Bernard Bonaldi : Laurent Terzieff, en dehors de Nicomède de Corneille que vous aviez, je crois, joué au Festival d’Avignon en 65, vous avez consacré très peu de votre temps au répertoire classique aussi bien Shakespeare que Molière, Corneille, Racine, ou plus près de nous Musset, Marivaux. C’est volontaire de votre part ?
Laurent Terzieff : C’est-à-dire que moi, je vous le disais hier, que j’étais profondément attaché au théâtre contemporain. Évidemment, en tant qu’acteur, c’est autre chose. Oui, il m’est arrivé de jouer justement, oui, Nicomède et des choses comme ça. Mais je ne me sens pas concerné par, si vous voulez, un travail référentiel. Voilà. Puis, ce qui m’intéresse, moi, dans le théâtre, c’est qu’il soit le reflet de la vie des hommes, le reflet de maintenant. Évidemment, bien sûr, je sais très bien que l’on peut interroger notre époque par classiques interposés. Mais, encore une fois, je ne suis pas sensible à la lecture nouvelle des classiques, surtout quand c’est issu de la dialectique brechtienne ou quand c’est revisité par des dramaturges ou des professeurs. Je pense qu’il y a, dans ce travail des classiques un aspect référentiel, qui m’a toujours un petit peu choqué, qui tiens un peu du clin d’œil, dans la mesure où il installe tout de suite une complicité intellectuelle entre le public et le spectacle, entre l’acteur et le public : voilà, ma proposition du personnage… Bon. Évidemment, ce qui aussi me heurte dans les classiques, c’est que très souvent cela repose sur un caractère. Pour moi, ce que je recherche au théâtre, c’est avant tout un univers et pas un caractère, un univers multiple, une pluralité de sens, n’est-ce pas. Évidemment, vous me direz que le Misanthrope comme caractère, ce n’est pas mal, mais justement derrière le Misanthrope, il y a une espèce d’universalité de thèmes qui fait que cela dépasse le caractère. Il m’est arrivé de jouer des personnages de caractère, comme le Philanthrope de Christopher Hampton. Roger Blin me demandait justement pourquoi j’avais joué ce personnage, parce qu’il trouvait que c’était un peu du théâtre de boulevard revigoré par l’avant-garde, enfin, bon. Moi, je sais pourquoi je l’avais joué. Je l’avais joué parce que c’était un personnage de retrait et que d’habitude, j’étais plutôt la locomotive dans les spectacles, je montais en tant qu’acteur. Et là, je voulais prouver que j’étais capable de jouer un personnage en retrait.
Bernard Bonaldi : Et cette universalité, vous l’avez trouvé dans Mrozek notamment ? Vous avez monté beaucoup de pièce de cet auteur ? C’était votre ami ?
Laurent Terzieff : Oui, c’est devenu un très, très grand ami. C’est un des auteurs que j’ai monté le plus avec, je crois, Saunders. Oui, parce que ce qui est très représentatif dans le théâtre de Mrozek, c’est que si la dérision est l’expression naturelle de l’époque, alors là, indiscutablement, Mrozek est peut-être un des auteurs les plus importants, parce qu’il a une façon de manier la dérision, dans son théâtre, qui est absolument exceptionnelle. Là, il est vraiment roi. Il y a aussi quelque chose qui m’a toujours frappé dans le théâtre de Mrozek, c’est un sens du tragique au second degré. C’est-à-dire que ce qui est tragique dans le théâtre de Mrozek, c’est que la tragédie est impossible parce que tôt ou tard tout se dilue en farce, on n’a pas le droit de se prendre au sérieux, n’est-ce pas. C’est la vie absurde qui veut ça, c’est le fait que l’univers, dans lequel se meut Mrozek, ne repose pas sur une échelle de valeur dans laquelle l’homme peut se prendre au sérieux. Donc, ce qui est tragique dans Mrozek, c’est qu’on souffre, on souffre par dérision, par séparation mais en même temps on ne peut pas se prendre au sérieux, donc la tragédie n’est pas possible. Ça m’amène à vous dire que c’est très difficile de trouver, je crois d’écrire pour le théâtre à l’heure actuelle, parce que, je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit, mais je trouve que le théâtre a une fonction de sublimation, une fonction sublimante, or, ce qui fonde une collectivité, une