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À la Villette, on tranche le lard !

Une nouvelle d’Éveline HIARD

Il était près de 18 heures à sa montre quand Zabe sortit de la Cité des sciences, du côté Sud.

Il faisait un temps magnifique et la Géode brillait de tous ses feux, au bout de la passerelle centrale.

D’habitude, elle aurait pris le temps de capter les variations de la lumière sur la peau métallique de cette sphère mais elle se détourna vers la grande sculpture aquatique de Manolis Maridakis.

Les tuyaux alambiqués crachaient leurs flots étincelants et quelques visiteurs prenaient des poses ridicules pour se faire photographier, juste devant.

En général les jeux d’eau et leur musique liquide avaient le don de l’apaiser mais aujourd’hui cela ne suffirait pas, il fallait qu’elle continue à marcher pour se calmer.

« Un meurtre à la Villette, dans son secteur, l’illustre parc de l’Est parisien ! »..., Zabe n’y croyait toujours pas.

Cela faisait plus de vingt ans qu’elle travaillait ici, elle connaissait parfaitement ce parc, « son parc » qu’elle aimait à arpenter de la Porte de la Villette à la Porte de Pantin, du périphérique jusqu’à Stalingrad.

Tous les habitués du parc connaissaient, on l’appelait Zabe, un diminutif d’Elisabeth.

Elle descendit la volée de marches pour rejoindre la passerelle centrale. Elle vit avec plaisir son reflet se préciser sur la paroi de la Géode au fur et à mesure de sa progression. Pas mal, belle allure encore pour une quinqua ! Elle admira sur sa gauche les cinq cascades dont les eaux venaient du canal de l’Ourcq pour se jeter dans les douves de la Cité des Sciences.

C’était un rare endroit dans ce quartier qui offrait de larges pans de ciel à contempler. C’était un mois de septembre exceptionnel, la lumière était belle mais elle commençait à pâlir inexorablement.

Zabe se dit qu’elle ferait mieux de se concentrer un peu sur le problème au lieu de contempler le paysage ! C’était justement tout près d’ici que l’on avait trouvé, tôt ce matin, le cadavre d’une femme qui flottait dans le canal, au niveau de la Prairie du Cercle.

La victime faisait partie du personnel de la Cité des Sciences ! L’affaire s’annonçait épineuse ! Heureusement, depuis qu’elle était devenue une directrice d’enquête reconnue, elle avait à sa disposition une équipe enthousiaste, bien formée et qui appréciait de travailler avec elle. Depuis qu’elle avait su résoudre des énigmes particulièrement complexes, Zabe était respectée par tous, y compris par ses collègues masculins les plus sceptiques sur les capacités des femmes dans la police.

Zabe fut étonnée de ne pas entendre la musique répétitive qui semblait jaillir habituellement du bassin, au bout de la passerelle.

Elle remarqua que la Géode n’était pas seulement devenue muette mais qu’elle ne renvoyait plus les reflets de l’eau qui l’entourait habituellement. Elle reposait, échouée sur un sol grisâtre, et des barrières de chantier étaient disposées autour de son bassin vide.

Depuis combien de temps ces travaux avaient-il commencé ? Elle n’avait rien remarqué auparavant.

Certes, au moment du nettoyage de la Géode, elle avait coutume d’assister à de curieux ballets aériens. Des machines aux longs bras tenaient alors dans leurs serres des hommes suspendus dans le vide. De loin, elle aimait à suivre le festin étrange de ces insectes aux longues antennes qui suçaient la poussière et butinaient le métal avec avidité.

Un entretien très délicat et très coûteux mais là, c’était nouveau, c’était la première fois qu’elle voyait un tel chantier.

Zabe s’approcha et vit des ouvriers parés pour une guerre chimique impitoyable, entièrement vêtus de combinaisons blanches qui maniaient de longs tuyaux.

A leur extrémité s’échappait une vapeur corrosive avec des sifflements vipérins.

Elle demanda à celui qui n’avait pas de masque sur le visage et qui semblait être le chef, de le renseigner sur la durée du chantier.

Elle prit rendez vous pour l’interroger plus tard, au calme.

Elle se recula et en effet, les ouvriers décapaient le sol du bassin, qui devait recevoir un nouveau revêtement et une peinture révolutionnaire, complètement étanche de type « piscine », ce qui empêcherait tout problème ...

Là, elle avait du interrompre le chef avant qu’il ne se noie dans un fatras de considérations techniques qui l’auraient terriblement ennuyée.

Elle prit la cage d’escalier rébarbative en béton grisâtre pour descendre au niveau des douves de la Cité des Sciences.

Elle marchait à grands pas lorsqu’elle sentit qu’une voiture de la sécurité glissait sournoisement derrière elle.

Zabe se méfiait particulièrement de ces voitures électriques qui roulaient souvent trop vite et qui surgissaient silencieusement sans crier gare. Dans cette zone piétonnière, personne ne s’attendait à voir déboucher un véhicule et plusieurs fois, elle avait manqué de se faire renverser. Des rumeurs circulaient d’ailleurs sur les accidents que ces conducteurs particulièrement inconscients avaient provoqués, heureusement non mortels encore ! Une pétition avait même circulé qui dénonçait leur vitesse excessive alors qu’ils étaient censés rouler prudemment sans dépasser la seconde.

