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Rencontre avec Sophie Bancquart

Rencontre avec Sophie BANCQUART, PDG des éditions Le Pommier

Taos AÏT SI SLIMANE : Sophie BANCQUART, merci de nous accueillir aujourd’hui, chez vous au siège des éditions Le Pommier, pour prolonger l’échange que nous avons eu à la Cité des sciences, avec nos collègues médiathécaires et bibliothécaires de diverses régions de France. Nous avons eu d’excellents retours pour cette rencontre qualifiée de brève – une heure tout de même.

Avant de commencer, cette interview, entretien, rencontre je ne sais pas très bien comment la qualifier, nous vous demandons votre accord pour diffuser cet échange après votre relecture.

Nous avons le plaisir et le privilège de vous connaître et de connaître votre trajectoire, ce qui n’est peut-être pas le cas de l’ensemble de nos collègues, nos publics. Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous éclairer sur votre trajectoire dans le domaine de l’édition ?

Sophie BANCQUART : Tout d’abord merci de m’accueillir et de maintenir ces relations, comme vous dites, parce que pour nous c’est très important. Je réponds volontiers aux sollicitations parce que quand j’explique des choses j’en apprends autant.

Mon histoire est toute simple et peu habituelle à notre époque parce où les changements de parcours sont rares. Au départ, je suis architecte ce qui n’a strictement rien à voir avec le métier que je fais aujourd’hui. Je ne suis pas du tout scientifique. J’ai commencé l’édition tout simplement parce que je n’avais pas réussi dans l’architecture et que j’avais faim et donc j’ai trouvé le premier petit boulot qui m’est passé sous le doigts et puis de fil en aiguille j’ai trouvé que c’était passionnant, des portes se sont ouvertes et j’y suis restée. Et j’ai eu des rencontres, parce qu’au fond c’est un métier de rencontres. Ma première rencontre, importante, c’est celle de Michel Serres qui m’a fait découvrir le monde des scientifiques, que je ne connaissais pas du tout, et des sciences. Je dis bien les deux parce que les deux m’ont passionnée. Les sciences parce que je suis curieuse de nature donc j’avais envie de savoir ça, comme le reste, et donc tout d’un coup j’ai rencontré des gens qui étaient prêts à m’expliquer, ce que je n’avais pas imaginé. J’ai posé plein de questions, j’ai eu des réponses, j’ai commencé à lire, j’ai découvert que c’était possible, ça m’a passionnée. Et d’autre part j’ai rencontré des gens, parce que ces gens avec lesquels nous travaillons actuellement, ce sont des gens tout à fait particuliers dans le monde des auteurs. Ce sont des gens prêts à se donner du mal pour vous expliquer, en tout cas un certain nombre d’entre eux, ce qui n’est pas toujours le cas avec les gens qui travaillent dans d’autres domaines de la connaissance qui ont moins cette habitude de la difficulté et qui fait que chez les scientifiques, ils savent qu’il va falloir qu’ils se donnent du mal et ceux qui le font le font volontiers. Les autres ne le font pas sans doute. Ceux-là le font volontiers et cela donne des rapports extrêmement agréables avec les auteurs. Le Pommier est au fond le résultat de cette rencontre. Parce que donc, après mon parcours, j’ai été chez Bordas, chez Flammarion où j’ai commencé à vraiment faire de la vulgarisation scientifique notamment avec la collection qui s’appelait Dominos, que j’aimais beaucoup, que j’avais lancée chez Flammarion, une autre (collection) un peu différente qui s’appelait La légende, une très belle collection de livres illustrés qui a très, très bien marché mais qui parlait de sciences ou de connaissances et puis le merveilleux Trésor des sciences, qui j’aime toujours autant, un dictionnaire de sciences tout à fait exceptionnel qu’on avait fait avec le petit groupe d’auteurs qui m’est si proche. On a eu l’envie d’avoir une marque et que cette façon de vulgariser qui est la nôtre puisse être reconnaissable. Ce n’était pas possible chez Flammarion et finalement c’est Fayard qui nous a proposé de monter une marque qui s’appelle Le Pommier. Au bout de deux ans nous nous sommes séparés de Fayard et depuis cinq ans maintenant nous sommes indépendants. La maison a la particularité d’appartenir pour moitié à ses auteurs pour moitié à ses éditeurs, ce qui est assez rare. Ce sont ces fameux auteurs qui nous ont aidés à racheter Le Pommier justement pour poursuivre ce partage du savoir auquel ils tiennent tant. Alors, voilà, c’est un peu un parcours atypique.

Maintenant, l’aspect syndicat que vous évoquiez tout à l’heure. Le Pommier existe depuis sept ans, ça commence à se savoir, on a une certaine reconnaissance de la qualité de notre travail un peu partout et il y a trois ans environ j’ai commencé à me dire : il y a quand même un problème particulier au livre de science qui mériterait que l’on se mette ensemble, les éditeurs de livres de sciences pour le grand public. Parce que je crois que le problème est très, très différent avec le livre de science universitaire et professionnel. Et donc on a décidé de commencer par se mettre ensemble. Dans un tout premier temps c’était pour accompagner le premier « Salon de livres de sciences » que la Cité des sciences a accueilli en 2004. Et puis pour le deuxième édition de ce « Salon » on a eu envie de faire un catalogue, on y reviendra sans doute tout à l’heure, qui a vu le jour, le catalogue Sciences pour tous, et de ce fait Serge Eyrolles, le président du syndicat national de l’édition, m’a proposé de créer un vrai groupe, voyant le succès de l’action de ce groupe informel qui existait, et depuis le mois de décembre 2005 on a vraiment un vrai groupe au sein du syndicat qui s’appelle « Sciences pour tous » et qui réunit des éditeurs différents comme Belin, Dunod, Vuibert mais aussi Le Seuil, Flammarion, EDP sciences, j’en oublie forcément beaucoup, Odile Jacob, des tas d’éditeurs différents qui font de la vulgarisation scientifique.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous dites que vous avez pris votre indépendance. Le groupe fondateur de la maison d’édition Le Pommier, n’est pas un club de rentiers qui ont pour loisir la médiation scientifique par le livre, quel a été votre montage économique ? Vous dites : Je suis partie d’une passion. Vous êtes une passionnée, vous avez rencontré des passionnés, des gens avec qui vous aviez plaisir à échanger, des auteurs, qui sont aussi des scientifiques qui vous ont donné et à qui vous avez donné l’attention, l’intérêt, etc. où est la place du public dans cette dynamique ? De votre passion vous avez fait votre métier, or le fruit de votre travail est destiné au public, comment conciliez-vous l’attente du public – et comment la recueillez-vous- et votre propre passion ? Vous avez commencé avec un groupe d’amis et maintenant vous êtes aussi dans un groupe d’éditeurs, Pourquoi ?

Sophie BANCQUART : Il y a beaucoup de question dans votre question.

Taos AÏT SI SLIMANE : Mais elles sont, me semble-t-il, très liées.

Sophie BANCQUART : Pour commencer je vais parler du Pommier. Au départ, malgré tout j’avais une petite expérience quand Le Pommier a été créé. Je savais un tout petit peu comment fonctionnait une maison d’édition. Mais j’ai quand même énormément appris depuis qu’on est indépendants parce que c’est très différent d’avoir une toute petite maison et de travailler dans une grosse. Ce qui ressort, je crois, c’est qu’une maison d’édition, petite, ne survit que parce que les gens qui l’habitent, l’habitent. Ça veut dire que l’on est quatre salariés et un apprenti, au Pommier, tout repose sur nous. Ça veut dire une passion qui doit se partager et cela veut dire que l’on travaille comme des fous, on y investit tout notre temps, notre vie, bon… c’est un peu une galère, c’est vrai, mais une galère qu’on adore parce que c’est en même temps merveilleux de faire ce en quoi on croit et d’avoir la liberté de nos choix. Ça c’est la première fois que cela m’arrive et ça, ça n’a pas de prix. Ça a un prix, celui de survivre. Alors, la grande chance que j’ai…

Taos AÏT SI SLIMANE : Survivre économiquement ou intellectuellement ?

Sophie BANCQUART : Non, là je parle économiquement. Intellectuellement on est libre comme l’air. On a des principes, là vraiment je parle du Pommier, on est sur Le Pommier, on est bien d’accord ? Nous voulions vraiment que la vulgarisation que nous proposions soit, aussi grand public et que nos livres soient de grande qualité. Quand je dis une qualité, c’est d’une part qu’il est indispensable pour nous que ces livres soient écrits par des scientifiques qui sont dans l’activité scientifique, c’est-à-dire qui savent vraiment ce qu’ils écrivent et ce que ça veut dire. C’est-à-dire que s’ils décident d’utiliser une métaphore, eh bien ils vont savoir le danger que la compréhension peut recouvrir. Et ils ne l’utiliseront pas s’ils peuvent penser que les gens vont comprendre quelque chose d’autre parce qu’ils ont utilisé cette métaphore. Pour nous c’est essentiel parce nous on ne le saura pas ça. Ça, je le découvre. Là, par exemple, j’ai un manuscrit sous la main, que j’aime beaucoup, eh bien je crois que je ne vais pas le publier parce que cela fait un an que je le traîne, que je le passe de scientifique en scientifique pour essayer de le faire corriger, eh bien il n’y a pas moyen. Ce truc n’a pas été écrit par un scientifique et on n’arrive pas à s’en sortir. Il y a des images pour faire comprendre des choses qui ne sont pas bonnes et en fait tout repose là-dessus et ça ne donne pas une bonne idée de la chose scientifique, donc, pour nous c’est vraiment un principe de base.

