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Théodore Monod, signataire du "Manifeste des 121"

Résumé biographique et bibliographique de Théodore Monod, par Taos Aït Si Slimane. Texte initialement édité sur mon blog Tinhinane, le vendredi 5 août 2005 à 15 h 24.

« Bien que fonctionnaire, je persiste, à tort ou à raison, à me considérer comme un homme libre. D’ailleurs, si j’ai vendu à l’État une certaine part de mon activité cérébrale, je ne lui ai livré ni mon cœur ni mon âme. Si puissant soit-il, César s’arrête au seuil du sanctuaire, où règne un beaucoup plus grand que lui, et auquel l’Écriture nous prescrit d’obéir plutôt qu’aux hommes...

À dire vrai, ce n’est pas à la question du refus de participer à une guerre inique que j’ai, en signant le manifeste des 121, attaché le plus d’importance : il s’agissait de cela, bien sûr, et il était salutaire que les puissants du jour -et d’un jour- se vissent rappeler que, si le Pouvoir veut être respecté, il lui faut, d’abord, se montrer respectable. Je voyais dans le document global une expression nouvelle, très forte et très nécessaire, de l’indignation, de la honte et de la douleur dont nos cœurs, désormais, débordent. »

Extrait de « POURQUOI J’AI SIGNÉ LE MANIFESTE DES 121, par Théodore Monod » [Afrique Nouvelle, 23 novembre 1960, et Les carnets de Théodore Monod, Le Pré aux Clercs, 1997] un texte intégralement reproduit ci-dessous [1]

 
À lire également sur ce site, la transcription intégrale de l’émission de télévision « Noms de dieux » avec Théodore Monod, proposée et présentée, le 10 mars 1992, par Edmond Blattchensur sur la Deux de la RTBF (Belgique)

Résumé biographique

Le professeur Théodore André Monod, naturaliste, érudit et humaniste, fils et arrière petit-fils de pasteur, est né le 9 avril 1902 à Rouen (Seine-Maritime). Marié avec Olga Pickova le 22 mars 1930, ils eurent trois enfants : Béatrice, Cyrille et Ambroise. Théodore Monod est décédé le mercredi 22 novembre 2000, à la Maison de Santé Claire Demeure des Diaconesses de Reuilly à Versailles, après plusieurs mois dans l’unité de soins palliatifs.

Théodore Monod a fait ses études secondaires à l’École Alsacienne à Paris. Après l’obtention de son baccalauréat en 1918, il hésita à devenir pasteur puis opta pour une licence en sciences naturelles (1918-1921). A vingt ans, il entre (boursier de doctorat) au Muséum national d’histoire naturelle. Une première mission, de décembre 1922 à novembre 1923, le conduit en Mauritanie, à Port Étienne. Cela sera son premier contact avec un pays auquel il restera fidèle et où il connut sa première expérience du désert. Dès son retour à Paris, il identifia un nouvel ordre de crustacés, les Thermosbaenacés. Il soutint sa thèse de doctorat d’ichtyologie (science des poissons) sur un groupe de petits crustacés isopodes en 1926. Diplômé d’arabe littéraire, il fréquenta également l’École des Langues Orientales. En Juillet 1938, il crée, à Dakar (Sénégal), l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN), qu’il dirigera jusqu’en 1965.

En 1957-59, il fut professeur à la Faculté des Sciences de Dakar. En 1953, il reprit ses grandes traversées sahariennes et mena six expéditions dans le Majâbat al Koubrâ (entre 1953 et 1964).

Après sa retraite, en 1987-89, il reprit ses recherches dans le désert de l’Adrar à la poursuite d’une météorite géante.

Son inlassable curiosité, qui dépassait largement les frontières des sciences naturelles, l’a conduit dans de nombreux déserts (Afrique, Asie) de la planète, qu’il avait parcourus le plus souvent à pied et à dos de chameau. De 1927 à 1936, il participe à de nombreuses expéditions au Sahara où il recueille notamment le squelette fossilisé de l’Homme d’Asselar (à Essouk au Mali), estimé à - 6 000 ans, et découvre des gravures, des peintures et des inscriptions rupestres qui témoignent de l’importance de cette région dans la préhistoire africaine.

