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Abbaye de la Villette, par Chanoine Bellarmin

Un ami, m’a fait suivre un message et la missive attachée du Chanoine Bellarmin (cf. ci-dessous) en m’écrivant :

Bonsoir Taos, Je m’occupe d’un site web qui s’est méchamment scratché en juin dernier. Et je pense que maintenant que sa restauration est terminée, quelques conséquences étranges se produisent. Visiblement, il y a eu une sorte de rupture spatio-temporelle puisque j’ai reçu venant du futur le courriel joint. Et le plus étrange, c’est que ce correspondant semble te connaître et me demande de te transmettre son message et le document qui l’accompagne.

Peut-être pourras-tu m’éclairer sur le sens de tout cela. En tout cas, c’est bien la preuve que la DSTSSI ne contrôle rien du tout comme me le disait quelqu’un récemment.

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Message du Chanoine Bellarmin : Monsieur, Veuillez transmettre à Melle Taos la lettre que je lui destine après ma visite à l’abbaye de la Villette en cette journée du 17 septembre 2027.

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Lettre LXXVII à une jeune provinciale sur la vie dans la capitale

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En l’abbaye de Saint Germain des prés, le 17 septembre 2027

Madame,

Vous me demandiez dans votre dernière lettre des nouvelles de cette abbaye de la Villette qui a vu le jour aux environs de Paris sous les règnes de Valéry Ier et de François III. Je vous avoue qu’il y a longtemps que je ne suis pas allé rendre visite à cette grande abbaye, car à mon âge, j’hésite à parcourir une grande lieue en empruntant ces chemins parfois mal fréquentés. Je préfère me rendre dans l’abbaye Saint Victor ou celle de Saint Martin des champs ou encore celle de Saint Jean le Perrin, plus proches du Palais.

Néanmoins l’arrivée depuis un an d’un nouveau Père abbé [1], la nomination d’un nouveau Prieur et mon impatience à satisfaire votre curiosité m’a déterminé à visiter ce haut lieu de pèlerinage. J’y ai été accueilli très agréablement par le Père abbé lui-même. Il m’a montré les lieux magnifiques en particulier l’église abbatiale et les communs. Il m’a expliqué également son souhait de poursuivre l’œuvre de son prédécesseur visant à un renouveau spirituel, nécessaire selon lui pour attirer de nouveaux pèlerins et il m’a enfin autorisé à me promener à ma guise dans le monastère.

Pour bien comprendre, il vous faut savoir que cette abbaye est renommée à la fois pour son église abbatiale et ses tisanes. Tout pèlerin qui pénètre dans l’église est d’abord frappé par sa grandeur et sa beauté. Mais cette grandeur est un peu écrasante. On cherche en vain le déambulatoire, le narthex est proche du chœur, la chapelle de la Vierge aux étoiles, est à côté de celle des entrailles de la Terre et de l’enfer. A plusieurs endroits on présente des images pieuses (y compris en relief ou dans de très grands formats). C’est à ce désordre que le Père abbé voudrait remédier.

Et puis il y a les tisanes connues de toutes les cours européennes. Les moines de l’abbaye étudient, font connaître et goûter des tisanes différentes pour chaque pèlerin. Les plus grands botanistes viennent expliquer aux visiteurs de passage l’usage d’une plante aromatique. La bibliothèque de l’abbaye est une des plus riches du royaume dans ce domaine. Il n’est pas rare de voir dans les allées du jardin un grand savant étudiant une plante un ouvrage de Duhamel du Monceau ou de Fougeroux de Bondaroy à la main, à côté d’un vieil homme ou d’une vieille femme quémandant une poignée d’herbes – ce que les moines accordent bien volontiers. Mais il est vrai que certains visiteurs ne rentrent à l’abbaye que pour chercher des tisanes et que la dimension spirituelle du lieu leur échappe. C’est aussi la volonté des Pères abbés successifs de rapprocher tisane et église abbatiale (actualité de la Précieuse Tisane, création quelques années auparavant des chapelles « Osons la boire »,…). Le Père François, quant à lui, veut créer une crypte odoriférante, un monastère invisible de la tisane [2], etc. Le Père Abbé me rappelle également que ce renouveau spirituel est important pour le renouveau matériel de l’abbaye. Si les pèlerins affluent, les offrandes dans les troncs affluent. Il soupire en m’expliquant que Sœur Sophie – l’économe de l’abbaye – et Sœur Catherine – la comptable – le lui rappellent quotidiennement.

