Créationnisme, témoignage de Guy LENGAGNE
Agrégé de mathématiques, ancien Député-Maire de Boulogne-sur-Mer, ancien Secrétaire D’État chargé de la mer, ancien membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe auteur d’un rapport au Conseil de l’Europe intitulé « Les dangers du créationnisme dans l’éducation ».
Tout d’abord, merci de m’avoir invité. Merci aussi à Guillaume, car, après son intervention, le Maire du premier port de France va maintenant regarder la morue et le Saint-Pierre de façons différentes.
En écoutant Cédric et Guillaume, une citation de Nietzsche m’est venue à l’esprit, à laquelle vous allez vous heurter. Cette citation de Nietzsche est la suivante : « Le contraire de la vérité, ce n’est pas le mensonge. Ce sont les convictions. » Je trouve cette phrase très intéressante. C’est exactement ce à quoi se heurte le professeur de SVT qui ayant expliqué ce qu’est l’évolution se voit rétorquer qu’on ne le croit pas, parce que la conviction de ses élèves est contraire à la vérité qu’il veut leur enseigner.
Permettez-moi tout d’abord d’apporter une précision : je n’étais pas membre de la « Communauté Européenne », mais membre du « Conseil de l’Europe ». Cette précision est importante. Le Conseil de l’Europe est plus ancien que l’Union européenne. Il compte 47 pays, tous les pays de l’Union européenne, plus des pays comme le Liechtenstein, la Russie, la Turquie, la Norvège etc. qui ne sont pas membre de l’Union Européenne. Le Conseil de l’Europe, qui siège à Strasbourg, est constitué d’une part des ministres des Affaires étrangères et d’autre part de parlementaires, représentants des parlements nationaux. La France a 18 représentants (12 issus de l’Assemblée nationale et 6 du Sénat). C’est à ce titre que j’ai participé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe que l’on appelle en abrégé « Conseil de l’Europe ».
Pour mémoire, on entend parfois parler de condamnations par la Cour européenne des droits de l’Homme. Celle-ci est une émanation du Conseil de l’Europe. Les juges de la Cour européenne des droits de l’Homme sont élus par les parlementaires du Conseil de l’Europe.
Cette précision étant donnée, le Conseil de l’Europe s’intéresse en particulier à la protection des droits de l’Homme d’une manière très large. En visitant il y a quelques jours le site du Conseil de l’Europe, j’ai découvert que ce centre d’intérêt a été quelque peu réduit. Cela va nous amener à mon rapport car c’est à la suite de l’incident créé par le refus dans un premier temps d’en discuter que les parlementaires ont décidé de restreindre le nombre de sujets abordés
Nous avons beaucoup parlé d’Harun Yahya. Son livre, « l’Atlas de la création » a été distribué gratuitement dans un certain nombre d’établissements scolaires à la fois en France – il a été traduit en anglais et en français – en Grande-Bretagne, en Belgique. Plusieurs scientifiques, membres de l’Académie des sciences, se sont émus de cette diffusion et ont proposé qu’il ne soit pas mis à la disposition des élèves car il s’agit d’un tissu d’absurdités, de contre-vérités. Mais ceci a déjà été souligné. C’est à la suite de cette diffusion qu’un parlementaire britannique, député travailliste anglais, Andrew Macintosh et plusieurs de ses collègues, ont déposé une proposition de résolution. Celle-ci était intitulée : « Les dangers du créationnisme dans l’Éducation », titre que j’ai conservé pour mon rapport. Elle a été transmise, comme le veut le règlement du Conseil de l’Europe, à la commission de la culture et de la science, présidée par un Français, Jacques Legendre, ancien ministre. Celui-ci m’a alors demandé de rédiger un rapport sur ce sujet car, disait-il j’étais un « scientifique ».
Petite précision, j’ai bien écouté ce que disait Guillaume. Je ne suis pas du tout scientifique. Je suis mathématicien, du moins je l’étais dans ma jeunesse. Toutefois, la différence essentielle entre le mathématicien et le scientifique, comme l’a souligné Guillaume, réside dans le fait que je ne me confronte pas à la matérialité des choses. Je cite toujours cette phrase de Jean Dieudonné, qui présidait le groupe Bourbaki et qui, parlant des mathématiques écrivait : « Je ne sais pas à quoi servent toutes ces généralités mais cela sert à quelque chose, eh bien, tant pis ! » J’ai été élevé en quelque sorte dans cette manière de concevoir les mathématiques.
Une précision, qui nous place au cœur des difficultés que rencontre la diffusion des connaissances scientifiques : En tant que parlementaire, j’ai rédigé un certain nombre de rapports sur différents sujets. En général, pour nous aider, nous disposons de collaborateurs de très haut niveau notamment les administrateurs de l’Assemblée Nationale. Il y a également au Conseil de l’Europe de bons administrateurs. Je leur ai donc demandé de m’aider à trouver quelques éléments pour élaborer mon rapport. Tous m’ont répondu : « nous sommes totalement incompétents dans ce domaine » Ceci est très révélateur que ces personnes, le plus souvent très compétentes, que j’ai vu rédiger des documents sur les sujets les plus divers, soient dans l’incapacité d’aborder une question scientifique est très révélateur de l’acculturation de plus en plus courante dans le domaine des sciences.
