Taos AÏT SI SLIMANE : Nous poursuivons la série de rencontres dans le cadre du projet Gaulois. Aujourd’hui, nous accueillons Laurent AVEZOU, archiviste paléographe (diplômé en 1996), agrégé d’histoire (1998), docteur en histoire (Paris-Panthéon-Sorbonne, 2002), sa thèse, sous la direction du professeur Claude MICHAUD, avait pour titre : « La légende de Richelieu. Fortune posthume d’un rôle historique, du XVIIe au XXe siècle ». Professeur de classe préparatoire à l’École nationale des Chartes au lycée Pierre-de-Fermat, Toulouse (depuis 2005), il enseigne l’histoire médiévale et l’histoire moderne. Il est l’auteur de : « Raconter la France : Histoire d’une Histoire », édité chez Armand Colin, en 2008, 440 p, ISBN 9782200345907.
Nous l’avons sollicité pour nous aider à répondre aux questions qui nous préoccupent : Qu’est-ce qu’un mythe ? Doit-on et peut-on lutter contre un mythe ? Si oui quelles sont les meilleures « armes » et les écueils à éviter ?
Bonjour Laurent AVEZOU.
Laurent AVEZOU : Bonjour, Merci pour cette invitation.
Des représentations, qu’une société forge pour traduire de manière narrative ses aspirations et la manière dont elle se projette, se regarde, comme dans un miroir, un miroir qui peut être déformant, grossissant mais qui a pour fonction générale d’être valorisant. Le mythe réinterprète le réel pour inciter la société, en théorie, à aller au-delà d’elle-même. Je dis la société mais la société en question peut être un groupe restreint, elle peut être un petit-cénacle intellectuel qui peut avoir des objectifs partisans ou patriotiques et qui rencontre de manière inattendue les attentes d’un groupe plus général. Je prends un exemple précis à partir des Gaulois. Les Gaulois, jusqu’à la Renaissance, ce n’est pas grand-chose. J’entends par-là que dans la société française, dans un pays qui commence à se percevoir comme la France, autour du XVIe siècle, l’idée que « nos » ancêtres, en mettant le nos entre guillemets, soient les Gaulois n’est pas dominante. Pour être franc, c’est le cas de le dire d’ailleurs, c’est plutôt du côté des Francs que l’on va chercher la genèse nationale, et même, en deçà des Francs. Je vous l’apprends peut-être, mais le discours dominant dans les cercles cultivés au XVIe siècle, c’est que les Francs descendent eux-mêmes des Troyens et que nous sommes des descendants des Troyens. Pourquoi des Troyens ? Tout simplement parce que cela donne à la France une genèse aussi valorisante que celle de Rome. Les Romains sont eux-mêmes censés descendre des Troyens donc il faut que tous les peuples qui ont été dominés par les Romains se façonnent un passé historique aussi anoblissant que celui des Romains, donc nous descendons des Troyens. Nous descendons d’un guerrier troyen qui s’appelait Francus, qui a dû quitter Troie, comme nous l’apprend le récit d’Homère, après qu’elle a été conquise par les Grecs. Un petit groupe sous la direction de Francus est parti en catastrophe, a cheminé à travers l’Europe centrale…
Maud GOUY : Mais c’est un mythe, ça ?
Laurent AVEZOU : Ça, c’est un mythe, absolument. Je le précise bien, tout ce que je suis en train de vous évoquer est dans le registre du fantasme. Je ne vous parle pas de la réalité, je ne vous parle pas du passé réel mais du passé tel qu’il a été reconstruit. C’est utile de le préciser, c’est à peu près à ce niveau-là que je vais me placer. Je vous oblige à partager mes fantasmes, qui ne sont pas les miens à proprement parler mais ceux que j’ai pu retrouver à l’œuvre chez les historiens.
Donc, un petit groupe de Troyens a dû quitter Troie en flammes pour se retrouver errant à travers l’Europe centrale, et puis, à travers les lentes migrations, des stations, des arrêts en cours de route, ces Troyens sont arrivés un beau jour sur les bords du Rhin, dans un pays où il leur a semblé que l’herbe était plus verte, où les oiseaux chanteraient plus harmonieusement et ils ont décidé de rester. Ce pays, bien évidemment c’était la France, à laquelle Francus a laissé son nom.