Quelques heures plus tard, au cours d’une de mes promenades, je me suis perdu dans le dédale de l’abbaye. Apercevant une porte entrouverte, je pénètre dans une pièce qui portait le nom de « Salle Bienheureux Bernard Millot ». Là je retrouve le père abbé, le prieur, quelques moines et moniales devisant agréablement tout en sirotant une tisane. Le père abbé m’explique qu’il s’agit du « chapître restreint » et m’invite cordialement à m’asseoir autour de la table.

Chacun parlait à tour de rôle de son activité dans l’abbaye. Ainsi, le père Roland expliquait son intention d’organiser une joute oratoire entre savants botanistes sur « Badiane ou anis étoilé : quel avenir pour la tisane astringente ? », le père Bruno se plaignait des systèmes d’arrosage qui inondaient régulièrement ses précieux manuscrits, le père Jean-Marc expliquait au père Jean-Marie les difficultés qu’il avait à réparer les poulies qui permettaient de faire monter les pélerins agés ou malades dans les étages de l’abbaye. Si les pères Patrick et Thomas étaient d’accord pour dire qu’il fallait coller les étiquettes sur les paquets de tisane en les penchant légèrement, la discussion était passionnée car l’un disait que c’était à gauche, l’autre que c’était à droite qu’il fallait les incliner. Le père abbé racontait comment il avait été émerveillé par les constructions qu’il avait vues lors de l’expédition qu’il avait organisé pour vendre aux Infidèles des tisanes destinées aux enfants.

Après ces échanges, le père abbé reprit la parole : « Chers pères, frères et sœurs, le Palais royal s’impatiente. Voici 19 ans exactement qu’il a décidé de fusionner notre abbaye avec l’abbaye Saint Jean le Perrin et nous n’arrivons toujours pas à nous mettre d’accord sur la répartition de la production de tisanes. Conservons-nous chacun nos secrets de fabrication ? Doit-on répartir l’accueil des pélerins ? Allons-nous spécialiser nos jardins ? Il nous faut maintenant des réponses à ces questions ! »

Le père Pascal, le maître des novices prit la parole : « Père abbé, je voudrais rappeler que ce retard ne peut nous être imputé. Souvenons-nous qu’à chaque visite que nous leur avons rendue, nous avons été accueillis par des moines qui chantaient « Dies irae, dies illa » ou « Requiescant in pace » !

Sœur Sophie : « Nous devrons vendre beaucoup plus de tisanes. Les murs de l’abbaye Saint Jean le Perrin s’effondrent et ils doivent aussi être rénovés. Augmentons la production, supprimons les jachères et veillons à ne pas acheter des rateaux neufs quand il ne s’agit que de changer le manche ».

Et la discussion continua :

- Heureusement que nous avons beaucoup plus de place qu’eux

- Oui, mais eux sont en bordure de Seine tout près du palais

- Ils ont un grand coteau au Nord où on pourrait cultiver les plantes qui ont besoin d’humidité et qui craignent le soleil. Nous pourrions comme cela agrandir chez nous le carré des plantes méditerranéennes

- La cour viendra plus volontiers écouter de grands savants chez eux

- Nous pouvons accueillir beaucoup plus d’élèves des collèges royaux qui viennent étudier les tisanes

- Les savants travaillent mieux chez nous : plus de place, plus de livres, nos registres d’inventaire sont mieux tenus

Était-ce la chaleur de la fin de journée ou les vapeurs de la menthe poivrée, mais la conversation était un peu décousue, le ton un peu las. Peut-être d’avoir trop répété ces idées depuis 19 ans ?

Le soleil se couchait. Ne voulant pas revenir de nuit, je pris congé de mes hôtes en les remerciant et en les priant de m’informer de la suite de leurs réflexions que je ne manquerai pas de vous transmettre lors d’une prochaine lettre.

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Chanoine Bellarmin

notes bas page

[1Le Père François a eu d’importantes responsabilités au Palais exécutif. Il a dirigé l’édition de la Somme théologique innovante (DDR, 2017) ainsi qu’un Guide de la spiritualité par le serious games (DDB 2015)

[2Forme de spiritualité innovante qui consiste à ressentir l’odeur et le goût de la tisane sans la consommer, sans même la voir réellement

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