J’ai donc dû me « débrouiller » avec mes assistants dont la formation était uniquement juridique. Nous avons utilisé internet et trouvé ainsi les ouvrages intéressants en particulier ceux de. Guillaume LECOINTRE Le rapport rédigé, j’ai demandé à Hervé Le GUYADER de vérifier que je ne racontais pas de « bêtises » sur le plan scientifique. Je précise que mes propos étaient très mesurés, je demandais simplement que l’évolution soit enseignée et que si le créationnisme était abordé il ne pouvait l’être qu’en dehors de l’enseignement des sciences
Le texte a tout d’abord été présenté à la commission de la culture, chargée de ce sujet. À quelques détails près, il été adopté à l’unanimité sauf une voix, celle d’un Russe, qui a repris mot à mot les déclarations d’Harun Yahya sur l’évolution. Normalement ce rapport devait ensuite être discuté en séance plénière, comme le prévoit le règlement.
Or, ce règlement du Conseil de l’Europe précise que l’ordre du jour d’une session, qui dure une semaine, doit être voté dès le début par l’assemblée plénière. La présentation du rapport, sa discussion et son vote éventuel étaient prévus à l’ordre du jour. Cependant, un sénateur belge, Luc Van den Brande, président du groupe PPE-cette abréviation, PPE, Parti Populaire Européen ne vous dit peut-être rien mais pour mémoire, les membres de l’UMP sont rattachés au PPE., a proposé un amendement de renvoi en commission du rapport. Je tiens cependant à préciser dès maintenant que mes collègues français ne se sont pas associés à la démarche de leur président
Au moment du dépôt de cet amendement je n’étais guère inquiet, car en dix années de présence au Conseil de l’Europe jamais un tel amendement n’avait été adopté ni même présenté. Deux ans auparavant j’avais commis un rapport, sur « la diminution du nombre d’étudiants dans les disciplines scientifiques » dans l’ensemble des 47 pays du Conseil de l’Europe. Ce problème n’est pas spécifique de à la France, puisque tous les pays sont confrontés à la même difficulté. Tout le monde avait applaudi à ce rapport. « Bravo, bravo, vous avez raison », avait même ajouté le président du Conseil
Mais ce jour-là, à ma grande stupéfaction, l’amendement, a été adopté. C’est-à-dire qu’on a renvoyé en commission, sans en avoir débattu, le rapport qui, en quelque sorte n’était plus le mien puisqu’il avait été adopté par la commission de la culture. Ceci était contraire aux us et coutumes de la vie parlementaire. En effet habituellement on discute des amendements qui sont déposés, on demande au rapporteur de revoir son rapport, pour qu’il soit conforme à la discussion. Or ici, nous n’étions pas dans cette situation, mais face à un refus de la discussion malgré l’avis, je le répète quasi unanime de la commission compétente
Habituellement je reste calme, mais là, comme on dit dans mon pays, « mon sang n’a fait qu’un tour ». J’ai créé un incident de séance extrêmement violent. J’ai quasiment insulté et le président et l’auteur de l’amendement et j’ai quitté la séance plénière, improvisant immédiatement une conférence de presse. Le fonctionnement du Conseil de l’Europe est tel qu’une heure après, j’avais une salle, des interprètes et au moins une trentaine de journalistes présents ainsi qu’un certain nombre de chaînes de télévision d’une partie des pays du Conseil de l’Europe. Si je raconte cette anecdote, c’est parce que cet incident a suscité la parution d’un certain nombre d’articles et ainsi on a ainsi beaucoup plus parlé du problème du créationnisme et donc de l’évolution. J’ai dû répondre aux questions de nombreux journalistes mais je ne connaissais toujours pas les raisons cette opposition au rapport.
Mon ami Luis-Maria de PUICH, président du groupe socialiste, qui a par la suite présidé le Conseil de l’Europe, un Catalan, m’a dit un jour : « Il faut que je te donne une lettre, dont il avait caché l’en-tête parce qu’il avait promis de ne pas en indiquer l’origine, qui va expliquer pourquoi on a refusé de discuter de ton rapport » Cette lettre émanait tout simplement du Vatican. Je ne vais pas vous la lire en entier, je me contenterai d’en citer quelques extraits : « Comme suite à la démarche entreprise par Monseigneur Rallo auprès de vous à ce sujet, je me permets de vous soumettre avec déférence les réticences de mes autorités sur ce projet. Le Saint-Siège estime qu’en ce moment, le mieux serait que ce projet ne soit pas adopté. Je vous serais extrêmement reconnaissant de bien vouloir abonder dans ce sens. » Nous parlions de laïcité. Devinez ce que le laïque que je suis a ressenti. Que le Saint-Siège soit en désaccord avec le rapport cela ne me surprend pas. Il est opposé aux neurosciences, à la PMA, etc. Mais qu’une assemblée souveraine, formée de parlementaires élus au suffrage direct, accepte et prenne en compte les recommandations du Saint-Siège m’a réellement beaucoup choqué.
Il est intéressant de savoir que Benoît XVI lui-même s’est occupé de cette question. En effet, il s’intéressait au créationnisme. C’est lui-même – je l’ai su après – qui a dit à ses collaborateurs : « vous ne pouvez pas laisser adopter un tel rapport » Pour mémoire, j’ai quitté l’Assemblée nationale, donc le Conseil de l’Europe, en 2007. En septembre, ce rapport a été de nouveau présenté, avec quelques amendements tout à fait mineurs, par Anne Brasseur, qui préside aujourd’hui le Conseil de l’Europe. Anne Brasseur a été ministre de l’Éducation nationale du Luxembourg, puis députée de droite au Luxembourg. Le rapport a fini par être adopté, parce que le scandale avait été tel qu’un certain nombre de parlementaires avaient considéré impossible de laisser cette tache sur leur assemblée.
Il convient de se pencher plus en détail sur les raisons qui ont motivé le rejet du rapport. Je continue donc la lecture du texte de la lettre du Saint-Siège : « S’il devait être cependant adopté, les autorités souhaitent qu’il soit amendé de la manière suivante : sur la base des observations de la congrégation pour la doctrine de la foi, que Mgr RALLO vous a déjà transmises et que je vous je vous adresse à nouveau par courrier.