Le deuxième principe, nous on veut publier des livres qui ont été vérifiés. Donc, on se donne beaucoup de mal pour les faire vérifier et on travaille les livres et on essaye de les rendre accessibles, etc. C’est beaucoup de travail. C’est vrai que dans de grosses maisons j’ai eu souvent des remarques de mes patrons me disant : tu ne peux pas passer ton temps pour faire ça, ce n’est pas rentable. Ils ont raison, ce n’est pas rentable. Ma chance inouïe, c’est moi qui décide si c’est rentable ou pas et que je n’ai pas décidé de gagner beaucoup d’argent et que mes actionnaires que ce soit moi ou mes auteurs, ne m’ont pas demandé de gagner beaucoup d’argent. Je n’ai jamais entendu parler de marge. Je m’arrange pour que la maison soit viable et qu’elle soit viable de façon honnête. C’est-à-dire qu’elle puisse permettre un réinvestissement pour le développement de la maison. C’est tout, je n’ai pas d’autres ambitions. C’est évident que si l’on gagne beaucoup d’argent on va être très content il n’y a pas de problème, mais en même temps on veut se donner les conditions de notre mission puisque notre mission c’est ça, c’est vraiment le partage du savoir et un savoir de qualité. Ça, c’est donc l’exigence économique qui est le corollaire de l’exigence intellectuelle. Là, ça va vraiment ensemble.

Alors, maintenant la vie du livre scientifique et le public. Ce que j’ai appris, peu à peu, c’est que ce dont souffre le livre scientifique grand public, pour l’essentiel, c’est de ses médiateurs. C’est que la plupart des médiateurs, que ce soit les libraires, que ce soit pardonnez-moi, les bibliothécaires, ou que ce soit les journalistes, pour beaucoup d’entre eux, ce sont des gens qui sont venus au livre par amour de la littérature ou des sciences humaines, très exceptionnellement par amour des sciences. Ça arrive, mais il n’y en a vraiment pas beaucoup. Et, la plupart du temps quand ils voient arriver un livre de science, ils se disent : qu’est-ce que je vais en faire. Le plus gros problème que l’on a, est là. Je vois cela même avec mes représentants qui sont là pour défendre nos livres auprès des libraires. Ils m’aiment bien parce que je suis rigolote, j’essaye en tout cas de mettre en scène les réunions, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous êtes chaleureuse, généreuse et disponible, …

Sophie BANCQUART : J’essaye en tout cas, j’essaye de leur expliquer des choses pour qu’ils en retiennent quelque chose, bon, … mais au bout du compte, il faut vraiment tout cela qu’ils aient envie de vendre nos livres, et au fond ils en n’ont pas envie ou fondamentalement ça ne les intéresse pas énormément et ce n’est pas leur domaine de choix. Ce n’est pas vrai avec le public. Et c’est ça c’est ce que j’ai appris. Au début j’étais seulement missionnaire. Je voulais faire passer ce savoir que je trouvais génial et je trouvais qu’on ne pouvait pas vivre à notre époque si l’on a pas un minimum de connaissances scientifiques parce qu’il y a plein de choix qui sont des choix de citoyens, ou des choix personnels, qu’il faut faire avec un minimum de connaissance, donc, je trouvais que c’était vraiment un devoir. Et puis j’ai découvert qu’il y a un vrai public. Je pense qu’il y a deux publics, au moins. Il y a le public des gens qui sont déjà très intéressés, très curieux. Il est non négligeable. Je n’ai pas de chiffres mais il existe et il nous assure une vraie régularité dans les livres de vulgarisation qu’on peut faire et dans un certain type de livres d’ailleurs. On les reconnaît bien, c’est vraiment les mêmes livres qui touchent les mêmes gens, bon. Il y a une régularité, on le reconnaît ce public-là. On le rencontre dans les salons assez volontiers. Ils nous écrivent. Il y a des contacts. Puis il y a le grand public. Il ne faut pas croire que le grand public ne s’intéresse pas à la science. Il est la plupart du temps craintif. Il se dit qu’il ne va pas comprendre, que ce n’est pas pour lui mais il aimerait bien. Dans le grand public il y a plein de gens que cela intéresse mais il faut aller vers eux. Ils ne vont pas d’eux-mêmes faire l’effort. Si vous allez vers eux, vous découvrez qu’il y a une mine de possibilités. Voilà, moi ce que je dis. Il faut que l’on fasse ce travail tous ensemble. Et alors là on est tous ensemble. C’est pour cela que j’ai demandé, au syndicat, que ce groupe existe. Parce que je pense que plus on est fort ensemble, plus on a de chances de convaincre des gens de nous aider et de travailler avec nous et par ailleurs avec vous. C’est clair, on a besoin de travailler tous ensemble pour aller vers ce public et lui donner les moyens d’accéder à un peu de sciences. C’est tout à fait faisable. On fait des livres pour enfant maintenant. Je suis amusée de voir les parents, bien sûr, prendre le livre pour enfant de huit ou neuf ans que l’on va leur proposer, de commencer à lire et de dire : ah ! C’est ça ! Mais j’ai compris ! Mais c’est possible ! Et pourquoi pas ? C’est très bien que les parents prennent des livres pour enfants et qu’ils les lisent, s’ils apprennent c’est merveilleux, qu’ils commencent par-là, moi je n’ai rien contre. Le but c’est simplement que les gens à un moment donné prennent confiance et se disent je peux comprendre. Si on n’a pas réussi à faire des livres qui sont assez simple qu’ils prennent les livres pour enfant c’est formidable.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous avez quasiment répondu à l’ensemble des questions qui étaient contenues dans la question, qui était certes compliquée mais dont les segments étaient interdépendants. Reste un aspect, l’indépendance. L’indépendance peut être une posture individuelle et/ou collective vis-à-vis d’une domination, qu’est-ce qui fait que vous vous êtes retrouvés ensemble ? Quelles sont les conditions extrêmes qui ont fait que vos propositions ont été retenues, que les autres acceptent que vous soyez ensemble ?

Sophie BANCQUART : Je dirais, je crois, que tout le monde en a ressenti la nécessité. Personne n’en avait eu l’idée parce qu’en fait déjà il y a une question historique. Il y a eu un groupe science au sein du syndicat qui a existé pendant longtemps, que Serge Eyrolles a présidé pendant longtemps, et qui s’occupait de science universitaire professionnelle et de vulgarisation scientifique, parce que c’est un domaine qui existe depuis longtemps, il y a des livres merveilleux depuis très, très longtemps, mais qui continuent à se développe tout de même. Et, par ailleurs, le livre de science professionnel et universitaire a tendance, lui, à rencontrer de vraies difficultés et à devenir plus isolé dans le traitement qu’on peut en faire et le groupe a cessé d’exister au syndicat. Il ne s’est plus réuni et donc au fond le livre de science n’était plus représenté au syndicat sauf dans le groupe universitaire qui est interdisciplinaire et qui traitait un peu de livre de science mais universitaire et c’est tout. Et donc, le déclencheur au départ c’est le discours, conjoint, de deux ministres, l’annonce d’un plan de diffusion de la culture scientifique en février 2004, le ministre de la culture et le ministre de la recherche avaient décidé de lancer ce plan de diffusion. Et c’est à cette réunion que je me suis dit, il faut à tout prix que l’on essaye de faire quelque chose. Et j’ai commencé à dire à quelques collègues, qu’est-ce que vous en diriez on pourrait essayer de se voir. Là, avait été annoncé ce premier salon qui s’est tenu à la Cité des sciences et on s’est dit, on va au moins essayer d’accompagner l’histoire du salon. En fait c’est né de cela. En fait on s’est retrouvé au syndicat et au fond à chaque nouvelle rencontre et à chaque projet qui a commencé à prendre un peu forme, on s’est dit on a des tas de choses à faire ensemble. On a besoin d’échanger des informations, on a besoin de travailler ensemble et puis on n’est représenté nulle part, on est faible chacun dans son coin on a besoin d’être ensemble. Je crois que c’est cela au fond, la compréhension qu’on avait tout à gagner à être ensemble. Alors les domaines sur lesquels on a envie d’agir ensemble, les idées que l’on caresse, en quelque sorte, - on reparlera peut-être tout à l’heure de la base de données de Sciences pour tous qui a donné lieu au catalogue et au site - par ailleurs on a accompagné le projet qui s’est tenu pour la première fois l’année dernière d’un Prix du livre de sciences pour la classe de seconde. Il s’est tenu en Aquitaine, orchestré par le rectorat en partenariat avec la librairie Mollard et donc le syndicat. Ça recommence cette année. Ça s’est très bien passé. J’espère que d’autres régions vont se joindre à celle-ci. A priori il y a de très bons contacts, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Voudriez-vous nous dire ce qu’est ce Prix du livre de science ?

Sophie BANCQUART : D’abord, le but de ce prix c’est de mettre entre les mains de lycéens des livres de sciences de telle sorte qu’ils aient du plaisir à les aborder. Pour cela on s’est dit que le meilleur moyen était de faire en sorte qu’ils aient un avis à donner. Le principe est que le lycée ou la classe qui s’inscrit, c’est une classe qui s’inscrit, reçoit dix livres sur un thème qui a été sélectionné - l’année dernière c’était la physique puisque c’était l’année de la physique - par un comité d’enseignants et de chercheurs comme étant accessibles à des élèves de seconde et de bonne qualité, ces dix livres partagés dans la classe et lus normalement par tout le monde et discutés en classe avec le professeur correspondant. A la fin de l’année, les enfants votent pour un livre qu’ils ont aimé particulièrement. L’idée étant qu’ils organisent des rencontres avec des auteurs de ces livres. On n’en est qu’au début. C’est évidemment difficile à organiser. Il y a eu dix-sept classes réunies l’année dernière c’est déjà ça, et ça c’est vraiment très, très bien passé. Moi, je me souviendrai toute ma vie du lancement du Prix. Il y avait une centaine d’enfants qui avaient été réunis pour le lancement et on leur demande : combien de livre de science avez-vous lu ? Alors il y a péniblement deux doigts qui se lèvent pour dire : moi, j’en ai lu un. Sur les 100 enfants, il n’y avait que deux qui avaient lu un livre de science. Et, à chaque classe on donne les dix bouquins, au bout de dix minutes ils avaient ouvert les livres, ils discutaient, ils se les étaient appropriés et avaient déjà commencé à lire. C’était tout à fait différent. Puisqu’on leur demandait leur avis, ils s’y mettaient. C’est cela que je voudrais bien qu’on arrive à développer. Je suis sûre que c’est un moyen merveilleux pour faire que les enfants découvrent qu’au fond c’est des livres qui peuvent les amuser beaucoup. Et d’ailleurs c’est très intéressant de voir le livre qu’ils ont choisi parce qu’ils ont choisi le livre des expériences de Marie Curie qui a été publié par EDP sciences et qui n’est pas un livre si facile que cela mais qui donne des vrais outils pour comprendre et pour expérimenter. Eh bien c’est ce livre là qu’ils ont choisi. C’est un livre d’une vraie démarche scientifique. Ça, ça m’a fait plaisir, même si ce n’est pas un livre de chez nous. Ça montre qu’ils n’ont pas choisi la facilité. Ils ont choisi une démarche scientifique, ils ont compris ce dont on leur parlait.