Laurence TOULORGE : Le mythe dont vous parlez, il a une base écrite ?
Laurent AVEZOU : Il a une base écrite, absolument. Sa première base écrite remonte au VIIe siècle. Vous connaissez peut-être de nom Grégoire de Tours, qui est considéré comme le premier historien de la France, il faut rectifier, c’est le premier historien des Francs. Grégoire de Tours vivait au VIe siècle, il a eu des continuateurs aux noms obscurs, l’un d’entre eux s’appelait Frédégaire, on peut l’oublier immédiatement, mais c’est chez cet obscur tâcheron qui, même pour l’époque, était considéré comme un écrivain nullissime, qu’on trouve la première mention d’une origine troyenne des Francs. Il y a tout lieu de penser que ce n’est pas lui qui l’a inventé, il en a tout simplement recueilli la tradition orale qui devait circuler dans un passé relativement récent sur lequel on ne peut pas avoir plus d’informations. La seule certitude que l’on peut avoir, c’est que cette origine troyenne accolée aux Francs n’est pas fortuite, elle avait pour fonction de légitimer la présence des Francs sur un bout de terre romaine, la Gaule. Puisque les Romains avaient conquis leur empire en se présentant comme des descendants des Troyens, des descendants non pas de Francus mais d’un autre guerrier troyen, qui s’appelait Enée, il fallait absolument que les Francs, qui s’étaient emparé du pouvoir en Gaule, se présentent comme des successeurs légitimes des Romains en se dotant de la même origine mythique. Se présenter comme Troyens, c’est une manière détournée de se présenter comme Romains, comme aussi anciens que les Romains. C’est l’utilité du mythe. Un mythe qui a tout de même eu la vie dure. Pour vous donner une idée de sa pérennité que l’on a maintenant complètement oubliée, il est mis au point, couché par écrit au VII siècle. Or, en 1714, il y a encore un érudit, Nicolas Fréret, qui se retrouve flanqué à la Bastille parce qu’il a remis en question l’origine troyenne du peuple franc et parce que Louis XIV, qui n’en a plus pour longtemps mais est encore capable de sévir quand ça lui chante, estime que c’est porter atteinte à la légitimité de la royauté que dénier une origine troyenne aux Francs. À cette époque, Louis XIV mène un combat d’arrière-garde parce que ce qui s’est passé entre-temps, on revient ici aux Gaulois, c’est qu’une version disons savante de l’histoire de France a commencé à être élaborée au XVIe siècle, au temps de la Renaissance, au temps des Humanistes. Je le rappelle, l’Humanisme on lui donne…
Maud GOUY : Je peux vous couper ?
Laurent AVEZOU : Oui, coupez-moi dès que vous voulez.
Maud GOUY : Est-ce qu’il y a des tableaux qui représentent ce mythe troyen ? Parce que nous, on a une galerie de portraits où on montre ce que vous expliquez, avec un parcours chronologique, avec des pièces de monnaies, etc. On a des périodes où on a un tableau blanc parce qu’il n’y a pas d’images du Gaulois.
Laurent AVEZOU : Il y a des représentations indirectes, c’est-à-dire qui ont été élaborées bien après coup, qu’on trouve dans …
Maud GOUY : Au XIXe …
Laurent AVEZOU : Au XIXe, pas trop justement, parce que les Troyens ne font plus recette. Au temps où la peinture d’histoire est triomphante, les Troyens, ça ne marche pas, plus personne ne comprend ce mythe. Par contre, on a des miniatures de la fin du Moyen-âge, qui représentent Francus, l’arrivée des Troyens en Gaule, etc., mais de Troyens qui ont l’air de compagnons de Saint Louis ou Godefroi de Bouillon, des personnages qui sont portraiturés en chevaliers du Moyen-âge mais qui sont censés représenter Francus. Et là, je peux vous donner la référence de la revue L’Histoire (Les Collections de l’Histoire, n°44, juillet 2009, p. 9 et 11) où il y a quelques documents iconographiques qui recourent à ça, mais ce sont des documents iconographiques connotés Moyen-âge classique et pas du tout troyens.