Le n°6 du projet invite à juste titre à éviter une grave confusion entre la science et « des convictions, des croyances et des idéaux ». Il conviendrait d’ajouter ici « de tout type » ; en effet, les convictions et croyances matérialistes ou contraires à la liberté religieuse de la personne représentent un danger analogue à celui du créationnisme, parce qu’elles ignorent également la distinction des ordres scientifiques et religieux » On pourrait faire une longue analyse de ce petit paragraphe qui est à lui seul une petite anthologie sur science et religion …
« Le n°7 du projet et le n°35 de l’exposé des motifs décrivent de façon erronée et imprécise l’intelligent design. » Que dit le n°7 de mon rapport ? Rassurez-vous, c’est très bref : « Le créationnisme présente de multiples facettes contradictoires. L’intelligent design, dernière version, plus nuancée du créationnisme, ne nie pas une certaine évolution, mais prétend que celle-ci est l’œuvre d’une intelligence supérieure et non de la sélection naturelle. Présenté de façon plus subtile, l’intelligent design n’en est pas moins dangereux »
Reprenons la lettre du Saint-Siège « le n°15 du projet est incohérent, dans la mesure où il rappelle l’importance pour le Conseil de l’Europe de l’enseignement du fait culturel et religieux et concède, dans ce cadre, l’exposition du créationnisme en présupposant une approche a-scientifique par la religion du fait scientifique. »
Qu’avais-je écrit dans ce paragraphe 15 ? je cite : « L’importance de l’enseignement du fait culturel et religieux a déjà été soulevée par le Conseil de l’Europe. Les thèses créationnistes, comme toute approche théologique, peuvent éventuellement, dans le respect de la liberté d’expression et des croyances de chacun, être exposées dans le cadre d’un apprentissage renforcé du fait culturel et religieux mais elles ne peuvent prétendre à la scientificité »
« Le n° 18.5 du projet, qui vise à promouvoir l’enseignement de l’évolution par la sélection naturelle en tant que théorie scientifique fondamentale dans les programmes généraux d’enseignement, décrit de façon inadéquate la biologie évolutive actuelle en n’incluant pas les autres facteurs qui complètent et élargissent la sélection naturelle et ne distinguent pas entre le créationnisme, qui tente d’attribuer une valeur scientifique à la doctrine de la création, et la vision religieuse ou philosophique de la création, comme source radicale de sens et de dignité, sans confusion épistémologique. »
Pour bien comprendre, je vais reprendre le paragraphe 18. Ce sera plus simple, puisqu’ils contestent le paragraphe 18. Voilà ce que j’écrivais : « En conséquence, l’assemblée parlementaire encourage les États et en particulier leurs instances éducatives
18.1 à défendre et à promouvoir le savoir scientifique,
18.2 à renforcer l’enseignement des fondements de la science, son histoire, son épistémologie et ses méthodes, aux côtés de l’enseignement de connaissances scientifiques objectives.
18.3 à rendre la science plus compréhensible et plus attractive, plus proche des réalités du monde contemporain
18.4 à s’opposer fermement à l’enseignement du créationnisme en tant que discipline scientifique au même titre que la théorie de l’évolution par la sélection naturelle et en général à ce que des thèses créationnistes soient présentées dans tout cadre disciplinaire autre que celui de la religion.
18.5 à promouvoir l’enseignement de l’évolution par la sélection naturelle en tant que théorie scientifique fondamentale dans les programmes généraux d’enseignement.
La fin de la lettre du Saint-Siège était on ne peut plus claire :
« En fin de compte, le projet incline à une certaine confusion épistémologique. Mes Autorités estiment que, dans le contexte européen, un tel document ne serait pas opportun. »
Le rapport, que vous pouvez trouver sur le site du Conseil de l’Europe – car il est beaucoup plus complet que l’extrait que je vous en ai lu – présente des propositions de résolutions ainsi que toute une explication, intitulée « Exposé des motifs » reprenant une partie du discours de Guillaume.
Quelles leçons tirer de cela ? D’abord, sur le problème de la laïcité, j’ai bien compris, à la lueur des réactions de mes collègues, que la laïcité « à la française » était très isolée. À mes yeux, la laïcité à la française est la seule laïcité valable, mais peu importe. Je précise bien cela, car il y a toujours un petit dérapage sur ce point. La vraie laïcité est celle de la loi de 1905. Une petite anecdote. Je présidais à l’époque au Conseil de l’Europe, la commission du Prix de l’Europe – nous remettions chaque année un « Prix de l’Europe » à une ville d’un des 47 pays du Conseil de l’Europe –, Un jour, c’était je crois à Nuremberg, qui s’était vue attribuer cette année-là le grand prix de l’Europe, j’ai constaté avec étonnement que certains de mes collègues, qui faisaient preuve habituellement d’une très grande gentillesse à mon égard, ne me disaient même plus bonjour. Depuis la sortie du rapport j’étais devenu à leurs yeux un affreux mécréant. J’ai alors réalisé que j’avais cassé une sorte de connivence voulant que nous n’abordions pas les questions qui, pour reprendre la citation de Nietzsche mettaient en cause les convictions. D’autres de mes collègues et amis, y compris de mon propre groupe politique, m’ont ainsi dit que nous n’avions pas besoin d’aborder un tel sujet au Conseil de l’Europe. J’ai alors pu faire le constat alarmant qu’il y avait un énorme travail à faire car contrairement à ce que les adversaires du rapport prétendaient, je ne parlais pas de religion mais de science !