La première victime était un caniche « bas de pattes » qui avait eu la malchance d’avoir les poils de la même couleur que les pavés gris du parvis. Ensuite, ce fut le tour d’une comédienne sur échasses, fauchée net. Elle s’entraînait tranquillement pour un spectacle mais, d’après eux, elle avait le corps placé si haut qu’ils ne l’avaient pas vue, tout tassés qu’ils étaient dans l’habitacle réduit du véhicule.

On murmurait que le nombre de leurs victimes augmentait d’années en années surtout dans les rangs des conducteurs de divers engins à roulettes, qui peuplent le Parc. Ainsi, tous les as du roller, vélo, trottinette, landau, poussette, brouette et chariots de supermarché se mettaient fréquenter un peu trop le service des urgences…

En tout cas, c’est ainsi que Zabe avait fini par renoncer à ses chers rollers, dans le cadre de son travail. Il y avait eu aussi quelques remarques acerbes de ses supérieurs. Ces derniers estimaient qu’une fonctionnaire de police judiciaire devait donner une image plus sérieuse d’elle-même et être un modèle exemplaire pour la jeunesse et cetera… Mais en fait, la raison principale était que la coupe était pleine avec ces maudites voitures !

Il est vrai qu’un matin d’été tandis que Zabe patinait en dessinant des arabesques et qu’elle humait rêveusement l’odeur d’herbe coupée, elle avait du choisir promptement, à la vitesse d’une transmission synaptique fulgurante, entre une étreinte froide avec la tôle de leur véhicule ou un saut aléatoire dans le vide.

Tout s’était terminé sur la pelouse qui descend en pente raide, jusqu’aux douves. Elle en avait réchappée grâce à l’état particulièrement spongieux du gazon, à cette époque de l’année, qui avait relativement bien amorti sa chute.

Heureusement, toutes les prairies du parc étaient bien grasses en raison de l’arrosage dispensé régulièrement par de minuscules têtes noires cachées dans l’épaisseur de l’herbe. Elles se dressaient soudain au bout d’un tuyau d’une dizaine de centimètres et se mettaient à tourner un moment en crachotant de l’eau puis disparaissaient à nouveau dans le sol.

Zabe aimait bien regarder les ballets aléatoires de ces jets d’eau, qu’elle imaginait programmés secrètement par un jardinier chorégraphe.

Ah ! Les agents de sécurité ! Une drôle de population qu’elle aurait plaisir à cuisiner puisqu’ils étaient censés surveiller le parc.

Elle demanderait les noms et les emplois du temps exacts de ceux qui étaient de garde la nuit du meurtre et même des semaines avant.

Elle pourrait en profiter aussi pour en savoir un peu plus, l’air de rien, sur ces fameuses rumeurs d’accidents.

Arrivée à la hauteur du bâtiment Jules Verne, elle s’appuya sur la barrière en verre qui clôture les douves.

Chaque bâtiment administratif portait le nom d’un homme ayant joué un rôle original dans les sciences et des techniques, en tant que savant ou visionnaire génial. On avait baptisé ainsi d’autres bureaux « Monge », « Sadi Carnot », « Nadar », « Méliès »...

Trois noms la faisaient particulièrement rêver : Jules Verne, Nadar et Mélies.
C’est Nadar qui la fascinait plus particulièrement. Voilà un homme qui délaisse ses études de médecine puis qui devient photographe, dessinateur, écrivain, critique de spectacles, protecteur des peintres impressionnistes, que sais-je encore ?, et même aéronaute.

Voilà quelqu’un qui n’hésite pas à se lancer dans les airs pour percer les mystères des aérostats et qui va jusqu’à fonder avec son complice Jules Verne, une société pour la recherche de la navigation aérienne… Elle revit la photo de Nadar dans la nacelle de son ballon « le Géant » et coiffé de son chapeau haut de forme, dans cette vieille encyclopédie qu’elle avait lue et relue, étant gamine.

Zabe fut soudain tirée de sa rêverie.

Un camion blanc assez monstrueux et bardé de tuyaux et de pompes reculait vers elle. Il émettait des sons désagréables d’entrailles au bord de l’indigestion et lançait des feux orange sale. Elle se gara pour la laisser passer.

C’est vrai, le chantier de nettoyage des douves avait commencé il y a cinq jours.

Cela augmentait encore le nombre de personnes présentes sur le site qu’il faudrait interroger.

La contemplation de l’eau l’aiderait peut-être à trouver son inspiration. Elle vit l’échelle qui permettait aux ouvriers de pénétrer dans le bassin afin de le nettoyer. Il était temps de faire le ménage car la chaleur exceptionnelle de cette fin d’été avait accéléré la croissance des algues.

A travers l’eau sale et trouble, elle distinguait une boue visqueuse et brunâtre. Très épaisse elle masquait le sol et habillait le réseau de tuyaux et de robinets qui courait sous l’eau.