ethnie, un pays, une nation, c’est l’adhésion à certaines coutumes, certains types de comportement, certaines philosophies, un certain idéal, des croyances religieuses communes, l’adhésion à un même langage, fondée sur un respect de cette langue, enfin, bref, tout un ensemble d’échelle de valeur que la vie, l’évolution de la vie a tendance justement à tourner en dérision. C’est pour ça que nous avons un théâtre justement, de la dérision notamment avec Mrozek, un théâtre de la séparation, un théâtre de l’absurde, de la déréliction et du non sens. Je sais, bien sûr, que l’absurde, le non sens, la déréliction étaient déjà induits dans le théâtre de Shakespeare, mais justement ce qui fait l’universalité du théâtre de Shakespeare, c’est qu’il se maintient toujours dans une extrême tension entre l’éblouissement, devant le miracle que constitue l’existence et la beauté de la vie, et en même temps une extrême tension entre l’anathème jeté sur un monde voué à un monde de souffrance, d’injustice et de barbarie, un monde voué à l’échec, à l’angoisse et au scandale de la mort. Donc, je trouve que cette tension, entre ce que j’appellerais le monde du oui et le monde du non, a tendance à disparaître dans le théâtre contemporain pour faire place uniquement au monde du non, au monde de la rupture et du pessimisme.
Bernard Bonaldi : Vous venez de parler de croyances religieuses, vous êtes vous-même un homme de foi, et vous cherchez dans les œuvres que vous servez à…
Laurent Terzieff : Non, je n’y pense pas. Le comédien, le metteur en scène, l’artiste d’une façon générale, même s’il a la foi, même s’il adhère à certaines échelles de valeur, ne doit pas vivre dans un monde de trop grandes certitudes, n’est-ce pas. Évidemment, on peut très bien dire, comme certains, « je doute, donc je crois », mais je pense qu’être trop enfermé dans un monde de certitudes, des échelles de valeurs trop précises retire cette espèce d’inquiétude, qui est à la base de la création artistique. Je pense, si vous voulez, que quelqu’un qui est trop bardé de certitudes n’est pas vulnérable par la vie et par son métier aussi. Évidemment, si on n’est pas vulnérable, si on n’est pas appelé à souffrir par le doute, je pense que c’est très difficile de créer.
Bernard Bonaldi : Et ce doute, est-ce qu’il existe dans l’œuvre de Paul Claudel que vous avez souvent joué puisque vous avez monté et participé au moins à quatre pièces, L’échange, Tête d’or, Les Choéphores, Christophe Colomb, c’est un tout autre univers que celui de Mrozek ?
Laurent Terzieff : Oui. Mais, vous savez, Claudel, il vient de loin. Tête d’or, que nous avons crée avec Jean-Louis Barrault, au Théâtre de France, la première mouture de Tête d’or, je crois que c’était l’arbre, et à l’époque Claudel n’était pas croyant, je crois qu’il faisait même l’éloge de Ravachol. Je crois que Claudel, est quelqu’un qui avait une foi très grande, sûrement, c’est indiscutable, mais qui en même temps n’était pas à l’abri de la souffrance. Ça, son fils, Pierre, que j’ai bien connu, me l’a confirmé. C’était un homme très paradoxal, évidemment, qui semblait… Lui aussi alors, appartenait au monde du oui. Socialement, il a dit oui à tout le monde. Il a dit oui à Pétain, oui à de Gaulle. Il disait oui à la vie, oui à la mort. Mais je crois qu’il y avait derrière cet homme social, quelqu’un de secret, de très pudique d’ailleurs, parce qu’il ne montrait pas ça du tout. J’ai entendu un de ses entretiens avec Amrouche, il dit, Amrouche le questionne sur Nietzche justement, ce n’est pas pour rien parce qu’effectivement derrière Tête d’or, il y a une ombre nietzschéenne, très grande, et alors, par une espèce de boutade comme ça, j’entends encore Claudel dire : « Mais, vous savez, Nietzche c’était un fou, moi, j’ai horreur des fous ». Il avait un certain culot de dire ça étant donné ce qui est arrivé à sa sœur, mais enfin, voilà. Je crois que Claudel était quelqu’un de beaucoup plus double qu’on ne le pense. Moi, je sais qu’en tant acteur, je dois beaucoup à Claudel, justement cela s’est passé autour