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Le Téléthon, l’évêque et le citoyen

Dessin avec l’aimable autorisation de Chimulus
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Le Téléthon, l’évêque et le citoyen, un texte de Jacques Testart, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et président de l’association pour une Fondation sciences citoyennes (FSC).

Merci à Jacques Testart qui m’a autorisé cette publication (initialement sur le blog Tinhinane, le jeudi 11 janvier 2007 à 19 : 03).

Le Grand Genic Circus vient de démonter ses chapiteaux et de ranger ses accessoires jusqu’à l’année prochaine : banderoles, fauteuils roulants, malades, chanteurs et danseurs, bons sentiments, présentateurs larmoyants, tirelires géantes, douleurs, chercheurs messianiques, sportifs endoloris, paillasses de labo, injustices… Tout reviendra en décembre 2007 avec, comme chaque année, de « nouveaux espoirs », une nouvelle « croisée des chemins »… Pourtant, pour la première fois en deux décennies d’existence, le Téléthon fait débat public. La critique récente a été portée par quelques responsables de l’Eglise au nom de l’eugénisme encouragé par cette émission à prétention caritative : le Téléthon utiliserait une partie des dons reçus pour recourir, à l’aide du diagnostic préimplantatoire (DPI), à l’élimination d’embryons jugés indésirables. Ainsi la critique faite au Téléthon n’arrive qu’avec l’opposition au DPI, lequel n’est honni que parce qu’il mène à détruire des embryons. Pour un humaniste laïc, il est d’autres motifs de critiquer tant le DPI que le Téléthon, et de refuser l’amalgame qui identifierait des « convergences objectives » entre ses motifs et ceux de représentants de l’Eglise catholique.

Commençons par le DPI. Ce que les évêques dénoncent, comme démarche eugénique, c’est surtout la destruction délibérée d’embryons génétiquement non conformes, et leur indignation est justifiée par la qualité de personne humaine qu’ils accordent à tout œuf humain fécondé. Je crois plutôt que l’eugénisme est porté par le DPI parce que des embryons sont élus pour survivre à cette sélection, et ceci dans le but de générer des personnes conformes. Si le DPI en restait à faire, avec quelques mois d’avance, ce que fait déjà le DPN (diagnostic prénatal) et que l’élimination de l’œuf dans l’éprouvette soit justifiée par les mêmes considérants que l’IMG (interruption médicale de grossesse), on ne pourrait voir l’eugénisme davantage à l’œuvre dans le DPI que dans le DPN. C’est dire que le DPI relèverait alors d’un eugénisme minimaliste réservé à l’évitement du pire, une disposition acceptée par tous ceux, dont je suis, qui refusent de s’en remettre au destin. Ce qui ouvre le DPI, et le DPI seulement, à un eugénisme sans limite, c’est son pouvoir d’indiquer le meilleur œuf au sein d’une nombreuse couvée plutôt que son aptitude à dire si un embryon unique est inconvenant. Là où le DPN ne concerne qu’un seul fœtus, dont l’éventuelle élimination hors de la matrice se fera dans une grande violence, le DPI considère une population d’embryons ex utero, et recommande de vider les éprouvettes qui ne portent pas les meilleures promesses. Qu’en sera t-il alors quand les techniques de production d’ovules in vitro à partir d’innombrables ovocytes immatures (Médecine / Sciences, 20, 2004) génèreront des embryons en masse, qu’on pourra trier selon des caractéristiques nombreuses sans que la femme ne doive souffrir les actes de stimulation hormonale, monitorage de l’ovulation et ponction folliculaire qui caractérisent la FIV. Cette perspective ouvre à moyen terme la fivète à tous les parents potentiels, inquiets de la normalité de leur bébé, mais elle n’est pas même envisagée par les praticiens du DPI qui préfèrent se défendre d’imaginaires accusations de « médecine nazie »( Le monde, 20 octobre 2006)… Pourtant on s’achemine insensiblement vers le formatage des enfants (qui souhaiterait choisir un embryon génétiquement « taré » si des dizaines d’embryons « normaux » sont disponibles ?) et c’est dans cette banalisation consensuelle de la « sélection compétitive » que se cache le nouvel eugénisme, véritable mise en science et en fantasmes du néo-libéralisme.