Elle frissonna en repensant au corps qui avait été retrouvé ce matin même, dans le canal au niveau de la prairie du Cercle, juste sous la passerelle où étaient écrit en grosses lettres « Le Cabaret Sauvage »

Comment démarrer cette affaire ? Devrait-elle fouiller dans la vie des mille salariés de la Cité, une population apparemment paisible jusque là et dont elle admirait le travail ?

Elle s’était même fait des copains parmi eux et déjeunait régulièrement dans leur restaurant d’entreprise.

Elle n’aimait pas du tout cette affaire…

Elle passa et repassa en revue tout ce qui s’était passé depuis ce matin.

Elle revécut la scène : le ballet des gyrophares jusqu’au bord du canal, une vingtaine de véhicules stationnés sur le parvis, l’intervention des gestionnaires de scène d’infraction, juste sous ses yeux.

Dépêchée sur place au plus vite, elle était aux premières loges lorsque les secours avaient retiré de l’eau, le corps sans vie d’une femme.

Elle réentendit encore les paroles du premier témoin, Michel Dutillon, qui avait dû raconter plusieurs fois les circonstances de sa macabre découverte : « Il était un peu moins de 7h30, je faisais mon jogging du matin le long du canal, comme d’habitude, lorsque j’ai vu approcher une forme sombre, portée par le courant, près du bord. J’ai cru que c’était un tas de branches agglomérées, mais lorsque je suis allé voir de plus près, j’ai tout de suite vu que c’était un cadavre.

La suite, toute la longue succession d’actes nécessaires à l’enquête qui avait eu lieu ensuite, défila à nouveau dans sa tête.

Malgré les dégradations du corps dues à son séjour dans l’eau, elle avait tout de suite reconnue la victime qu’elle avait déjà croisée régulièrement sur le site. Il s’agissait d’Hélène Martenot âgée de 43 ans et qui travaillait à la Cité des Sciences depuis 15 ans. La défunte était démunie de papiers d’identité et cela aurait du prendre beaucoup de temps pour l’identifier, normalement.

Dans ses poches, il n’y avait qu’une clé ainsi qu’un paquet de mouchoirs en papier en bouillie et quelques petits sachets de faux sucre, collés ensemble, sur lesquels on pouvait deviner encore le mot « aspartam », à demi effacé.

Le corps ne portait aucune trace de coup ou plaie apparente, c’est pourquoi elle attendait impatiemment les résultats de l’autopsie d’une minute à l’autre pour connaître précisément les causes du décès.

Ni le travail des spécialistes de la scène de crime au sol et des plongeurs dans l’eau, ni la reconnaissance aérienne par hélicoptère n’avaient permis pour l’instant, de retrouver des indices le long du canal. Ni véhicule abandonné, ni vêtement, ni aucun objet intéressant, rien !

Zabe imagina déjà les titres des journaux de demain, surtout ceux qui raffolent de ce genre de scénario :

« Suicide, noyade accidentelle ou crime ? Scénario crapuleux ou promeneuse tombée dans l’eau ? Pour l’heure, aucune hypothèse n’est exclue ! La seule chose que l’on sait, c’est que la victime ne « portait pas la panoplie du pêcheur » or tout le long du canal, bon nombre d’amateurs hommes ou femmes, taquinent le goujon avec du matériel très sophistiqué, bla, bla…

Cette dernière idée, qu’elle trouvait parfaitement idiote, lui arracha un sourire. C’est fou comme certains journalistes réussissent à proposer de longs articles à leurs lecteurs assoiffés de détails croustillants, même s’ils n’ont aucune information sérieuse à révéler !

Pour être sûre que la victime était bien morte noyée, elle avait demandée que l’on fasse une recherche pour savoir s’il y avait des diatomées (ces fameuses petites algues de plancton !), dans les poumons de la victime mais aussi dans les tissus du rein, du cerveau, du foie et même dans la moelle épinière.

Zabe savait que le diagnostic de noyade était l’un des plus difficiles à faire en médecine légale.

Il ne fallait donc rien négliger ! Elle avait demandé de prélever soigneusement des échantillons d’eau autour du cadavre.

Les diatomées sont des algues unicellulaires enfermées dans de jolies coques en silice, aux formes très variées, qu’elle avait eu l’occasion d’admirer sous le microscope. Lors d’une noyade, lorsque les poumons de la victime se remplissent d’eau, leurs alvéoles éclatent, libérant dans le circuit sanguin les diatomées qui étaient présentes dans l’eau. Elles cheminent ainsi pendant trois à quatre minutes avant l’arrêt cardiaque. C’est pourquoi on retrouve leurs coques répondant au nom poétique de « frustules » dans les organes des noyés, même longtemps après les faits. Les diatomées révèlent ainsi des informations précieuses : noyade en eau douce ou marine, temps de séjour dans l’eau, déplacement du corps après la mort…

Zabe sortit soudain son carnet pour relire ses notes. Que s’était-il passé ?

Elle avait déjà interrogé la plupart des proches et collègues d’Hélène. Cela lui avait permis de reconstituer en partie son emploi du temps.

Elle relut les propos de la voisine de bureau et amie d’Hélène : Odile Seurin, qui semblait être la dernière personne à l’avoir vue, avant sa disparition.