Je prends quelques minutes et je quitte le domaine de l’évolution pour dire quelques mots en France la réaction des politiques face à la science en France. On l’a évoqué tout à l’heure, les décisions, in fine passent par le politique. Nous assistons aujourd’hui à une sorte de dérapage à l’égard de la science. Le politique, dans sa grande majorité, est totalement ignare dans le domaine des sciences. Il ne connaît et donc ne comprend pas la démarche scientifique. Guillaume disait tout à l’heure que vous pouvez être face à un ingénieur de Polytechnique, sorti dans les premiers, qui, effectivement est très brillant, mais n’a pas pour autant compris la démarche scientifique. La démarche scientifique renvoie à des expériences, à des essais pour déterminer ce qu’on peut dire et ce qu’on ne peut pas dire. Vous assistez aujourd’hui, très régulièrement, à des débats avec les médias, qui souvent sont aussi ignares que les hommes politiques dans ce domaine et qui demandent de répondre par oui ou par non. Or – on l’a bien expliqué tout à l’heure – la science ne dit jamais oui de façon absolue
Je vais citer un ou deux exemples.
Tout d’abord les rayonnements électromagnétiques. On en parle beaucoup, compte tenu de l’installation des antennes relais. Un organisme, le Criirem, a déclaré que l’OMS, via le Comité International de Recherches sur le Cancer (CIRC), une émanation de l’OMS, a classé en 2 B les rayonnements électromagnétiques, c’est-à-dire précise-t-il « avec le Sida, l’amiante et les dérivés du plomb ». Les médias ont repris cette déclaration. À partir de là, le rayonnement électromagnétique est devenu aux yeux d’une partie de nos concitoyens, cancérigène. Or, vous le savez, la réalité est différente. Si vous allez sur le site de l’OMS ou du CIRC, vous trouverez effectivement une classification de toutes les substances analysées. Mais, l’amiante, le Sida sont classés en 1 (produits sûrement cancérigènes). Quant aux rayonnements électromagnétiques sont classés en 2 B avec … le café et la salade au vinaigre sont des produits, pour lesquels il est indiqué un possible risque cancérigène, mais cela signifie en réalité que nous n’en savons rien car comment prouver qu’un produit est totalement inoffensif ?
Quelles sont les conséquences de cette campagne médiatique ? Des juges qui, appliquant le principe de précaution – dont nous avons peu parlé, mais qui me paraît sur le fond inquiétant pour reprendre le titre d’un ouvrage de Gérald BRONNER – puisque des relais peuvent être dangereux, demandent qu’on les débranche, ce qui est absurde. Vous savez que les enquêtes présentées aux juges ont été élaborées en réunissant simplement des certificats médicaux que produisaient les personnes se disant malades. Une véritable étude scientifique a été réalisée. On a enfermé ces personnes dans une salle, on les a soumises à un rayonnement électromagnétique intermittent puis on leur a demandé à l’aveugle à quel moment elles ne se sentaient pas bien. Or, on s’est aperçu alors qu’il n’y avait aucune corrélation avec le moment où le courant était mis et celui où il ne l’était pas. Des relais ont ainsi été, suite à un scandaleux matraquage médiatique, sans raison sérieuse, démontés ou interdits par manque de formation scientifique élémentaire de la part des juges.
Mais il y a plus grave. Des décrets ont également été signés pour limiter l’intensité des rayonnements émis. Je ne vais pas entrer dans les détails techniques, mais le portable est obligé d’émettre de façon plus forte si l’émetteur est plus faible. Cela signifie qu’il est plus dangereux. Pourquoi ? Par manque de formation scientifique, toujours élémentaire, cette fois du monde politique.
Nous pourrions parler du débat sur les cellules souches embryonnaires ou sur les OGM. Hélas il faut le répéter, les politiques sont, dans leur grande majorité, étrangers au monde de la science. La raison ? Édouard BRÉZIN, qui a présidé l’Académie des sciences, a fait à ce sujet, une remarque tout à fait juste. « Depuis 2 générations, la formation scientifique est exclue de la formation de nos élites administratives, économiques ou politiques »
Tout à l’heure, nous avons parlé de quelqu’un pour qui je n’ai pas une estime débordante, à savoir Bruno LATOUR. Pour schématiser sa pensée, ce dernier affirme en substance que la science est une croyance comme une autre. Des élucubrations de ce type de ne me dérangent pas. Seulement Bruno LATOUR est le directeur scientifique de Sciences Po Paris. C’est dramatique, car un certain nombre de nos responsables vont devoir prendre des décisions touchant la science ou la technologie non pas cette fois parce qu’ils ne comprendront pas ce que disent les scientifiques mais parce qu’ils auront d été déformés. Le Professeur CHARPAK, prix Nobel, affirmait qu’on ne devrait pas avoir le droit de commencer des études avant d’avoir été confronté à la science. Je crois que, pour revenir à ma citation du début, dès l’instant où les gens ne savent pas ce qu’est la démarche scientifique, ils mettront dans le même panier le résultat de la recherche, effectuée par quelqu’un qui travaille sur le sujet depuis 10 ans ou 15 ans, et des déclarations d’une association, qui par idéologie, vous expliquera que le scientifique a tort.
Le politique non initié à la démarche scientifique essaiera d’arbitrer, de faire la part des choses. Il n’y a pas de part des choses à faire. Guillaume a bien expliqué ce qu’était la vérité scientifique, même si elle est toujours provisoire. Toutefois, entre la conviction et la vérité, le politique, qui ne sait pas où est la différence ou par démagogie, arbitrera quelque chose de bancal entre les deux.
