d’Eugène Roussel (1833-1894) puis de son successeur Jacques Sargenton. Caissier des titres de ce dernier, il sera, quelques années plus tard, son fondé de pouvoirs. Etabli à son compte, il fut alors l’homme d’affaires de Raymond Roussel [1] (fils d’Eugène Roussel). Eugène Leiris décéda, le 16 novembre 1921, des suites d’une opération de la prostate. Max Jacob qui s’était retiré, fin juin 1921, au couvent des bénédictins de Saint-Benoît-sur-Loire, adressa, le 18 novembre 1921, ses condoléances à Michel Leiris qui venait de perdre son père. Ce fut la première des lettres qu’il lui adressa (deux par mois) au cours des deux années qui suivront. Les soixante-six lettres, dont cinquante-deux de novembre 1921 à décembre 1923, conservées par Leiris ont été publiées par Christine Van Rogger Andreucci.

L’oncle Léon Caubet (1860-1917), parrain de Michel, fut successivement acteur de mélodrame, chanteur de café-concert et jongleur dans un cirque. Il égayait toute la famille et eut une grande influence sur son neveu qu’il initia au cirque, au music-hall, à la magie… et lui fit découvrir Charlot.

Eugène et Marie Leiris qui avaient perdu une fille, Madeleine, élevèrent quatre enfants : trois fils, Jacques, Pierre (dont les deux fils, François et Henri, décéderont au combat en novembre 1944), Michel et leur nièce Juliette, marraine de Michel. Elle fut, pour lui, une sœur aînée, une seconde mère mais aussi, grâce à son excellente mémoire, celle qui lui permettait de vérifier l’exactitude de ses souvenirs d’enfance. Juliette épousa, le 2 juin 1910, Gustave Jannet (1883-1935). Le couple vint habiter Paris, près de chez les Leiris, Michel pu ainsi continuer à voir sa sœur tous les jours.

Les parents de Michel Leiris s’installèrent, en 1904, au 8 rue Michel-Ange, dans un quartier d’Auteuil. De 1906 à 1909, Michel fréquenta, jusqu’à la classe de neuvième incluse, l’école privée mixte de la rue Michel-Ange. Au mois d’octobre 1909, il entra au cours Kayser-Charavay, avenue Montespan, pour une année scolaire. A la rentrée scolaire d’octobre 1910, il commença sa classe de septième, et l’année d’après sa sixième, au cours Daguesseau, dirigée par l’abbé Llobet, rue Boileau. Puis, octobre 1912, il intégra le lycée Janson-de-Sailly, dans le quartier de Passy, pour y suivre les cours de cinquième. En juillet 1914, Michel termina sa quatrième avec le deuxième prix de français et le premier prix de récitation. L’année d’après il fréquenta le lycée avec un zèle décroissant. En juillet 1916, il obtint, à la fin de sa classe de seconde, les premiers prix de composition française et d’exercices latins mais, pour raison disciplinaire, il du quitter le lycée Janson-de-Sailly. Au mois d’octobre 1916, il entra à l’école Vidal de la rue de Passy, pour y suivre la classe de première. Michel eu en juillet 1917, la première partie du baccalauréat latin-langues avec l’indulgence du jury. Il retourna, en octobre 1917, au cours Kayser-Charavay pour suivre sa classe de philosophie. Il échoua, en juillet 1918, à la deuxième partie du baccalauréat. L’été 1918, les Leiris s’installèrent au 2 rue Mignet dans le seizième arrondissement de Paris. Michel suit des cours de philosophie dans une école privée, « école Descartes ou Pascal ». Il repassa, le 28 octobre 1918, la deuxième partie du baccalauréat (philosophie) qu’il obtint « tant bien que mal ».

En 1919, Michel Leiris fit deux tentatives comme employé de commerce aux magasins Peter Robinson et chez le commissionnaire Max Rosambert, travail qu’il abandonna rapidement. Durant l’automne 1920 il prépara l’examen d’entrée à l’Institut de chimie. Le 15 décembre 1921, Michel Leiris commença un service militaire au fort d’Aubervilliers puis à l’Institut Pasteur, où il vint à bout de ses deux ans de conscription. Il habitait encore chez sa mère (rue Mignet) et préparait pour la forme un certificat de chimie. Le 15 décembre 1923, libéré du service militaire, il mit fin à ses études de chimie : « J’obéis à ma vocation - et renonçant aux vagues études que j’avais poursuivies jusqu’alors - je quittai le laboratoire où j’avais fini mon service [...], décidé à consacrer toute mon activité à la littérature ». Le 17 février 1923, Max Jacob prévint Leiris qu’il avait utilisé ses lettres pour le caractère d’un personnage d’un roman en cours (parut en mars 1924) « L’Homme de chair et l’homme reflet », où l’on peut lire : « Maxime [Lelong] croyait de son devoir d’être ingénieur-chimiste [...]. Il se détestait, se regardait aux glaces pour se détester davantage, rageait contre ses vêtements pauvres [...]. Il souffrait de tout sans se l’avouer ou en le criant trop pour qu’on le prît au sérieux ».

Quelques années plus tard, dans L’âge d’homme, le premier livre autobiographique de Michel Leiris, on put lire son autoportrait dès la première page : « Je viens d’avoir trente-quatre ans, la moitié de la vie. Au physique, je suis de taille moyenne, plutôt petit. J’ai des cheveux châtains coupés court afin d’éviter qu’ils ondulent, par crainte aussi que ne se développe une calvitie menaçante. Autant que je puisse en juger, les traits caractéristiques de ma physionomie sont ; une nuque très droite, tombant verticalement comme une muraille ou une falaise (...) ; un front développé, plutôt bossué, aux veines temporales exagérément noueuses et saillantes (...). Mes yeux sont bruns, avec le bord des paupières habituellement enflammé ; mon teint est coloré ; j’ai honte d’une fâcheuse tendance aux rougeurs et à la peau luisante. Mes mains sont maigres, assez velues, avec des veines très dessinées ; mes deux majeurs, incurvés vers le bout, doivent dénoter quelque chose d’assez faible ou d’assez fuyant dans mon caractère. Ma tête est plutôt grosse pour mon corps ; j’ai les jambes un peu courtes par rapport à mon torse, les épaules trop étroites relativement aux hanches. Je marche le haut du corps incliné en avant ; j’ai tendance, lorsque je suis assis, à me tenir le dos voûté ; ma poitrine n’est pas très large et je n’ai guère de muscles. J’aime à me vêtir avec le maximum d’élégance ; pourtant, à cause des défauts que je viens de relever dans ma structure et de mes moyens qui, sans que je puisse me dire pauvre, sont plutôt limités, je me juge d’ordinaire profondément inélégant ; j’ai horreur de me voir à l’improviste dans une glace car, faute de m’y être préparé, je me trouve à chaque fois d’une laideur humiliante »

Au mois d’octobre 1926, Michel Leiris était représentant en librairie (pour les Éditions Brossard et les Éditions du Trianon), métier qui l’ennuyait mais lui laissait le temps d’écrire. Il adhéra au syndicat CGT des V.R.P. (voyageurs représentants placies). Il entra à Documents (revue fondée, en 1929, par Georges Bataille, Georges Henri Rivière, Carl Einstein et qui était financée par le marchand d’art Georges Wildenstein), le 3 juin 1929, comme secrétaire de rédaction, succédant à un poète, Georges Limbour, et précédant un ethnologue, Marcel Griaule (1898-1956). À vingt-huit ans, ce fut son premier emploi stable. Il y restera salarié jusqu’à sa retraite, en 1971.