« Hier, c’est-à-dire mercredi, vers 13h30, elle est partie en disant qu’elle allait déjeuner rapidement dans le coin, qu’elle allait ensuite à un rendez vous extérieur à 15h, au métro Trocadéro et qu’elle ne repasserait donc pas par le bureau. Elle a même précisé qu’elle y retrouverait notre collègue Carole, de la direction des expositions, pour l’aider dans sa négociation avec un partenaire industriel. Puis, elle m’a demandé un plan de Paris pour voir si c’était loin du métro, à pied.

Normal, quoi ! Rien ne laissait supposer un tel drame » ! !

Tous les autres témoignages concordaient : la victime semblait avoir une vie lisse et parfaitement réglée.

« Une vie calme, qu’elle revendiquait totalement d’ailleurs, je ne comprends pas ce qui a pu se passer ! » s’était écriée, sa sœur aînée Françoise, complètement abattue par cette tragédie.

Hélène travaillait au service juridique de la Cité avec des horaires très réguliers, rentrait le soir directement, à vélo ou à pied car elle habitait dans la rue de Crimée, à quelques stations de métro de là.

Odile qui semblait très proche d’elle, avait conclu d’un ton péremptoire : « Pour moi, la seule ombre au tableau, c’est qu’au fond, je pense qu’Hélène était déprimée et qu’elle ne se remettait pas bien de sa séparation d’avec son mari depuis 3 ans, même si elle avait obtenu la garde de ses deux fils de 16 et 17 ans. Elle avait peur qu’ils décident de vivre un jour avec leur père qui s’était installé à Nice. C’était pour elle une éventualité effroyable. »

Odile avait ensuite ajouté : « Cela dit, elle mettait un point d’honneur à ne rien montrer de ses problèmes. C’était quelqu’un qui était toujours aimable et d’humeur égale ! Elle faisait tout pour rester en forme : en plus de faire du vélo avec ses enfants, elle allait courir au moins une fois par semaine, le long du canal, à l’heure du déjeuner. D’ailleurs, on la chambrait là-dessus !

Franchement, c’est le pompon, je n’aurais jamais cru qu’elle finirait dans ce canal qu’elle aimait tant ! ! ».

Zabe leva la tête de ses notes car elle venait de se souvenir qu’après avoir prononcé ses mots, Odile s’était effondrée en pleurs.

Sa grande expérience en scènes de crime sordides l’avait pourtant endurcie mais la douleur des proches des victimes lui nouaient toujours les tripes. C’était plus fort qu’elle !

Elle revit alors les regards plein de détresse des amis et parents d’Hélène qu’elle avait interrogés. Tous semblaient beaucoup l’apprécier et même son ex mari, Michel, avait été touchant en parlant d’elle.

Il avait raconté combien sa séparation avec Hélène avait été douloureuse car ils s’aimaient encore mais la routine du quotidien, pendant 18 ans de vie commune, les avait lentement éloignés l’un de l’autre. Ils avaient fini par décider de se séparer car ils étaient encore jeunes et ils voulaient se donner une chance de recommencer leur vie, surtout maintenant que leurs enfants étaient grands.

Michel avait souligné combien ils faisaient tous les deux beaucoup d’efforts pour que cela se passe le mieux possible entre eux et pour les enfants. Maintenant, il avait peur qu’Hélène se soit suicidée car dans son dernier email de hier matin, il lui avait doucement redit qu’il aimerait bien à son tour avoir la garde de ses enfants qu’il ne voyait qu’un week-end sur deux et une partie des vacances scolaires et qu’il allait demander une mutation et qu’il aurait enfin du temps libre pour s’en occuper. Elle lui avait répondu avec un ton si désespéré que cela lui avait fendu le cœur et qu’il était prêt à lui répondre qu’il y renonçait pour l’instant. Malheureusement, il n’avait pas eu le temps de le faire et depuis, il n’arrivait pas à se sortir de la tête qu’il était responsable de sa mort.

Tout le monde découvrait avec effarement qu’Hélène, en fait, avait disparue vraisemblablement hier mercredi, entre l’heure du déjeuner et ce matin où son corps avait été retrouvé, et que personne ne s’était inquiété pendant tout ce temps !

Justement, comme c’était mercredi, ses enfants étaient invités à passer l’après-midi chez leur meilleur copain et devaient y rester dormir. Cela arrivait parfois et il était convenu avec Hélène qu’ils passeraient à la maison le lendemain matin à 8h pour prendre leurs affaires de lycée et bavarder un peu avec elle. Mercredi soir, ils avaient bien essayé de l’appeler dans la soirée mais en vain. Ils étaient tombés sur son répondeur et avaient laissé un message comique tout en chahutant tous les deux. Ils ne s’étaient pas du tout posé de questions. Leur mère leur avait dit qu’elle risquait d’être injoignable car elle avait prévu d’aller au cinéma à la séance de 20h. Cela lui arrivait parfois de profiter, ainsi d’une soirée « rien qu’à elle », comme elle disait.

Zabe soupira et se demanda encore une fois, après tous ces témoignages entendus, si la victime avait bien le bon profil pour se suicider.