Avant de répondre à vos questions, je voudrais citer cette phrase de Dominique SCHNAPPER, que vous connaissez peut-être, sociologue, longtemps membre du Conseil constitutionnel, fille de Raymond ARON. Elle déclarait aux rencontres de Pétrarque il y deux ou trois ans : « La seule voie qui soit conforme à la vocation de la connaissance scientifique et aux idéaux de la démocratie, la seule à laquelle nous puissions accorder une confiance critique, est celle de la raison ». Tant que l’enseignement ne donnera pas la priorité à l’usage de la raison – c’est ce que sous-entendait Guillaume tout à l’heure en parlant de la logique, nos concitoyens se laisseront berner par des idéologies contraires au progrès. Il n’est qu’à jeter un œil sur les programmes de nos établissements scolaires pour constater que nous en sommes loin !
Thierry HOQUET : Merci pour votre témoignage, qui nous a introduits dans les coulisses du Conseil de l’Europe. Merci également pour la mise au point institutionnelle.
Auditrice : Bonjour. Quand vous avez dit que le livre d’Harun Yahya avait été largement distribué dans les écoles, je me souviens que nous l’avions reçu à la Cité des enfants. Est-ce que le ministère de l’Éducation nationale est intervenu dans les écoles pour apporter un contre-point ? Si oui, comment cela s’est-il passé ?
Guy LENGAGNE : Oui. Pour mémoire, le rapport que j’ai rédigé était quelque peu scientifique et je n’aime pas écrire des choses liées à la science sans avoir la « bénédiction » des spécialistes. Hervé Le Guyader avait eu la gentillesse de relire mon texte. C’est lui qui avait, à la demande du ministère, élaboré un rapport sur cet « Atlas se la Création » et l’avait transmis à Gilles de Robien, ministre de l’éducation, qui a alors interdit qu’on le laisse en libre circulation dans les établissements.
Auditrice : Excusez-moi. A-t-il simplement été mis de côté ou a-t-on expliqué pourquoi il fallait l’écarter ?
Guy LENGAGNE : Non. Hervé Le GUYADER, dans le rapport, a expliqué pourquoi on ne pouvait pas le laisser. C’est ce qu’a expliqué Guillaume tout à l’heure. À partir du moment où on ne le diffuse pas, il n’est pas utile de lui faire de la publicité en expliquant pourquoi il ne faut pas le lire.
Jean-Pierre GASC : Personnellement, je me suis rendu auprès du ministre de l’Éducation nationale, avec d’autres personnes. Nous avions convaincu le ministre d’agir auprès des recteurs d’Académies, ce qui a été fait.
Guillaume LECOINTRE : Je peux confirmer. En novembre 2008, le ministère de l’Éducation nationale a organisé ici, à la Villette et au Collège de France, un colloque national sur l’enseignement de l’évolution. L’ensemble des inspecteurs pédagogiques régionaux des sciences de la vie et de la terre et de philosophie étaient réunis lors de ce colloque, où il était question d’expliquer justement en quoi le contenu était fallacieux. La recommandation avait été de ranger le livre dans une armoire du directeur de l’établissement, mais surtout pas au CDI. L’idée renvoyait au fait que ce volume n’était pas de nature à être consultable dans un CDI. Ce colloque a donc eu lieu en novembre 2008. Il a duré deux jours. Cela a été le point d’information final, puisque je crois qu’il n’y a plus eu d’autres initiatives depuis sur ce sujet.
Guy LENGAGNE : Je disais tout à l’heure que, à partir de l’incident lié à mon rapport, de nombreuses revues hebdomadaires ou mensuelles ont sorti des numéros spéciaux sur le créationnisme et sur l’évolution. Je crois que tout cela a conduit à une meilleure connaissance de cette question car très peu de gens connaissaient le sujet.
Pour illustrer cette ignorance, permettez-moi de raconter cette petite anecdote : au moment où j’élaborais le rapport, une amie à qui je disais que je travaillais sur le créationnisme et sur l’évolution m’a rétorqué : « c’est quoi ces trucs ? » Je dois préciser que c’est une énarque distinguée, mais elle ignorait tout du créationnisme et de l’évolution. Combien d’énarques sont dans son cas ? La plupart des gens en savent davantage aujourd’hui, car il y a eu de nombreuses diffusions, des émissions de télévision, de radio, des revues et des conférences sur le sujet. Avec Guillaume par exemple, nous avons débattu plusieurs fois de ces questions face à des auditoires divers.
Il y a quelques jours j’ai relu rapidement le rapport. Il est déjà quelque peu daté. Par exemple, il est indiqué que l’origine du vivant date de 2,5 milliards d’années, alors que nous savons aujourd’hui qu’il s’agit de 3,5 milliards. Je pense sincèrement que l’évolution est beaucoup plus passée dans les mœurs aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2006 ou 2007, que l’évolution est davantage admise aujourd’hui, qu’elle ne l’était avant. Mais il reste beaucoup à faire ! Une de mes petites-filles est médecin. Elle m’a confirmé que l’évolution est absolument ignorée de la plupart de ses confrères...
Guillaume LECOINTRE : Pour répondre à ta question, j’ai mis des données tirées du Livre d’Olivier BROSSEAU, « Enquête sur les créationnismes » :
• Revue Science, 2006
– « Les êtres humains tels que nous les connaissons se sont développés à partir d’espèces d’animaux antérieures »
– 78 % vrais ou probablement vrais
– 12 % faux ou probablement faux
• Ipsos pour Reuters, 2011
– 55 % pensent que l’être humain est issu de processus évolutifs sur de longues périodes de temps
– 9 % croient que l’être humain a effectivement été créé par une force spirituelle telle que Dieu et rejettent une origine de l’être humain issu d’un processus évolutif à partir d’autres espèces tels que les grands singes.