Au mois d’août 1929, Leiris fit la connaissance, à Documents de Marcel Griaule qui revenait d’Ethiopie. Une rencontre décisive pour sa carrière d’ethnographe. En mai 1929, il prit « la décision de [se] mettre un peu au courant des questions ethnographiques (ses premières lectures ethnographiques remontaient à 1924) et sociologiques », « pour voir si la théorie de Marx est confirmée, quant à la formation de notre mentalité, par ce que l’on sait ou croit savoir de la mentalité des « primitifs » (qui peut-être ne le sont pas) ». Avec l’appui de Georges Henri Rivière, sous-directeur du musée d’Ethnographie du Trocadéro depuis 1929, Leiris fut officiellement recruté, en janvier 1931, par Marcel Griaule en tant qu’homme de lettres et étudiant en ethnologie faisant fonction de secrétaire archiviste de la Mission ethnographique et linguistique Dakar/Djibouti. Durant la mission, il était, également, prévu qu’il enquêta sur les sociétés d’enfants, les sociétés séniles et les institutions religieuses. Dans son article L’œil de l’ethnographe écrit le 17 novembre 1930, pour Documents, il était question de la Mission Dakar-Djibouti. Il évoqua Raymond Roussel et ses Impressions d’Afrique, exalta la science ethnographique et exposa les raisons de son départ « accomplissement de certains rêves d’enfance et façon de lutter contre la vieillesse et la mort ». En mars 1931, il rédigea les Instructions sommaires pour les collecteurs d’objets ethnographiques, conçues par Griaule à partir des cours de Marcel Mauss, destinées aux administrateurs, aux colons et aux voyageurs des territoires que devaient traverser la mission.

La mission comprenait, en 1931, six personnes. Quatre y participèrent jusqu’à la fin : Marcel Griaule (chef de la mission), Marcel Larget (naturaliste, chargé de l’intendance et second de la mission), Michel Leiris (secrétaire archiviste), Éric Lutten (enquêtes sur les technologies et prises de vue cinématographiques) ; deux n’y participeront que quelques mois : Jean Mouchet (études linguistiques) et Jean Moufle (enquêtes ethnographiques). Quatre autres la rejoignirent ultérieurement : André Schaeffner (musicologue), Abel Faivre (géographe et naturaliste), Deborah Lifchitz (1907-1943), linguiste, qui deviendra une amie de Michel et Louise Leiris et Gaston-Louis Roux, recruté sur la recommandation de Leiris comme « peintre officiel de la Mission » chargé d’étudier et collecter des peintures éthiopiennes anciennes et d’en exécuter des copies. À ces dix personnes, il faut ajouter Abba Jérôme Gabra Mussié (1881-1983), lettré éthiopien mis à la disposition de la mission par son gouvernement durant le deuxième semestre 1932. Sur place, la mission recruta du personnel autochtone (jusqu’à plusieurs dizaines de personnes : « boys », muletiers,...).

Dès l’embarquement sur le Saint Firmin, il nota : « 19 mai 1931, départ de Bordeaux à 17h 50. Les dockers placent un rameau sur le Saint Firmin pour indiquer que le travail est fini. Quelques putains disent au revoir aux hommes d’équipage avec qui elles ont couché la nuit précédente ». Pendant les deux ans que dura la mission, Michel Leiris nota, quotidiennement, différentes choses qui le touchèrent (mouvements d’humeur, rêves, préoccupations personnelles, rapports aux Africains…) tout en demeurant attentif au cadre de la mission officielle (observations ethnographiques). Il faut noter que dès l’été 1910, durant le séjour de la famille Leiris à Martigny-les-Bains (Vosges), où Pierre (frère de Michel) jouait du violon dans un orchestre, le père (Eugène) encouragea Michel, qui n’avait pas encore ses dix ans, à écrire ses impressions de voyage et ses mémoires. Quatre ans après, en 1914, Michel envoya à son père le journal où il relatait ses faits et impressions, son père lui reprocha sa façon d’écrire.

Michel Leiris adressa à sa femme les pages de son journal de route en précisant qu’elles restent « strictement confidentielles » (Lettre du 11 août 1931 citée dans L’Afrique fantôme) et de nombreuses autres lettres. Lorsque les notes devinrent relativement abondantes et que l’idée de les publier « s’imposa » à lui, il rédigea un « Avant-propos » (placé au milieu du livre) dans lequel il expliqua le tour personnel qu’il avait donné à ses carnets de route : « C’est en poussant à l’extrême le particulier que, bien souvent, on touche au général ; en exhibant le coefficient personnel au grand jour qu’on permet le calcul de l’erreur ; en portant la subjectivité à son comble qu’on atteint l’objectivité ». La décision de publier son journal prise, Leiris rédigea, au début du deuxième trimestre 1932, deux projets de préface. Il demanda à Louise Leiris et à Kahnweiler de prendre contact avec Malraux ou Paulhan chez Gallimard. En janvier 1933, Kahnweiler lui répondit : « Cette espèce de répercussion - de « wechselwirkung » [interaction] - Michel - l’Afrique - les nouvelles d’Europe - les compagnons de voyage - comme tous ces éléments s’influencent mutuellement, c’est infiniment curieux et passionnant ».

Sur le D’Artagnan, qui le ramenait de Djibouti vers Marseille, du 7 au 17 février 1933, il nota : « ayant tué au moins un mythe : celui du voyage en tant que moyen d’évasion ». De retour à Paris, il eut du mal à se réadapter, à la vie parisienne : « constatant qu’un changement d’horizon n’entraîne pas forcément un changement intérieur ». Il habitait, avec sa femme, encore chez sa mère, rue Wilhem. Attaché au département d’Afrique noire du musée d’Ethnographie, il était « muséographe » après avoir été « explorateur&nbsp ».

En Mars 1933, il publia dans Masses, une revue mensuelle d’action prolétarienne, un article sur La Jeune ethnographie, de tendance « dialectique et matérialiste ». Il commença à suivre régulièrement les cours de Marcel Mauss à l’École pratique des hautes études et à l’Institut d’ethnologie. Au printemps 1933, sur recommandation de Kahnweiler, il remit son journal de route intitulé Voyage en Afrique à André Malraux qui lui demanda un titre moins terne. Il trouva rapidement L’Afrique fantôme. Sa publication provoqua la rupture entre Michel Leiris et Marcel Griaule.

Du 1er juin au 29 octobre 1933, le « butin » de la Mission Dakar-Djibouti fut exposé au musée d’Ethnographie. Le 1er juin, parurent deux premiers numéros de Minotaure. Le n°1 comprenait un fragment de L’Afrique fantôme. Le n°2, composé par Leiris, était entièrement consacré à la mission. Dans le N°1, juillet 1933, de Commune, Paul Nizan (1905-1940) écrit dans la revue de l’A.É.A.R. [2], que « les préoccupations esthétiques » de Minotaure « justifient le caractère impérialiste de la mission Dakar-Djibouti ». L’un des principaux buts, collette d’objets, de l’expédition confiée à Marcel Griaule était atteint. Les nombreux objets qui ont « garnis », durant des années, la section africaine de la collection permanente du Musée de l’Homme [3], provenaient de cette mission. Une collecte que Michel Leiris décrivait sans phare, tout en s’y prêtant : « Le carnet d’inventaire s’emplit. Il ne nous est pas encore arrivé d’acheter à un homme ou une femme tous ses vêtements et de le laisser nu sur la route, mais cela viendra certainement » y compris l’épisode des vols des kono (kono : fétiche auquel les indigènes accordaient d’immenses pouvoirs, et son vol par les membres de la Mission constituait à leurs yeux un sacrilège : « depuis le scandale d’hier, je perçois avec plus d’acuité l’énormité de ce que nous commettons ».

Michel Leiris, fut recruté, en juillet 1933, comme boursier puis aide technique à la Caisse nationale des sciences - englobée dans le C. N. R. S. en 1939 - et attaché au musée d’Ethnographie du Trocadéro : « C’est tout naturellement que je trouvai ma place dans cet établissement et me mis en devoir d’acquérir les diplômes propres à légitimer ce qui était devenu ma profession de fait [...]. Plus tard [...] je reviendrais à la littérature lorsque j’aurais longuement mâché et remâché cette dérision : à savoir que l’ethnographie n’a abouti qu’à faire de moi un bureaucrate ».