Taos AÏT SI SLIMANE : C’est un peu l’équivalent du Prix Inter ? C’est les lecteurs, après lectures d’un certain nombre de livres proposés, qui délibèrent et attribuent le Prix ?

Il y a des questions sur lesquelles nous reviendrons, mais pour ne pas couper le fil de cet échange, il y a eu les deux salons du livre de science à la Cité des sciences, le premier n’avait pas les meilleures conditions, le deuxième n’était pas convaincant et j’ai entendu dire qu’il n’allait pas se tenir cette année. Ne trouvez-vous pas regrettable d’abandonner si vite ? Il faut du temps pour que les choses s’installent, il faut corriger, ajuster, ne succombe-t-on pas au zapping ? On laisse de moins en moins le temps pour que les choses prennent forme, on n’investit plus dans la durée à moyen et long terme en ajustant les propositions. Les deux premières éditions ont souffert des choix de période, de lieux et sans doute de la forme mais deux ans c’est court pour condamner un projet de cette nature. Comment peut-on croire qu’un projet d’une telle envergure et surtout dans les conditions tendues de l’édition et diffusion des livres de sciences avec ce que vous avez évoqué tout à l’heure comme difficultés autour de sa médiation puisse être est optimisée au bout de deux ans ?

Sophie BANCQUART : C’est un problème compliqué et nous ne sommes pas les seuls décisionnaires dans cette affaire d’autant plus que c’est une opération qui a été financée pour moitié par la Cité des sciences et pour moitié par le Centre National du Livre. À vrai dire, pour la première expérience nous avons pensé que le salon n’était pas une très grande réussite du fait de sa situation en dehors du centre de la Cité, dans un lieu un peu excentré, pas très convivial. La deuxième édition on était dans la Cité on a eu quand même pas mal de monde présent, très peu ont acheté des livres, le chiffres d’affaire était très faible et les conclusions qui ont été tirées de cette expérience ont été : ce n’était peut-être pas le bon lieu, le bon moment, la bonne forme. Ça coûte quand même assez cher et il est clair que les éditeurs ne sont pas du tout prêts à s’investir dans cette aventure-là parce que clairement ils n’ont pas vendu de livres donc on ne peut pas se permettre de prendre le relai de l’action publique alors que l’on sait que ça ne peut pas rapporter d’argent. On est quand même des gens qui avons besoin de gagner notre vie. Quant à la Cité des sciences et le CNL voyant d’une part que la fréquentation n’était pas aussi grande qu’on l’avait espérée, et que d’autre part il y avait assez peu de chiffre d’affaire derrière, ils se sont dit que ce n’était peut-être pas la bonne formule non plus. Alors en fait, la réflexion que nous menons en ce moment tous ensemble elle nous a amenés à réfléchir à deux possibilités : soit on essaye de développer un salon en direction du grand public de livres de science, et dans ce cas-là les deux expériences que nous avons menées ne sont pas suffisantes et qu’il y a vraiment tout à inventer, et pour l’instant on n’a pas de projet à défendre qui soit convaincant. L’autre alternative et que je défends beaucoup parce que je pense que c’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui en premier, quitte peut-être à ce que dans un deuxième temps plus tard, ré envisager le salon grand public, moi je crois que ce que l’on devrait faire c’est des journées professionnelles. Et ça je crois, je militerai et c’est, je crois, ce qui est en projet, à l’étude à la Cité des sciences et au CNL, j’espère. L’idée serait d’avoir une à deux journées qui soient organisées dans le cadre de la Cité - on envisage même de le faire à la veille du « Salon du Livre » quitte à ce que cela soit prolongé par une visite au « Salon du livre » - entre les différents médiateurs du livre, les bibliothécaires, les libraires, les journalistes mais aussi j’aimerais beaucoup que participent à ces journées les gens des musées des sciences, des CCSTI, tous ces gens qui sont au fond passionnés par la diffusion de la connaissance scientifique et qui sont concernés par les mêmes préoccupations et qui peuvent avoir besoin de se rencontrer, d’échanger, de réfléchir ensemble aux meilleurs possibilités d’actions conjointes, comment les agencer les unes aux autres et ne pas oublier dans toutes les actions, le livre. Ce que j’ai remarqué notamment dans les centres CCSTI, au fond, le livre n’est pas au cœur de leurs préoccupations, souvent ils l’oublient un peu et j’aimerais bien que l’on travaille avec eux, et leur dire que peut-être, on peut faire des choses ensemble. Alors je fais une incise, on a un autre projet dans le cadre du syndicat, qui est d’organiser une quinzaine du livre de science en janvier, si on réussit, et justement dans ce cadre-là j’aimerais que tout le monde se mette ensemble. On a pris contact avec les gens des musées, des CCSTI et évidemment l’idée serait que l’on puisse organiser des rencontres avec des auteurs, car les auteurs sont au cœur de tout cela, des rencontres avec les auteurs, localement, et qui puissent être relayées par les expositions, des conférences, etc. Il faudrait que des réseaux se tissent un peu plus entre les différents acteurs, et je pense que ces journées professionnelles pourraient être utiles pour ça. Ce n’est pas nécessaire de faire un truc énorme mais une journée de rencontre et en même temps, là encore, des rencontres avec des auteurs. Je crois qu’il est important d’incarner cette transmission du savoir avec quelques auteurs qui vont nous donner la foi. C’est ce que je disais tout à l’heure. J’ai aimé ce métier parce que j’ai rencontré des gens extraordinaires, mais les gens ont aussi envie de lire des livres parce qu’ils rencontrent des gens extraordinaires. Bon je pense par exemple, je ne parle pas toujours des mêmes, la deuxième personne qui m’a vraiment éclairée dans ma découverte des sciences c’est Pierre Léna, que vous connaissez peut-être, qui est un astrophysicien. Vous l’entendez parler du ciel et vous n’avez qu’une envie c’est de vous précipiter sur un livre, enfin vous avez envie d’apprendre. Il y a beaucoup de ces gens qui méritent d’être écoutés. Ils ont une façon de raconter qui peut recharger les batteries quand elles sont un peu faibles et qui donne une idée du monde qui émerveille, quoi. Voilà, j’aimerais bien pouvoir développer cette journée qui serait une alternative au salon, qui serait plus modeste mais finalement peut-être plus utile dans un premier temps, quitte à ce que plus tard, quand on sera un peu plus fort, qu’on aura un peu travaillé, ré-envisager d’autres idées de salon grand public.

Taos AÏT SI SLIMANE : Revenons, si vous le voulez bien, à la base de données de livres scientifiques. Par exemple aux éditions Le Pommier vous ne couvrez pas l’ensemble des champs des activités scientifiques. Vous avez fait un choix mais vous en tant « DG » de cette maison vous avez également fait le choix de travailler avec d’autres collègues qui eux couvrent d’autres champs. D’abord où en est cette base de données ? Et quelle est la ligne éditoriale des éditions du Pommier ? Et celle de la base de données.

Sophie BANCQUART : La ligne éditoriale du Pommier c’est la science et la philosophie au départ. Ce n’est pas tout à fait exact. En fait, quand on a fait Le Pommier, dans sa première acception, quand on était une marque de Fayard, c’était plus ouvert. C’était la connaissance. Puis quand on a racheté Le Pommier, on s’est dit qu’il fallait qu’on soit très prudent parce que c’est difficile, qu’on n’était pas très nombreux, qu’on ne devait compter que sur nos forces. Il fallait donc réduire le champ pour être capable d’établir un vrai réseau avec nos correspondants à la fois en librairie et dans la presse et pour ne pas s’éparpiller. Donc, on a choisi deux angles, très stricts qui sont la science au sens strict et la philosophie au sens strict.

Taos AÏT SI SLIMANE : Qu’est-ce que la science au sens strict ?

Sophie BANCQUART : La science dure, donc pas les sciences humaines. Maintenant on va un peu mieux et on s’ouvre un peu. On a fait des livres d’économie, d’ailleurs ça a très bien marché. Là, on est en train de lancer une collection qui m’amuse énormément qui fait des livres qui sont un peu à la croisée des chemins, on a fait un livre sur la mimétique. Là on va publier un livre sur les relations juridiques et philosophiques autour d’un thème qui est l’utérus artificiel, donc on sort un peu mais avec l’aspect juridique qui est très important. Bon, voilà, on va doucement vers les sciences humaines. Puis de temps en temps, on a lancé une série de livres qui étaient purement philosophiques et scientifiques, des romans qui transmettent un savoir philosophique ou scientifique, et là on en publie un qui est un peu déjà en dehors, qui est un plus historique que philosophique et/ou scientifique. On se donne des ouvertures, des permissions pour sortir un peu de notre ligne.

Taos AÏT SI SLIMANE : Peut-on considérer qu’initialement vous vous êtes prudemment appuyée sur le champ d’expertise des personnes, du groupe, du noyau qui a présidé à la naissance du Pommier ?

Sophie BANCQUART : C’était, de toute façon, notre cœur de travail et puis c’était notre volonté, c’était vraiment ce que nous pensions original.

Taos AÏT SI SLIMANE : Qu’est-ce qu’il y a d’original dans « l’exclusion » ? En quoi le maintien des frontières existantes, entre les sciences dures et les sciences dites molles, est-il original ?