– 36 % affirment ne pas savoir quoi croire entre les deux options précédentes et sont parfois en accord ou en désaccord avec les théories et les idées soutenues par les créationnistes ou par les évolutionnistes
Guy LENGAGNE : Pour compléter ce que dit Guillaume, un sondage avait été réalisé en 2001 auprès d’étudiants à l’Université d’Orsay. 30 % des étudiants en SVT pensaient que l’évolution était une théorie comme une autre. 12 % pensaient qu’il n’y avait aucune parenté entre les hommes et les animaux. Il s’agissait d’étudiants de SVT, à Orsay, qui n’est pas une université lambda.
Pour revenir à mon inquiétude sur ce point, j’interviens ici en tant que politique (ancien politique). Je suis effaré par la faible part de scientifiques engagés en politique – il y a quelques scientifiques parmi les Parlementaires – mais combien au gouvernement. Je ne veux pas dire que ce ne sont pas des personnes intelligentes ou compétentes, mais ils ne savent pas ce qu’est la démarche scientifique. Si nous voulons que la France se redresse, ce n’est pas en diminuant les salaires ou autres, mais en formant davantage de scientifiques. Un texte a été signé l’an dernier par Robert BADINTER, Michel ROCARD, Alain JUPPÉ et Jean-Pierre CHEVÈNEMENT. Il précisait que la France ne pourrait s’en sortir que quand nous aurons effectivement relancé les carrières scientifiques. Cela me paraît fondamental, indépendamment du problème de l’évolution. C’est vraiment un sujet de préoccupation majeur.
Cédric GRIMOULT : Je pensais à la citation de Jean Rostand – je la cite de mémoire, donc elle n’est pas exacte – qui précise : « on ne détruit pas une vérité scientifique comme on renverse un gouvernement » La science ne fonctionne pas de manière démocratique, à la majorité des voix. Je précise : il existe une composante démocratique dans l’activité des chercheurs. De plus, il existe aussi une dimension rationnelle dans l’activité politique. Toutefois, nous ne pouvons pas débattre des théories scientifiques comme des sujets de société. Là où il y a des faits, des arguments rationnels, expérimentaux, il faut les prendre en compte. C’est indispensable. On ne peut pas mettre tout cela sur la table de la même façon.
Vous disiez quelque chose de très intéressant tout à l’heure à ce sujet. Les historiens professionnels y sont confrontés depuis très longtemps. C’est l’opposition entre la communauté des historiens professionnels aux négationnistes ou révisionnistes sur la question de la Shoah. Dans mes livres, j’ai osé le parallèle entre les négationnistes d’un côté et les créationnistes de l’autre. Dans les deux cas, nous faisons face à des personnes qui, pour des raisons idéologiques et dogmatiques, s’opposent à des contenus vérifiés par des collectifs scientifiques, fondés sur des faits, sur des preuves, collectés de manière indépendante dans de nombreux pays, qui ont aussi des philosophies différentes, etc.
Le législateur n’a pas à donner son avis. Il ne peut décréter qu’il faut croire en l’évolution ou encore moins qu’il faut admettre la création. Cependant, le législateur est important pour donner les conditions propices au développement scientifique et à la liberté de pensée à tout un chacun : liberté de pensée théologique dans le domaine religieux et liberté de création scientifique, littéraire ou artistique dans ces domaines. Toutefois, il convient de ne pas confondre les genres. Il y a aujourd’hui, en France, un certain nombre de lois liberticides. Je parle ici en tant que citoyen, car je ne peux pas m’exprimer ainsi en tant que fonctionnaire. Comme Guillaume, je suis tenu à un devoir de réserve vis-à-vis de mes étudiants. Cependant, un certain nombre de lois en France interdisent des propos – que de toute façon je ne tiendrais pas, parce que je ne suis pas d’accord avec eux –, mais la loi interdit de tenir des propos révisionnistes par exemple. Il ne s’agit pas du tout de faire de même vis-à-vis des créationnistes. Il ne s’agit pas d’interdire d’avoir ces convictions. En revanche, il ne faut pas que les théologiens puissent dicter ce que doit être l’enseignement de la science dans l’enseignement public, parce que nous ne sommes pas dans le même registre. La menace est véritablement politique, à savoir construire ce que veulent les partisans des créations et de l’Intelligent design : fonder des théocraties dans nos pays. Il s’agit d’une menace extrêmement grave concernant la démocratie.
Guy LENGAGNE : Je voudrais revenir sur la notion de « science citoyenne ». Il y deux manières de voir les choses.
– La première est ce qu’avait proposé le Professeur Charpak. Il appelait cela « la main à la pâte ». Il insistait sur l’intérêt de permettre aux jeunes et aux moins jeunes de « mettre la main à la pâte » au sens propre du terme et de s’initier ainsi à la démarche scientifique.
– Il y a aussi une autre manière de voir qui consiste à mettre en présence des scientifiques spécialistes d’une question et des citoyens la plupart du temps ni spécialistes ni même scientifiques.et d’engager une discussion.
