Fabrique de sens
 
Accueil > Oreille attentive > Transcriptions d’émissions de France Culture > Tout arrive/ Hommage à Jean-Pierre Vernant

Tout arrive/ Hommage à Jean-Pierre Vernant

Tout arrive ! par Arnaud Laporte, émission du jeudi 11 janvier 2007, Hommage à Jean-Pierre Vernant, transcrite par Taos Aït Si Slimane.

Présentation sur le site de l’émission : Tout arrive ! Bouleverse ses programmes et rend aujourd’hui hommage à Jean-Pierre Vernant en deux temps...

La première partie rassemble autour de la table des invités, proches de Vernant, qui rappellent ici sa vie (l’importance des années en résistance), ses travaux, sa méthode, son intelligence, son héritage dans la compréhension du monde hellénistique et au-delà.

Puis la seconde partie vous invite à réentendre Vernant en personne, avec la réécoute d’une émission de 2004 à laquelle il participait sur notre antenne en compagnie d’Elias Sanbar et Jean-Luc Godard.

Dans nos archives, la présentation de cette émission se trouve (le lien est cassé depuis la rénovation du site de France Culture).

Invités : Claude Mossé, professeur émérite à l’Université de Paris 8 ; Claire Nancy, professeur de lettres classiques au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg ; François Lissarague, directeur d’études à l’EHESS en anthropologie historique et François Hartog, titulaire de la chaire d’historiographie antique et moderne à l’EHESS.

Introduction par Arnaud Laporte : Tout arrive !, en compagnie de Bruno Tackels et Antoine Guillot pour une émission préparée par Brigitte Masson, prise de son Alexandre ( ?), une émission réalisée par Laurence Millet, Luc-Jean Reynaud.

Émission spéciale ce jour après l’annonce, hier, du décès de Jean-Pierre Vernant, philosophe, historien, anthropologue français, héros de la Résistance, qui était devenu un des plus grands spécialistes mondiaux spécialiste de la Grèce antique. Professeur honoraire au Collège de France, il nous lègue une abondante bibliographie depuis Les origines de la pensée grecque, publié en 1962, jusqu’à un livre où il se racontait, paru en 2004, La traversée des frontières. Dans la deuxième partie de cette émission vos entendrez de larges extraits d’un numéro spécial de Tout arrive que Marc Voinchet avait enregistré chez Jean-Pierre Vernant en compagnie d’Elias Sanbar et Jean-Luc Godard, cela sera après la chronique de Jean-Louis Ezine. Avant cela, jusqu’à 12h30, avec nos invités, nos allons évoquer cette figure dont nous devons maintenant parler au passé. Avec nous quatre hellénistes évidemment mais aussi simplement quatre personnes qui vont tenter de nous dire ce que représentait pour elle et pour la vie intellectuelle Jean-Pierre Vernant, parce qu’il y avait un indissociable l’homme et sa pensée. L’homme, je l’ai dit, engagé dès son plus jeune âge dans le combats de son temps, digne héritier d’un père que la grande guerre lui avait enlevé alors qu’il n’avait qu’un an, un père dreyfusard de la première heure, dont les deux fils, Jean-Pierre et Jacques, tous deux majors de l’agrégation de philosophie s’engagèrent, eux-aussi, tous jeunes hommes, d’abord contre les nervis de l’Action française, puis très tôt dans la Résistance alors que Jean-Pierre Vernant était enseignant à Toulouse durant l’Occupation. Il travaillait ensuite, on le sait, de l’intérieur du Parti communiste, jusqu’en 1969, à essayer de sauver ce qui pouvait l’être de cet idéal communiste. Concernant ce parcours politique mais aussi intellectuel je renvoie bien sûr nos auditeurs aux livre de Jean-Pierre Vernant Entre mythe et politique, on n’en reparlera sans doute, paru aux éditons du seuil en 1996.

Nous allons aujourd’hui évoquer au passé Jean-Pierre Vernant, avec Claude Mossé, professeur émérite à l’Université de Paris 8. Vous avez écrit plusieurs ouvrages, principalement sur la Grèce classique et la période hellénistique. Votre premier livre, sauf erreur, fût publié la même année que celui de Jean-Pierre Vernant, en 1962. Parmi vos livres les plus récents, nous en reparlerons, on peut signaler Périclès, l’inventeur de la démocratie, chez Payot, Les Grècs inventent la politique, chez Complexe, en 2005. Avec nous également Claire Nancy, dont la traduction des Phéniciennes d’Euripide paraîtra chez Belin dans quelques jours, je crois, avec une préface écrite avec Philippe Lacoue-Labarthe. Troisième invité qui signe ce matin, dans Libération, un très bel hommage à Jean-Pierre Vernant, c’est François Hartog, directeur d’étude à l’EHESS, parmi les derniers parus, on peut rappeler Ce que voient les historiens, c’était en décembre 2005, et Anciens, modernes, sauvages, c’était aussi en 2005. Et, François Lissarague, également directeur d’études à l’EHESS.

Puisqu’aujourd’hui nous évoquons la mémoire de Jean-Pierre Vernant, qu’est-ce que vous répondriez, Claude Mossé, à quelqu’un qui vous demanderait ou qui vous demandera à l’avenir, c’était qui Jean-Pierre Vernant ?

Claude Mossé : C’était un grand bonhomme. Vous voyez, l’expression est familière, c’était vraiment quelqu’un d’exceptionnel. Pour moi, sa rencontre a été quelque chose de prodigieux. Vous faisiez allusion précisément à la simultanéité, si je puis dire, à la parution de son livre et la parution de mon premier livre, qui était ma thèse de doctorat, je l’avais rencontré un peu auparavant et j’avais l’habitude de suivre quelques conférences où j’avais l’occasion de le rencontrer mais j’ai été particulièrement frappée, à ces débuts des années 60, quand, à l’occasion d’une réunion, il avait évoqué mon travail et il en avait, en quelques phrases tiré l’essentiel, plus que moi j’en avais tiré. J’étais absolument éblouie. Je crois que cet éblouissement a toujours subsisté. Chaque fois que je l’avais entendu parler, c’était avec le même plaisir et en même temps la même satisfaction intellectuelle, de voir les problèmes posés. En même temps, j’ajouterais que, comme beaucoup de jeunes universitaires des années immédiates de l’après-guerre, j’étais tenté par le marxisme donc grâce à lui j’ai à la fois compris l’importance de cette pensée mais aussi le danger de lui donner une forme trop dogmatique, ce qui était malheureusement le cas à l’époque. Sa pensée a beaucoup influencé mes travaux.

Arnaud Laporte : Vous parlez du grand bonhomme et tout de suite après du grand lecteur. On pourrait revenir là-dessus, Claire Nacy, comment expliquer simplement en quoi le regard, l’étude qu’a faite Jean-Pierre Vernant des grands mythes grecs a changé notre regard sur eux ?