Sophie BANCQUART : D’accord, mais ce qui est original c’est d’appréhender ce domaine sous forme de vulgarisation parce que finalement il n’y en a pas tant que ça. Il y en, a mais vraiment pas assez. Moi, j’aimerais beaucoup qu’il y ait d’autres éditeurs qui le fassent. La vulgarisation des sciences humaines, elle, est traitée par beaucoup d’éditeurs et finalement elle a peut-être moins besoin de nous. Je pense qu’on avait plus à apporter dans le domaine des sciences dures. Mais je suis d’accord avec vous, ce n’est pas original de les traiter toutes seules. Ce n’était pas mon but au départ. Mon but était simplement d’essayer de profiter, effectivement de l’expertise des gens que j’avais autour de moi, et du projet qui était de travailler dans ce domaine-là, alors qu’ailleurs on ne travaille peut-être pas beaucoup dans ce domaine-là. Maintenant que l’on est un tout petit plus grand, on s’ouvre.

Taos AÏT SI SLIMANE : Revenons maintenant au groupe et à la base de données. Où en est-elle ? Et que recouvre-t-elle exactement ? Où peut-on la consulter ? Quelles indications donnent-elles ? Etc.

Sophie BANCQUART : Pour la banque de données, on a commencé, aussi, assez modestement. Dans le même esprit que ce qu’a fait Le Pommier, c’est-à-dire qu’on s’est dit on ne va pas tout ouvrir tout de suite on a surtout essayé de le faire. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’au départ c’était un projet un peu nouveau. Moi, j’ai appelé ça, mon rêve. A la première réunion du groupe, je m’en souviendrai toujours, j’ai dit : et puis j’ai un rêve et j’ai raconté l’histoire de la banque de données et j’ai vu mes collègues qui me regardaient et qui m’ont dit : Ah ! Ça alors c’est un rêve qui vaut la peine d’être concrétisé. C’était un rêve et trouver les moyens de le réaliser ce n’était pas aussi évident que cela. On s’est tous donné beaucoup de mal pour le réaliser mais il ne fallait pas que cela soit trop grand. Et moi, je me suis complètement trompée sur les quantités concernées. En fait quand on a monté notre projet, quand on a demandé des subventions pour monter ce projet, j’avais fait une estimation qui était d’environ vingt éditeurs et d’environ 5000 titres. Le résultat des courses c’est que sur le site [http://www.sciencespourtous.org/ Sciences pour tous ] il y a eu 1500 titres pas 5000 et il y avait 50 éditeurs. On a trouvé 50 éditeurs concernés par la science et je ne m’y attendais pas du tout, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait 1500 titres. C’est très peu. Or, on n’a pas du tout pris dans les nouveautés on a puisé dans le fond pour beaucoup. En matière de vulgarisation le fond c’est très important parce que très souvent un livre même s’il a plusieurs dizaines d’années peut être encore tout à fait pertinent aujourd’hui dans la mesure où la science va très vite, c’est vrai, mais que le niveau de la science qu’on explique est souvent tel que ce qui a changé ne la concerne pas. Bon, ce n’est pas vrai pour tous les livres, mais un livre qui a deux ou trois ans c’est sûr. Il y a tout de même très peu de livres qui sont obsolètes en deux, trois ans. Il y en a, mais il y en a très peu. La plupart sont encore tout à fait pertinents et c’est tellement difficile de faire de la bonne vulgarisation qu’il ne faut surtout pas se priver des bons livres que l’on a sous la main. Ça c’est l’idée qu’on avait en faisant la banque de données. Jamais je n’aurais imaginé qu’on aurait à recenser que 15 00 titres, c’est très peu. Mais voilà, dans un premier temps on a eu très peu de livre mais au début je m’étais dit qu’on en aurait beaucoup et c’est pourquoi on s’est dit, on ne va prendre que les livres pour adultes, donc pas les livres pour enfants, ce qui a fait le désespoir du ministère de la recherche qui voulait absolument qu’on prenne en compte les livres pour enfants, et c’est ce qu’on essaye de faire maintenant, d’autre part on a décidé de ne prendre que la science dure à l’exception de l’informatique, de la science appliquée, de la médecine dont tout le monde se demande est-ce que c’est un art, est-ce que c’est une pratique etc. C’est, en plus de ça, plus facile à traiter. Ça nous demandait moins d’arbitrage. Mais comme toute aventure à partir du moment où l’on a commencé il faut l’enrichir. Et si cela marche on peut le poursuivre ça vaut la peine. Elle est maintenant mise à jour sur les seuls revenus des éditeurs, ce n’est plus financé, c’est mis à jour par les éditeurs eux-mêmes. La mise à jour qui va être faite pour le mois d’octobre va faire 2 000 titres, ça commence à prendre un peu d’ampleur. Le projet cette année est de l’étendre au domaine des enfants parce que là, je crois, il y a un vrai besoin. C’est difficile parce que ça pose plein d’autres problèmes et pleins d’autres questions.

Taos AÏT SI SLIMANE : À ma connaissance, cette banque de données est limitée aux livres, il n’y a pas les revues, les Cédéroms et autres supports d’édition, est-ce bien le cas ?

Sophie BANCQUART : Oui mais on a tout de même ajouté les CD audio et quelques Cédéroms. De toute façon il n’y en a vraiment pas beaucoup et s’il y en a, on peut les rajouter, il n’y a vraiment pas de problème, il n’y a pas de fermeture de ce côté-là. Elle n’intègre pas les revues mais pourquoi pas, bien que cela demande un traitement extrêmement différent. Pour l’instant c’est livre et CD. Encore une fois rien n’est fermé, tout est ouvert, on va traiter les problèmes les uns après les autres. Cette année on a essayé de traiter la médecine. On a eu une réunion et on s’est rendu compte qu’on avait finalement intégré dans la base des livres de médecine qui correspondaient à ce qu’on veut faire, c’est-à-dire à de la vulgarisation d’un savoir scientifique et que tout ce qui manquait était soit, des livres de pratiques soit des livres de recettes, de bien être etc. et ça ce n’est pas notre objet. Nous, on veut transmettre un savoir scientifique. Finalement on avait les livres qu’il nous fallait, il en manquait peu, on les a ajoutés. Donc, le problème de la médecine n’était finalement pas un problème. En revanche la technique, ça c’est vraiment quelque chose qu’il faut qu’on fasse et ça c’est tout à fait autre chose mais c’est pour l’année prochaine. On fait d’abord les enfants parce que vous savez les journées ne font que 24h, …

Taos AÏT SI SLIMANE : D’autant que vous n’êtes pas si nombreux que ça… Cela dit, cette base de données a le mérite d’exister mais ce qui guide nos questions, chacune d’elles autant que vos réponses méritent bien sûr un long développement, voire des débats de fond, ce qui nous intéresse aujourd’hui c’est de recueillir des informations pratiques pour les mettre à la disposition de nos collègues de la Cité des sciences, et celles et ceux qui sont en région, un minimum d’informations relative aux circuits d’édition, diffusion des ressources sciences et techniques dans un paysage foisonnant, en crise et en mutation à tous les niveaux.

Sophie BANCQUART : Alors, pour le site, je voudrais juste dire deux ou trois choses à propos des qualités du site. Ah ! Vous alliez la poser ?

Taos AÏT SI SLIMANE : Oui. Mais auparavant nous aimerions savoir ou vous en êtes avec l’Europe, la francophonie ? Faites-vous des incursions hors hexagone et DOM TOM ?

Sophie BANCQUART : Pas encore. Et là encore on ne demande pas mieux. Alors, Oh ! Là, là ! Il y a un travail gigantesque à faire ! Je dis, pas encore, mais ce n’est pas entièrement vrai. C’est-à-dire qu’il y a quelques éditeurs canadiens, je crois qu’il y en a un. Il y a un suisse, voilà !

Taos AÏT SI SLIMANE : Selon les bonnes volontés qui veulent s’agréger.

Sophie BANCQUART : Oui. Maintenant que la base de données existe, tout éditeur qui a envie de soumettre des livres pour faire partie de cette base le fait, il n’y a aucun problème. Il y a une commission dans notre groupe d’examen parce qu’effectivement tout livre ne sera pas accepté, donc il y a une commission qui examine les livres soumis et c’est payant. Pour mettre un livre sur la base il faut payer sinon ce n’est pas possible on ne s’en sort pas. Ce n’est pas très cher. Je crois que c’est dix ou vingt euros, c’est accessible à tout le monde, mais il faut payer un peu. L’Europe, ça c’est encore une autre question. Moi, j’aimerais beaucoup qu’à partir de là on puisse -mon problème c’est les journées de 24h- la faire traduire en anglais, cette base, parce que je pense que cela nous aiderait à faire connaître notre travail à l’étranger notamment auprès des éditeurs étrangers. Ça c’est une chose qu’on a vaguement évoquée avec le biais du BN mais dont il faut qu’on reparle, on va essayer de faire ça. Maintenant de savoir si c’est intéressant de prendre contact avec des éditeurs d’autres langues, c’est une autre question qui est beaucoup plus difficile, beaucoup plus compliquée, et je ne suis pas sûre que la réponse soit oui parce qu’au fond notre but c’était surtout mettre à disposition du public mais surtout des professionnels le parc des livres disponibles de qualité qui correspond au champ de la vulgarisation scientifique avec des notices d’éditeurs. C’est ça, l’originalité de cette base. Ce n’est pas des notices qui sont faites par des bibliothécaires, ce n’est pas des notices faites par des commerciaux comme ça peut être le cas dans d’autres bases de données, c’est des éditeurs qui disent voilà ce qu’il y a dans le livre, et voilà pourquoi je l’ai fait. Alors, ça a ses avantages et ça a ses inconvénients. Moi, j’attachais beaucoup d’importance à ce qu’il y ait un service supplémentaire qui soit donné qui est l’indication du niveau de vulgarisation. J’ai obtenu de mes confrères qu’il y ait deux niveaux : tout public d’un côté et amateur éclairé de l’autre. Pour moi ce n’est pas tout à fait suffisant, j’ai l’espoir d’arriver à les convaincre d’avoir trois niveaux et que l’on soit plus exigeants dans l’attribution de ces niveaux que nous ne l’avons été. Voilà, c’est un début, ça donne déjà des indications et ça aide un peu à choisir les livres qui sont vraiment très grand public et ceux qui le sont moins. Reste que comme toujours il faut croiser les compétences, je sais qu’à la Cité des sciences il y a un projet très, très ambitieux d’un site de la médiathèque et au fond il y a un moment où on pourra travailler ensemble.