de L’échange, avec Guy Suarès et Pascale de Boysson, au Cloître Saint-Severin, quand nous l’avons obtenu la première fois, dans la deuxième version. C’était l’époque où il n’y avait que Barrault qui montait Claudel, il y avait eu l’événement, la révolution du Soulier de satin à la fin de la guerre qu’avait monté Barrault au Français. On montait Claudel au Français, on jouait L’échange de temps en temps, mais enfin c’était vraiment chasse gardée pour Jean-Louis Barrault. Et c’était la première fois, depuis très longtemps, qu’une jeune troupe, des acteurs peu connus, jouait Claudel. C’était d’ailleurs la politique de Pierre, il avait dit qu’il fallait quand même que le théâtre de son père soit joué par les jeunes, soit monté et joué par les jeunes, revisité, comme on dit maintenant, par les jeunes. Et je me souviens que c’est la première fois que j’ai senti que mon corps et la parole allaient ensemble. Jusque là, il y avait une espèce de dichotomie chez moi, je ne sais pas, j’avais un peu du mal avec mon corps, ça n’allait pas ensemble. Et là, dans L’échange, dans le personnage de Louis Laine, tout d’un coup, le texte est devenu physique chez moi, je l’ai vraiment vécu physiquement. Et ça, ça a été une espèce de déclic, j’ai l’impression que j’ai fleuri, comme on dit, comme on disait des philosophes grecs. Là, vraiment, je suis vraiment peut-être devenu un comédien. Là, avec L’échange de Claudel, au Cloitre Saint Severin. J’avais le texte dans mon corps, je l’exprimais physiquement, je dansais le texte, si vous voulez.
Bernard Bonaldi : Et Tête d’or, ça doit être un souvenir aussi extraordinaire ? Vous étiez sur scène avec Alain Cuny, notamment.
Laurent Terzieff : Oui, c’est un très grand souvenir, Tête d’or. Ça a été créé, Claudel ne voulait pas que cette pièce soit jouée, n’est-ce pas…
Bernard Bonaldi : Ah, oui ! Pour quelles raisons ?
Laurent Terzieff : Peut-être justement parce qu’il y a des aspects de Tête d’or qui ne sont pas spécialement religieux. Il y a quand même cette espèce de fond nietzschéen. Il y a cette violence. Oui… Claudel disait que pour monter la pièce il faudrait qu’on la monte - évidemment c’était un peu utopique comme idée, mais enfin elle était intéressante - dans un lieu… dans un stalag, voilà. Que cela soit monté par des prisonniers dans un stalag, comme ça, on serait vraiment dans l’univers dans lequel lui-même se trouvait quand il a écrit Tête d’or, c’est-à-dire quelqu’un qui cherche une issue. Donc, on avait ouvert le Théâtre de l’Odéon, que Malraux avait donné à Barrault, c’était le Théâtre de France, Barrault a fait appeler cette salle de théâtre autrement. Je pense que la pièce n’est pas une pièce facile, loin de là, étant donné l’enjeu de l’ouverture, je pense que Barrault n’aurait pas souhaité ouvrir avec cette pièce-là, mais Malraux y tenait beaucoup. Il voulait en faire un point de départ emblématique, lui-même était très, très accroché à la pièce. Il nous confiait d’ailleurs que c’était une pièce pour les jeunes. Il ne se trompait pas d’ailleurs parce que quand on a repris la pièce, je crois sept ans plus tard, parce que ce qu’il faut signaler avec Tête d’or, c’est que ça a ouvert le Théâtre de France, avec Barrault, et ça l’a fermé en même temps, puisque qu’on a fait la reprise huit ans après, une reprise qui s’imposait, c’était la fin de la saison, après il a donné son théâtre au Théâtre des Nations et très vite il y a eu Mai 68, le Théâtre a été occupé, donc ça a été le premier et dernier spectacle de Barrault au Théâtre de France. Ça a été un très, très grand souvenir. Alors, évidemment, Malraux voulait que cela soit vraiment, pour emblématiser encore davantage l’ouverture du Théâtre de France, qu’il remettait à Barrault, n’est-ce pas, il a fait venir le Général, il y eu un gala. C’était très éprouvant ce gala, parce que c’était la première grande manifestation de la Ve République. Il y avait tout le monde. Tout le Paris décoré officiel était dans la salle. Il y avait une telle atmosphère de sacralisation sociale, un tel aspect pontifiant et officiel