Venons-en au Téléthon. Il est indiscutable qu’il contribue aux recherches en faveur du DPI puisqu’il favorise tous les laboratoires dédiés à la génétique, jusqu’à certains qui fabriquent des plantes transgéniques. Pourtant, les avancées du DPI décrites plus haut ne dépendent absolument pas des découvertes des généticiens, seulement d’innovations en biologie de la procréation pour rendre effective la production massive d’embryons à soumettre au DPI. Par ailleurs, l’Association française contre les myopathies (AFM) qui pilote le Téléthon, évalue à 1 ou 2% la proportion des sommes recueillies qui se trouve affectée au DPI. Il s’agit donc « seulement » de un ou deux millions d’euros, et même si cette manne est loin d’être négligeable (une telle somme permet de faire fonctionner un laboratoire moyen pendant 20 ans…) elle ne devrait pas souffrir de l’attribution fléchée des donations que souhaite avec raison l’archevêque de Paris. Ainsi, sauf si le Téléthon finance également des recherches pour produire des ovules en abondance (on ignore l’affectation précise des aides de l’AFM à la recherche), l’accusation d’eugénisme ne paraît pas constituer la critique la plus pertinente à l’égard de cette grande messe caritative. J’ai évoqué (Le vélo, le mur et le citoyen, Belin, 2006) bien d’autres manquements du Téléthon à la déontologie scientifique ou à la démocratie. Par exemple : l’énormité de la somme recueillie (équivalente au budget annuel de fonctionnement de toute la recherche médicale française !) est susceptible d’orienter les travaux de tous les laboratoires ainsi subventionnés, en faisant négliger d’autres travaux capables de soulager des souffrances tout aussi grandes et bien plus nombreuses ; cette manne conduit ainsi au détournement de l’outil public de recherche, sans transparence ni concertation, caricature du « hold up » général sur la démocratisation des choix technologiques ; malgré les promesses renouvelées chaque mois de décembre depuis 20 ans, la thérapie génique semble incapable de guérir la plupart des maladies génétiques, au point où le Téléthon enfourche le cheval neuf des cellules souches en faisant l’économie d’une analyse de son impasse stratégique, au mépris d’un véritable comportement scientifique ; la mystique génétique qui trompe les malades et leurs familles par ces éternelles promesses encourage des cérémonies sacrificielles (« courir contre la myopathie »,…) au mépris de comportements rationnels qui seraient mieux en phase avec une « science de pointe ». Encore pourrait-on évoquer les scandaleux avantages personnels que s’octroient les principaux dirigeants de l’AFM selon la Cour des comptes (Capital, avril 2005).

Il est donc d’autres raisons de s’indigner du Téléthon et de s’inquiéter du DPI que celles proclamées par quelques évêques. Mais elles peinent à trouver leur place dans le débat public, surtout quand l’opération Téléthon est cautionnée par les plus hautes autorités de l’Etat, celles-là même qui peinent à donner des moyens décents à la recherche scientifique. Finalement, critiquer le Téléthon c’est s’exposer à avoir forcément tort puisque l’idéologie de la promesse aura forcément raison : soit rien de bon n’arrive et l’espoir persiste, soit un fait nouveau, même anodin, viendra soutenir l’utopie, et les incroyants en seront sévèrement fustigés…

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Commentaires laissés sur le blog Tinhinane

(1)Pierre, le mardi 16 janvier 2007 à 20:50 :

Merci pour la qualité de votre éclairage, Monsieur Testart.

Et, merci Tinhinane d’être une fenêtre sur un monde de plus en plus invisible dans les médias classiques.

(2)Carole, le jeudi 1 février 2007 à 20:42 :

J’ai toujours été gênée par le téléthon : je me méfie terriblement des élans collectifs orchestrés par la télévision.

Je n’avais, en revanche, jamais imaginé que le téléthon générait l’équivalent du budget annuel de toute la recherche médicale française.

Mais quel territoire d’influence échappe désormais aux médias de masse ?



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