Claire Nancy : Moi, je pars de beaucoup plus loin que les trois autres intervenants. J’ai écouté, j’ai surtout bien connu Nicole Loraux, j’ai suivi de temps en temps des conférences. Ce qui, pour moi, a beaucoup compté, c’est que j’ai l’impression que Jean-Pierre Vernant parce qu’il était philosophe de formation, ça je crois que c’est très important, par rapport à ceux qui sont purement hellénistes et philologues comme on l’est maintenant, c’est-à-dire plus du tout la tradition de la grande philologie allemande qui était en même temps philosophique, Jean-Pierre Vernant a tout d’un coup dépoussiéré, plus que dépoussiéré ouvert toutes les études grecques en y faisant entrer toutes les sciences humaines. C’est lui qui a importé les sciences humaines dans les études grecques. Évidemment, cela a tout changé, ça a ouvert, modernisé de façon massive les études grecques. Cela a donné envie à beaucoup de gens de s’y ré intéresser. Maintenant on pleure beaucoup en disant : « l’étude du grec disparaît », mais beaucoup de chose qui se font, quand on les écoute, je n’ose pas dire dans les institutions qui sont réserves, je ne voie comment ce que l’on entend là et ce que l’on y fait peut attirer une seconde quiconque vers le grec, alors que Jean-Pierre Vernant, parce qu’il a écrit, ce qu’il a aussi institué autour de lui, c’est-à-dire cette pensée et ce collectif, je dirais presque cette communauté utopique, qui tenait beaucoup au grand bonhomme qu’il était, à son passé politique évidement, à la conception qu’il avait du savoir, qui était un savoir comme il le disait pluridisciplinaire, non pas que l’on fasse venir des spécialistes de chaque discipline pour confronter, mais chacun se devait d’être pluridisciplinaire, donc, cette espèce d’ouverture, de sens de la pensée partagée, des interventions qui étaient toujours bien accueillies, c’est quelque chose d’absolument inouï et unique, qui malheureusement avec lui et depuis déjà quelque années disparaît. Cela me paraît tellement fondamental… C’est là qu’il y a du bonheur tout d’un coup et de la modernité dans le grec au lieu d’être une affaire de spécialiste…

Arnaud Laporte : La vie, la communauté, le collectif, François Hartog, c’est vrai que c’est une dimension qui parcoure toute la vie de Jean-Pierre Vernant. On pourrait dire qu’étant orphelin de guerre à un an, orphelin de mère à 8 ans, il n’a eu de cesse que de retrouver des familles au sens le plus large, une lecture un peu facile mais qui a quand même une sorte de pertinence. D’avoir été son élève, d’avoir appartenu à cette famille en quoi cela compte ?

François Hartog : Cela compte beaucoup. La première rencontre avec lui, pour moi, a été en 1969. J’étais alors à l’École normale et Vernant était venu, avec Vidal-Naquet et Marcel Detienne, faire des cours à École normale. C’était le moment où il parlait d’Hésiode. J’ai eu tout d’un coup ce plaisir intellectuel de découvrir des textes qui nous parlaient. Claude Mossé faisait allusion à sa parle, cette parole lumineuse, lumineuse par ce qu’il disait mais aussi parce qu’il savait éclairer ce que l’interlocuteur cherchait à dire. Donc, ça, c’était la première expérience. C’était aussi quelqu’un de tout à fait impressionnant, bien sûr il y avait cet accueil, cette chaleur, cette ouverture, oui mais on avait le sentiment, surtout quand on était un jeune étudiant, que l’on était en face de quelqu’un qui vous impressionnait beaucoup. Il y avait une distance que peu à peu, les années passant, la familiarité devenant plus grande j’ai en partie comblée mais il restait quelqu’un d’impressionnant jusqu’au bout.

Arnaud Laporte : François Lissarague, c’est compliqué pour chacun de vous de parler aujourd’hui, on vous remercie vraiment d’être là avec nous. La fidélité, une valeur qui parcoure l’ensemble de la vie et du travail de Jean-Pierre Vernant, on écoutait hier un extrait de cette conférence qui avait été donnée à Aubervilliers, il y a quatre mois de cela, qui sera diffusée dans son intégralité, dimanche soir, sur l’antenne de France Culture, le choix d’Ulysse, c’est le choix de la fidélité aussi ? Ce personnage-là, ce n’est pas par hasard que cela soit un personnage important pour Jean-Pierre Vernant ?

François Lissarague : C’est François qui sait cela plus que moi. Ulysse en personne, la formule de Claude est la bonne, elle est très simple : Un grand bonhomme. Les deux à la fois. C’est vrai qu’il s’est approprié un peu tard le personnage d’Ulysse et surtout autour des figures féminines de la mort au moment où Lida était malade, où il a écrit tous ces textes là qui sont absolument extraordinaires. Il s’est mis dans ce texte et là aussi il nous a donné des lectures extraordinaires. Sur être l’élève de Vernant, je crois qu’il ne s’est jamais posé comme le maître, ça aussi c’était important. Il nous a tous traité à égalité. Moi je n’étais ni normalien ni agrégé, cela n’a fait aucune différence. C’est Vidal qui m’a sorti de là ou j’étais et mis dans les pattes de Vernant. Vernant était ce qu’a dit Claude. Il écoutait et pigeait mieux que nous tous ce que l’on était en train de faire. Je crois qu’il y a quelque chose en effet comme un intellectuel collectif là-derrière, c’est surement une utopie. Je pense que ce que l’on a fait là n’est pas reproductible. C’est une expérience qui a été forte. J’ai même du mal à le dire. Il ne nous a jamais imposé une méthode de travail, une méthode dogmatique, sa grande qualité cela a été cette capacité d’intelligence et de compréhension. Comprendre au sens de se mettre à la place de l’autre. Moi, j’ai appris cela de lui. Quand on ne comprend pas ce que dit quelqu’un il faut se demande pourquoi il dit cela. Il a toujours raisonné sur ce modèle-là, c’est un modèle d’intelligibilité d’un vrai philosophe. Je pense que c’est les hellénistes qui ont tué le grec. J’ai enseigné le grec avant de rencontrer Vernant et on enseignait la grammaire. Tout d’un coup on s’est mis à parler d’autre chose et on a bien fait. Ce grec-là il faut le sauver.

Arnaud Laporte : Pourquoi Jean-Pierre Vernant a-t-il pu lire les mythes grecs de cette façon-là ? C’est une question que vous lui avez posé à la radio, François Hartog, qui a donné naissance à un livre, on peut rappeler cet échange, vous lui demandiez s’il voyait un lien, lui, Jean-Pierre Vernant, entre son activisme dans la Résistance et son étude particulière du grec. Qu’est-ce qu’il vous avait répondu ?

François Hartog : Comme il le rappelle dans ce livre, la question l’avait d’abord surpris.

Arnaud Laporte : Il ne dit pas scandalisé ?