Toutes les statistiques sur le sujet, qu’elle avait justement relues récemment, se mirent alors à clignoter dans son cerveau, avec son long cortège de chiffres déprimants :

- Quinze mille personnes se suicident chaque année en France. Des dizaines de milliers tentent de le faire.

- Les hommes préfèrent la pendaison et les armes à feu. Les femmes préfèrent l’asphyxie, l’empoisonnement et la noyade.

Le défilement de données s’accéléra de plus en plus dans son esprit : .

Les femmes font plus de tentatives que les hommes. .

- Les femmes restant au foyer se suicident plus que celles qui travaillent. .

- Le taux des suicides augmente avec l’âge. .

- Dans les pays développés, les suicides représentent environ 1% de la mortalité. .

- On compte un suicide réussi pour huit à dix tentatives. STOP ! .

Cette longue litanie allait lui donner la migraine !

Zabe réfléchit aux questions qui ne cessaient de la hanter depuis ce matin :

Etait-ce aussi affreusement bête ? Se pouvait-il qu’Hélène se soit suicidée ?

Etait-ce pour cette raison qu’elle avait téléphoné vers 14h à sa collègue Carole pour lui dire qu’elle ne pourrait pas se rendre avec elle au rendez-vous prévu avec le partenaire ? Pourquoi lui avait-elle dit de l’excuser mais qu’elle avait quelque chose d’imprévu à faire et que c’était important. Carole l’avait rassurée en lui disant qu’elle pourrait très bien se débrouiller toute seule, que c’était juste un premier contact.

Où Hélène avait-elle bien pu aller ensuite ?

Cette femme était-elle vraiment au bout du rouleau, sans que personne ne s’en soit aperçu ?

Au fond d’elle-même, Zabe n’arrivait pas à croire au suicide. Elle avait coutume de se fier à ses intuitions et elle ne le sentait vraiment pas ! Une phrase qu’elle aimait à répéter.

Une chose, clochait ! Pourquoi la victime n’avait-elle pas son sac à main ? Les bords du canal avaient été ratissés soigneusement, par les spécialistes, qui n’avaient rien découvert : ni objet, ni papier personnel ayant appartenu à la victime. On n’avait pas trouvé son sac, non plus, à son domicile alors que tout avait été systématiquement fouillé. Les recherches complémentaires dans tout le Parc, jusqu’aux stations de métro, avaient été également infructueuses.

Or, d’après les témoignages elle portait toujours son sac en bandoulière solidement accroché. Il s’agissait d’une petite besace en cuir brun dont elle ne se séparait jamais, en dehors de chez elle, car elle y rangeait son téléphone mobile dernier cri dont elle se servait très fréquemment.

Alors, était-il possible que quelqu’un l’ait balancée dans le canal après l’avoir tuée ? Mais, pour quelle raison ?

Zabe regarda sa montre et se dit qu’elle n’en pouvait plus d’attendre et qu’elle allait donc passer chercher directement les résultats de l’autopsie. Même si celle-ci n’était pas complètement terminée, elle attendrait sur place et pourrait poser toutes les questions qu’elle voudrait au médecin légiste.

La soirée allait être studieuse à méditer sur ce maudit rapport d’autopsie et à relire tous son compte-rendu d’interrogatoires.

Zabe se réveilla de fort méchante humeur le lendemain matin. Elle s’était couchée très tard, comme à son habitude quand elle démarrait une enquête. Surtout qu’en début de soirée, les résultats de l’autopsie avaient parlé : Hélène était bien morte NOYEE ! Le médecin légiste était formel et pour lui, l’heure de la mort remontait à mercredi, vers 14h30-15h. Tout cela contrariait complètement ses premières intuitions de la veille.

Plus elle y songeait, plus Zabe se disait qu’Hélène semblait trop aimante avec ses enfants et tous ses proches pour se suicider. Pour elle, si elle s’était donnée la mort, elle aurait, au moins, laissé une lettre pour expliquer son geste. Or, on n’avait trouvé aucune lettre, ni a son domicile, ni dans son bureau, ni dans ces derniers emails.

Découragée, Zabe se raccrochait à l’idée qu’il lui manquait encore les analyses biologiques pour détecter les diatomées ainsi que les analyses toxicologiques pour savoir si la victime avait ingéré des médicaments. Ces analyses de plus en plus sophistiquées allaient prendre au moins une bonne semaine ! Elle enrageait.

Zabe se rendit directement au parc de la Villette sur les bords du canal où les recherches se poursuivaient. Elle entra dans le périmètre de sécurité interdit au public, qui était entouré du sinistre ruban jaune et noir réglementaire et se dirigea directement vers le lieu précis où avait été trouvé le corps. Elle aperçut, sur sa droite de l’autre côté du canal, la grande roue spectaculaire de « La Bicyclette ensevelie » de l’artiste Claes Oldenburg puis tourna la tête à gauche, comme aimantée par des rythmes sourds qui s’échappaient du Zénith.