Durant le deuxième trimestre 1934, Leiris publia dans des revues scientifiques françaises et américaine, ses premières articles en tant que « chercheur africaniste ». En juillet de la même année, il fut chargé du département d’Afrique noire du musée d’Ethnographie, fonctions qu’il quitta à sa demande en 1948. Son mémoire sur la langue secrète des Dogons présenté à l’École pratique des Hautes Études fut ajourné par Louis Massignon (1883-1962), qui lui reproche de procéder par « explosions successives de pensée » et non par enchaînements discursifs. Il le présenta à en juin 1938. Entre temps, en janvier 1935, il commença à suivre les cours sur les religions primitives de Maurice Leenhardt à l’École pratique des hautes études et, à partir du mois de novembre, une licence de lettres à la Sorbonne. Le 16 juin 1936, il eut son certificat d’histoire des religions (option religions primitives), mention bien et le 21 novembre de la même année un certificat de sociologie. En juin 1937, il décrocha son certificat d’ethnologie (options linguistique et Afrique Noire), mention bien et le 21 d’octobre le diplôme d’amharique (langue, appartenant au groupe sémitique, parlée en Éthiopie – où elle a le statut de langue officielle - par une grande majorité de la population, soit comme langue maternelle soit comme langue seconde ou véhiculaire. Elle s’écrit à l’aide d’un alpha syllabaire dérivé du guèze.) de l’École nationale des Langues orientales vivantes, mention bien.

Au printemps de l’année 1938, désormais licencié ès lettres, Leiris fut nommé directeur de service au Laboratoire d’ethnologie du Muséum national d’Histoire naturelle. Il acheva ses études supérieures entreprise à son retour d’Afrique par l’obtention, en juin 1938, du diplôme de l’École pratique des Hautes Études, section des sciences religieuses, sur la langue de la société des hommes chez les Dogons de Sanga.

Au mois d’octobre 1940 (jusqu’en avril 1941), il fut chargé, par intérim, du département d’Afrique blanche et Levant du musée de l’Homme. Au mois d’août de cette même année, le linguiste Boris Vildé (1908-1942), l’anthropologue Anatole Lewitsky (1901-1942) et la bibliothécaire Yvonne Oddon (1902-1982) créèrent le « secteur Vildé » du réseau de résistance dit « du musée de l’Homme ». Paul Rivet y adhéra aussitôt. Leiris entretint des rapports cordiaux avec le groupe, sans en faire partie, notamment pour préserver la sécurité et les intérêts de Kahnweiler et de la galerie Simon (cf. plus loin dans le texte). Michel Leiris et son épouse abritèrent, sans aucune réserve, Deborah Lifchitz, juive d’origine polonaise, dans leur appartement de la rue Eugène-Poubelle. Le premier numéro de leur journal clandestin Résistance parut le 15 décembre, ronéoté chez Paulhan. Sur dénonciation d’un employé du musée de l’Homme, Anatole Lewitsky et Yvonne Oddon furent arrêtés le 10 février 1941 et Boris Vildé, le 26 mars 1941, à Paris. La police allemande perquisitionna au musée et arrêta de nombreux membres du personnel qui furent ensuite relâchés. La veille, Rivet s’était enfui de l’appartement du musée qu’il occupait encore. Il gagna l’Amérique du Sud et ne revint en France qu’après la guerre. Le 23 février 1942, Boris Vildé et Anatole Lewitsky et cinq autres membres du réseau du musée de l’Homme furent fusillés au Mont-Valérien. Yvonne Oddon, condamnée à mort, fut déportée en Allemagne, à Ravensbrück. Elle sera libérée en 1945.

En janvier 1943, Leiris obtint sa nomination en tant que chargé de recherche au C.N.R.S. Il assura, 1945-46, le cours d’ethnologie des Noirs d’Afrique à l’École de la France d’outre-mer, « métier de professeur [...] dont j’ai tant horreur : « si je pensais encore en termes de psychanalyse, je dirais que cela tient à mon dégoût général pour tout ce qui me met en position de père ». En 1947-1948, il assura l’intérim du cours d’ethnographie de l’Afrique noire à l’Institut d’ethnologie. Durant l’année 1948, il fut déchargé, à sa demande, de la direction du département d’Afrique noire du musée de l’Homme. Denise Paulme, le remplaça.

En 1960, Michel Leiris participa à la fondation et à la direction des Cahiers d’études africaines publiés par l’École pratique des hautes études (VIe section). En Juillet 1960, il fut l’un des premiers signataires de la « Déclaration sur les droits à l’insoumission dans la guerre d’Algérie » (Manifeste des 121), publiée en septembre dans différents périodiques qui furent saisis, vingt neuf des signataires, dont Leiris, furent inculpés de provocation à l’insoumission et à la désertion. Le 25 octobre 1960, année de l’accession à l’indépendance des colonies françaises d’Afrique noire et de Madagascar, une commission paritaire du C.N.R.S. s’est réunie en conseil de discipline pour examiner le cas des chercheurs signataires du Manifeste des 121. Pour sa défense, Leiris affirma la vocation de l’ethnologue à défendre les peuples qu’il étudie et dont il est « l’avocat désigné, celui qui plus que quiconque doit s’attacher à faire admettre leurs droits, sans excepter le droit de lutter à leur tour pour se constituer en nation ». Le 7 décembre, un blâme lui fut infligé. Il se rendit, à la même période, à Amsterdam pour témoigner en faveur de Michalis Raptis (1911-1996), membre fondateur de la IVe Internationale, accusé de confection de faux papiers et de fausse monnaie et de trafic d’armes au bénéfice des Algériens. En janvier 1961, quelques mois après la sanction dont il venait d’écoper après la signature du « Manifeste des 121 » il fut promu maître de recherche au C.N.R.S.

Sur les conseils de Jean Rouch, Leiris, postula, au mois d’août 1967, au grade de directeur de recherche au C.N.R.S (ce qui lui permettait de prolonger de trois ans sa carrière). Il établit ses Titres et travaux à la troisième personne : « conçue d’abord comme un moyen de dépaysement intellectuel, puis choisie comme second métier, l’ethnologie est aujourd’hui pour Michel Leiris une activité qui lui paraît intimement liée à son activité littéraire » et cita ses recherches sur la langue des Dogons, le culte des zars et l’art africain, facilitées par son expérience de poète et de critique. « De tout ceci, il résulte que Michel Leiris souhaite mener aussi longtemps qu’il en aura la faculté les deux activités conjuguées qui sont pour lui comme les deux faces d’une recherche anthropologique au sens le plus complet du mot : accroître notre connaissance de l’homme, tant par la voie subjective de l’introspection et celle de l’expérience poétique, que par la voie moins personnelle de l’étude ethnologique ». Il fut nommé directeur de recherche en janvier 1968.

Durant l’année, 1969, Leiris assura avec Robert Jaulin et Jean Malaurie la critique des théories d’ethnologie dans le cadre de l’enseignement « critique » et « polémique » donné à la Sorbonne, à l’initiative de Robert Jaulin, parallèlement aux cours officiels d’ethnologie.

Son bureau au Musée de l’Homme lui fut supprimé, au mois d’août 1984, une mesure rapportée le 30 septembre par l’assemblée des professeurs du Muséum national d’histoire naturelle, après les protestations et pétitions du personnel du musée. Au mois de janvier de l’année suivante Leiris fit don, au Musée de l’Homme, de ses archives relatives à l’ethnologie et à sa carrière d’ethnographe. Le 7 janvier 1988, un verrou fut posé sur la porte de son bureau. Il n’y revint plus.

A l’automne 1986, parut le premier numéro de Gradhiva, revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie, fondée par Leiris et Jean Jamin.