Taos AÏT SI SLIMANE : Mes questions sont à tiroir, je l’admets mais mes pelotes sont de la même laine. Il existe un ambitieux projet d’une bibliothèque numérique de l’union européenne (BNUE) où il est question de mutualiser les moyens y compris de catalogues à entrée multiples. Toutes les bibliothèques ne donnent pas accès en ligne à l’intégralité des ressources, il y a encore de nombreuses discordances, ça c’est un autre niveau de débat, néanmoins il y a le souci de la mutualisation et que chacun ne réinvente pas la poudre de son côté. Il est question que les bibliothèques universitaires, régionales, municipales, quelles que soient leurs dimensions mettent en commun leurs fonds et les informations afférentes et les rendent disponibles et accessibles dans tout l’espace européen, ce qui est extrêmement intéressant en terme d’économie d’échelle mais également sur d’autres registres, et notamment l’accessibilité linguistique (traduction multi langues) qui va progressivement se mettre en place et pas seulement en anglais. En effet, s’il y a velléité de conquête de marché rentable pour l’avenir ce n’est probablement pas celui des Anglo-saxons mais celui de la Chine et de l’Inde. D’abord parce qu’en termes de masse ils sont clairement plus nombreux et puis parce qu’ils ont une vraie politique d’accès aux savoirs disponibles ailleurs qu’ils s’approprient et transforment. On a encore le réflexe et surtout le complexe de l’anglais, mais il vaut mieux encourager les jeunes à exceller dans les langues indiennes et chinoises autant pour les domaines économiques que techniques et scientifiques.

Bon, le débat n’étant pas là, revenons à l’Europe. Œuvrer à l’échelle européenne c’est « survivre ». Isolés, les uns et les autres sont faibles dans tous les domaines. Il n’est, bien sûr, pas question d’attendre que tout le monde se mettent en ordre de bataille pour partir en vadrouille. Vous, vous vous êtes attelée à la tâche c’est très bien et les pas que vous faites permettront à d’autres de se joindre à vous afin que les rus deviennent des fleuves d’irrigation. De toute façon, ce que vous avez fait est précieux. La preuve c’est que pour l’instant dans le cadre des formations que nous animons au profit de nos collègues des régions, parmi les questions qui reviennent il y a, souvent, celles-ci : Avez-vous, vous à la Cité des sciences un catalogue des ressources en sciences et techniques ? Existe-t-il un catalogue professionnel exhaustif ? Existe-t-il une banque de données ? Comment connaître les auteurs, les éditeurs ? Quel est le niveau des ressources disponibles, nous nous n’avons pas les compétences requises pour dire si tel ou tel livre et/ou autre support est accessible, de qualité ou pas ? Si ce travail est fait, pour nos collègues, en région dans les diverses lieux ressources, bibliothèques et médiathèques, CDI etc. qui prennent de plus en compte le rayon sciences et techniques, cela constitue un outil précieux.

Je ne voudrais pas oublier les DOM-TOM où il y a non seulement un public de lecteurs, des professionnels de la médiation des sciences et techniques mais également des éditeurs. Ma question sur les incursions Europe, francophonie (le Maghreb, les pays périméditerranéens et au-delà l’Afrique et d’autres régions du monde), etc., c’est surtout pour mesurer notre prise de conscience sur la nécessaire mutualisation des moyens et une fois nos productions mises en commun l’évaluation, même indirecte, de notre production éditoriale française, en matière de vulgarisation des sciences et techniques, au regard de ce qui est fait ailleurs. Parce que l’histoire des publics éclairés ou pas éclairés, de niveaux scolaires et diverses autres typologies de publics qui sont faites par les uns et les autres, ne souffrent pas d’un manque de données, d’informations, etc. Si nous voulons les satisfaire, leur être utile, nous devons répondre à des attentes tout autres : Où est la bonne information ? A qui vais-je me fier dans le circuit de validation ? Qui valide ? Autorité, sur quoi, sur qui, au nom de quoi ? Etc. Aujourd’hui si nous voulons conquérir le public c’est sur ces items-là, entre autres, que nous devons travailler. N’oublions pas qu’il y a de la défiance, du scepticisme mais également toujours autant de désir de comprendre et pas seulement d’apprendre (au sens étroit du terme). Il y a des publics qui ont pour seul désir, celui d’amasser des connaissances et au-delà le savoir, et d’autres qui cherchent à comprendre les enjeux et qui croisent nécessairement tous les champs du savoir.

Sophie BANCQUART : C’est exactement ça que proposent les éditeurs de vulgarisation scientifique. Au fond je dirais que la vertu du site Sciences pour tous c’est d’exister et d’exister vite. On l’a quand même fait en un an ce qui était très rapide. Maintenant, c’est sûr que c’est perfectible d’une part, et c’est sûr qu’il y a d’autres choses bien mieux qui sont en préparation ailleurs etc. seulement, aujourd’hui, une base de données relativement cohérente et à peu près complète dans un domaine défini ça n’existait pas, ça existe. Sa vertu c’est d’exister. J’insiste quand même un tout petit peu sur l’aspect papier parce que donc, on a fait ce site, mais on a fait une extraction de ce site sous forme d’un catalogue qui contient six cent titres. La raison pour laquelle on a fait, cela et moi j’y tenais beaucoup, c’est que quand je me promène en région parce que quand même j’y vais assez volontiers à la rencontre de bibliothécaires, justement, pour expliquer un peu notre métier et les difficultés que l’on peut rencontrer et notre façon de travailler, je m’aperçois que la plupart des bibliothécaires des petites villes, des petites bibliothèques au fond, utilisent d’abord le papier. A la réunion où vous m’aviez conviée l’autre jour à la Cité des sciences, les médiathécaires qui étaient réunis autour de la table demandaient le catalogue papier, alors qu’en fait c’était de grosses bibliothèques pour la plupart d’entre-elles. Je me souviens qu’il y avait plusieurs qui étaient dans de grosses bibliothèques et qui demandaient le catalogue papier alors qu’ils pouvaient parfaitement accéder à l’Internet. Et ça, c’est pour moi quelque chose qui est très important, j’en suis convaincue.

Taos AÏT SI SLIMANE : Nous sommes, encore, une génération de papier, mais que cela ne ralentisse pas les mutations numériques et de toute façon les deux supports ne s’excluent pas. Ils peuvent parfaitement coexister d’autant que la fracture numérique est une réalité tangible (équipement, maitrise, …)

Sophie BANCQUART : Moi, je crois que l’on a besoin du papier. On n’est pas assez riche pour pouvoir faire des éditions papiers régulièrement. Mon projet pour la réutilisation de la base sous la forme papier ce serait dans le cadre de la quinzaine du livre de sciences si on arrive à la monter pour le mois de janvier. Elle sera autour d’un thème. Le thème que nous avons retenu est celui de l’histoire naturelle. L’année prochaine correspond au tricentenaire de Buffon et de Linné et nous avons pensé faire une extraction de la base autour du thème des sciences naturelles et de faire un petit catalogue à jour sur ce domaine-là. C’est un projet parmi tant d’autres. Maintenant que la base existe nous pouvons l’exploiter pour divers besoins. C’est vrai que cela coûte beaucoup d’argent et nous sommes obligés de sérier les publications. Mais, moi je crois à la vertu du papier. Je crois que l’on ne peut pas s’en passer. Cela va empiéter un peu sur les questions que vous souhaitiez poser sur le marché du numérique, je crois que le livre papier n’est absolument pas mort. C’est un objet très particulier qui a une consultation très particulière et dont on a foncièrement besoin. Je vous laisse poser d’autres questions sur ce sujet.

Taos AÏT SI SLIMANE : Restons sur ce chapitre du numérique. Globalement, les éditeurs sont venus au numérique en reculant y compris pour ce qui concerne le catalogue. Je ne suis pas spécialiste de la question mais je crois savoir que c’est la maison Gallimard qui s’y était mise en premier dans les années 95-96, puis à partir des années 2000 (il est probable que les « angoisses » du « bug de 2000 » y soit pour quelque chose aussi, c’est une boutade) les autres s’y sont mis progressivement et pendant longtemps on a vu des sites austères, pas très ergonomiques et qui ne proposaient d’imparfaits clones de leurs catalogues papier et depuis un an on voit émerger une dynamique plus intéressante de la part de certains éditeurs (Gallimard, Le Seuil, …) qui ont sacrément amélioré les visuels, la navigation, etc. Et chose très appréciable, ils ne sont pas que sur le registre de la communication déviée, réduite et instrumentalisée au seul profit du marketing et de la publicité. Ils offrent, en ligne, un véritable travail éditorial et leurs sites s’enrichissent en ressources, données, iconographies. Des sites de plus en plus riches en renseignement et qui leur donnent l’occasion de mettre en valeur leur patrimoine (photos, manuscrits, sons, etc.), voire même des débuts d’échanges entre lecteurs –auteurs-éditeurs. En fait, un « territoire » où se tissent des relations privilégiées avec les lecteurs acquis mais où s’organise l’accueil de nouveaux lecteurs grâce à la mise en ligne de quelques pages ou à leur lecture, etc. Nous faisons partie d’une génération attachée au papier, c’est un fait, mais je ne suis pas sûre que celles qui nous suivent aient le même rapport à cet objet, sous cette forme. Nous qui aimons le livre, quand bien même nous serions séduits par le format numérique nous préférons encore acquérir l’objet et le lire dans sa version papier, d’autant que les possibles technologiques d’aujourd’hui ne sont pas vraiment satisfaisantes, pour l’instant. Si nous devons télécharger et imprimer pour lire il est plus agréable d’acheter le livre dans son format classique que de stocker des tonnes de papier en vrac, par exemple, auquel se rajoute le coût global (imprimante, cartouche d’encre, papier, etc.). On sait très bien qu’il y a tout cela dans la balance mais il me semble difficile de raisonner uniquement à notre échelle. Nous ne sommes pas seuls sur notre planète, il y a aussi Google qui vient nous bousculer. Penser que nous lui devons la numérisation de fonds, disponibles dans les bibliothèques universitaires partenaires, dont nos prestigieuses maisons d’éditions n’avaient même plus traces ne nous laisse pas indifférents. Penser que des milliers de personnes lui doivent l’accès, et en plus gratuit, à des documents indisponibles par ailleurs doit nous pousser à questionner et revoir nos pratiques et partis pris. Tout ça pour dire que les maisons d’édition qui prennent à bras le corps la logique du numérique et de la mise en ligne des ressources n’est pas anodine. « L’exhumation » des fonds tombés dans le domaine public c’est utile pour les lecteurs, la maîtrise de l’écriture multimédia et un réel travail sur le fond et la forme des sites n’est pas un luxe, une cerise sur le gâteau. Cela relève de la qualité d’écoute des publics avec leurs nouveaux usages et c’est en plus économiquement plus rentable, plus réactif compte tenu des coùts globaux de mises à jour et de diffusion. Et pour finir nous sommes bien conscients que tout cela contribue au chamboulement des circuits d’édition et de diffusion classiques mais nous savons tous que de vraies mutations se produisent actuellement et il vaut mieux les anticiper et les intégrer que d’avoir à les subir.