Zabe regarda intensément l’endroit précis où flottait le corps, hier matin, comme si elle avait des lunettes spéciales pour déchiffrer ce qui était présent mais invisible. Elle tourna les talons et se dirigea vers la Cité des sciences, Arrivée à la Folie-escalier, elle descendit au niveau du jardin des îles puis longea le bâtiment Monge. A sa gauche, le grand cadran solaire équatorial semblait implorer le ciel.

Zabe poussa la barrière de l’allée réservée au personnel, qui surplombe les douves. puis longea les vitres des bureaux du bâtiment Descartes. Le dernier de ces bureaux, juste avant l’entrée principale, était celui d’Hélène. Elle y entra en se disant que les lavandes qui bordaient l’allée étaient particulièrement belles cette année et embaumaient encore.

Zabe avait déjà fait classer l’essentiel des documents qui étaient sur la table et dans les tiroirs de la défunte, avec l’aide de sa collègue Odile. Zabe voulait les lire tranquillement, surtout quelques papiers qui semblaient personnels. Il y en avait pour des heures de lecture, même en diagonale ! !

Zabe avait demandé aussi de faire une copie du disque dur de l’ordinateur de bureau pour le faire analyser. Elle avait fait la même chose pour l’ordinateur personnel d’Hélène, qui se trouvait dans sa chambre. Elle attendait de savoir s’il y avait des emails et des données qui pourraient l’aider dans son enquête, y compris les données effacées qui se révélaient souvent le plus intéressantes.

Comme autrefois on grattait l‘encre des parchemins pour les réutiliser, on efface les données sur nos disques durs pour récupérer de la place. Or, en informatique, on oublie que les disques durs appartiennent à la famille des supports magnétiques et qu’il est très difficile de faire disparaître définitivement les données inscrites. Les disques durs regorgent ainsi de données « effacées » ne demandant qu’à être restaurées en vue, notamment, de la production de preuves en justice. Un régal pour les enquêteurs !

Zabe passa la journée à éplucher les documents qui lui semblaient importants mais elle ne remarqua rien, si ce n’est qu’Hélène avait un dossier personnel où elle gardait des articles de journaux. Il s’agissait d’articles de fonds sur des grands thèmes de société : les problèmes d’environnement, les mouvements d’aide au logement, la crise monétaire, les grands conflits internationaux, la prostitution, le chômage des jeunes, les problèmes des minorités, etc.

La plupart étaient annotés de la main d’Hélène, dans les marges ou entre les lignes. Il y avait aussi un tas de notes écrites à la main et des plans d’articles tout griffonnés.

Odile lui avait confirmé qu’Hélène, en plus de ses études de droit et de sociologie, avait fait également une école de journalisme et, avant de devenir juriste à la Cité, avait fait des « piges » pour plusieurs quotidiens. Odile avait ajouté qu’Hélène avait gardé cette passion et qu’elle avait créé son propre blog où elle écrivait régulièrement de nombreux textes. Elle faisait cela à titre gracieux mais il arrivait qu’un de ses articles soit publié, dans le courrier des lecteurs de Télérama, par exemple, et parfois même dans certains journaux, plutôt engagés, où elle avait encore beaucoup d’amis. Il faut dire que l’on appréciait son style et sa capacité à pousser « des coups de gueule » bien sentis, sur de nombreux sujets.

La journée se terminait. Zabe prit le dossier d’articles de journaux d’Hélène et rentra chez elle à pied, à Gambetta, tant elle était énervée !

Mentalement, Zabe organisa son programme pour les jours suivants.

Le portrait d’Hélène en main, elle allait, avec ses adjoints, sillonner tout le quartier, faire le tour des cafés, des stations de métro proches, des boutiques et restaurants, et tous les lieux que fréquentait régulièrement Hélène.

Elle allait également auditionner de nouveaux témoins, revoir toutes les personnes importantes dans la vie d’Hélène, vérifier leurs dépositions et leurs emplois du temps. Il fallait aussi éplucher les résultats d’analyse des disques durs, les relevés téléphoniques du domicile et du bureau d’Hélène et bien sûr étudier les mouvements de son compte en banque, consulter son blog… Le travail ne manquait pas !

Zabe pensa que c’était vraiment dommage que le sac à main d’Hélène soit resté introuvable car il contenait certainement son téléphone portable, son agenda, ses papiers qui auraient été fort utiles à l’enquête !

« Tout cela m’aidera à patienter jusqu’aux résultats des analyses biologiques et toxicologiques », soupira-elle.

C’est ce qu’elle fit, effectivement, pendant près de 5 jours.

Elle travailla d’arrache pied, avec toute son équipe, sur toute l’affaire mais rien de nouveau ! L’enquête piétinait ! De plus, elle venait de recevoir les analyses concernant les diatomées. Elles confirmaient qu’il s’agissait bien d’une noyade ! Zabe se sentit découragée.

Cela faisait une semaine, maintenant qu’Hélène était morte.

Soudain un coup de fil affolé d’Odile, de la Cité des sciences, fit sursauter Zabe. La tasse de café qu’elle était en train de boire pencha dangereusement.

Odile, toute affolée, hurla, dans le combiné : « Allo, Je suis devant la Cité des sciences, je viens de voir le vélo d’Hélène, un ado du quartier est juché dessus ! Dépêchez vous, avant qu’il s’en aille ! il est juste devant la Grande Récré sur le parvis, avec des copains !