Le nom de Leiris est mêlé à certains courants de pensée qui ont marqué l’histoire de la littérature et des arts au XXe siècle. Très tôt lié à Kahnweiler, André Masson et connaisseur éclairé d’art moderne - il acheta à 23 ans une œuvre de Max Ernst [La Grande roue orthochromatique qui fait l’amour sur mesure, achetée par Leiris à la vente de la collection Paul Eluard, Hôtel Drouot, 2 juillet 1924] - Leiris fut l’un des observateurs les plus aigus de la vie artistique française et l’un de ses acteurs par les nombreux textes qu’il consacra à André Masson (un des premiers), Joan Miró, Alberto Giacometti, Pablo Picasso (que Leiris rencontra à la Galerie Simon au printemps 1924), Wifredo Lam et Francis Bacon (dont on peut considérer qu’il était le « découvreur »), des plasticiens à qui il avait consacré assidûment des textes du début des années vingt jusqu’à la fin des années quatre-vingt. Fondateur, avec Georges Bataille et Ronger Caillois, du « Collège de sociologie », « La Critique sociale » (1931-1934) de Souvarine, avec Sartre, un des fondateurs de la revue « Les Temps modernes » en 1945, il prenait acte à l’histoire politique de son temps. Il dénonçait ce qui entravait la reconnaissance de l’autre et la communication interculturelle. Il signait les pétitions et les déclarations collectives. Il voyagea en Chine, assista au Congrès des intellectuels à La Havane en 1968. Membre, pendant quelques mois, du P.C. en 1927. Il présida avec Simone de Beauvoir, l’association des amis du journal maoïste « La Cause du peuple ». Il s’associa au mouvement de 1968. Dès le début du mois de mai, Simone de Beauvoir, Colette Audry, Jean-Paul Sartre, Michel Leiris et Daniel Guérin appelèrent « tous les travailleurs et intellectuels à soutenir moralement et matériellement le mouvement de lutte engagé par les étudiants et les professeurs ». Leiris participa activement au comité d’action du musée de l’Homme et occupa avec quelques collègues l’appartement directorial où logeaient indûment le ministre de l’intérieur Christian Fouchet et sa femme, action qui se termina au poste de police. Il prit part à l’assemblée constitutive du « Comité d’action étudiants écrivains », participa à la « prise de l’hôtel de Massa » (siège de la Société des gens de lettres), signa le manifeste créant l’Union des écrivains (15 juin) et contribua avec, entre autres, Sartre, Jacques Monod, Alfred Kastler et Laurent Schwartz, à la constitution d’un comité pour la liberté et contre la répression policière… Je vais essayer de revenir, un peu plus en détail, sur chacune de ces grandes « aventures » dont celle du surréalisme.

En Février 1907, Daniel Henry Kahnweiler (1884-1979), né à Mannheim dans une famille juive aisée, ouvrit à Paris, rue Vignon, la galerie Kahnweiler. Il devint rapidement l’un des premiers marchands d’art moderne et, plus tard, l’expert et l’historien du cubisme. Au deuxième semestre 1907, Kahnweiler fit la connaissance de Picasso et dans son sillage, celle de Max Jacob, Braque, Juan Gris (arrivé à Paris en septembre 1906), Fernand Léger, Guillaume Apollinaire (1880-1918). En 1909, Kahnweiler édita « L’Enchanteur pourrissant », d’Apollinaire, avec des gravures de Derain. Ce fut le premier livre d’une série de quarante-deux livres que Kahnweiler édita de 1909 à 1968. Des livres illustrés par « ses peintres » et tirés à une centaine d’exemplaires. Dans les années 1920, il publia plusieurs auteurs débutants : Malraux (illustré par Léger), Radiguet (deux livres illustrés par Henri Laurens et Juan Gris), Artaud (par Lascaux), Salacrou et Tzara (par Juan Gris), Limbour, Leiris, Desnos et Bataille (illustré par André Masson).

Quand l’Allemagne déclara la guerre à la France le 3 août 1914, Daniel Henry Kahnweiler refusa de combattre son pays d’adoption dans l’armée allemande. Il demeura en Italie où il était en vacances puis se réfugia à Berne avec sa compagne, depuis 1904, Lucie Godon, qu’il n’épousa qu’en 1919 en raison de l’hostilité de la famille Kahnweiler à ce mariage.

À Paris, la galerie et ses œuvres furent décrétées « biens allemands » et firent l’objet d’une mesure de séquestre de guerre. Sa collection, séquestrée durant la guerre, fut mise en vente, 13-14 juillet 1921, à Drouot. Il y eut quatre ventes : huit cents peintures de Picasso, Braque, Derain, Vlaminick, vendues à vil prix (dont beaucoup furent achetées par Breton - devenu conseiller artistique et littéraire de Jacques Doucet -, Tzara, Éluard et Salacrou), des sculptures, des dessins et les livres invendus. Une cinquième vente, 7-8 mai 1923, concerna les biens privés de Kahnweiler.

Associé à André Simon, Kahnweiler ouvrit, le 1er septembre 1920, près de Saint Augustin, au 29 bis rue d’Astorg dans le treizième arrondissement de Paris, la galerie Simon, qui se substitua à la galerie Kahnweiler. Il engagea Louise Godon pour le seconder dans le secrétariat, l’administration et la gestion quotidienne de la galerie. Au premier semestre de l’année 1921, Kahnweiler rencontra Élie Lascaux par l’intermédiaire de Max Jacob. Chez Élie Lascaux, il admira deux toiles d’André Masson, qu’il rencontra à son tour. Lascaux et Masson entrèrent peu après à la galerie Simon. Il eut, du 25 février au 8 mars 1924, une première exposition personnelle d’André Masson à la galerie Simon. André Breton, Louis Aragon et Paul Éluard firent, à cette occasion, la connaissance du peintre et probablement de Leiris. Breton achète « Les Quatre éléments », tableau peint au début de l’année qu’il considérera « comme un des premiers tableaux surréalistes, disons présurréalistes » (André Masson, « Vagabond du surréalisme », Éditions Saint-Germain-des-Près, 1975). Le 7 mars, accompagné de Leiris, Raymond Roussel visita l’exposition puis l’atelier de Masson, à qui il acheta un tableau. Il y eut également une deuxième exposition d’André Masson à la Galerie Simon du 8 au 20 avril 1929.

Les Kahnweiler s’installèrent, au début du mois de mars 1921 au 12 rue de la Mairie (actuelle rue de l’ancienne Mairie), à Boulogne-Billancourt. Présenté, à la fin de l’année 1922, par Masson à Kahnweiler, Leiris fit la connaissance de Louise Godon. Il se rendit, avec Masson et ses amis, aux « dimanches de Boulogne » des Kahnweiler dont il devint assidu à partir de l’été 1923. Chez les Kahnweiler, on rencontrait le critique d’art Maurice Raynal (1884-1954), les peintres Juan Gris et sa femme Josette (1892-1983) - voisins des Kahnweiler depuis avril 1922 - et Élie Lascaux et son épouse Berthe (sœur de Lucie Godon), Suzanne Roger et son mari André Beaudin, le sculpteur Jacques Lipchitz, le musicien Erik Satie, le dramaturge Armand Salacrou et sa femme Lucienne, les écrivains et poètes Antonin Artaud, Charles-Albert Cingria (1883-1954), Max Jacob, André Malraux (qu’avait rencontré Leiris chez Max Jacob) et sa femme Clara, le futur architecte Le Corbusier, ainsi que Tual et Limbour. Plus tard, on y verra Tzara et Desnos (amené par Leiris). A partir du début 1926, les « dimanches de Boulogne » seront limités aux couples Kahnweiler, Leiris, Masson et Lascaux et ils cesseront après la mort, à Boulogne-Billancourt, de Juan Gris le 11 mai 1927. Malgré leurs différences (âge, tempérament, goût), Kahnweiler et Leiris nouèrent des liens d’estime mutuelle. Au début du mois d’août 1925, Leiris partit avec les Kahnweiler et Louise Godon pour Antibes, où étaient André et Odette Masson, « Diversion délicieuse : je me détendis, elle et moi nous causâmes beaucoup » et le 7, « à peine arrivés sur la Côte, nous nous fiançâmes ». Durant le séjour, Breton lui rendit visite. Le 2 février 1926, Louise et Michel se marièrent à Boulogne-Billancourt. Le couple s’installa dans une chambre préparée pour eux dans la maison des Kahnweiler, où Leiris n’était pas à l’aise, se sentant coupable tant à l’égard de ses amis artistes et écrivains que de sa nouvelle famille. Désormais époux de la collaboratrice de Kahnweiler et parent et ami de ce dernier, il mit « un point d’honneur à ne jamais s’immiscer dans les choix de la galerie ». Le 25 septembre 1930, suite au décès, à Sancerre, de la mère de Lucie Kahnweiler, sa sœur, Jeanne Godon, vint habiter chez les Kahnweiler à Boulogne, Michel et Louise Leiris les quittèrent pour s’installer chez Marie Leiris au 12 rue Wilhem dans le XVIe arrondissement de Paris. Au premier trimestre 1934, ils emménagèrent au 2 rue Eugène Poubelle dans le même arrondissement.