Pour Théodore Monod, le voyage au désert, dans l’austérité, la simplicité et le dépouillement, dépassait la simple performance. Le désert était une philosophie, un cadre de pensée. « Le désert en tant que tel est très émouvant. On ne peut pas rester insensible à la beauté du désert. Le désert est propre et ne ment pas (…). Le désert appartient à ces paysages capables de faire naître en vous certaines interrogations. » Il vivait une existence « spartiate » qu’il raconte avec humour dans ses ouvrages (cf. bibliographie ci-dessous). Il vivait simplement son « abstinence » d’alcool et de tabac,... Son vrai moteur était l’aventure, la découverte et le dépassement de soi. Il aimait l’esprit du voyage conçu dans l’effort. Pour comprendre la pensée de Théodore Monod, il faut avoir à l’esprit sa foi profonde.

Chrétien convaincu, Théodore Monod, considérait que la vraie foi dépasse le clivage des confessions : « Une rencontre des vérités essentielles des diverses croyances qui se partagent la Terre pourrait se révéler d’un usage religieux vaste et universel. Peut-être serait-elle plus conforme à l’unité de Dieu, à l’unité de l’esprit humain, à celle de la création tout entière ». Son christianisme était sans exclusive « Pour moi, il y a une montagne, la même pour tous, que nous gravissons les uns et les autres par des sentiers différents. Les uns montent par ici, d’autres par là, mais nous avons tous, les uns et les autres, l’ambition où l’espoir de nous retrouver au sommet, dans la lumière, au-dessus des nuages ». Il se récitait chaque jour, pour lui-même, les Béatitudes en grec néo-testamentaire, selon l’habitude du « Tiers Ordre protestant des Veilleurs » auquel il appartenait. En communion avec les musulmans, et en particulier avec les Souffis, il jeûnait chaque vendredi, « un jeûne total, sans nourriture solide ou liquide », un jeûne spirituel et militant, par tolérance et pour la justice et pour la paix. Durant ses années africaines, il s’est initié à l’Islam au contact des nomades et a noué de riches amitiés avec de grands penseurs musulmans, tels qu’Amadou Hampathé Bâ, également membre du conseil exécutif des Nations Unies pour l’Afrique dans les années soixante, et auteur de cette formule souvent rapportée : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Théodore a partagé avec lui la certitude que « la connaissance de l’autre implique d’adopter le point de vue de l’autre. (…) Ce qu’il faudrait, c’est toujours concéder à son prochain une parcelle de vérité ».

Engagements

Homme de foi et de conviction, Théodore Monod n’était pas préoccupé que de sciences. Par ses écrits, ses conférences, ses interviews, sa présence sur les lieux de manifestations publiques, il s’était inlassablement mobilisé pour le respect de la vie sous toutes ses formes, pour une société plus humaine et moins violente. « Il faut, disait-il, faire passer l’homme avant le profit, la croissance spirituelle avant le PNB ». Il défendait le droit à l’insoumission et à la révolte, mais prônait la non-violence (en accord avec Gandhi et Martin Luther King) comme méthode d’action. On lui objectait un jour, en public, que la méthode non-violente était un processus à long terme et exigeait beaucoup de temps. Il répondit immédiatement : « raison de plus pour commencer tout de suite ».

Il a connu l’antisémitisme jusqu’à l’horreur dont il a souffert (sa femme était juive), et contre lequel il s’est battu. Pendant la guerre, il refusa de prêter serment à Vichy et fut un des représentants de la France libre à Dakar. Il donna, à Radio-Dakar, une série de causerie où il ne cacha pas son opposition au régime de Vichy, ce qui lui valut d’être interdit d’antenne. Interdiction qu’il contourna en publiant ses chroniques anti-fascistes sous forme de volume « L’hippopotame et le philosophe », censuré également. La cruauté de la Seconde Guerre Mondiale a fait disparaître la famille d’Olga son épouse, parmi des millions d’autres humains. L’horreur d’Hiroshima l’a décidé à observer, tous les ans, un « jeûne d’interpellation » de 4 jours pour demander l’abolition des armes atomiques « Pour moi, l’ère chrétienne s’est achevé le 5 août 1945. Et le 6 août, nous sommes entrés dans une ère nouvelle, l’ère atomique ou l’ère nucléaire »

Après la guerre, il continua ses engagements en faveur de la Paix et de la lutte anticolonialiste. « Les lions n’apprennent pas aux lionceaux à tuer leurs frères, l’homme apprend à son enfant à tuer des enfants d’homme. On est passé de l’âge des cavernes à l’âge des casernes. Et préparer un crime est déjà un crime. » Il critiqua ouvertement les méthodes de l’armée dans les camps de prisonniers et fut l’un des signataires du « Manifeste des 121 » en 1960. Il sera aussi, avec Jean Rostand, l’un des fondateurs du Mouvement contre l’arme atomique, en 1966, et l’un des organisateurs de la marche pacifique qui conduisit les manifestants jusqu’au PC de Taverny.