Mais revenons à vous. Avant cette rencontre, j’ai été navigué sur le site des éditions [http://txtnet.com/Pommier/default.asp Le Pommier], j’ai constaté qu’il était en travaux et nous espérons qu’il va s’enrichir également. Pour ce qui concerne le site [http://www.sciencespourtous.org/ Sciences pour tous] il est franchement perfectible.

Sophie BANCQUART : Sur ce point je ne crois pas avoir énormément de choses à dire. Au Pommier on a le chantier de révision du site, mais on en est quand même très loin. On n’a pas beaucoup avancé. On va faire quelques améliorations, des mises à jour, mais on n’est pas du tout à la pointe de la réflexion en matière du multimédia, Sciences pour tous non plus. C’est sûr que dans un premier temps notre objectif était tendu vers la collecte de l’information et sa mise à disposition, la forme est pour l’instant correcte, mais ce n’est pour l’instant pas extrêmement soigné pour ce qui concerne la forme. Ça va être fait, cela fait partie des choses en chantier, en projet. Ce que j’aimerais, pour Sciences pour tous, à un moment ou un autre, c’est qu’il puisse y avoir une sorte de rapprochement avec des gens qui feraient, ce qui me semble tout à fait nécessaire encore maintenant, c’est de mettre en ligne sous forme de portail, je ne sais pas très bien comment, une actualité scientifique en région. Je rêve de trouver sur Internet de manière très aisément accessible et repérable les annonces de tout ce qui se passe dans la ville dans laquelle on habite en matière de science. C’est-à-dire les films scientifiques visionnés, les expositions, les rencontres, les conférences, les cours grand public, les signatures en libraires, la mise en valeur de quelques livres à cette occasion. Je suis sûre qu’il y a quelque chose à faire là. Alors, maintenant qui va le faire ? Comment cela sera-t-il fait ? En fait l’avantage de ce groupe c’est qu’on rencontre des gens et que l’on parle, comme on est en train de le faire là. Eh ! bien quand on parle, il y a des gens à qui cela donne des idées et qui vont faire des choses. On parlait tout à l’heure du Prix du livre de science c’est né de ça. Nous avons échangé avec des gens, ils ont parlé entre eux et de fil en aiguille est née cette idée qui a parfaitement bien marché. Moi, toute seule je ne peux pas tout faire. Le petit groupe qu’on a formé, qui a un bureau avec trois personnes, plus moi et un chargé de mission, cela fait cinq personnes. Il nous est difficile de tout faire parce que nous avons nos maisons à faire fonctionner. Il est nécessaire que cela délaye. Je crois beaucoup à ça. On va faire passer des idées, on en parle tous et à un moment donné la mayonnaise va prendre et il y a des gens qui vont faire des choses. C’est tout et c’est formidable.

Pour revenir à la question que vous posiez, je suis sûre que vous aviez parfaitement raison. Le livre a sa fonction et il ne va pas la perdre. En revanche, il est clair que nous n’avons pas encore fini d’explorer les capacités de l’outil Internet et que l’on va sûrement trouver des tas d’utilisations et les améliorer, les multiplier. Chacune va prendre sa place, et nous il faut que l’on apprenne, que l’on se modernise, qu’on se mette à jour, etc. on a beaucoup de travail parce qu’on connaît bien le papier mais les autres formes d’édition on les connaît moins bien. Je n’ai plus vingt ans mais n’exclus aucunement de nouveaux apprentissages. Les jeunes vont nous pousser à faire encore des progrès.

Taos AÏT SI SLIMANE : Nous avons eu l’occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises dans le cadre des activités de la Cité des sciences parce que vous avez une relation privilégiée avec notre établissement, et plus particulièrement avec le Collège de la Cité des sciences, avec qui vous coéditez sa collection de livres, même si la totalité de son programme est disponible en ligne. Je lisais récemment que le livre d’art avait retrouvé une meilleure forme grâce aux coéditions avec les musées des catalogues d’exposition. Comment est née la relation « intime » mais non exclusive entre la Cité des sciences et les éditions du Pommier ? Qu’en est-il pour vous avec les autres musées et CCSTI ? Qu’en est-il aussi bien pour le livre que pour d’autres formes de collaboration ? Et également comment se passe vos relations avec les musées, le circuit de distribution (qui n’est plus exclusif) de la RMN, et des boutiques-librairies des musées quant à la diffusion de votre production ?

Sophie BANCQUART : L’histoire que nous avons avec la Cité des sciences pour la coédition de la collection Le Collège de la Cité, c’est tout simple. Il y a eu à un moment donné, de la part de la Cité des sciences, l’idée de faire une collection à partir des conférences qu’elle organise. Il y a eu un appel d’offre auquel nous avons répondu. Il est vrai que par ailleurs, moi, j’avais des relations anciennes avec Roland SCHAER, directeur de Sciences et société, direction dont dépend le Collège de la Cité, qui viennent de deux choses : Roland SCHAER était un ancien élève de Michel Serres, donc c’est comme ça que je l’ai connu. Il a fait partie du comité éditorial de la collection Dominos, c’est comme ça que je l’ai connu la première fois, on a d’autre part travaillé ensemble quand il était à la Bibliothèque Nationale où on a organisé une série de conférences à partir du fameux Trésors des sciences, dont je vous avais parlé tout à l’heure, et c’est comme ça qu’on a appris à se connaître. Il m’a sollicitée au moment de l’appel d’offre, au même titre que d’autres éditeurs, notre proposition à été retenue et je pense que c’est en partie dû au fait que nous avions proposé de tous petits livres dans un format de poche et très accessibles. Ça, ça allait bien avec l’idée que se fait la Cité des sciences de la diffusion. Nous partagions cette idée de produire des livres de qualité, de possible grande diffusion et peu chers. Actuellement je travaille beaucoup avec Bénédicte de BARITAULT, l’actuelle chef du département du Collège au sein de la direction Sciences et société que dirige Roland SCHAER, et nous travaillons ensemble avec plaisir. C’est absolument passionnant parce qu’il y a des thèmes très intéressants qui sont traités.

Taos AÏT SI SLIMANE : Je vais vous interrompre deux secondes. Je suis revenue par ce biais à cette question, car contrairement à ce qui était votre parti pris initial qui était de traiter préférentiellement, pour ne pas dire exclusivement, ce que vous appelez les sciences dures, au Collège de la Cité la démarche n’est pas celle-ci, la volonté est même de favoriser la percolation entre les divers champs du savoir, disons d’explorer les influences réciproques de toutes les activités scientifiques, celles qui étaient jusque là dénommées sciences dures et les sciences dites molles. Est-ce cette proximité avec le Collège de la Cité vous a ouvert des voies que vous ne soupçonniez pas jusque-là, des horizons auxquels vous ne pensiez pas forcément auparavant ?

Sophie BANCQUART : Moi, cela m’enchante. Je suis très contente. Maintenant, Le Pommier peut se permettre de proposer une collection plus ouverte mais tout autant rigoureuse. Maintenant, je me sens de défendre cette ligne éditoriale alors qu’au début j’avais du mal. C’est passionnant, ça traite de sujets qui sont liés à notre vie quotidienne et en même temps des sujets de connaissances fondamentaux, on a vraiment les deux aspects. Ça nous permet de travailler avec des auteurs que nous ne connaissions pas auparavant et cela nous ouvre des horizons très intéressants et puis c’est tout à fait particulier parce qu’il y a deux aspects qu’il faut que je développe du fait que les projets de livres se font après les conférences. Le premier est positif et le deuxième est négatif. Le négatif, c’est qu’au fond la personne qui vient faire une conférence ne vient pas faire un livre. Ce n’est pas du tout le même travail. Il ne faut pas croire que sous prétexte que la conférence a eu lieu le livre existe. Une fois la conférence faite, les auteurs s’attèlent au livre. Souvent, les auteurs ne mesurent pas au moment où ils acceptent de faire un livre le travail que cela va leur demander.

Taos AÏT SI SLIMANE : Dans la mesure où ce sont des scientifiques encore en activité est-ce qu’ils ne pensent pas que cela serait de la même nature que les actes de colloques qui sont, souvent, une compilation des articles présentés lors des colloques en question ?

Sophie BANCQUART : Oui, quelque chose du genre, alors que nous leur demandons de vraiment écrire un livre. Du coup, cela leur fait vraiment du travail et ce n’est pas toujours facile, mais du coup les livres sont vraiment très bien. Et l’aspect positif, c’est qu’ils ont eu le retour du public lorsqu’ils ont présenté la conférence. Parce que quand vous faites une conférence vous voyez ce qui capte l’intérêt du public et là où ils sont « largués ». Leurs attitude et regards signifient quant à leur décrochage (pour diverses raisons) et ou intérêt. Pour le conférencier ces retours sont très importants et cela lui permet d’ajuster son discours. Et dans les séquences des questions-réponses, le futur auteur voit ce sur quoi le public insiste ce qui lui permet de teinter un peu le livre d’une démarche de vulgarisation, ce qui le rapproche d’autant plus de son public lecteur.