Dès septembre 1933 Leiris et Kahnweiler estimèrent que la guerre était certaine. Le 12 juin 1940, les Kahnweiler quittèrent Paris et rejoignirent les Lascaux à Saint-Léonard-de-Noblat. Ils vivent au lieu-dit le « Repaire l’Abbaye » jusqu’en 1943, où parents et amis leur rendirent visite : les Leiris, André Beaudin, Suzanne Roger, les Queneau, Georges Henri Rivière, Georges Limbour, Jacques Baron, Patrick Waldberg. C’est au Repaire l’Abbaye que Kahnweiler écrivit son Juan Gris. Revenus à Paris à la fin du mois d’août 1940, les Leiris s’installèrent, en septembre, à Boulogne-Billancourt, afin d’en assurer la garde.

Réunis à Vichy, le 10 juillet 1940, par 569 voix contre 80, le Parlement (la Chambre des députés et le Sénat) vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain qui instaura, le lendemain, l’État français. La France était, depuis l’entrée en vigueur de l’armistice le 22 juin 1940, divisée en trois. Une première partie du territoire – l’Alsace et la Lorraine – était annexée au Reich et les départements du Nord et du Pas-de-Calais, placé sous l’autorité du commandement militaire allemand en Belgique. La deuxième partie, occupée par l’armée allemande, englobait les principales ressources économiques. Elle allait de la façade atlantique et le nord de la ligne de démarcation qui remonte du Pays basque jusqu’à Tours, puis court d’ouest en est jusqu’à hauteur de Genève. La troisième partie, située au sud de la ligne de démarcation, était contrôlée par le régime (l’État français) de Pétain qui tenait également la quasi-totalité des colonies. L’État français était par ailleurs représenté en zone nord par une délégation qui, en liaison avec le commandement militaire allemand, contrôlait l’administration civile française. Dès le 17 juillet 1940, une loi permit aux nouvelles autorités « la possibilité de relever ou exclure sans justification préalables tout personnel de la fonction publique ». Les français naturalisés au cours des dernières décennies sont déchus de leur nationalité par application de la loi du 22 juillet 1940 qui institua une commission chargée de réviser toutes les naturalisations accordées depuis 1927 et de retirer la nationalité française aux naturalisés jugés indésirables, dont nombre d’antifascistes allemands et autrichiens et d’immigrés russes. Puis ce fut le tour des francs-maçons (loi du 13 août 1940), des juifs (loi du 3 octobre 1940) et le 11 octobre de la même année, une loi interdit le recrutement des femmes mariées dans la fonction publique et leur mise en retraite d’office à 50 ans. Parmi les proches de Leiris : Kahnweiler et Deborah Lifchitz qui périt à Auschwitz après son arrestation par la police française, le 21 février 1942, qui la livra aux nazis. En 1948, Leiris dédia à sa mémoire « La Langue secrète des Dogons de Sanga ». Le 22 septembre 1940, Une ordonnance allemande imposa le recensement des Juifs de zone occupée, l’« aryanisation » de leurs entreprises et l’interdiction aux Juifs qui ont quitté la zone occupée d’y revenir. Décrété par « Nous, Maréchal de France, Philippe Pétain », le 3 octobre 1940, un premier statut des Juifs leur interdit certaines fonctions et professions. Marc Bloch, Vladimir Jankélévitch, Claude Lévi-Strauss, Marcel Mauss, Jean Wahl furent exclus de leurs fonctions. Quelques mois après, le 14 mai 1941, la première grande opération d’arrestation de Juifs étrangers à Paris s’enclencha. Elle fut suivie d’autres - touchant aussi les Juifs français - le 20 août et le 12 décembre. Le 2 juin 1941, un second statut des Juifs aggravant celui du 3 octobre 1940. Pour éviter l’« aryanisation » de sa galerie, Kahnweiler la vend, le 1er juillet 1941, à Louise Leiris malgré une lettre anonyme dénonçant le caractère fictif de l’opération. Leiris n’intervint pas dans la gestion ni dans les choix de la galerie, mais joua un certain rôle auprès de ses dirigeants jusqu’à leur mort de Kahnweiler en 1979 et sa femme, Louise Leiris, en 1988, notamment en préfaçant six catalogues dont cinq d’expositions de Picasso, lequel manifestera une constante amitié envers la galerie.

Dans la nuit du 3 au 4 mars 1942, l’aviation britannique bombarda les usines Renault de Boulogne-Billancourt. La maison des Kahnweiler où vivaient les Leiris fut légèrement endommagée. Le couple emménagea, le 27 avril 1942, au 4e étage du 53 bis, quai des Grands-Augustins dans le VIe arrondissement de Paris, tout près de l’atelier où s’était installé, depuis janvier 1937, Picasso (au 7 rue des Grands-Augustins). Durant l’Occupation, ils virent le peintre « presque tous les jours, Kahnweiler [craignant] qu’il ne se laissât circonvenir par l’un de ces nouveaux marchands, improvisés mais audacieux, qui occupaient les galeries juives sous séquestre ». Picasso vendit effectivement plusieurs tableaux à l’un de ces marchands « au grand désarroi des Leiris qui s’empressèrent d’acquérir un lot important d’œuvres de leur ami afin qu’il ne fut pas tenté, par manque d’argent, de « fournir » régulièrement ce dangereux concurrent »

Le 29 mai 1942, le port de l’étoile jaune (« l’héxagramme d’infamie ») fut imposé aux Juifs de la zone occupée et le 16 et 17 juillet 1942, il y eut l’opération « vent printanier » : arrestation par la police française de treize mille Juifs de la région parisienne. D’abord parqués au Vel’ d’Hiv’, ils seront livrés aux Allemands, déportés et exterminés. Daniel Henry Kahnweiler séjourna, au printemps1943, clandestinement quai des Grands Augustins. Sur dénonciation, la Gestapo perquisitionna, le 5 septembre 1943, la maison des Kahnweiler à Saint-Léonard-de-Noblat sans y trouver les armes qu’elle cherchait. Elle revint la nuit et pilla tout (argent, bijoux des Kahnweiler et des Leiris), mais laissa les tableaux qui s’y trouvaient. Les Kahnweiler se réfugièrent, à Lagupie, chez des amis de Leiris. Au début du mois d’octobre 1944, les Kahnweiler revinrent, à Paris, et s’installèrent chez les Leiris, quai des Grands-Augustins. Lucie, atteinte d’un cancer qui l’emporta le 14 mai 1945, Daniel Henry Kahnweiler continua d’habiter chez les Leiris jusqu’à sa mort, en 1979.

