Robert Antelme est à Sartène (Corse) en 1917. Il est décédé dans la nuit du 25 au 26 octobre 1990 à l’hôpital des Invalides à Paris.
En 1936, il rencontra Marguerite Duras qui devint sa femme en septembre 1939. Ils divorcèrent en 1947. Le couple emménagea, en 1943, au troisième étage du 5 rue Saint-Benoît, dans le quartier de Saint-Germains-des-Près. Une adresse célèbre du fait de sa fréquentation par de nombreuses personnalités - Dionys Mascolo, Jacques Francis Rolland, Edgar Morin, Jean-Toussaint Desanti, Georges Semprun, Georges Bataille, Maurice Blanchot, Maurice Merleau-Ponty, Clara Malraux, Francis Ponge, Gaston Gallimard, Claude Roy, Elio Vittorini, de Raymond Queneau et tant d’autres... - qui s’y réunissaient très régulièrement pour discuter littérature et politique. Une adresse où se nouèrent, dans un même engagement politique clandestin, des liens forts, sous l’Occupation. Le lieu où se réfugia Mitterrand, pendant la guerre, en rentrant de Londres et où se déroulèrent des rencontres pour lutter contre la guerre d’Algérie, pour soutenir l’insurrection hongroise contre le régime soviétique.
Résistant au sein du réseau que dirigeait François Mitterrand (alias Jacques Morland), Robert Antelme fut arrêté par Charles Delval, un Français gestapiste, le 1er juin 1944. Dionys Mascolo grimpa au 3e étage du 5 rue Saint-Benoît, pour récupérer les dossiers de la résistance, pendant qu’Albert Camus faisait le guet en bas de la rue.
Robert Antelme connut la prison de Fresnes avant d’être déporté à Buchenwald, puis conduit au petit kommando Gandersheim - où la direction SS était assistée par des criminels de droit commun - puis à Dachau. Il fut libéré en mai 1945, grâce à [1] François Mitterrand qui l’avait retrouvé, « C’est à Dachau que, par un hasard providentiel, j’ai retrouvé Robert Antelme […] Il Était si mal qu’on l’avait déjà jeté dans le carré des morts. Comme nous enjambions les corps, me voyant passer, il a murmuré mon nom, mon prénom plutôt. Pierre Bugeaud, qui était avec moi, l’a entendu et s’est penché vers moi pour me dire : Je crois qu’on vous appelle. Je n’ai pu obtenir du général Lewis de le ramener le soir même dans notre avion à cause de l’épidémie de typhus. Rentré à Paris dans la nuit, j’ai aussitôt dépêché Dionys Mascolo, Jacques Bénet et Georges Beauchamp qui sautèrent dans une voiture et atteignirent Dachau à marche forcée. Ils trouvèrent Antelme à l’endroit indiqué. Il vivait encore. Ils l’habillèrent en GI et le portèrent comme s’il s’agissait d’un homme ivre [...]. À Strasbourg, ils le crurent mort [...]. Il était comme un pantin cassé quand ils franchirent la porte du 5 de la rue Saint-Benoit, où sa femme Marguerite et moi les attendions. Les médecins déjà sur place estimèrent qu’il n’y avait pas d’espoir de le sauver [...]. Il se rétablit, et on lui doit l’un des plus beaux livres sur la déportation, L’Espèce humaine »
« Je rapporte ici ce que j’ai vécu. L’horreur n’y est pas gigantesque. Il n’y avait à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire. L’horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent. Le ressort de notre lutte n’aura été que la revendication forcenée, et presque toujours elle-même solitaire, de rester, jusqu’au bout, des hommes. », disait Robert Antelme dans L’Espèce humaine paru en 1947 dans la petite maison d’édition, La cité universelle, qu’il avait fondée, l’année précédente, avec Marguerite Duras [2] et Dionys Mascolo. Dix ans plus tard, en 1957, sur l’intervention d’Albert Camus, le livre reparut chez Gallimard, avec l’avant propos suivant : « ; [...] nous revenions juste, nous ramenions avec nous notre mémoire, notre expérience toute vivante et nous éprouvions un désir frénétique de la dire telle quelle. Et, dès les premiers jours cependant, il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont nous disposions et cette expérience [...] Comment nous résigner à ne pas tenter d’expliquer comment nous en étions venus là ? Nous y étions encore. Et cependant c’était impossible. A peine commencions-nous à raconter, que nous suffoquions. A nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable. »