dans la salle, je me souviens que Cravenne m’a dit : si j’avais voulu vendre des places au marché noir j’aurais fait fortune. Tout le monde voulait être là. Ça a été un fiasco ce gala, parce qu’il y avait une contradiction là aussi, Claudel aurait préféré qu’on joue la pièce dans un stalag, j’imagine. Là il y avait une contradiction vraiment incroyable entre l’atmosphère de la salle et ce qu’on disait sur le plateau. Il y avait un mur kafkaïen d’incompréhension, n’est-ce pas, ce qui fait que la générale qui a eu lieu le lendemain ou le surlendemain, c’était un délice à côté. Enfin, voilà, c’était un très grand souvenir, puisque cela a été l’occasion de… J’étais très ami avec Alain Cuny, le hasard faisait que justement l’été qui avait précédé, j’ai tourné mon premier film en Italie, La Notte brava, avec Bolognini, et lui-même, Cuny, tournait la Dolce Vita. On savait qu’on jouerait ça à la rentrée ensemble et on se retrouvait tous les soirs dans les trattorias, au bord de la mer, en sortant des tournages, et on lisait nos scènes ensemble comme ça. C’était vraiment un merveilleux souvenir. Cuny était un acteur prodigieux, c’était un grand, grand tragédien. Il était superbe dans le rôle. Ça a été un petit peu difficile parce que, vous savez, Cuny aussi était un homme blessé, c’était un homme très difficile, il était très exigeant vis-à-vis de lui-même, il avait beaucoup de difficultés, alors il avait tendance inconsciemment à faire porter le poids de ses difficultés sur les autres, inconsciemment, et là en l’occurrence c’était Barrault. Mais ils se sont réconciliés par la suite. La reprise a eu lieu quelques années après, ils étaient de nouveau très, très amis. Mais enfin, ça a été un petit peu difficile, je me souviens, cette répétition. Je me souviens que la veille de la première, il y a eu une espèce de couturière pour Malraux, qui n’avait jamais assisté aux répétitions, à l’issue de cette répétition, on s’est rejoint devant ma loge, il y avait Cuny, Barrault, Madeleine Renaud et Malraux. Malraux a été très gentil avec Cuny, il lui a dit : vous me rappelez tel masque de je ne sais quel période inca, qui représente tel dieu et ce masque ressemble à l’image mythique que les populations se faisait de ce dieu-là. De même, pour moi : vous êtes ressemblant au ( ? manque un nom), que j’avais dans l’esprit, vous lui ressemblez tellement, que c’est vous,… voilà. Alors, Alain ne se sentait plus de joie parce qu’il avait une grande estime pour Malraux, et il lui a dit : je suis très touché de ce que vous me dites parce que moi-même j’ai une grande admiration pour vous, je n’ai de cesse que de retrouver votre discours sur l’architecture, que vous avez prononcé à Brasilla, etc. Malraux lui a dit : dès demain un motocycliste du ministère vous apportera le texte, bien sûr. Là-dessus Cuny dit : je suis content de ce que vous avez dit mais il faut quand même que vous sachiez que ce que j’ai fait dans le rôle, c’est une caricature, une pantalonnade, une grimace par rapport à ce que j’aurais dû faire mais je dois dire que je me suis très mal entendu avec Jean-Louis, ici présent, nos vues divergeaient totalement… Là j’ai vu que Malraux qui avait, comme chacun le sait, tendance à avoir des tics, ses tics ont redoublé, il ne savait pas du tout où il était. Alors, il y a eu un froid et Madeleine s’est mise à sauter, voulant détendre l’atmosphère, en disant : ah, sacré Alain, sacré Alain, tu n’en diras jamais d’autres, etc. Et là-dessus Barrault a dit : écoute Alain, c’est pour toi, c’est parce qu’on t’aime, tout ce que je t’ai dit, c’est pour que tu sois au mieux de toi-même. Alors, là Cuny a été cinglant et a dit : Jean-Louis, on peut aimer et desservir, il est de bonnes volontés redoutables. Et je voyais les tics de Malraux qui augmentaient au fur et à mesure. Mais enfin, encore une fois, c’est le genre de choses qui arrivent très souvent dans le métier où les gens ne s’entendent pas pendant les répétitions et puis après ils sont très amis. Voilà. Mais enfin, je me souviens surtout de la tête éberluée de Malraux.