Taos AÏT SI SLIMANE : Cette relation que vous avez avec la Cité est-elle possible avec d’autres musées et CCSTI ? L’expérience est-elle reproductible, transférable ?

Sophie BANCQUART : Nous sommes en train, - là je parle encore une fois du Pommier, je reviendrais aux autres après-, nous sommes en train de travailler avec le Palais de la découverte sur un projet, j’espère qu’il verra le jour, j’espère bien que cela sera possible, moi je n’ai aucune exclusivité avec la Cité, il en est de même pour la Cité qui fait des tas d’autres livres avec d’autres éditeurs, par exemple les livres très réussis avec Odile Jacob, Flammarion, Fayard, Dunod … Je crois que c’est vraiment très bien. Je réponds à votre dernière question sans avoir tous les éléments de réponse. Je dirais qu’il est très important que nous ne mélangions pas tout et que chacun apporte sa compétence. Les musées de sciences ont une compétence absolument extraordinaire sur la mise à disposition des savoirs scientifiques et les éditeurs ont une autre compétence de mise à disposition de ce savoir scientifique sous une autre forme. C’est formidable de marier les deux expériences et que chacun ait sa compétence. Pour le livre d’art, les questions sont différentes quoi qu’on rencontre un peu ces questions avec certaines maisons d’édition qui font du livre de science alors qu’elles dépendent d’institut, par exemple le CNRS, la question qui s’est posée pour le livre de science et qui a justement été tranchée par le principe de coédition, c’est de dire qu’il ne faut pas que les instituts publics prennent la place des éditeurs privés, une place où ils n’ont pas de raison d’être. Dans ces cas-là il vaut mieux organiser des coéditions. Je trouve que c’est une très bonne solution. Cela semble de plus en plus le cas y compris pour les livres d’arts.

Taos AÏT SI SLIMANE : C’est ce principe qui semble être choisi dans le cas du musée du Quai Branly où le circuit d’édition a été anticipé et pensé avec des coéditions croisées et non exclusives avec la même souplesse y compris pour la distribution, etc.

Sophie BANCQUART : Oui, je crois. Ça me paraît un très bon système. Il y a eu autrefois quelques abus, maintenant on semble s’engager dans de bonnes directions.

Taos AÏT SI SLIMANE : Certains catalogues d’art en coédition semblent bien fonctionner, ce n’est bien sûr pas une règle générale, et leur distribution relativement bien assurée par entre autres les circuits de la RMN. Qu’en est-il de la distribution des livres des sciences ?

Sophie BANCQUART : Les boutiques des musées à ma connaissance, il n’y en a pas tant que ça. Il y en a à la Cité des sciences et au Palais de la découverte, il y a un système plus ou moins équivalent, c’est-à-dire une librairie en concession. À la Cité des sciences c’est un peu compliqué puisque la boutique est concédée à Explorus alors qu’au Palais de la Découverte c’est Nature et découverte tout seul. Il y en a quelques autres en France mais pas vraiment beaucoup il y a là quelque chose (libraires et divers produits dérivés) qui pourrait se développer dans ce cadre-là. Dans le cas des deux lieux parisiens, je dirais quelque chose qui me paraît très important, c’est que quand ces deux points de vente ont été imaginés, dans un cas comme dans l’autre, pour mettre à la disposition du public des objets liés aux sciences mais surtout des bibliothèques de qualité. Ça a été le cas à certains moments, ça ne l’est plus forcément toujours aujourd’hui où l’on peut constater des dérives qui se sont produites ces derniers temps, notamment l’accroissement du « champ bien-être » qui à mon avis n’est pas l’orientation que doivent avoir ces points de vente. Bon j’en profite puisque vous me posez la question. Pour moi, c’est vraiment, dans la mesure où il s’agit justement du service public, il faudrait plus d’exigences quant à ce qui est diffusé dans ces points de vente. Et là je prends ma casquette syndicale. Pour les autres points de vente, il me semble qu’il reste énormément de choses à faire. C’est un immense chantier. Plus on développera des points de vente spécialisés en livre et en objets scientifiques liés aux musées mieux cela sera. Je ne suis pas sûre que cela fasse une concurrence aux libraires, il faut regarder cela.

Taos AÏT SI SLIMANE : Les concessions pourraient être tenues pas les libraires.

Sophie BANCQUART : Exactement. L’idéal est évidemment quand c’est un libraire qui la prend. Un vrai libraire.

Taos AÏT SI SLIMANE : Restera la question des autres produits dérivés et de la faisabilité… Lors de la session de formation pour laquelle nous vous avions sollicitée, nous avions également invité une personne de la boutique de la Cité des sciences et de l’industrie qui nous a fait part des contraintes qui sont les leurs. Il semble que les seuls livres des sciences ne leur assurent pas la survie minimum, d’où l’élargissement de leurs rayons livres et revues à d’autres thèmes et autres marchandises plus ou moins gadgétisées avec, souvent, des rapports très lointains pour ne pas dire inexistants avec le cœur de mission de notre établissement. Une concession est coûteuse mais les établissements culturels sont de plus en plus contraints à une gestion « rentable ». Les contingences financières s’imposent et dominent alors que l’investissement, la rentabilité et l’efficacité ne peuvent être évaluées avec les mêmes outils que dans d’autres secteurs d’activités économiques. Les professionnels des établissements culturels, comme ceux des établissements éducatifs, etc. se débattent dans les contradictions et paradoxes d’une vision du tout marchand triomphant. Nous prenons de gros risques en nous en tenant à cela. Ce qui me semble intéressant, indispensable, inévitable, c’est que progressivement on mette à plat tout cela afin d’apporter les indispensables correctifs aussi bien dans les divers établissements que dans les relations avec les partenaires économiques et autres partenaires.

Être exigeant, vous le disiez au début de notre rencontre, a un prix. Vous disiez également que vous n’aviez pas de velléités d’enrichissement à n’importe quel prix, mais ce que vous faites, produisez a un coût, un prix. Prenons l’exemple du site web du Pommier, vous dites qu’à titre personnel vous n’avez pas les compétences – je lis entre les lignes - pour en faire le site le plus proche des attentes du public, de leurs nouveaux usages et qui intègre tous les possibles des innovations technologiques… On voit bien que le problème n’est pas inhérent à vos compétences, vous qui ne pouvez de toute façon pas être partout, mais bien à l’impossibilité, pour l’instant, de vous payer les services de professionnels qui vous réaliseront un tel projet. Il n’y a là ni refus du numérique ni sous-estimation de sa nécessité et plus-value. Vous assumez la hiérarchie des priorités dans un champ de contraintes qui s’impose à vous en quelque sorte. La liberté, l’indépendance et l’exigence intellectuelle ont un prix que tous ne choisissent pas de payer… L’économie est indispensable pour la vie de la culture mais on ne peut pas tout lui sacrifier, tout lui aliéner. Mais ne nous égarons. Nous avons voulu cet entretien avec vous, que nous poursuivrons avec d’autres, afin d’éclairer nos collègues sur les contraintes objectives qui s’imposent aujourd’hui dans l’ensemble du circuit de la médiation des sciences et techniques, dans ce cas précis le circuit de production et diffusion des livres sur les sciences et techniques. Il nous importe de faire l’état des lieux et surtout de repérer l’existant et les projets de mutualisation des ressources sous toutes les formes de la production à la diffusion.

Sophie BANCQUART : Pour l’instant il n’y a pas de réseau particulier. Il y a tout de même un réseau fondamental, celui des libraires, qui est notre vie à tous, éditeurs et lecteurs. C’est un réseau qui résiste. Ils font un travail absolument formidable et qu’il faut privilégier dans nos relations, c’est fondamental. Si les libraires peuvent trouver l’occasion de certaines unions, à certains endroits avec des musées de sciences, je trouverais cela formidable. Il y a sûrement beaucoup de travail à faire.

Laurence TOULORGE : Une question que Taos a évoquée tout à l’heure, qu’est-ce que c’est que la vulgarisation scientifique du point de vu de l’éditeur ; ? Comment vous êtes-vous mis d’accord, avec vos autres collègues du syndicat, pour définir ce qu’étaient les ouvrages de vulgarisation scientifique ?