François Hartog : Oui. Sur le moment, il n’avait pas répondu. La réponse est donné dans ces quelques pages, La traversée des frontières, où il réfléchit sur ce que l’expérience de la Résistance, ce moment où lui et ses camarades risquaient tout, et la mort héroïque et pourquoi s’est-il intéressé à ce modèle du héros homérique et comment cela se construisait, qu’est-ce que c’était la mort d’Achille, la mort d’Hector confrontée à la mort d’Achille. À l’arrière plan, il y avait cette expérience des ces jeunes gens qui risquait tout au moment de la Résistance. Cela ne veut pas dire bien entendu que ce qu’il a dit de la mort d’Achille dérive directement de cette expérience mais cela veut dire qu’il y a à l’arrière plan, dans le soubassement, dans cet arrière pays dont il parle, qu’il y a cela. En retour, cette lecture qu’il a fait d’Homère lui a permis de regarder aussi avec un œil différent son expérience de résistant et de poser des questions que quelqu’un qui n’aurait eu ce parcoure, qui n’aurait pas été Résistant - beaucoup l’ont été et après ils ont fait autre chose -, sur cette expérience-là il avait un regard qui apportait quelque chose de plus.

Arnaud Laporte : Claude Mossé, quand vous avez rencontré Jean-Pierre Vernant, la guerre était proche. Il raconte qu’après la guerre on lui a proposé de continuer à être dans l’armée, il a refusé, il a fermé cette page-là. Il a ouvert une autre, 48-58, dix années de lectures. Il raconte ça, l’étude des textes. On est très proche de la guerre au moment où il publie ses premiers livres.

Claude Mossé : Oui, bien sûr. Ce sont les années immédiates de l’après-guerre. Dans ce moment-là il était engagé dans sa recherche et dans ses lectures mais aussi dans la vie politique. Il le dit d’ailleurs dans ses premiers articles et même dans Les Origines de la pensée grecque, que l’une des raisons pour lesquelles il a choisi les Grecs, si je puis dire, c’est que précisément les Grecs avaient mis le politique au cœur de leur expérience. Cette importance du politique, du débat contradictoire, de la décision prise à l’issue d’un débat, que l’on rencontre déjà même dans les poèmes homériques, qui évidemment triomphe dans l’avènement de la cité, avec l’établissement du droit. À cet égard, il avait découvert et suivi l’enseignement de Louis Gernet, l’importance que la pensée de Louis Gernet a eu sur Vernant, il le répétait continuellement et c’est vrai, s’inscrivait dans ses propres préoccupations, activité, j’allais dire militante, politiquement parlant, même ensuite il a pris, comme beaucoup d’entre nous ses distances avec cette activité politique, il n’en reste pas moins qu’elle a été un élément important de sa formation.

Arnaud Laporte : François Hartog ?

François Hartog : Deux mots à propos de ce moment de l’après-guerre. Vous savez que Vernant était quelqu’un qui racontait admirablement les histoires et une des plus drôles que je connaisse le concernant, c’est quand on a proposé à Vernant de devenir Colonel ou général des pompiers à Paris. Finalement, il a décliné cette offre certes extrêmement honorable. Pour ce qui est du choix de la Grèce, il me semble, outre tout ce qu’il a écrit et dit là-dessus, que ce choix de la part d’un philosophe, d’un agrégé de philosophie qui choisit justement de ne pas être un philosophe professionnel, d’enseigner la philo, devenir un professeur de philosophie, faire une thèse etc., peut être mis en parallèle avec le choix de Lévi-Strauss, lui aussi agrégé de philosophie qui lui aussi choisit autre chose. Il choisit l’ethnologie. L’un est parti vers les sauvages, l’autre est parti vers la Grèce. Au fond, ces deux choix ont une certaine symétrie. Il me semble que si Lévi-Strauss est parti vers les sauvages, c’est aussi pour interroger cette faillite de la raison occidentale qui venait de faillir lourdement avec l’extermination des Juifs quelques années auparavant. Vernant part du côté de la Grèce, les origines, pour interroger une raison occidentale, qui a failli, du côté grec. Je trouve que dans ce choix initial de ces deux savants, il y a un choix, au départ, politique.

Arnaud Laporte : Lévi-Strauss qui appelle Jean-Pierre Vernant : « son frère en mythologie », une belle formule. Bruno Tackels ?

Bruno Tackels : Cette dimension politique j’aurais aimé qu’on la creuse un peu plus parce qu’au fond vous avez tous dit qu’il était engagé, que c’est à la fois un homme du côté de la praxis, que sa théorie n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu cette acte, cet engagement, ce rapport à l’autre, à la morale, au devoir, une fois que l’on a dit cela, on a envie de creuser l’histoire de son engagement politique, c’était quoi concrètement son engagement au parti communiste ? Comment s’y est-il trouvé dedans, tout en étant un esprit un peu à part ?

Claude Mossé : Il avait adhéré je crois aux Étudiants communistes dès 1934, avant même d’avoir passé l’agrégation, il le raconte d’ailleurs, il faisait le coup de poing contre les gens d’extrême droite au Quartier latin, puis est arrivée la défaite, il avait entre temps été mobilisé, fait la guerre puis démobilisé en 40. Il a tout de suite réagit face à Pétain, à Vichy et immédiatement il s’est engagé comme son frère dans une activité résistante d’abord en distribuant des tracts ensuite en adhérant au mouvement Libération Sud, puis en prenant la direction de…

Arnaud Laporte : FFI de Haute-Garonne.

Claude Mossé : Il a été le libérateur de Toulouse. À la Libération, comme beaucoup, il est revenu au parti communiste, dont la position avait été quelque peu ambiguë dans les années 39-40…

Arnaud Laporte : C’est le moins que l’on puisse dire.

Claude Mossé : Comme beaucoup de jeune de ma génération aussi, c’était il y avait le mirage de l’Union-Soviétique, du rôle qu’elle avait joué dans la Libération de l’Europe, dans la victoire, mais très vite Vernant, je me souviens parce que jeune militante moi-même un peu inquiète de certains comportements, je trouvais seulement dans le journal Action où Vernant écrivait des articles… Pour moi, au départ, Vernant c’était un journaliste et un Résistant. Je n’ai découvert qu’il était un spécialiste de la Grèce ancienne qu’on le rencontrant dans le bureau de mon directeur de thèse, André Aymard. À ce moment-là il préparait un travail justement sur le travail en Grèce ancienne, qui avait donné finalement lieu à un article. C’était la première fois que je le rencontrais, je lisais ses articles mais je ne l’avais jamais rencontré, c’était dans le milieu des années 50, j’ai été étonné de penser que c’était aussi quelqu’un qui travaillait sur la Grèce ancienne. Je crois que nous avions eu finalement la même réaction, à des moments différents, de se tourner vers la Grèce ancienne pour éviter de faire de l’histoire contemporaine, qui était à ce moment-là dominée par un marxisme dogmatique absolument effarant.

Arnaud Laporte : François Lissarague sur la question politique.

François Lissarague : C’est cela qu’il faut dire. Vernant, à la différence de Vidal-Naquet qui a été toujours un franc-tireur, a toujours été dans un groupe et un parti. Mais à l’intérieur de ce parti il a toujours été critique. D’une part au moment du pacte Germano-soviétique il distribuait les tracts « Vive l’Angleterre pour que vive a France », qui n’était pas la position du PC, loin de là…

Arnaud Laporte : Pas vraiment, non.