Maurice Blanchot [3] souligna, très tôt, la grandeur et la portée de l’oeuvre de son ami : « e crois que le livre de Robert Antelme nous aide à avancer dans ce savoir. Mais il faut bien comprendre ce qu’une telle connaissance a de lourd. Que l’homme puisse être détruit, cela n’est certes pas rassurant ; mais que, malgré cela et à cause de cela, en ce mouvement même, l’homme reste l’indestructible, voilà qui est vraiment accablant, parce que nous n’avons plus aucune chance de nous voir jamais débarrassés de nous, ni de notre responsabilité. »
Après la guerre, il continua un travail discret dans les milieux littéraires, collabora aux Temps Modernes et milita au Parti communiste (inscrit en 1946) français, dont il fut exclu le 7 mars 1950 après l’exclusion de Dionys Mascolo et Marguerite Duras au mois de janvier de la même année. Une exclusion qui se serait de toute façon produite tant Robert Antelme et ses amis étaient en dissonance avec le Parti communiste pour ce qui concerne les goulags et autres camps dans tous les pays, les « ingérences musclées » de l’URSSS dans les pays du Pacte de Varsovie, les guerres coloniales, mai 1968...
Ayant, dès 1955, sans cesse dénoncé la guerre d’Algérie, le 5 novembre 1955, il fonda avec Louis-René des Forêts, Dionys Mascolo et Edgar Morin, le Comité d’action des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord. Un comité dont faisait partie Georges Bataille, Michel Leiris, Claude Lévi-Strauss, Jean-Paul Sartre. En 1960, il signa « Le Manifeste des 121 » et fut, jusqu’à sa disparition en 1990, fidèle à son « combat » : « L’histoire de chacun se fait à travers le besoin d’être reconnu sans limite ; l’amitié désigne cette capacité infinie de reconnaissance. Imaginer que ce besoin soit constamment celui d’autrui, que l’autre comme nous-mêmes soit livré à cette exigence et acharné à obtenir réponse, qu’il se dévore lui-même et soit comme une bête si la réponse ne vient pas, c’est à quoi l’on devrait s’obliger et c’est l’enfer de la vie quand on y manque (...). Reconnaître autrui est le souverain bien, et non un pis-aller. »
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Bibliographie
– L’espèce humaine, dédié à sa sœur Marie-Louise, déportée et morte en Allemagne, paru la première fois en 1947 dans la maison d’édition fondée en 1946 par R. Antelme, Marguerite Duras et Dionys Mascolo. Réed. Revue et corrigée Gallimard Col. Blanche, 1957, 312 p., ISBN : 2070201619 ; réed. Gallimard Coll. Tel n° 26, 1978, 308p. ISBN : 2070297799 - EAN : 9782070297795 ; réed. Gallimard Coll. Tel n°26, 1990, 306p. ISBN : 2070297799 ; réed. Gallimard Coll. Blanche, 1996, 306p. ISBN : 2070201619 ; Réed. Gallimard, Coll. Tel, rééd. 1997, 307 p. ; réed. Gallimard, 2000
– Vengeance ? plus un texte inédit : réponse à Charles Eube, 2005, Ed. Farrago Ed., 42 p., ISBN : 2844901670.
Sur Robert Antelme
– Robert Antelme, textes inÉdits sur L’espèce humaine essais et témoignages réunis par Daniel Dobbels, 1996, Ed. Gallimard, 300p. ISBN : 2070746143. Dans ce livre, quelques Écrivains interrogent L’espèce humaine, D’autres parlent de l’homme qu’il était : Blanchot, Dobbels, Nancy, Morin, Nadeau, Louis-René des Forôts, Perec.
– Robert Antelme / L’humanité irréductible, de Crowley Martin, préface d’Edgar Morin, Ed. Léo Scheer, 2004, 187 p., ISBN : 2849380059
– Reconnaissances. Antelme, Blanchot, Deleuze, C. Bident, Ed. Calmann-Lévy, 2003, 166p., ISBN : 2702134254