Il a dénoncé l’apartheid en Afrique du sud, signé des pétitions contre « le massacre des Touaregs au Niger » et en faveur du peuple Kurde, défendu des objecteurs de conscience. Il était partisan d’un référendum d’autodétermination du Sahara Occidental, affirmait le droit de tous à la liberté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il accepta de faire partie du comité d’honneur qui présida à la fondation de la SFO et de soutenir à ce titre ; « le Manifeste le référendum au Sahara Occidental doit avoir lieu » paru dans Le Monde, le 6 Décembre 1998. Il accepta également rencontrer les membres du Comité de Pilotage le 17 février 1999 pour redire son attachement au processus référendaire, au Plan de paix et aux décisions des Nations Unies.

En janvier 1995, Théodore Monod avait été (avec Haroun Tazieff, Albert Jacquard…) de la grande aventure de la rue du Dragon, où un immeuble avait été occupé par des familles mal-logées et l’association Droit au logement (DAL).

Le mouvement des sans-papiers a reçu aussi son soutien et il a défilé à plusieurs reprises en tête de manifestations en faveur de la régularisation.

Théodore Monod, figurait sur la liste « L’écologie, Les Verts, Daniel Cohn-Bendit et Dominique Voynet » aux élections européennes de juin 1999.

Avec un autre infatigable militant, l’Abbé Pierre, il avait adressé en juillet 1999 une lettre ouverte au Président Jacques Chirac demandant la suppression de l’expression «  ;sang impur » dans la Marseillaise.

La chasse était son autre bête noire. Défenseur des animaux au nom du « respect de la création », il érigeait en principe le respect de la vie, jusqu’aux plantes et aux animaux. À ce titre, il militait contre la chasse, la corrida et les expériences sur les animaux. Il fut président du Rassemblement des Opposants à la Chasse (ROC). Végétarien, il a aussi manifesté contre les corridas, et a marché contre le retour de la fourrure dans la mode.

Décorations

Grand officier de la Légion d’honneur, Commandeur des Palmes académiques, Chevalier du Mérite agricole et de l’Étoile noire du Bénin, Commandeur de l’ordre du Christ, du Mérite saharien, de l’ordre national du Sénégal, du Mérite national de Mauritanie.

Distinctions

Expert en biologie des déserts auprès de l’UNESCO, Théodore Monod était membre de l’Académie des sciences d’outre-mer (1949) et de l’Académie de la marine (1957) et à partir de 1963, de plusieurs Académies étrangères (Bruxelles, Lisbonne).

Médaille d’or (1960) de la Royal geographical Society et de la Société d’encouragement au progrès, Médaille Charles P. Daly (1961) de la Société géographique américaine, prix Haïlé Sélassié (1967), prix Marguerite Yourcenar (1992), Docteur honoris causa de l’Université de Cologne (1965) et Neuchâtel (1968).

Bibliographie

 Le Livre des martyrs : « vie des saints ». Extrait du martyrologe protestant de Jean Crespin. La Cause, Neuilly, 1930, 378 p.

 L’Adrar Ahnet : Contribution à l’étude archéologique d’un district saharien, Institut d’Ethnologie, coll. Afrique, collection principale : Travaux et mémoires. Musée de l’Homme, Paris, 1932, 202 p.

 Livre de prières, Tiers ordre des Veilleurs. Lumière-Flamme-Parfums, Labor, Genève, 1937.

 Méharées, Éd. Je sers, Paris, 1937, 1947, Rééd. Actes Sud, coll. Terres d’aventure, Arles, 1989, 235 p. Rééd. coédition Actes Sud / Labor / Aire, 1994, 336 p. (coll. Babel N°102, coll. Terres d’aventure)

 L’Hippopotame et le philosophe, Ed. Julliard, coll. Sequana, 1943 (censurée), 2e édition 1946, 472 p. ; Rééd. Actes Sud, Arles, 1993, 464 p.