Michel Leiris fit son apprentissage en poésie avec Max Jacob qu’il rencontra, à la fin du mois de février 1921, chez une cousine pianiste, épouse du musicien Roland-Manuel (1891-1966). Y étaient également Maurice Ravel, Erik Satie et Georges Henri Rivière (1897-1985). Le 3 mars 1921, Leiris se rendit, pour la première fois, chez Max Jacob qui habitait à Paris. Commencèrent alors les leçons de poésie (et de morale chrétienne) qui durèrent deux ans. Sous le titre « Réponse de l’abbé X. à un jeune homme découragé », Max Jacob publia dans le de la revue Vie des lettres et des arts (n°10 de juin 1922) la lettre qu’il avait adressée à Leiris le 24 novembre 1921. Au printemps 1922, il rencontra, Antonin Artaud chez Max Jacob à Paris et à la fin juillet 1922, Roland Tual, à Saint-Benoît-sur-Loire. Ce dernier devint son grand ami. Il lui présenta, peu après, André Masson : « un peintre, lui avait-il dit, qui peint des bouches qui sont des sexes, des pieds qui sont des mains, des mains qui sont des végétaux ». Leiris fit part de son admiration pour Masson à Max Jacob, qui lui répondit que le peintre serait le « Picasso français ». Au milieu du dernier trimestre 1922, Max Jacob félicita son élève à plusieurs reprises : « Bravo ! Quelle surprise ! C’est excellent ! léger, chantant, humoristique, poétique, très moderne et pas copié. » ; « Le poème est admirable. Je voudrais bien en faire autant. » ; « Il est certain que tu as des dons. ». Max Jacob fut attentif à la production poétique de Leiris mais également à son environnement. Le 10 novembre 1922, il lui écrit : « Tâche de connaître Limbour, fais-toi lire ce qu’il fait, montre-lui ce que tu écris. C’est un grand poète qui promet beaucoup. » La rencontre eu lieu quelques jours après chez André Masson. S’il recommandait à Leiris de connaître les autres et leurs œuvres, il parlait de lui aussi à d’autres. En avril 1923, il dit à Roland-Manuel : « Michel Leiris a fait un poème réussi [...]. Il tombera fatalement dans la littérature. J’ai fait mon devoir. » Un mois après, le 12 mai, il écrit à Leiris : « Tu réussiras dans le tragique. Nous n’avons justement pas cet article-là. »

Au début du mois de juin 1923, Max Jacob et Marcel Jouhandeau, qui venaient de faire connaissance, se rendirent chez Masson où se trouvait Leiris. Jouhandeau s’enflamma : « Il était d’une beauté extraordinaire ! Il avait le visage de Baudelaire jeune ! » Max Jacob écrit, le 12 septembre 1923, à Jouhandeau : « Michel Leiris imite Rimbaud ; ce qui lui fait pousser quelque suffisance. [...] Il faudrait tuer Rimbaud encore ! » Quand en janvier-février 1924, Leiris publia le poème « Désert de mains », dans la revue Intentions dirigée par Pierre André-May (1901-1999), auquel il avait été présenté par Jouhandeau, Max Jacob s’offensa de n’avoir pas contribué à cette publication. Il l’écrit, le 8 mars, à Jouhandeau : « J’ai lu aussi Leiris avec plaisir. Il va bien, il a compris ! [...] Il n’admet plus mes conseils depuis qu’il en a profité ». Jouhandeau écrit, le 25 mars 1924, à Leiris : « Le désir de pureté qui vous étreint m’attire et me gagne à vous [etc.] » Leiris évoquera, dans « L’âge d’homme », une soirée dans un bar avec Jouhandeau qui eut lieu deux jours après : « je reconduisis mon compagnon chez lui, presque ivre mort et en proie aux nausées, puis dormis avec lui après avoir humilié ma bouche et la sienne dans un réciproque égarement ». Dan son journal il nota : « aventure d’ordre pédérastique » et au 28-29 mars 1924 il écrit, dans son journal : « J’ai tenté le meurtre spirituel de Jouhandeau. Il a été plus fort que moi : « Tu ne pourras jamais m’empêcher de t’aimer » m’a-t-il dit. ». L’aventure ne dura pas. Marcel Jouhandeau publia en 1927, aux Éditions de la galerie Simon, Ximenès Malinjoude, eaux-fortes de Masson, écrit en mai-juin 1924, qu’il dédia « à M. L » (Michel Leiris). Ximenès a beaucoup de traits de Leiris. Sur l’exemplaire qu’il lui donna, Jouhandeau nota : « Es-tu bien sûr de n’être pas l’auteur de ce livre ? Si je l’ai écrit pour toi, quand je me relis, je crois te lire. Marcel ». En 1936, Jouhandeau publia, le 8 octobre, « Comment je suis devenu antisémite » dans L’Action française. Le 9, Leiris lui adressa une lettre de rupture. Ils se réconcilièrent le 11 juin 1939.

Leiris déjeune, le 6 avril 1924, avec Max Jacob, Jouhandeau, et André et Odette Masson. Ayant pris ombrage de son portrait dans « L’Homme de chair et l’homme de reflet », il s’éloigna de son professeur de poésie. Quand il rejoignit le groupe surréaliste (en novembre), le fossé ne fera que s’élargir. Max Jacob fut arrêté le 24 février 1944 à Saint-Benoît-sur-Loire. Le 5 mars, deux jours avant sa déportation à Auschwitz, il mourut d’une congestion pulmonaire au camp de Drancy. Leiris s’employa toutefois à faire connaître on œuvre après sa mort. Il lui rendit hommage dans un article anonyme des Lettres françaises clandestines d’avril : « Saint Matorel martyr ». Lors de la matinée « Hommage à Max Jacob », du 3 novembre 1944, au Théâtre des Mathurins, Leiris fit une conférence-présentation (texte publié en 1945 dans le numéro 1940-1944 des Cahiers d’art, sous le même titre « Saint Matorel martyr ». Cette conférence est longuement évoquée dans « Fourbis ».

André Masson devint le « mentor » de Leiris. Il l’encouragea à écrire et sous son influence, Leiris envisagea non seulement d’être poète mais de vivre en poète. Il adhéra, vers la fin d’année 1924, au mouvement surréaliste, où il distingua, entre autres, par « Glossaire j’y serre mes gloses ». « Aux amis de Masson, qui étaient déjà en rapports avec le groupe réuni autour de Breton, d’Éluard et d’Aragon (Artaud de façon récente ; Limbour de façon plus ancienne, mais quelque peu lointaine), nous nous adjoignîmes Tual et moi, à la suite de Masson lui-même, qui introduisit également Miró dans le nouveau mouvement&nbsp ». Leiris rencontra Jacques Baron (1905-1986), qui deviendra un de ses plus proches amis.

Leiris devint un des piliers du « groupe de la rue Blomet » - « vrai lieu initiatique » - dont le noyau primitif est constitué de Masson, Tual, Artaud, Limbour et Leiris, liés par « un furieux appétit de merveilleux » - groupe que fréquentent plus ou moins assidûment Miró, Salacrou, Gertrude Stein, Hemingway. « Cénacle qui, en art et en poésie, était mon milieu nourricier » pour Leiris ; « Rien d’un groupe, mais un creuset d’amitiés » selon Masson : « fanatiques de notre liberté nous avions un sens très pur de l’amitié : chacun était ce qu’il était, accepté comme tel, et non irréellement, au contraire de ce qui se passe dans certains rapports humains où nous inventons et fabriquons notre interlocuteur ou partenaire, puis, à la première déconvenue, nous nous empressons de l’oublier ». Parmi les visiteurs : à partir de 1923, Dubuffet, Jouhandeau (qui comparera les conversations des amis de la rue Blomet aux « dialogues de Platon ou de Xénophon » et, à partir de 1924, Aragon, Breton, Desnos, puis Bataille amené par Leiris.

Au cours des années 1922-1924, souvent sous l’influence de Masson, Leiris et ses amis lisent ou relisent Héraclite, Paracelse, William Blake, Raymond Lulle, Thomas Browne, les Élisabéthains, les poètes précieux, Sade, les romantiques et leurs successeurs : Nerval, Mallarmé, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Dostoïevski, Nietzsche.

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Biographie inachevée, à suivre


Bibliographie

 Simulacre, recueil de poésie et lithographies de Masson, Ed. Galerie Simon, 1925 en 110 exemplaires. Le « et » marque que le livre est une œuvre commune, réalisée dans l’atelier de Masson. Repris sans les illustrations dans Mots sans mémoire, 1969.