François Lissarague : Il y a une lettre de la cellule de la Sorbonne en mai 68, qui est rédigé par Vernant, qui est un chef-d’œuvre, elle est entre le mythe et le politique, c’est à pisser dans le froc, en même temps c’est une analyse sur les erreurs de la direction du parti. Il a toujours fonctionné comme ça, pas seul mais lucide. Le choix de la Grèce, François a raison de mettre en parallèle Lévi-Strauss. C’est pour Vernant un déplacement. Il a toujours dit que son philosophe préféré c’est Malebranche. Donc, il aurait du faire ça et il choisit de rester marxiste, il travaille sur le travail, ça c’est le parti qui le lui demande et en même temps il en fait tout autre chose, c’est sa lecture d’Hésiode. Ce décalage qu’il choisit comme moyen de se mettre à l’abri, c’est aussi ce qui lui a fait décaler nos Grecs traditionnels pour en faire tout autre chose.

Arnaud Laporte : Avant d’évoquer ce que l’on va entendre dans la deuxième partie avec Antoine Guillot, un conseil pour des auditeurs, jeunes ou moins jeunes, qui découvriraient Jean-Pierre Vernant, en cette triste occasion, de lecture ? Par quoi il faudra commencer ? Est-ce que vous pourriez, les uns et les autres, nous faire des suggestions ?

François Hartog : Moi, je conseillerais de lire Les origines de la pensée grecque. C’est un livre de 1962 c’est vrai mais la manière dont se trouvent posées les questions reste absolument lumineuse. Cela introduit aussi à cette dimension politique qui a toujours été la sienne avec ce lien, ce passage, cette aller et venue pérennante entre le passé et le présent mais sans jamais superposer l’un avec l’autre, en marquant toujours les distances.

Arnaud Laporte : On pourra commencer par le premier et peut-être en écho La Traversée des frontières, qui bouclerait d’une certaine façon…

Bruno Tackels : Entre les deux, Arnaud, L’univers, les dieux, les hommes, qui est un livre de vulgarisation, une vulgarisation tellement pétillante, intelligente, oralisée par cette espèce d’art du conteur qui était le sien, je crois c’est pas mal…

Arnaud Laporte : L’art du conteur, je l’ai dit, cela sera dimanche entre 16h et 22h, une émission spéciale qui sera présentée par Emmanuel Laurentin et je crois que cela à la toute fin de ce programme entre 21h et 22h que l’on entendra cette dernière conférence à Aubervilliers, devant des lycéens, ce projet très beau où des professeurs du Collège de France aillent parler à des lycéens. Et dans cette deuxième partie de l’émission, dans un instant, on va entendre de larges extraits d’un entretien, qui était enregistré chez Jean-Pierre Vernant, une émission spéciale de Tout arrive ! de mai 2004, c’était à l’occasion de la présentation à Cannes du film Notre musique de Jean-Luc Godard. Marc Voinchet avait réuni, chez Jean-Pierre Vernant, Elias Sanbar et Jean-Luc Godard pour cette conversation où vous étiez présent, juste comme ça, Antoine Guillot. Un souvenir de cette rencontre là ?

Antoine Guillot : Nos invités l’ont dit, c’était quelqu’un d’impressionnant mais quand on l’a rencontré pour la première fois après l’avoir lu, entendu, et que l’on voyait cette homme de 90 ans avec une vraie carrure de rugbyman qui vous écrasait la main avec une gentillesse en même temps et un sens de l’accueil inouï. On arrivait chez lui, on était chez nous, on était installé, il était très curieux. Curieux de rencontrer ce drôle de bonhomme, Jean-Luc Godard, il avait trouvé l’idée qu’on lui avait proposée curieuse mais très ouvert. On l’entendra dans l’entretien se demandant un peu si les propos et les questions de Jean-Luc Godard étaient du lard ou du cochon amis répondant avec vraiment beaucoup de gentillesse et d’ouverture d’esprit…

Bruno Tackels : Au lard et au cochon…

Antoine Guillot : À une question importante par exemple : pourquoi n’y-a-t-il pas d’images de la résistance ? Jean-Pierre Vernant avait des réponses très simples, on l’entendra tout à l’heure : écoutez, si l’on se faisait prendre avec des photos on allait tous en prison, donc évidemment il n’y avait pas de photos. Cela avait été une conversation passionnante, la rencontre finalement s’était beaucoup entre Elias Sanbar et Jean-Pierre Vernant sur la question justement de la Résistance et sur la mise en parallèle de l’expérience de Vernant et de celle des partisans palestiniens. C’était vraiment un moment inouï, on était très bien dans sa maison à Sèvres.

Arnaud Laporte : Une conversation où vous avez parlé de Résistance, de la notion de guerre civile, du nationalisme, du progrès et le pessimisme d’ailleurs de Jean-Pierre Vernant sur l’avenir. On va entendre tout cela dès 12h 50 après le journal complet de la rédaction. Merci infiniment à tous les quatre d’être venus raconter un peu ce « grand bonhomme », pour reprendre le mot de Claude Mossé…

Claire Nancy : Je me demande si à « grand bonhomme », on ne pourrait pas aussi ajouter qu’il était d’une infinie modestie.

François Lissarague : « Bon homme ».

Claire Nancy : « Bon homme », oui, il était extrêmement modeste.

Arnaud Laporte : [annonce du contexte de l’émission spéciale, journal, etc.]… Diffusion d’une version spécialement remontée et remixée par Luc-Jean Reynaud et Laurence Millet, d’une émission de Tout arrive ! que Marc Voinchet avait diffusé le 18 mai 2004, cela se passait chez Jean-Pierre Vernant, avec lui le poète et historien palestinien Elias Sanbar et le cinéaste helvète Jean-Luc Godard. Voici quelques extraits de leur conversation.

Jean-Pierre Vernant : J’ai des souvenirs tragiques que l’on a eu bien sûr, des souvenirs de guerre. Il y en a plein ! Des souvenirs il y en a plein ! Parce que garçons ou filles, quelques soient les événements auxquels on participe, en tout cas dans le cas de la Résistance, une guerre traditionnelle c’est différent, les gens étaient dans les tranchées, c’est un monde à part, mais le monde de la Résistance intérieure, c’était un monde de garçons et de filles parce qu’on était un monde de jeunes, le noyau de ceux qui, à Toulouse, ont constitué l’organisation militaire, était de gens de Paris que j’avais connu étant étudiant dans les organisations antifascistes où il n’y avait pas - de mon temps c’est assez loin – d’étudiants communistes. Moi, j’étais membre du parti, membre des Jeunesses, on était d’abord un groupe très minoritaire, qui ensuite s’est étendu, de garçons te de filles. En même temps qu’on travaillait, on militait le soir on allait bouffer ensemble, on rigolait. Il y avait un monde commun. Il y a eu le Front populaire. Le Front populaire, c’est plein de garçons et de filles dans les auberges de jeunesses, avec nos chansons. Pourquoi en 40, quand j’entends cette vieille fripouille de Pétain, le 17, ce n’est pas si loin, expliquait qu’il fait don de sa personne à la France, ce jour-là, moi je me dis : bon, il y a eu une levée de rideau, maintenant la pièce commence, maintenant on va se battre. Pas question d’accepter cela ! Parce que ce que j’ai appelé parfois France, c’était ces garçons et ces filles, ces rigolades, ces copineries, ces sortis ensemble. Bien entendu, les auberges de la jeunesse ce n’était pas la même chose que les types de la Ligue, de l’Action française, les jeunesses patriotes ou les Francisques, c’était un autre monde de jeunes. Je me disais moi profondément si ça, c’est foutu, avec ce Pétain qui à mes yeux, en raison de ma formation politique, représentait tout ce que j’avais haï, combattu : l’antisémitisme, la xénophobie, un certain cléricalisme borné, je me sentais aussi comme un enfant des Lumières, avec tout ça les copains et les filles, c’était tout cela qui disparaissait, si ce n’est plus cela, si c’est le nazisme, le franquisme ou Mussolini, la vie n’a plus de sens. Il n’y a plus de garçons et de filles, il n’y a plus rien !