Sophie BANCQUART : Ça, c’est une très bonne question parce qu’en fait cela n’a pas été si facile. De mon point de vue, du point de vue du Pommier, la vulgarisation scientifique, j’en profite pour dire j’aime bien ce mot, qu’il ne me gêne pas du tout, il vient quand même du mot vulgus qui ne veut pas seulement dire vulgaire, mais qui veut dire populaire et c’est quand même quelque chose de très important parce que moi c’est vraiment cela mon but. Mon but, c’est ça, c’est mettre à la disposition d’un public, le plus large possible, la science telle qu’elle est en train de se faire, le plus fidèlement possible et de la façon la plus séduisante possible. Alors, la définition est idéale et n’a aucun sens dans la réalité. Bien sûr, le scientifique qui est à la pointe de son domaine aujourd’hui, ne va pas pouvoir l’expliquer exactement ce qu’il est en train de faire ne serait-ce qu’à un collègue qui n’est pas dans le même domaine que lui, on voit ça tout le temps. Ça, c’était la définition théorique et idéale. Maintenant comment on fait pour essayer de s’en rapprocher un peu ? Je crois que la première chose que l’on fait c’est d’aller chercher la science là où elle se fait. Ça, j’y reviens parce que pour nous c’est essentiel. On va rencontrer les scientifiques dans leurs labos et on voit ceux qui travaillent sur les recherches de pointe. Eux connaissent les enjeux dont ils parlent. Et c’est ça qui est important. Ils savent très bien d’une part quand c’est faux et quand c’est vrai, mais ils connaissent surtout les enjeux. Au fond la vulgarisation c’est quoi ? Une des images de la vulgarisation ça pourrait être de dire : vous êtes en Afrique vous voyez de loin le Kilimandjaro, avez une image du Kilimandjaro. Quand vous êtes très loin, vous le voyez, vous avez une image du Kilimandjaro, elle est vraie mais elle est lointaine et donc ce que vous voyez, ce que vous allez décrire à ce moment-là, c’est quelque chose qui est vrai mais qui évidemment n’est pas exact c’est simplement la vue que allez en avoir à cet endroit-là et plus vous allez vous rapprocher et plus vous allez voir quelque chose de différent qui sera toujours exact, d’une certaine façon et vrai et pourtant cela ne décrit pas la totalité de ce que vous voulez décrire. Au fond, à mon avis, c’est un peu ça notre métier à nous. Nous, on se place très, très loin et de temps en temps on s’amuse, on prend un hélicoptère, on ne fait pas tout le trajet, on prend un hélicoptère et on va se poser sur un coin. On prend une petite photo, on la montre et on repart vite pour essayer d’expliquer ce que l’on a vu. Mon image n’est pas parfaite mais cela donne un peu l’idée de ce que l’on fait. On essaye de rester le plus fidèle c’est-à-dire de ne jamais mettre un filtre à l’image sous prétexte que cela serait plus joli et du coup on va pouvoir le faire passer mieux. Mais on essaye d’en montrer des figures qui soient suffisamment lointaine pour qu’elles soient compréhensibles. C’est marrant, d’ailleurs, de temps en temps, il y a des auteurs qui me disent - pour la collection des petites Pommes du savoir, une collection de livres très grand public, qui sont tout petits – on ne peut pas traiter ce sujet sur 64 pages ! Et, moi, ce qui m’a amusée la dernière fois c’est un auteur qui nous disait on ne peut pas traiter du neutrino et des applications dans un si petit livre ! Ce n’est pas possible, il faut au moins deux livres. Je trouve cela magnifique parce qu’à côté de ça, on a un livre sur la totalité des particules élémentaire mais pour lui on ne pouvait traiter du neutrino tout seul et des applications dans un seul livré. On a un livre sur Pourquoi le soleil brille-t-il ? c’est quand même une question encore beaucoup plus générale. En fait, je crois qu’on peut traiter de tout. On peut même faire un livre sur la physique en 64 pages, ça ne me pose aucun problème. Ça dépend comment vous le faites, vous allez vous éloigner plus au moins et du coup vous allez être amené à traiter des choses de façon plus ou moins précise et forcément plus ou moins exacte. Il faut que cela reste toujours vrai. Et, autre chose, il est essentiel que quand on ne peut pas expliquer quelque chose ou quand l’image qu’on utilise modifie la chose, il faut le dire, de même que quand on ne sait pas quelque chose il faut le dire. Et ça, on demande à nos auteurs d’être très honnêtes. J’ai utilisé cette image parce que ça vous permet d’appréhender un peu l’effet tunnel par exemple, j’adore quand dans Alice au pays des quanta l’auteur nous raconte qu’Alice, qui est toute petite, au pays des quanta rencontre le lapin, et le lapin essaye de traverser la porte parce qu’il a oublié la clef de l’autre côté, et il se jette sur sa porte. Alice lui dit : mais qu’est-ce que tu fais ? Tu es complètement cinglé ? Il lui répond : l’effet tunnel tu ne connais pas ? Eh ! bien un jour ça va marcher. C’est quand même une image un peu grossière, d’accord ! Mais du coup on a quand même une espèce d’idée de cette chose qui a priori est inacceptable, c’est qu’une particule peut traverser la matière alors qu’elle ne devrait pas, et là ça peut traverser. Le type qui se cogne la tête c’est inacceptable, mais il y a quand même l’idée qui va être donnée, le tout est de dire que c’est une image énorme mais ça permet d’appréhender les choses. L’honnêteté de l’auteur doit être de dire c’est une image énorme. Il faut le dire. De même, je ne sais pas, la science s’arrête-là, c’est un objet en débat.

Ça, c’est la vulgarisation vue du côté du Pommier. Juste une dernière chose, il faut se donner les moyens de séduire tous les publics. C’est pour ça que l’on fait appel à l’image, à la fiction, au livre pour enfant, à tout ce que l’on peut à condition de rester toujours fidèle aux règles qui fondent nos partis pris.

Au syndicat on a décidé - les autres éditeurs n’ont pas les mêmes règles que nous, ils font pourtant de la très bonne vulgarisation- que tous les livres que l’on recensait devaient être soit écrits par des scientifiques, soit revus par des scientifiques, c’est-à-dire qu’il y avait toujours cette validation. Nous avions par ailleurs le souci que les livres recensés soient à disposition du large public. La vulgarisation c’est très vaste. Elle peut effectivement aller d’un public enfant jusqu’au livre qu’un scientifique va écrire, par exemple un physicien pour que ses collègues biologistes puissent le lire. Donc, ce n’est pas un livre à destination professionnelle, ce n’est pas un livre universitaire, c’est un livre fait pour être lu par le plus grand nombre.

Laurence TOULORGE : Pour ce qui concerne la validation, pour les enfants est-ce que ce sont toujours des scientifiques qui rédigent ou est-ce que vous faites appel à un autre type d’auteurs. Si ce ne sont pas des scientifiques comment faites-vous valider ces livres ?

Sophie BANCQUART : Au Pommier, ce sont toujours des scientifiques. Nous, on est têtus. Il y a quand même des exceptions. On a fait deux bouquins avec une journaliste mais elle parle de son expérience. Elle a suivi des colloques et elle les raconte. Là, elle est spécialiste de ce qu’elle raconte, donc tout va bien, on est fidèle à notre règle. Sinon, les livres pour enfants, nous, on les fait d’une façon très particulière. Il y a deux collections. Une collection de romans, ce sont des scientifiques, ils ont du talent ou ils n’en ont pas, ils n’en ont pas souvent, mais parfois il y en a qui l’ont, dans ce cas on les adore, on les soigne bien et on essaye de les garder. Puis, il y a la collection des Mini Pommes, une grande collection lancée depuis deux ans et qui est faite en collaboration avec les enfants. Pour chaque livre on établit une relation avec une classe. Le principe est le suivant : Le matin, un instituteur nous reçoit dans sa classe, CM1, CM2. Il explique aux enfants le thème qu’ils vont traiter dans la journée, leur demande de réfléchir aux questions qu’ils se posent et de les noter. Nous, on arrive, avec le scientifique, dans la classe l’après-midi. Les enfants posent oralement leurs questions au scientifique, il leur répond, ce qui permet encore une fois d’ajuster la réponse, de voir si les enfants comprennent ou pas et nous on enregistre les questions et les remarques rigolotes etc. A partir de là, on série toutes les questions auxquelles il va falloir répondre. Autour de ces questions, l’auteur bâtit une histoire au besoin avec notre aide. Chaque livre est une histoire. Nous avons décidé cela sur demande des enfants. Le premier livre on l’avait fait sans histoire, c’était juste des questions-réponses et puis quand on est arrivé en classe les enfants nous ont dit : c’est qui untel ? Pourquoi il pose telle question ? Pourquoi il répond comme ça ? Ils se sont rencontrés comment ? Il a les cheveux de quelle couleur ? On a donc réalisé que c’était fondamental et on a fait des histoires, à chaque fois c’est mis en scène. Ce n’est pas l’essentiel mais c’est une vraie histoire, avoir des personnages et c’est mis en scène sous forme de questions-réponses. Une fois que le texte est écrit, on retourne en classe. Le matin les enfants lisent le texte, l’après-midi ils nous posent des questions ils nous disent que ça on n’a pas compris, et ça comment ça marche etc., etc. et c’est corrigé avec eux ce qui est rigolo et très intéressant. Pour les autres éditeurs je ne sais pas comment ils font. Je pense que ce n’est pas du tout systématique, mais c’est sûrement toujours validé par un scientifique.

Taos AÏT SI SLIMANE : Merci infiniment pour tout ce temps que vous nous avez accordé. Nous n’avons sûrement pas fait le tour de toutes les questions avec vous qui inaugurez cette série de rencontres que nous voulons réaliser avec les médiateurs des sciences et techniques dont vos collègues des éditions, les libraires etc. Il va sans dire que nous avons fait l’impasse sur des désaccords probables entre nos perceptions des sciences, de la culture scientifique etc. mais nous aurons peut-être l’occasion d’en débattre avec vous à d’autres occasions. Nous n’avons fait que survoler des points importants relatifs aux enjeux de société liés au développement des activités scientifiques et techniques et de la politique de la culture scientifique, etc. Votre affirmation que les scientifiques maitrisent les enjeux de leurs activités méritent certainement débat, étant entendu que débats et controverses ne sont pas des affrontements mais des confrontations d’arguments des thèses soutenues par les uns et les autres, tel ou tel partis pris etc., des discussions sous diverses perspectives afin de nous éclairer réciproquement et nous enrichir mutuellement.

Merci beaucoup pour votre chaleureux accueil, votre disponibilité et la sincérité de vos réponses.

Sophie BANCQUART : Je voudrais juste ajouter un petit mot. Bien entendu ce n’est pas du tout cela que je voulais dire. La plupart des scientifiques avec lesquels je travaille disent la même chose, et pour moi c’est très vrai, dans leur domaine de compétences ils sont les seuls à connaître l’enjeu scientifique mais pas l’enjeu de société, économique etc.

Taos AÏT SI SLIMANE : Nous sommes tous, les stagiaires, professionnels des bibliothèques et médiathèques, que nous recevons à la Cité des sciences et nous-mêmes des médiateurs, des acteurs de la culture scientifique et technique. Nos rencontres et nos échanges nous aident assurément à bouger, à faire évoluer, voire même à transformer nos représentations, c’est à cela que nous travaillons. Nous espérons multiplier ces rencontres par-delà les frontières habituelles d’échanges entre professionnels des mêmes champs de compétences, mêmes institutions, ... Nos métiers bougent, sachons nous extraire de nos mues et essayons de vivre au mieux dans nos nouvelles peaux.



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