 Bathyfolages : plongées profondes, Ed. Julliard, 1954. Rééd. Actes Sud, 1991 sous le titre Plongées profondes.

 Les Déserts, Horizons de France, Paris, 1973, 42 p

 Contributions à l’étude de l’accident circulaire des Richât (Adrar, Mauritanie). Par Charles Pomerol, sous la direction de T. Monod. Fondation scientifique de la géologie et de ses applications, coll. Mémoires, Coll. principale : Sciences de la terre, N°28, 1973, 190 p.

 De Tripoli à Tombouctou : le dernier voyage de Laing, 1825-1826. Société française d’histoire d’outre-mer, Geuthner, 1978.

 Catalogue des poissons de l’Atlantique du Nord-Est et de la Méditerranée, en collaboration avec Jean-Claude Hureau. UNESCO, Paris, 1978, 1014 p. Edition mixte anglais-français.

 L’Émeraude des Garamantes. Souvenirs d’un Saharien, L’Harmattan, en coédition avec l’A.C.C.T., 1984, 380 p. Rééd. Actes Sud, coll. Terres d’aventure, Arles, 1992, 480 p.

 Sahara, désert magique, en collaboration avec Jean-Marc Durou. AGEP, Marseille, 1986.

 Déserts, en collaboration avec Jean-Marc Durou. AGEP, Marseille, 1988, 320 p.

 Désert libyque. Notes de voyage, Sous la direction de T. Monod. Nouakchott et Paris, 1989. Photographies de Jean-François Sers. Arthaud, coll. La Nouvelle Odyssée, Paris, 1994, 240 p.

 Mémoires d’un naturaliste voyageur, 1990, rééd. 1992

 Sortie de secours, Éditions Seghers, coll. Les Raisons de la colère, Paris, 1991, 278 p.

 Le Fer de Dieu. Histoire de la météorite de Chinguetti, en collaboration avec Brigitte Zanda. Actes Sud, Arles, 1992, 144 p.

 Ballade de mes heures africaines, Texte et illustrations de T. Monod. Babel, 1993, 48 p.

 Vie et mort au désert, Entretiens avec Catherine Béchaux. Le Seuil, coll. Petit point des connaissances, Paris, 1993, 96 p.

 Maxence au désert. Un voyage en Mauritanie, Actes Sud, coll. Terres d’Aventure, Arles, 1995, 96 p.

 Dieux d’Afrique, en collaboration avec Roger Bastide. Photographies de Pierre Verger. Éditions de la Revue Noire, coll. Soleil, 1995, 416 p.

 Botanique au pays de l’encens : périple au Yémen, en collaboration avec José-Marie Bel. Préface de Marcel Laugel, Gazem Abdel Khaled al-Aghban. Maisonneuse et Larose, Paris ; Solibel, Bruxelles 1996, 143 p

 Majâbât al-Koubrâ, en collaboration avec Marc de Gouvenain. Actes Sud, coll. Terres d’aventure, Arles, 1996, 246 p.

 Les Carnets de Théodore Monod, Rassemblés par Cyrille Monod. Le Pré-aux-clercs, Paris, 1997, 320 p. Rééd. Presses Pocket N°10441, 1999, 318 p.

 Maxence au désert, Méharées, L’Émeraude des Garamantes, Le Fer de Dieu, Majâbât al-Koubrâ, Désert libyque, Plongées profondes. Actes Sud, coll. Thésaurus N°5, Arles, 1997, 1424 p.

 Terre et ciel, Entretiens avec Sylvain Estibal. Actes Sud, Arles, 1997, 318 p. Rééd. coll. Babel N°364, coll. Terres d’aventure.

 Le Chercheur d’absolu, suivi de Textes de combat. Sous la direction de Martine Leca. Préface d’Albert Jacquard. Le Cherche Midi, coll. Documents, 1997, 175 p. Rééd. Gallimard, coll. Folio, 1999, 265 p.

 Les Carnets de Théodore Monod. Rassemblés par Cyrille Monod. Le Pré-aux-clercs, 1997, 320 p. Rééd. Presses Pocket, 1999, 318 p.

 Pèlerin du désert, Éditions La Table Ronde, coll. Les Petits livres de la sagesse, Paris, 1999.