 Le Point cardinal, roman poétique, « mon livre d’obédience surréaliste », Ed. Sagittaire, 1927. Le livre repris dans Mots sans mémoire, 1969, est dédié à Limbour.

 L’Afrique fantôme [de Dakar à Djibouti, 1931-1933], Ed. Gallimard, 1934, réed. Avec nouvelle préface en 1988, 656 pages, ISBN : 2070711889. Repris dans Miroir de l’Afrique, 1995. Dans Critique de la raison dialectique, Jean-Paul Sartre qualifie L’Afrique fantôme de « livre admirable » où « l’enquête est un rapport vivant entre des hommes » décrit « dans sa totalité » (Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, t. I, Gallimard, 1960, p. 63). Dans la première version, de 1934, le livre fut dédié à Marcel Griaule mais lui, Mauss et Rivet considérèrent cet ouvrage comme une provocation pouvant desservir la pratique ethnographique. Dans la réédition de 1951, Leiris supprima la dédicace.

 L’âge d’homme, dédié à « Georges Bataille, qui est à l’origine de ce livre. »Ed. Gallimard, 1939. Selon Leiris, « Il existe un certain lien entre « L’Âge d’homme » et « Histoire de l’œil. » (dont la partie finale semble bien être autobiographique) » (Entretien avec Catherine Maubon, Il Manifesto, Rome, 26 juillet 1980). A la fin de l’année 1935, Paulhan proposa à Leiris de publier « L’âge d’homme » dans la collection « Métamorphoses » qu’il venait de créer chez « Gallimard » et dans laquelle allaient paraître des textes d’Artaud, Breton, Michaux… le prévenant que le délai de publication serait long (il fut de trois ans et demi). Au début du mois de juin 1939, la publication de « L’Âge d’homme » étant enfin décidée, hors collection, par Gallimard, Leiris rédigea un prière d’insérer où il estima que son véritable « âge d’homme » lui restait à écrire, quand il aurait subi, comme ses aînés, l’épreuve de la guerre. Achevé d’imprimer, le 15 juin 1939, « L’âge d’homme » enthousiasma André Masson mais passa quasiment inaperçu hormis un article de Pierre Leyris (1907-2001) dans la N.R.F. Il fut réédité, précédée « De la Littérature considérée comme une tauromachie », en 1946. Lors de cette réédition, Leiris nota dans son journal : un livre comme « L’âge d’homme » fait de moi une ville qui livre son plan et ses clefs. Réed. Gallimard Coll. Folio, 215p., 1973. Extrait de De la Littérature considérée comme une tauromachie : Faire un livre qui soit un acte, tel est, en gros, le but qui m’apparut comme celui que je devais poursuivre, quand j’écrivis « L’âge d’homme ». Acte par rapport à moi-même puisque j’entendais bien, le rédigeant, élucider, grâce à cette formulation même, certaines choses encore obscures sur lesquelles la psychanalyse, sans les rendre tout à fait claires, avait éveillé mon attention quand je l’avais expérimentée comme patient. Acte par rapport à autrui puisqu’il était évident qu’en dépit de mes précautions oratoires la façon dont je serais regardé par les autres ne serait plus ce qu’elle était avant publication de cette confession. Acte, enfin, sur le plan littéraire, consistant à montrer le dessous des cartes, à faire voir dans toute leur nudité peu excitante les réalités qui formaient la trame la plus ou moins déguisé, sous des dehors voulus brillants, de mes autres écrits. Il s’agissait moins là de ce qu’il est convenu d’appeler « littérature engagée » que d’une littérature dans laquelle j’essayais de m’engager tout entier. » L’auteur ayant suivi une thérapie psychanalytique à partir de 1929, « L’âge d’homme » s’en ressent. C’est sur le conseil de son ami, Georges Bataille, qu’il entreprit cette psychanalyse (ou, pensera-t-il plus tard, cette « psychothérapie. ») et avec le même médecin : le Dr Adrien Borel (1886-1966) qui « considérait et utilisait la psychanalyse comme une thérapie parmi d’autres et non comme la panacée ». Il interrompu sa cure, avec l’assentiment et même l’encouragement de Borel, pour participer à la Mission Dakar-Djibouti et la repris à son retour, jusqu’à la fin du premier trimestre 1936.

 Haut Mal, poésie, Ed. Gallimard, 1943 ; réed. suivi de Autres lancers, 1969. Ce recueil de poèmes, écrits entre 1924 et 1940, fut le seul livre de Leiris publié durant l’Occupation.

 Aurora, roman écrit entre 1927-1928, Ed. Gallimard, 1946, ISBN : 2070238709 ; réed. 1977, ISBN : 2070296474 (L’Imaginaire). Aurora fut d’abord proposé aux éditions du Sagittaire Fin 1928-début 1929. Un fragment parut en revue et le livre annoncé dans la Bibliographie de la France de juillet 1930 ne sera publié qu’en 1946 chez Gallimard. Le 17 juillet 1929, Leiris proposa, à Jean Paulhan, un autre chapitre d’Aurora pour la N.R.F, celui-ci le refusa poliment.

 Biffures (La Règle du Jeu - I), Ed. Gallimard, 1948 ; réed. 1991 (L’Imaginaire). Repris dans La Règle du jeu, 2003 (Bibliothèque de la Pléiade). Dans ce premier tome, qui n’est pas tourné que vers le monde de l’enfance, Leiris assigne à chacun de ses souvenirs l’importance d’une révélation par le langage.

 Fourbis (La Règle du Jeu - II), Ed. Gallimard, 1955 ; réed. 1991 (L’Imaginaire). Repris dans La Règle du jeu, 2003 (Bibliothèque de la Pléiade). Dans « Fourbis », où il est entre autres question de sa mobilisation dans le sud oranais au début de la seconde guerre, il y a les considérations sur la mort, l’idéal de l’amitié, ainsi qu’une expérience amoureuse, l’histoire vécue avec Khadidja, vingt-trois ans, prostituée exerçant à Béchar et venue travailler à Beni-Ounif. Il fera de cette aventure le chapitre « Vois ! déjà l’ange... » et, dans Fibrilles, la jeune femme sera promue « du rang méprisé de putain à celui de magicienne » et regardée comme « un ange de la mort ».

 Bagatelles végétales, illustré par Miró, Ed. Jean Aubier, 1956. (Texte repris dans Mots sans mémoire).

 La Possession et ses aspects théâtraux chez les Éthiopiens de Gondar, Ed. Plon, 1958 ; réed. Fanta Morgana, 1989, 131 pages, ISBN : 2851942700.

 Nuits sans nuits et quelques jours sans jour, réed. Gallimard, 1961 ; réed. 2002 (L’Imaginaire).

 Grande fuite de neige, Ed. Mercure de France, 1964 ; réed. Fata Morgana, 1982. Ecrit en 1921 et publié en revue en 1934. Dans une note liminaire, il écrit : « C’est à la poésie - nécessaire gageure - qu’aujourd’hui je voudrais revenir, comme à son pâturage natal le voudrait peut-être le taureau ».

 Fibrilles (La Règle du Jeu - III), Ed. Gallimard, 1966 ; réed. 1992 (L’Imaginaire). Repris dans La Règle du jeu, 2003 (Bibliothèque de la Pléiade). Fibrilles, c’est le complexe entrecroisement de l’amour, la mort et l’art, une tentative de suicide aux barbituriques en 1957 qui lui valu deux jours et demi dans le coma et d’où il sortit avec une cicatrice au cou, suite à la trachéotomie qu’il du subir, mais c’est surtout les distinctions qu’il opère entre le temps de ses souvenirs, le temps de l’acte d’écrire, et le temps de la lecture. Une sorte de synthèse, de conclusion avant terme qui ne nuit nullement au quatrième et dernier tome de la Règle du jeu.

 Mots sans mémoire /Simulacre, Le Point Cardinal, Glossaire j’y serre mes gloses, Bagatelles végétales, Marrons sculptés pour Miro, Ed. Gallimard, 1969, 154 p., ISBN : 2070271595 ; réed. 1998, 154 pages, ISBN : 2070751368.