Zabe interrompit Odile en lui disant qu’elle appelait tout de suite ses adjoints, Jean-Pierre et Philippe, sur son autre téléphone puis reprit la conversation avec elle, tout de suite après. Zabe lui demanda si elle était sûre que c’était bien le vélo d’Hélène.

Odile répondit « oui, je l’ai tout de suite reconnu car Hélène s’était amusé à le peindre en mauve avec ses enfants, dans le style des années 60. Ensuite, ils l’avaient baptisé en l’aspergeant avec du patchouli, tout en dansant sur la musique de Hair. Impossible de se tromper ! Comme c’était le deuxième vélo qu’on lui volait, Hélène s’était dit que le troisième, elle le peindrait d’une couleur voyante et ringarde, que ce serait ainsi très dissuasif pour les voleurs ! »

Zabe la remercia et sortit précipitamment pour prendre un taxi en pensant à cette histoire de vélo ! Odile l’avait induite en erreur sur ce point car elle n’avait pas remarqué qu’Hélène était en vélo le jour de sa disparition. Du coup, personne n’avait vérifié après sa mort, si son vélo était bien encore dans le local de son immeuble. Seuls ses gamins auraient pu le faire mais leur père était venu tout de suite les chercher pour les emmener à Nice et ils étaient beaucoup trop perturbés pour y penser. Cela expliquait la présence de la clé dans la poche de la victime, il s’agissait sûrement de sa clé d’antivol.

En route, elle rappela ses adjoints qui lui donnèrent rendez-vous, en face l’entrée du parking de la Cité, boulevard Mac Donald, où ils l’attendaient déjà avec le jeune adolescent.

Le gamin appréhendé, avait juré qu’il avait trouvé le vélo abandonné le long des maréchaux. Mort de trouille, il avait tout de suite emmené les policiers, sans résister, au début de la rue de la Clôture. Cette rue sinistrée portait bien son nom, coincée entre le Boulevard Mac Donald les voies ferrées du RER, le pont du périphérique et la sortie du souterrain des maréchaux.

Zabe descendit du taxi et les rejoignit. La rue de la Clôture lui donnait toujours froid dans le dos. Elle lui semblait encore plus sinistre, surtout depuis qu’on avait retrouvé une jeune prostituée russe Svetlana, égorgée, dans un vieux wagon sur la voie désaffectée qui longeait la rue. Cela s’était passé il y a trois mois, la nuit du 4 juin. Heureusement, cela ne relevait pas de la compétence de Zabe. Une brigade particulière s’occupait de ces questions et elle se souvint que l’enquête avait conclu à un assassinat, vraisemblablement perpétué par un client que l’on n’avait jamais retrouvé. L’affaire avait été classée, comme de nombreuses affaires de meurtres de ce genre.

Tout ce quartier était particulièrement glauque et peu sûr et sentait la misère et l’abandon. Il était peuplé de prostituées, de junkies, de SDF et squatters, toute une humanité déchue que la ville avait repoussée là, à la marge.

On trouvait malheureusement ce genre de lieux sordides à l’urbanisme sauvage, qui suintaient la détresse et la violence, aux abords de toutes les portes de Paris.

Ils suivirent le gamin, à travers un trou d’une des grilles sales qui séparaient la rue des voies de chemin de fer. A quelques centaines de mètres plus bas, il montra l’endroit exact où il avait trouvé la bicyclette d’Hélène, entre les rails rouillées de l’ancienne voie, rongée par la végétation et il répéta sa version des faits.

Soudain, Zabe aperçut au loin une sorte de tissu brun. Elle s’approcha et s’aperçut que c’était une besace en cuir, souillée de saletés, qui ressemblait furieusement à celle d’Hélène. Elle fit raccompagner le gamin à son domicile par Jean-Pierre puis demanda à Philippe qui restait avec elle, de l’aider à fouiller la zone. Elle trouva au bout d’une heure, un petit agenda déchiré qui appartenait aussi à Hélène. Elle lut à la page de mercredi dernier qu’à 14h, qu’Hélène avait noté « École de cirque ».

Cette école de cirque, au joli chapiteau, était fermée pendant l’été et elle venait juste de réouvrir. Zabe s’empressa de remonter la rue de la Clôture et entra dans les bureaux de l’École, la photo d’Hélène à la main. Elle aperçut, sur le mur, une grande affiche avec la tête de clown d’Annie Frattellini, qui avait créé cette école. La responsable de l’accueil reconnut immédiatement Hélène et précisa : « Oui, cette personne est bien venue, mercredi dernier vers 14h, pour payer les frais d’inscription de son fils cadet, pour l’année, mais je me suis aperçue que le dossier de son fils avait été perdu. Je me suis excusée et je lui ai donc dit qu’il fallait qu’elle refasse tous les papiers, notamment la photocopie du certificat médical, que les inscriptions étaient terminées, que c’était le dernier jour et que je devais tout donner cet après-midi au directeur mais que je pouvais attendre son retour. C’est alors que cette dame m’a dit qu’elle avait effectivement juste le temps de courir, chez elle, pour faire le dossier. Elle semblait soudain stressée et a du annuler un rendez vous, par téléphone, devant moi. Je l’ai suivie ensuite jusqu’à la porte et là, j’ai vu que quelqu’un, au bas de la rue, lui faisait signe. Ce ne sont pas mes affaires mais je crois bien que c’était l’une des prostituées russes ! Malgré le meurtre d’il y a trois mois, quelques unes reviennent rôder vers 14 h, jusqu’à l’aube. Elles essayent de se cacher mais on les aperçoit quand même. On voit même les proxénètes les déposer, parfois ! C’est un vrai problème car les parents de nos élèves ont peur de… »