Marc Voinchet : C’est l’amitié ?

Jean-Pierre Vernant : Oui, c’est l’amitié. Mais l’amitié ne pousse pas comme ça toute seule. Elle est liée à des traditions, un passé, des contacts du hasard aussi.

[…]

Jean-Pierre Vernant : Chaque Cité grecque, en tout cas Athènes, mais pas seulement Athènes, a construit des légendes d’origine pour expliquer que les Athéniens sont nés de la terre athénienne. Que c’est la terre athénienne qui les a produits. Les hommes et les femmes puisque les femmes aussi sont athéniennes. Elles ne sont pas citoyennes mais elles sont athéniennes. Il y a cette idée que l’on appelle l’autochtonie, qui est un thème qui va circuler, qui est encore là si je puis dire. Ce n’est pas si simple. Les Grecs ont leurs cités, Athènes, Thèbes, puis il y a le fait qu’ils partent sur un bateau, font des colonies…

Marc Voinchet : Ils font des guerres ?

Jean-Pierre Vernant : Ils font des guerres entre cités ensuite la grande affaire c’est qu’il va y avoir une guerre contre les Barbares, les Perses qui vont faire qu’il y aura une coalition presque de toutes les cités et cela donnera un sens à une idée de l’étranger, - qui n’est pas grec, qui bafouille puisque barber veut dire que c’est une langue qui n’ont est pas une, c’est du bafouillis- à ce moment-là, l’étranger va prendre une certaine image qu’il n’avait pas auparavant. Si vous prenez les grands textes fondateurs, l’Iliade, il y a les Grecs et il y a les Troyens. Ils sont pareils, parlent la même langue. Le poète qui est quand même du côté achéen parle des Grecs quelquefois avec plus d’affection et il ne parle des Troyens. Il y a une certaine ambigüité de ce mot qui veut dire étranger, xenos en grec, est ambiguë. C’est l’étranger, ce qui n’est pas soi, et c’est aussi celui que l’on accueille, avec qui on a des rapports d’hospitalité. Cela veut dire que les rapports avec la terre, il n’y a pas cette idée des lieux saints. Il y a Delphes, parce que l’histoire fabrique là des centres panhelléniques, mais il n’y a pas l’idée des lieux saints. La religion grecque n’est pas monothéiste, il n’y a pas de dogme, pas de clergé, on est dans un univers qui est tout à fait différent.

Elias Sanbar : Mis à part cela, ou en plus, dans le cas palestinien, souvent on ne fait pas la distinction, les lieux saints ne sont pas une terre sainte.

Jean-Pierre Vernant : Oui, c’est autre chose. C’est autre chose avec les Grecs. Ce sont des colonisateurs. Ils partent sur leurs bateaux, il n’y a que des hommes, des jeunes. Ils débarquent, fondent une colonie maritime soit une cité. S’ils fondent une cité, ils sont obligés d’avoir du terrain. Ils sont obligés de se marier. Ce sont des métisses. Toutes les colonies grecques c’est du métissage. D’ailleurs la culture grecque elle-même est un métissage, fondamentalement. Quand ils arrivent là les Indoeuropéens, ils tombent sur cette Méditerranée, qui est beaucoup plus civilisé qu’eux, avec les minoens, tout l’arrière plan du monde assyro-babylonien, les Égyptiens, ils commencent à s’imprégner de cela et c’est ça qui forme la culture grecque.

Elias Sanbar : Est-ce que vous avez le sentiment, en partant de cela, que toutes ces guerres de l’époque étaient en fait des guerres civiles ?

Jean-Pierre Vernant : Même les guerres entre cités à un moment donné, Athènes et Sparte sont les deux pôles, ont un aspect de guerre civile. La guerre civile a été, dans le monde grec, très importante. Les Grecs, c’est une forme de vie et de civilisation. Après la conquête d’Alexandre, ils vont créer ces États hellénistiques, ce n’est pas tant le problème de la terre ni du sol, de grands sanctuaires, pas du tout, c’est des formes de vie. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que dans leurs villes, il va y avoir un gymnase, un théâtre, une agora, c’est une façon de vivre beaucoup plus que l’idée qu’il y a entre la terre et soi un lien congénital qui fait qu’il n’y a que vous qui avez le droit d’être là et que ce droit est en même temps une façon de vivre et d’exister, non, ça, c’est une légende mais dans la réalité historique on ne ce fonctionnement.

Elias Sanbar : Est-ce qu’il y a d’autres guerres que les guerres civiles ?

Jean-Pierre Vernant : Ah, bien sûr qu’il y a d’autres guerres !

Jean-Luc Godard : Ah ! J’ai des doutes.

Elias Sanbar : Moi aussi j’ai des doutes. J’ai tendance à penser un peu comme Jean-Luc Godard.

Jean-Luc Godard : Il n’y a que des guerres civiles en réalité.

Jean-Pierre Vernant : Quand Alexandre part à la conquête de l’Orient, c’est une guerre civile ? Peut-être que j’ai une notion trop simpliste, un peu marxiste de la guerre civile, c’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait des groupes sociaux assez définis antagonistes qui se battent. Il y a une guerre civile, dans le monde grec, entre les riches et les pauvres, les esclaves n’interviennent pas dans ces affaires-là.

Elias Sanbar : Je pense à une phrase de Giraudoux dans Siegfried et le Limousin, qui dit à un moment : les Etats-Unis ne connaissent que la guerre civile. Ils ont commencé à se battre contre les Indiens, ceux qui habitaient là, ensuite ils se sont battus contre Anglais, qui habitaient aussi là, quand les Indiens et les Anglais ont disparu, il y en avait d’autres qui habitaient là, c’était les Sudistes ou les Nordistes, ils se sont battus entre aux. Puis, comme il y avait beaucoup d’Allemands aux Etats-Unis, ils sont tombés sur les Germains. Il raconte, à sa façon, et dit : d’ailleurs le premier soldat américain qui a fait, en 1914, un prisonnier allemand, s’appelait Meyer et son prisonnier aussi. Aujourd’hui, je pense que s’ils sont tombés sur Saddam Hussein, il dit qu’ils se battent, les Etats-Unis, contre ceux non pas qui sont meilleurs qu’eux et dont ils sont jaloux, ce qui arrivent chez d’autres, mais ils se battent contre ceux qui ont les mêmes défauts qu’eux. Je trouve que cela explique très bien le côté Saddam Hussein. On le soutient puis vient un type à table avec eux qui se comporte de manière insupportable, qu’il faut, comme dans la mafia, exclure. Il n’y a pas que du texte quand on fait de l’histoire. Il y a deux images et un texte qui sort de ces deux images.