– Une petite anecdote sur cette deuxième conception de science citoyenne il y a quelque temps je discutais avec un de mes anciens collaborateurs de la manière dont nos concitoyens considéraient les OGM. Il m’a alors fièrement rappelé qu’il avait organisé les discussions sur les OGM au nom du ministère de l’Agriculture et qu’elles s’étaient déroulées de manière très démocratique. Je lui ai demandé ce qu’il entendait par « démocratique ». Le résultat de ce simulacre de démocratie a été que la proposition d’interdire les OGM a été faite. Entre la vérité scientifique et les convictions, le gouvernement a arbitré en faveur des convictions qui sont, il faut le rappeler, totalement idéologiques
La médiatisation de la question de l’éventuelle nocivité des OGM est caractéristique des dérives de notre démocratie. Le Nouvel Observateur avait titré en couverture, en très grand, « Oui, les OGM sont du poison ». Cela faisait suite à la pseudo-étude de SÉRALINI sur la consommation par des rats d’un OGM résistant au Roundup. Double malhonnêteté intellectuelle. Sur le plan de la logique d’abord car de l’éventuelle dangerosité d’un OGM on ne peut tirer la conclusion qu’ils sont tous dangereux. Il y a des champignons mortels et d’autres qui sont excellents. Certains poissons du Pacifique sont dangereux pour la consommation. Cela ne veut pas dire que nous allons écrire « Oui, les poissons sont du poison ». Mais ces affirmations purement idéologiques, contraires à la vérité scientifique, massivement assenées finissent par convaincre. Enfin, l’étude de SÉRALINI ne répondait pas, il faut le rappeler, aux critères normaux de la rigueur scientifique
Je voudrais en profiter pour souligner car c’est de cela qu’il s’agit, l’importante montée du relativisme. Le jugement de quelqu’un qui ne connaît pas bien le sujet face à celui de quelqu’un qui connaît bien le sujet n’a pas la même valeur. Le relativisme selon lequel tout se vaut va bien au-delà du problème de l’évolution. L’avis d’un spécialiste reconnu d’une discipline scientifique et celui d’une ONG mue par des considérations purement idéologiques ne sont pas de même nature Un certain nombre de personnes prônent l’arrêt de la science, car la science fait peur. D’une part, c’est absurde. On n’arrête pas la science. En effet, si on arrête quelque chose en France, les autres pays ne feront pas de même et notre pays restera à la traîne Je vois dans tout cela une montée de l’obscurantisme. Cela va bien au-delà d’un retour au religieux. Il y a la conviction que hier était mieux qu’aujourd’hui, oubliant qu’entre le XVIIIe siècle et aujourd’hui, la durée de vie a été multipliée par trois dans le monde occidental ou encore que la nature étant bonne en soi, il faut la protéger. Pour ma part, je suis tout à fait d’accord pour protéger l’environnement. L’homme étant adapté à son environnement, détruire l’environnement reviendrait à détruire l’homme, même si cette pensée est quelque peu schématique. La nature est bonne ? Face à un tsunami ou à un tremblement de terre, on s’interroge sur la bonté de la nature. Oui, cette montée de la peur nourrit l’obscurantisme.
Thierry HOQUET : Nous prenons une dernière question.
Auditrice : J’avais envie de poser la question aux trois intervenants. Pour comprendre le sens du créationnisme, ce mot, nous avons vu qu’il avait des acceptions différentes en fonction des religions. Pourrions-nous avoir une définition unique de ce mot pour bien comprendre ? Existe-t-il une définition plus courante ? Je vous pose cette question, afin de connaître la définition de chacun d’entre vous fait du créationnisme, par rapport à l’évolution, la théorie de l’évolution, Darwin. Nous devons en effet créer des signes sur ces sujets.
Guillaume LECOINTRE : Très généralement, le mot création renvoie à un acte extranaturel, qui crée ce que nous voyons dans le monde naturel. Cela signifie que le monde naturel ne se suffit pas à lui-même.
Thierry HOQUET : Pouvons-nous parler de miracle ? Puisqu’il est question de la main de Dieu.
Guillaume LECOINTRE : Je ne sais pas exactement ce qu’est un miracle. Il y a différentes formes de créationnismes, comme nous l’avons vu. Celui que nous critiquons aujourd’hui, il s’agit bien aujourd’hui de critiquer le créationnisme qui vient régir ce qui se passe chez les scientifiques, qui veut mimer les scientifiques. Nous ne sommes pas en train de tenir un séminaire de théologie pour déterminer la réalité ou non de la création.
Thierry HOQUET : Une formule de Stephen Jay Gould invite à une « non-superposition des magistères ». C’est-à-dire que la science est libre de son côté, de même que la religion. Il ne doit pas y avoir de débordement ni de l’un sur l’autre ni de l’autre sur l’un.
Guillaume LECOINTRE : Oui, voilà. Ensuite, dans l’espace scolaire, il y a une décision politique à prendre concernant cette interface. Pourquoi le scolaire est-il en jeu ? C’est le moment où le politique va légiférer sur ce qu’il est bon d’enseigner pour préparer le futur citoyen du pays où nous vivons.
Pour résumer, le créationnisme en général renvoie à une intervention de création à l’origine du monde réel. Le créationnisme, en particulier celui dont nous parlons aujourd’hui, se qualifie lui-même de scientifique ou essaie de travailler les sciences de manière à pénétrer l’école.