Zab l’interrompit soudain, la remercia et sortit précipitamment rejoindre son adjoint. Elle se mit alors à réfléchir à une vitesse plus rapide encore que celle de la lumière.

Elle se souvint que parmi les innombrables textes d’Hélène qu’elle avait lus il y avait un brouillon d’article sur le meurtre de Svetlana et visiblement, Hélène avait fait tout un travail d’investigation depuis des mois.

Elle décida d’attendre les prostituées et demanda du renfort pour organiser un guet apens. A l’heure dite, ils virent arriver une camionnette cabossée, conduite par un homme avec un bonnet sur la tête ! Tous les passagers, deux proxénètes Igor et Piotr et trois filles Natalia, Lydia et Olga furent ainsi arrêtés promptement et conduits au Poste.

Dans la boîte à gants de la voiture, Zabe trouva la carte bleue, les papiers d’identité le téléphone portable d’Hélène et ses lunettes de myope qu’elle ne mettait jamais. Ces malfrats étaient donc cuits !

Il fallut toute la nuit pour les cuisiner avec menaces de peines très lourdes pour les hommes, promesses de passeports et de protection pour les filles. Heureusement l’une d’elles, Lydia, qui avaient un gros bleu sur la figure, lâcha le morceau au milieu de la nuit et dit qu’Hélène était bien venue lui dire bonjour mercredi dernier, qu’elle enquêtait depuis des mois sur le trafic et qu’elles avaient fini par sympathiser mais ce jour là, Hélène était tombée sur Piotr qui s’était caché pour surveiller les filles. Elle ajouta que c’était un fou furieux et qu’il cognait dur.

Après cette information, les deux hommes s’étaient mis à se dénoncer mutuellement.

Zabe reconstitua l’histoire avec les bribes de réponses données par les suspects, dans un très mauvais français. Ils avaient donc saisi Hélène, dès qu’elle s’était approchée, l’avait jetée dans leur camionnette car cela faisait plusieurs fois qu’ils lui avaient dit de se tenir à l’écart de leurs affaire. Hélène avait recommencé ses recherches malgré leurs avertissements et avait continué à fouiner jusqu’à la porte de la Chapelle ! Ensuite Igor dit que Piotr l’avait fait boire, de force, un cocktail de somnifères savamment dosé, puis l’avait emmenée plus loin vers Pantin, sur une berge déserte, en face du chemin de Halage. Là il l’avait fait glisser dans le canal, alors qu’elle était semi inconsciente, et ils lui avaient maintenu longtemps la tête sous l’eau.

Ensuite le corps avait du dériver…

Les résultats toxicologiques qui étaient arrivés entre temps sur le bureau de Zabe confirmaient leur récit.

Hélène avait bien absorbé un breuvage comparable à la drogue dite « des violeurs ». Ce type de délinquants ne s’en tenaient plus au bon vieux GHB, ou acide gamma hydro butyrique utilisé en anesthésie, mais se servaient de plus en plus de substances psycho-actives très difficiles à détecter.

Selon les agresseurs, les produits variaient mais il s’agissait toujours de produit actif à faible dose et donc aisément incorporable dans une boisson. Ils étaient rapidement solubles en milieu aqueux, sans goût et leurs effets étaient rapides à s’installer, tout en provoquant une amnésie des faits. Ces produits étaient le plus souvent des médicaments détournés de leur usage : somnifères ou anxiolytiques. Dans le cas d’Hélène, il s’agissait de comprimés finement broyés de zolpidem, avec de l’eau et un peu de vodka.

C’était l’aube, Zabe était triste mais soulagée. Elle savait que ce n’était pas la peine d’essayer de dormir après tout cela, alors elle acheta divers quotidiens car elle avait pris du retard dans la lecture des journaux, depuis cette affaire. Elle vit soudain en première page de Libération, l’annonce d’un article à la rubrique « Société » p 14 : « Meurtres de prostituées aux Portes de Paris » Elle se dépêcha de trouver l’article et lit l’introduction : l’auteur y fustigeait l’indifférence de tous, face au calvaire des filles de l’Est ou d’Afrique, prises dans les mailles de ce gigantesque réseau, avec des révélations sur les principaux rouages de ce trafic d’êtres humains, les protections et complicités dont il bénéficiait, en région parisienne. Zabe vit soudain, en bas de page la signature de l’auteur : Hélène Martenot, sociologue (juriste à la Cité des sciences).

Zabe eut soudain envie de pleurer…



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