Marc Voinchet : Exactement, bien sûr. C’est le principe du champ-contrechamp, Jean-Luc Godard ?

Jean-Luc Godard : Champ et champ puis contrechamp.

Elias Sanbar : Oui, il y a d’abord champ et champ et après contrechamp. Ce n’est pas si simple.

Marc Voinchet : Vous avez pratiqué, vous, sans forcément l’appeler comme ça, Jean-Pierre Vernant, cette idée du champ contrechamp ? Dans le film de Jean-Luc Godard, ce n’est pas la première fois qu’il fait cela d’ailleurs, montrer deux images, d’un champ et d’un contrechamp, côte-à-côte.

Elias Sanbar : Si on ne le fait pas bien, c’est ce que l’on appelle l’amalgame.

Marc Voinchet : Si on ne le fait pas bien, c’est de l’amalgame, oui. Et pour le faire bien, il faut faire comment alors ?

Elias Sanbar : L’amalgame n’est pas mauvais mais il ne faut pas s’arrêter. Si vous lisez les textes de Bernard-Henri Lévy, j’ai toujours remarqué de choses l’une, non c’est de trois choses l’une, parce que de deux choses l’une, il y en a une et une autre et finalement il n’y en a plus qu’une. il y a plus rien…

Marc Voinchet : Deux trois chose, une quatrième…

Jean-Pierre Vernant : Dans mon domaine, les problèmes champ contrechamp sont posés dans ce que nous appelons, nous, le comparatisme. C’est-à-dire prendre par exemple un mythe grec et le comparer à un mythe lévi-straussien dans l’Amérique précolombienne ou l’histoire babylonienne, c’est ça en fait.

Elias Sanbar : Tout à fait.

Jean-Pierre Vernant : Ou bien alors prendre le sacrifice, comme on l’a fait, comment on sacrifiait en Grèce, et regarder le sacrifice indien. Ou alors, prendre les pratiques funéraires. Les Grecs brûlent le cadavre, les Indiens brûlent les cadavres, c’est pareil ? L’amalgame, non, pas du tout, champ contre champ. Les Indiens font ce que l’on appelle la double crémation. Les Grecs, une fois qu’ils ont brûlé le cadavre ramassent les os, les mettent dans une urne, avec toute une série de rites funéraires, on les enterre et on met un séma, une signe qui veut dire qu’ici il y a un mort. Les Indiens brûle le cadavre, ils voient que les os ne sont pas brûlés ils font la seconde crémation et une fois qu’ils ont fait cela, ils dispersent les cendres. Dans un cas il s’agit, autour du mort, de créer une légende héroïque, la mémoire, un lieu, tandis que pour les Indiens il s’agit de libérer le mort de tout ce qui l’attache à ce monde-ci et de le rendre à la totalité. Ça a l’air d’être pareil, en réalité on comprend l’un à travers l’autre dans ce qui est pareil et dans ce qui est différent.

Jean-Luc Godard : Tout à fait. Si vous prenez à l’époque Résistant - allemand, pour moi aujourd’hui ça prend du temps à trouver que le contrechamp des Allemands ou le contrechamp des Résistants n’est pas l’autre. L’Allemand n’est pas le contrechamp des Résistants. Le contrechamp du Résistant, et c’est là que je dis que c’est curieux qu’il n’y ait pas eu de photographies de ça, parce que dans l’histoire du cinéma cela peut s’expliquer, l’histoire du cinéma a peut été faite, ce que j’ai fait ce n’est pas grand-chose, c’est juste un petit aperçu disant que ça n’a surtout pas été fait et que cela n’a pas servi à grand-chose de faire des films. Mais, vous disiez de l’ordinaire, puis à un moment, vu ce qui se passe, de l’extraordinaire…

Jean-Pierre Vernant : Oui, de l’exceptionnel.

Jean-Luc Godard : De l’exceptionnel. Une fille qui aurait finie boulangère tout à coup elle était dans un roman de James Hadley Chase. Mais le contrechamp qui aurait fallu et que l’on pouvait faire, parce que les appareils existaient, c’est filmer la vie ordinaire qui n’allait pas car à ce moment-là, l’erreur si l’on peut dire ou quelque chose qui amène à une certaine erreur, c’est que les textes fondamentaux, faits par le Conseil national de la Résistance, qui ont crée après la Sécurité sociale ou des choses comme ça, ont été fait à partir de la vie extraordinaire, ils n’ont pas été faits après l’enquête sur la vie ordinaire pendant qu’il y avait des éléments extraordinaires. Donc, le contrechamp n’a pas été fait. Et cela a été des textes contre des textes. En lisant cela aujourd’hui, ce qui me frappe toujours, c’est que les gens qui arrivaient à Alger, quand on lit leurs souvenirs, en 43, ils disent : c’est fini, c’est foutu. On va reprendre chacun nos trucs, c’est foutu.

Marc Voinchet : Est-ce que la vie ordinaire dont vos parlez, je ne veux pas dire qu’elle allait bien ou qu’elle allait mal…

Jean-Luc Godard : Quand vous dites qu’on ne pouvait pas filmer, ce n’est pas vrai. On ne pouvait pas filmer le Vercors, on ne devait pas le filmer, tout à fait, ce n’est pas ça, mais on pouvait filmer une boulangerie à Toulouse.

Jean-Pierre Vernant : Oui, bien sûr.

Jean-Luc Godard : Eh bien, non, le cinéma n’était pas fait pour ça cette époque-là. On filmait Noël Roquevert, dieu sait si j’aime Noël Roquevert, Suzy Delair, X et Y, et voilà… C’était bien aussi.

Marc Voinchet : Vous parliez des Indiens, Jean-Pierre Vernant, et vous avez vu dans le film de Jean-Luc Godard les Indiens à Sarajevo,…

Jean-Pierre Vernant : Oui.

Marc Voinchet : C’est une idée de vous…

Jean-Luc Godard : Non, c’est une idée d’Eli, ce n’est pas par hasard.

Marc Voinchet : Elias Sanbar…

Jean-Luc Godard : Ce n’est pas par hasard.