 Tais-toi et marche..., journal d’exploration El Ghallaouya-Aratane-Chinguetti, Actes Sud, 2002.

notes bas page

[1« POURQUOI J’AI SIGNÉ LE MANIFESTE DES 121, par Théodore Monod »

Afrique Nouvelle, 23 novembre 1960, et Les carnets de Théodore Monod, Le Pré aux Clercs, 1997

Bien que fonctionnaire, je persiste, à tort ou à raison, à me considérer comme un homme libre. D’ailleurs, si j’ai vendu à l’État une certaine part de mon activité cérébrale, je ne lui ai livré ni mon cœur ni mon âme. Si puissant soit-il, César s’arrête au seuil du sanctuaire, où règne un beaucoup plus grand que lui, et auquel l’Écriture nous prescrit d’obéir plutôt qu’aux hommes...

À dire vrai, ce n’est pas à la question du refus de participer à une guerre inique que j’ai, en signant le manifeste des 121, attaché le plus d’importance : il s’agissait de cela, bien sûr, et il était salutaire que les puissants du jour -et d’un jour- se vissent rappeler que, si le Pouvoir veut être respecté, il lui faut, d’abord, se montrer respectable. Je voyais dans le document global une expression nouvelle, très forte et très nécessaire, de l’indignation, de la honte et de la douleur dont nos cœurs, désormais, débordent.

Il y en a trop... On n’en peut plus... Et s’il ne nous reste que nos cris et nos larmes, eh bien, qu’on crie, et qu’on pleure un bon coup : cela soulagera, et puis, qui sait si ce spectacle inaccoutumé d’hommes respectables sortant de leur paisible retraite pour s’offrir à la réprobation des bien-pensants et, certains, aux persécutions, ne sera pas capable de réveiller, sous la cendre, des consciences assoupies et rassurées, l’étincelle qui va ranimer la flamme ?

Et pourquoi hésiterait-on à crier sa révolte : Un gouvernement qui couvre systématiquement les tortionnaires -quand il ne les récompense pas par des décorations et des galons- est un gouvernement qui se déshonore et a perdu par là même le pouvoir d’exiger l’approbation de nos consciences.

Si les larmes d’un enfant sont plus précieuses que tout l’or du monde, qu’eût dit Dostoïevski de la fillette rendue folle par le bombardement français -et chrétien- des environs de Souk-Ahras, et qui vit, depuis, attachée à un piquet comme une bête ? Lequel de nos seigneurs et maîtres lui rendra ses larmes et sa raison ?

On commence par mépriser, et puis, un beau jour, on tue, enfants compris pour faire bonne mesure, avec une parfaite bonne conscience et la patriotique certitude d’avoir louablement travaillé pour l’Occident et, pour un peu, pour le christianisme... Car ce n’est pas là une plaisanterie : ils en sont là... et sont prêts à prêcher la croisade, au napalm. Et l’on voudrait obtenir, au besoin imposer, voire acheter, notre silence ? De qui se moque-t-on ?

J’ai donc signé le fameux manifeste, non sans avoir d’ailleurs au préalable suggéré quelques modifications de détail, dont il n’a pas pu être tenu compte. Je faisais remarquer, par exemple, qu’il était inexact d’affirmer que c’est l’armée qui a inventé la torture en Algérie. Cette honteuse priorité revient, indubitablement, à la police et l’on n’a pas oublié la question fameuse : « Y a t-il une Gestapo française en Algérie ? » qui n’a jamais reçu, et pour cause, de démenti officiel.

Il s’agissait, avant tout, non pas tant d’insister sur tel ou tel aspect de la résistance à la guerre d’Algérie que d’appuyer une tentative qui pourrait, pour beaucoup d’esprits et de consciences, constituer une chose salutaire et l’occasion -enfin- d’un réveil.

En 1767, le prince de Beauvau, coupable, aux yeux du roi, d’avoir manifesté une indignation exagérée devant l’injustice faite aux prisonnières de la tour de Constance, est menacé par le ministre de se voir révoqué de ses fonctions de gouverneur du Languedoc. Mais le fonctionnaire était un homme et un homme libre. Aussi sa réponse fut-elle que « le roi était maître de lui ôter le commandement que Sa Majesté avait bien voulu lui confier ; mais non de l’empêcher d’en remplir les devoirs selon sa conscience et son honneur ».

Ces mots de conscience et d’honneur ont-ils rien perdu, cent quatre-vingt-treize ans plus tard, de leur actualité, de leur force et de leur signification, quand d’autres ministres s’emploient à réprimer d’autres révoltes du cœur et de l’esprit ?



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