Guy LENGAGNE : Je résume tout cela par une image. Pour l’évolution, il n’y a pas de pilote dans l’avion. Pour le créationnisme, il y a un pilote dans l’avion. On retrouve tout là-dedans. Un dernier point sur l’intervention du religieux. Dans le débat sur les cellules souches embryonnaires, dans la loi dite Leonetti de 2004, les recherches sur les cellules souches embryonnaires ont quasiment été interdites. La commission qui travaillait cette question était favorable à l’autorisation, sous certaines conditions, des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Au dernier moment, au moment du vote, l’ordre est venu du château – l’Élysée – de voter le texte en l’état avec pour conséquence une quasi-interruption des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Pourquoi ? Le conseiller technique de l’Élysée sur ces questions était Arnold Munnich, un chercheur de haut niveau. Alors pourquoi ce refus ? Vous trouverez la réponse sur internet. Pourquoi êtes-vous contre la recherche sur les cellules souches embryonnaires lui demandait-on ? La réponse in extenso était la suivante : « parce que je n’ai pas à me substituer au créateur »
Que ce chercheur pense cela, au nom de la laïcité que je défends, je le respecte tout à fait. Mais je ne peux approuver qu’en tant que conseiller de la présidence de la République il fasse passer dans une loi ses croyances religieuses. La loi nouvelle votée en 2013 sur les cellules souches embryonnaires est certes une amélioration mais elle est encore très restrictive En effet il est précisé que la recherche doit être à finalité médicale et de plus il faut apporter la preuve qu’on ne peut pas faire des recherches par d’autres moyens. C’est, comme un certain nombre de chercheurs l’on souligné, une ultime concession aux lobbies religieux. Je rappelle qu’en Belgique ou en Grande-Bretagne, non seulement on peut faire des recherches, mais on peut même créer spécialement des embryons pour cette recherche.
Cédric GRIMOULT : Pour répondre à la question de la définition, un créationniste en tant que dogmatique croit qu’il sait. Un scientifique en tant que critique sait qu’il croit. C’est simpliste comme définition, mais assez juste et très efficace.
Auditrice : Bonjour. En tant que médiatrice scientifique ici, j’ai travaillé sur plusieurs expositions successives et j’ai été en contact avec le public. J’ai eu plusieurs fois la sensation, sur différents sujets – en biologie, car c’est mon domaine – tels que les OGM, la génétique, les cellules souches, que le public attendait que je leur dise ce que je pensais du sujet pour se rallier à mon opinion. Je pourrais ainsi aujourd’hui vous convaincre que je suis pour les OGM et demain vous convaincre que je suis contre, car l’argumentaire importe. C’est à eux d’avoir leur opinion.
Cette situation semble s’opposer à ce que vous avez dit tout à l’heure sur le fait que les gens se méfient de la science, ce que j’ai aussi l’impression de ressentir. De ce fait, je me demande comment jongler entre ces différents éléments : cette défiance et cette envie que l’expert me dise ce que je dois penser. Comment agir face à cette balance instable ?
Auditrice : Vous parliez de Montreuil. Je voudrais savoir quelle est la résistance à apporter à ce type de connaissances et quelles stratégies vous utilisiez pour essayer de communiquer, de discuter avec eux.
Cédric GRIMOULT : Le principal, c’est l’esprit critique : apprendre à se poser des questions. Nous ne sommes pas là pour enseigner des vérités ex cathedra valables de manière universelle. Nous sommes là pour donner à chacun une boîte à outils pour qu’il puisse construire son idée et éventuellement en changer en fonction des faits et des données. Bien sûr, cette demande de s’en référer à une autorité, quelle qu’elle soit (religieuse, scientifique ou autre), est bien réelle. Justement, il faut combattre cette paresse intellectuelle en montrant au public que c’est à lui de chercher, de se faire sa propre opinion, de brasser l’ensemble des informations et de cultiver cette curiosité, qui est à la base de toute réflexion rationnelle.
Oui, j’ai des obstacles et je les combats en montrant des arguments, en faisant réfléchir par l’absurde – cela marche très bien –, par l’histoire – nous avons des exemples –, par les faits et les enjeux. Qui gagne dans tout cela ? Les étudiants se rendent assez vite compte des intérêts des créationnistes dans la sphère politique, alors que ceux des savants sont moins nets, même s’ils peuvent avoir des enjeux financiers, idéologiques ou autres. Un autre argument de poids concerne le fait que les créationnismes sont combattus par un ensemble de collectifs scientifiques ayant à son bord des athées, des musulmans, des juifs, des chrétiens, des agnostiques. Seuls quelques fanatiques, très médiatiques il est vrai, de chacune de leurs religions soutiennent le créationnisme. Le partage est assez clair.
Guy LENGAGNE : Nous avons vu tout à l’heure que toute la difficulté réside dans l’insistance des médias, à demander une réponse par oui ou par non. Or le scientifique ne peut jamais répondre tout à fait oui ni tout à fait non. Nous l’avons vu tout à l’heure.
La question précédente m’a fait penser à quelque chose dont je n’ai pas parlé. La science est aujourd’hui tellement cloisonnée ou spécialisée qu’il est très difficile à quelqu’un de tout connaître. Comment dès lors prendre une décision ? Vous avez utilisé le mot expert. Je n’avais pas pensé à en parler. Effectivement, un homme politique demande très souvent à des experts de lui faire un rapport dès lors que la question est scientifiquement complexe. Encore faut-il que le politique comprenne le langage de l’expert. C’est cela la formation scientifique qu’il faut imposer à nos décideurs. Il ne s’agit pas leur donner des connaissances approfondies à la fois en biologie, sur l’évolution, sur la mécanique quantique etc. Non, pas du tout ! Il s’agit de leur permettre de comprendre le langage de l’expert, plus généralement du scientifique
Thierry HOQUET : Merci beaucoup.
La réunion est suspendue pour une pause déjeuner.
Taos AÏT SI SLIMANE : Avant de laisser la parole à Thierry, je vous rappelle que nous vous transmettrons les bibliographies de chaque intervention, ainsi que les transcriptions de ces 3 journées, si la technique ne nous trahit pas.
Thierry HOQUET : Merci. Nous reprenons donc. Après la présentation générale des réseaux et les réponses épistémologiques que nous pouvions apporter aux prétentions du créationnisme à être une science, nous allons poursuivre notre enquête cet après-midi avec trois interventions. Tout d’abord, Jean-Pierre GASC, professeur d’anatomie comparée au Muséum national d’histoire naturelle.
[Applaudissements]