 André Masson, « Massacres » et autres dessins, 1971

 Francis Bacon ou la vérité criante, Ed. Fonta Morgana, 1974. Du 12 février au 10 mars 1957 il y eut la première exposition personnelle de Francis Bacon à Paris. Leiris fut « le premier en France » à saisir « l’importance unique dans l’art de son temps, mais aussi la marginalité » de l’œuvre de Bacon qui de son côté fut un grand admirateur de l’œuvre de Leiris.

 Frêle Bruit (La Règle du Jeu - IV), Ed. Gallimard, 1976 ; réed. 1992 (L’Imaginaire). Repris dans La Règle du jeu, 2003 (Bibliothèque de la Pléiade). La publication en 1976 de ce tome qui clôtura La Règle du Jeu n’épuisa pas la veine autobiographique de l’écrivain. Il continua de produire d’autres livres même du genre : Le ruban au cou d’Olympia (1981) et A cor et à cri(1988). Dans Frêle Bruit, il est question de ses nombreux voyages et de son engagement politique en faveur du mouvement révolutionnaire de Cuba et une sympathie déclarée pour les manifestations des étudiants en 1968… C’est un livre « déconstruit » où l’esthétique du fragmentaire est préférée à la continuité discursive et à la logique des articulations, les espaces y fourmillent, des poèmes y sont introduits. Dans le prière d’insérer, Leiris écrit, qu’il : « a laissé la poésie primer l’enchaînement logique ».

 Alberto Giacometti, 1978. En 1929, grâce à Jeanne Bucher qui l’exposa dans sa galerie, Alberto Giacometti (octobre 1901 – 11 janvier 1966) – arrivé à Paris le 7 janvier 1922 - entra en contact avec Jean Cocteau, les Noailles et André Masson, qui vont l’introduire dans les milieux surréalistes. En juin 1929, Masson le présenta à Desnos, Leiris, Limbour, Prévert et Queneau qui devinrent ses amis, en particulier Leiris qui sera l’un des plus proches. C’est par lui que Giacometti approfondira sa connaissance des sculptures africaine et océanienne. En septembre 1929, Leiris publia, dans « Documents », un article suscité par l’œuvre de Alberto Giacometti. Ce fut l’un des tout premiers parus en France. Il préfaça également le catalogue de son exposition d’avril 1951 à la galerie Maeght : « Pierres pour un Alberto Giacometti ». Durant la convalescence de Michel Leiris qui avait tenté de se suicider, la nuit du 29-30 mai 1957, Giacometti réalisa cinquante-deux gravures représentant son ami et le décor où il se trouvait. Treize de ces gravures furent retenues pour illustrer « Vivantes cendres, innommées » (1961), poèmes composés durant son séjour à l’hôpital. Alberto Giacometti réalisa également un portrait de Michel Leiris, dessin à l’encre, en 1961. Après son décès en Suisse, le 11 janvier 1966, Leiris assista à son enterrement le 15 janvier à Borgonovo-Stampa et lui rendit hommage, « Pour ceux qui l’ont connu et aimé... », dans « Le Nouvel observateur » et dans « Les Lettres françaises ».

 Au verso des images, Ed. Fanta Morgana, 1980, Au verso des images (six articles sur Francis Bacon, Pablo Picasso, André Masson, Alberto Giacometti et Élie Lascaux (1966-1978)).

 Le ruban au cou d’Olympia, Ed. Gallimard, 1981 ; réed. 1989 (L’Imaginaire).

 Langage tangage ou ce que les mots se disent (supplément à Glossaire j’y insère mes textes et musique antitexte), Ed. Gallimard, 1985 ; réed. 1995 (L’Imaginaire).

 Francis Bacon, face et profil, Ed. Albin Michel, 1987. Repris dans Francis Bacon ou la brutalité du fait, Ed. Seuil, 1996.

 Cinq études d’ethnologie, Ed. Denoël, 1988.

 A cor et à cri, Ed. Gallimard, 1988, ISBN : 207071280X ; réed. 2000 (L’Imaginaire), 190 p., ISBN : 2070759342.

 Bacon le hors-la-loi, 1989.

Leiris a laissé de nombreux manuscrits. Depuis 1990 il y a eu plusieurs publications posthumes :

 Zébrage, 1992

 Journal 1922-1989, Éd. Jean Jamin, 1992. Leiris commença d’écrire son Journal, dont il arracha les premières pages. Un journal destiné à un « interlocuteur futur (partenaire presque imaginaire) » durant soixante-huit ans, « avec des intervalles qui [pourront] durer de longs mois, parfois jusqu’à des années »

 Journal de Chine, 1994. Carnet du voyage, du 17 septembre au 3 novembre 1955, que fit Michel Leiris au sein de la délégation de l’Association des amitiés franco-chinoises invitée en Chine à l’occasion du sixième anniversaire de la République populaire. La délégation comprenait notamment René Dumont, Armand Gatti, Jean Lurçat, Chris Marker (qui réalisa durant le voyage son film Dimanche à Pékin) et Paul Ricœur.

 Langage tangage ou Ce que les mots me disent, Ed. Gallimard, 1995, 189 p., ISBN : 2070742113

 Miroir de l’Afrique, recueil posthume de ses principaux écrits d’ethnologie africaine, 1996

 Georges Bataille et Michel Leiris Échanges et correspondances. Éd. Louis Yvert.

 À propos de Georges Bataille de Leiris (1988), textes de Bataille sur Leiris et Correspondance Bataille-Leiris (1924-1961), Gallimard, 2004.

Livres sur Leriris

 Dans Critique, Maurice Blanchot publie, en avril 1947, « Regards d’outre-tombe », article sur L’Âge d’homme, Aurora et Nuits sans nuit, qui inaugure la critique leirisienne.

 Michel Leiris et la quadrature du cercle, Maurice Nadeau, Ed. Julliard, 1963 ; réed. Ed. Maurice Nadeau, 2003.

notes bas page

[1Leiris assiste, le 7 décembre 1922, à la générale de l’adaptation de « Locus solus » et écrit à Raymond Roussel une lettre de félicitations qui le touche beaucoup. Leiris commence à s’intéresser de près à l’œuvre de Roussel, il assista, le 6 mai 1924, à « L’Étoile au front » jour où Desnos y lança, à un détracteur de Roussel, sa célèbre apostrophe : « Nous sommes la claque et vous êtes la joue ».

[2A.É.A.R. : Association des écrivains et artistes révolutionnaires créée, en 1932, sous la responsabilité de Paul Vaillant-Couturier (1892-1937), rédacteur en chef de L’Humanité. L’A.É.A.R. fut l’initiatrice du premier congrès international (dit Congrès de Paris), réuni à la Mutualité du 21 au 25 juin 1935, pour la défense de la culture.

[3Léon Blum est nommé, le 4 juin 1936, président du Conseil. Le gouvernement entreprend de vastes réformes, notamment dans le domaine culturel en créant le Palais de la découverte, le Musée national d’art moderne, le musée des Monuments français, le musée de l’Homme et le musée des Arts et Traditions populaires, ces deux derniers remplaçant le musée d’Ethnographie du Trocadéro. Le musée de l’Homme (inauguré le 27 juin 1938) est conçu par Rivet (révoqué le 18 novembre 1940 du fait qu’il ait affiché son opposition au régime pétainiste) dans une perspective antiraciste et populaire : « il devra donner au peuple une idée plus haute de la dignité humaine, lui faire comprendre que, s’il y a des groupes qui ont progressé plus vite que d’autres, il n’en est pas un seul, si arriéré qu’il puisse paraître, qui n’ait, dans un domaine quelconque, manifesté son intelligence par quelque découverte ou invention surprenante. [...] Étant fait et conçu pour le peuple, [il] sera ouvert aux heures où l’homme qui travaille peut en bénéficier. » - Paul Rivet, « Le Musée de l’Homme », Vendredi n°82, 28 mai 1937.



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