Marc Voinchet : C’était…

Elias Sanbar : Je voudrais dire quelque chose à propos de ce personnage indien. Il a surtout dans la proximité, là je reviens à ce que vous appeliez le comparatisme dans la proximité de situations, parce qu’il y a de grandes différences comme dans toutes les comparaisons, mais il y a quand même un élément qui est très important, qui est que les peuples autochtones ne sont pas destinés à être occupés. Ils sont destinés au vide et à l’absence. Ce qui a commencé un peu à m’intéressé quand j’ai commencé à travailler sur ce thème-là de l’Indien, en me disant que finalement la seule chose qui ressemble à la conquête sioniste de la Palestine, c’est la conquête de l’Ouest. Ce n’est pas les guerres coloniales classiques. Dans la mesure où la place de l’autochtone est très, très particulière. Ils ne veulent pas les exploiter. Ils ne veulent pas les conquérir. Ils ne veulent pas les assujettir. Ils montent un système fantastique pour organiser leur absence. Ce qui provoque les grands massacres pour les Indiens, c’est qu’il y a l’océan. Si les Indiens avaient accepté de vider les lieux, je pense qu’il y aurait eu beaucoup moins de massacres. Le massacre n’intervient que pour ceux qui ne veulent pas bouger, ceux qui sont récalcitrants. Nous, nous n’avions pas l’océan, nous avons une mer arabe, ce qui fait qu’il y a eu beaucoup moins de massacres chez nous. Quand l’exil a commencé, nous sommes sortis du paysage, il n’y a plus eu de massacre. Il y avait toujours moyen de sauver sa peau. Le massacre était juste pour les récalcitrants, à titre exemplaire. Nous, nous devenons des absents mais chez nous puisque nous sommes encore en terre arabe mais en dehors de la nôtre. Nous n’avons même pas de place en tant que dominés. Nous sommes destinés à l’absence.

Jean-Luc Godard : Je recommande la lecture d’un petit livre, de Stefan Zweig, qui s’appelle Amerigo, qui raconte comment on a appelé l’Amérique, d’après le nom d’Amerigo Vespucci, qui n’est jamais allé en Amérique mais qui a quand même écrit comment il était allé en Amérique.

[…]

Jean-Luc Godard : Aujourd’hui, j’ai lu votre texte avec Stephan Hessel et d’autres.

Marc Voinchet : Le texte paru dans le monde, une sorte, pas de pétition, de…

Jean-Luc Godard : Dans les Inrockuptibles,…

Jean-Pierre Vernant : Sur le programme de la Résistance, ce n’est pas cela ?

Jean-Luc Godard : C’est cela.

Jean-Pierre Vernant : Et c’est signé par des Résistants.

Jean-Luc Godard : Aujourd’hui vous avez beaucoup de tristesses ou quand même pas trop ?

Jean-Pierre Vernant : Si je suis triste ?

Jean-Luc Godard : Oui.

Jean-Pierre Vernant : Oui, je suis triste. Je suis triste pas seulement par rapport à ce programme de la Résistance… C’est vrai que l’on était jeune…. On était très jeune…. D’abord, on se sent toujours coupable d’être en vie et d’être devenu vieux. Ceux qui sont morts, c’est des jeunes. On ne peut pas empêcher cela, se dire : pourquoi je suis là moi et untel et untel, ceux que j’ai vu martyrisés n’y sont plus… Il y a une culpabilité mais malgré tout au moment de la Libération, c’est le bonheur. C’est el bonheur, le grand bonheur. L’idée que j’avais, c’est que cette période, ce demi-siècle, 1900-1950, l’enjeu était fascisme ou antifascisme, où y allons-nous ? C’était crucial, décisif et les portes étaient ouvertes. Mais, j’ai eu dès cette époque, à côté de ça, cette, pas la tristesse, mais la rage, l’indignation, et de me dire : les portes et les fenêtres s’étaient ouvertes pour nous, le fascisme était battu mais qu’elles s’étaient fermées pour tous les peuples coloniaux, les peuples qui nous avaient aidés, les gens du Maghreb qui s’étaient fait tuer en Italie, les Vietnamiens… À Toulouse, juste après la Libération, il y avait des Vietnamiens, des Indochinois, comme on disait à l’époque, qui étaient parqués dans des camps - pour quelle raison, je ne sais plus - que j’allais voir, avec qui j’étais bien,… Ce qui s’est imposé à moi ce que la seconde parte serait autre chose, une autre scène, qui serait la décolonisation et la lutte des peuples coloniaux. Par conséquent j’étais dans une position qui n’était pas agréable puisque je devais me réjouir des défaites que nous subissions. Bon, maintenant, qu’est-ce qu’il y maintenant ? La situation d’ici, il n’y a pas de quoi rire et la situation ailleurs, c’est terrifiant, c’est-à-dire qu’on s’aperçoit à quel point le monde est mené de façon tout à fait autre de ce que je pouvais imaginer quand j’étais un jeune garçon de 17 ans, au Jeunesses communistes et pensant que la liste avait déjà été fixée, le chemin rationnalisé, par Marx, que l’Union-soviétique nous donnait l’exemple, que quand on avait brisé ses ennemis immédiat, tout était possible. Tout à été en effet possible mais pas ce que l’on imaginait.

Marc Voinchet : Si vous posez cette question…

Jean-Luc Godard : Ce qui est souvent étonnant quand on lit, moi un peu plus jeune que vous, on se dit mais comment, car tout ce qu’on a, la littérature, pas les films, a dit ce qui allait se passer. On toujours dit d’avance, on le sait et pourtant on attend très, très longtemps avant que cela ne se réalise, alors est-ce qu’il y a un désir que la catastrophe qu’annoncent de grands, et moins grands écrivains, etc., que cela continue quand même… donc, il y a un certain désir de cette catastrophe, qu’elle arrive d’une façon ou d’une autre. Tout à été annoncé : le goulag, les camps de concentration, tout à été annoncé…

Jean-Pierre Vernant : Annoncé !…

Jean-Luc Godard : Cela a été dit. Cela été dit par Gide, par les autres…

Jean-Pierre Vernant : Allons Gide ! Pas les Goulags, non !…

Jean-Luc Godard : Si on a un peu d’imagination, on le voit.

Jean-Pierre Vernant : Oui !…

Jean-Luc Godard : Comme Le Vigan quand il voit quelqu’un… Ça a été dit dans Quai des brumes, quand Le Vigan dit : moi quand je peins un nageur, je vois déjà un noyé. Il le dit en 39.

Marc Voinchet : Puis, il y a l’exemple de La règle du jeu, mais vous vous pensez que ça…

Jean-Luc Godard : Il le dit en 39 et à l’époque Céline a écrit d’autres textes, Retour d’URSS aussi. Retour d’URSS qui ne s’appelait pas comme ça mais il a écrit à sa façon brillante et dôle, on peut voir l’envers quand on lit Bagatelle pour un massacre, il l’annonce quand même à sa façon. Les grands écrivains qu’ils soient de droite ou de gauche annoncent les choses. Aujourd’hui, je me demande pourquoi ne le voit-on pas ? Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse…

Marc Voinchet : Je voudrais avoir l’avis de Jean-Pierre Vernant là-dessus…

Jean-Luc Godard : Aujourd’hui, c’est surtout l’inverse puisqu’on voit d’avance que cela va mal se passer, on pourrait voir…

Marc Voinchet : Ce n’est pas la même chose qu’il y a 50 ans…

Jean-Luc Godard : Mais On pourrait voir aujourd’hui des choses qui pourraient bien se passer mais on ne le veut pas.