Bernard Bonaldi : Et vous avez des souvenirs aussi pittoresques sur Christophe Colomb ?
Laurent Terzieff : Non, je me souviens aussi de… Ah, oui, ce gala-là, de Tête d’or, je ne m’y attendais pas, c’était un démarrage de pièce très difficile, très difficile parce que ça commençait par : « me voici imbécile, ignorant, homme nouveau devant les choses inconnues », je m’en souviens encore, attaquer ne pièce avec ça, ça demandait une très grande concentration. Je n’ai pas de méthode d’une façon générale, ni comme acteur ni comme metteur en scène, je ne suis pas l’acteur qui dit quoiqu’il arrive il faut arriver au théâtre à 4h de l’après-midi, il faut se concentrer mais là vraiment, j’avais besoin d’être maquillé, habillé, une demi-heure avant sur le plateau, pour essayer d’entrer dans cet univers d’adolescent, n’est-ce pas, qui s’adresse tout simplement à dieu et qui lui dit : qui je suis. C’était très fort, c’est un texte qui avait une densité métaphysique très, très forte. J’entends les trois coups, puis là-dessus la Marseillaise, ça je ne m’y attendais pas du tout, j’ai eu même beaucoup de mal. Il y a eu même un couac pendant dans la Marseillaise, je n’étais pas le seul à être ému.
Bernard Bonaldi : Pour Christophe Colomb, vous avez aussi des souvenirs pittoresques ?
Laurent Terzieff : Oh, non, non. Moi, je m’entendais très bien avec Jean-Louis, j’avais beaucoup de tendresse pour lui, ça été une merveilleuse aventure. On l’a crée au Théâtre d’Orsay à l’époque, puis après nous avons fait une grande tournée en Russie et par la suite je crois à Vienne, à Zurich,
Bernard Bonaldi : Vous venez d’évoquer des souvenirs concernant votre rôle de Cébès dans Tête d’or de Paul Claudel, auriez-vous la gentillesse de nous lire peut-être le début de la pièce ?
Laurent Terzieff : « Me voici, imbécile, ignorant, homme nouveau devant les choses inconnues. Je tourne la face vers l’Année et l’arche pluvieuse. J’ai plein mon cœur d’ennui ! Je ne sais rien et je ne peux rien. Que dire ? Que faire ? À quoi emploierai-je ces mains qui pendent, ces pieds qui m’emmènent comme les songes ? Tout ce qu’on dit, et la raison des sages, m’a instruit avec la sagesse du tambour. Les livres sont ivres. Il n’y a rien que moi qui regarde. Il me semble que tout, l’air brumeux, les labours frais, les arbres et les nuées aériennes me parlent avec un langage plus vague que le ia ! Ia ! de la mer, disant : « ô être jeune, nouveau ! Qui es-tu ? Que fais-tu ? Qu’attends-tu, hôte de ces heures qui ne sont ni jour ni ombre, ni bœuf qui hume le sommeil, ni le laboureur attardé à notre bord gris ? » Et je réponds : je ne sais pas ! Et je désire en moi-même pleurer ou crier ou rire ou bondir et agiter les bras : qui je suis ? »