Jean-Pierre Vernant : Ça, je ne suis pas sûr. Je crois qu’à chaque moment, il y a à la fois ce qui pourrait bien se passer ou qui pourrait mal se passer. Je ne pense pas que les grands écrivains parce qu’ils étaient de grands écrivains auraient une lucidité…

Jean-Luc Godard : Mais il y en a des moins grands, Souvarine, n’est pas un grand écrivain…

Jean-Pierre Vernant : Sur la question des camps soviétiques, on voit à peu près comment les choses se sont présentées… Sur ce qu’est l’évolution de la vie aujourd’hui, je ne peux pas dire en particulier que Céline m’apporte une vision qui montre qu’il avait vu à l’avance ce qui allait se passer. En tout cas, ce n’est pas comme ça que je réagis, moi, à sa lecture parce que ce que j’ai lu de lui, quand je l’ai lu, avant la guerre, était lié à tout un univers qui était le mien et que…

Marc Voinchet : De toute façon, vous avez bien vu des choses contre lesquelles vous avez combattues, sur les trottoirs du Quartier latin, et cela n’a pas suffit à empêcher la guerre…

Jean-Pierre Vernant : Je dirais, moi, aujourd’hui, que les points aveugles, pas que j’avais, que nous avions, les gens de ma génération, les types qui s’étaient engagés dans la Résistance parce qu’ils avaient l’âge pour ça, entre 17 ans et 35 ans, on avait des points aveugles. Mais les points aveugles dans une tête ce sont aussi souvent des moyens de mieux comprendre autre chose. Parce que j’avais des points aveugles concernant les idées sur le marxisme, comment il expliquait les choses, pas les choses intellectuelles mais l’évolution sociale, je crois qu’il s’est trompé sur beaucoup de choses. Je vois quoi ? Je vois surtout que ni Marx ni personne, ni personne, ne pouvait imaginer que l’on inventerait l’énergie atomique par exemple ou des systèmes de communication et d’information comme ceux que nous avons, qui changent tout ! Qui change l’horizon social. On ne peut pas deviner cela parce que cela dépend du progrès de la physique, de la technologie et personne ne peut prévoir cela. Il y a donc une pensée sociale et politique qui correspond à l’âge de la machine à vapeur, de l’électricité et du téléphone et qui ne marche plus pour l’âge de la bombe atomique, de l’énergie atomique et des nouveaux moyens de communication. Ça, ce n’était pas du tout prévu et cela change tout. Ce n’était pas prévisible et je ne cois pas du tout que l’on trouve dans les livres de la littérature la prémonition de cela. Je crois que les littérateurs sont à la fois dans le monde quotidien et qu’ils ouvrent des voies.

Marc Voinchet : Jean-Luc Godard dit peut-être cela parce qu’effectivement lui est dans ce cas de figure là, il fait La Chinoise un an avant 68, par exemple…

Jean-Luc Godard : Non, ce n’est pas ça. Wagner faisait Le crépuscule des dieux avant la guerre de 14. Pour qui connaissait la musique, il y avait quelque chose.

Marc Voinchet : Comme il y avait quelque chose dans La Chinoise

Jean-Luc Godard : C’est plus anecdotique ça. La littérature nomme les choses. Elle s’intéresse surtout à ça, à nommer puis à faire des phrases qui le renomme d’une autre façon. Quand par exemple un physicien comme Maxwell, de la fin du XIXe siècle, fait ses équations électromagnétiques, qui allaient déboucher sur la mécanique quantique, etc., à un moment il ne s’explique pas le passage d’un électron, ce qu’est devenu le saut quantique après, il ne se l’explique pas mais quand même pour que sa théorie tienne, il le nomme. Il le nomme et le mot qu’il emploi, pour faire d’un sauté d’un électron - il faudrait voir un physicien pour les termes exactes - ce qui me frappe c’est qu’il le nomme et n’emploi pas n’importe quel nom, il dit : cela peut se faire grâce au démon. Il aurait pu dire grâce à l’ange, il a dit grâce au démon. Il n’a pas dit l’ange, il a dit le démon.

Jean-Pierre Vernant :Oui, oui…

Jean-Luc Godard : Oui mais si on ne fait pas attention…

Elias Sanbar : Nous avons quand même beaucoup de signes, sans rester dans le domaine du pressentiment, de magnifiques intuitions très, très souvent qu’il y a dans la littérature. Si l’on passe en revue un peu les salauds, les Mussolini, les Franco, etc., ils ont toujours dit à l’avance ce qu’ils allaient faire. Ça, c’est assez hallucinant. Une fois qu’ils commettent l’acte, on se dit : ils l’ont fait. Mais ils l’avaient dit ! Tout est annoncé et ça, c’est quand même une chose. Pinochet dit avant de commencer ses saletés au Chili ce qu’il va faire…

Jean-Luc Godard : Même Bush, à sa façon…

Elias Sanbar : Bush dit tout le temps…

Jean-Luc Godard : À sa façon…

Jean-Pierre Vernant : Cette façon d’expliquer avant ce que l’on va faire, je crois qu’un type à peu près normal, je me place dans cette catégorie, le comprend et le sait.

Elias Sanbar : D’ailleurs je suppose que c’est comme ça que nous entrons en Résistance…

Jean-Pierre Vernant : Cela me paraît clair.

Elias Sanbar : Bien sûr.

Jean-Pierre Vernant : Saloperie ou pas, catastrophe déclenchée ou pas, je comprends. Ce qui est pour moi plus angoissant, ce que l’idée, que j’ai pu avoir, que de même que les hommes à travers la science physique et le progrès scientifique arrivaient à maîtriser l’univers, comme disait l’autre : Descartes, se rendre maître… l’idée naïve que ces progrès de la science et l’augmentation des échanges allaient faire disparaître le chauvinisme et l’étroitesse nationale et que par conséquent on pouvait prévoir une voie qui serait une voie de construction et de contrôle, avec l’idée à la fin que l’homme peut-être pouvait passer du règne de la nécessité au règne de la liberté, cela ne tient pas debout. On voit premièrement que la maîtrise scientifique et technique de l’univers, cette espèce de conception prométhéenne de l’homme about à des calamités…

Elias Sanbar : Oui…

Jean-Pierre Vernant : Je ne suis pas en état de deviner ce qui va se passer mais je suis pessimiste. Un. Deux, que la maîtrise des faits sociaux, que l’étude sociologique, les économistes, qui dit qu’il y a une science sociale et économique, permet aussi à travers la planification de diriger les faits sociaux, vivons purs. Dans l’histoire que j’imaginais qu’elle était orientée comme le temps, il y a des imprévisibilités radicales.

Elias Sanbar : Bien sûr…

Jean-Pierre Vernant : Interviennent comme facteurs d’histoire, en dehors de grands mouvements techniques, productifs, économiques ou politiques, un tas de petites choses très profondes psychologiques, idéologiques ou éthiques et par conséquent on ne sait pas où cela va, plutôt, on aperçoit les catastrophes possibles. Ce qui fait que je me dis que ce monde humain est comme les Grecs le décrivaient, un monde ambigu, contradictoire, où il n’y a jamais de bien sans mal, où l’homme est là continuellement partagé entre des contradictions qui s’opposent et qui s’épaulent. Il ne peut pas y avoir l’un sans l’autre, il n’y a pas d’homme sans femme, pas de bien sans mal, pas de naissance sans mort, pas de plaisir sans souffrance, il n’y a pas de bonheur humain s’il n’y a pas aussi la douleur humaine, la mort.