Donc, au XI siècle, les Humanistes arrivent. Je rappelle que derrière le sens moral qu’on accole aujourd’hui à ce terme (être Humaniste, c’est être l’ami du genre humain), il y a un sens littéral qu’il ne faut pas oublier : l’Humaniste, c’est celui qui est épris des humanités, c’est-à-dire des classiques grecs et latins. Ce n’est pas anodin pour le mythe des origines de la nation puisque, parmi leurs redécouvertes, ces textes du patrimoine latin qui sans être retombés totalement dans l’oubli étaient restés dormants (ils n’étaient plus guère utilisés au Moyen-âge), il y a « La guerre des Gaules de Jules César », le récit de la conquête des Gaules par César. Le récit d’un homme politique qui est parfaitement partisan et qui reconstitue de manière valorisante pour lui le processus de la conquête de ce pays, qu’il a mené de 58 à 51 avant Jésus-Christ. Les Humanistes découvrent là-dedans quelque chose qui leur semble, pour des raisons objectives, correspondre davantage à la réalité qu’un mythe des origines troyennes, qu’ils mettent de côté – je vais y venir tout à l’heure - avec plus ou moins de radicalité, mais surtout, les Gaulois ont un avantage que n’ont pas les Troyens, ils sont spécifiques à la France. Ils sont spécifiques à l’espace français, alors que les Troyens, dont je vous ai parlé, tout le monde se les arrache au Moyen-âge. Les origines troyennes de la Gaule coïncident avec un mythe comparable des origines troyennes de l’Espagne, des origines troyennes de l’Angleterre. Tous les pays qui ont été dominés par les Romains, à un moment ou à un autre, se sont découverts des origines troyennes. C’est bien, mais ce qui est mieux encore, c’est de pouvoir revendiquer une autochtonie, c’est-à-dire un passé reconstitué qui n’appartient qu’à soi. Et c’est à cela que vont servir les Gaulois. Les Gaulois vont servir à enterrer les Troyens et surtout à s’émanciper de la référence romaine, manifester que certes les Romains nous ont éduqués, les Romains nous ont civilisés, mais ils ne nous ont pas arraché des racines qui plongent plus profondément dans le passé. Ils ont modifié la pousse de l’arbre, en quelque sorte, mais ce n’est pas eux qui l’ont planté. Donc, les Gaulois servent à cela, sur une base écrite qui est incontestable. On découvre dans le récit de La guerre des Gaules la vision d’une Gaule indépendante qui est extrêmement valorisante pour le pays parce que les Gaulois sont présentés comme braves, intrépides, farouches, dans une perspective que Jules César soutenait tout simplement pour donner plus de valeur à sa conquête : plus l’adversaire est rétif, plus il est résistant, plus le conquérant est valorisé. Mais indépendamment de cela, la Gaule que l’on découvre dans le récit de Jules César permet de mettre en valeur un patriotisme spécifiquement français et surtout de répondre au récit conquérant des Allemands qui, à côté de cela, sont en train de mettre en valeur les origines germaniques du pays, avec une différence essentielle, que les Allemands mettent complaisamment en avant à ce moment-là - les Allemands, je parle des érudits et des écrivains allemands, parce qu’il faut bien comprendre qu’à ce stade, au XVe siècle, ces débats ne sont que des empoignades intellectuelles, ce ne sont que des empoignades de lettrés qui n’intéressent qu’eux-mêmes, à peu de choses près - les Allemands, donc, ont aussi découvert une base scripturaire qui leur permet de mettre en valeur leur passé national, c’est la Germanie de Tacite, l’historien romain du IIe siècle après Jésus-Christ, qui a fait ce que l’on peut considérer comme le premier récit d’ethnologue pour son époque, qui a été perçu après coup comme cela puisqu’il faisait une coupe franche dans la description d’une culture considérée comme exotique et permettant à Rome de s’interroger sur ses valeurs propres par contraste. Il y a une différence essentielle entre les deux et les Allemands sont très heureux de l’envoyer dans la figure des Français : c’est que les Germains n’ont jamais été conquis par les Romains. Les Germains ont réussi à préserver leur indépendance et à réduire en bouillie les légions romaines qui ont été envoyées contre eux par l’Empereur Auguste. Donc, il y a aussi une forme de défi. Le premier défi qui est lancé par les Germains au Gaulois : nous, on a réussi à préserver notre indépendance, on est meilleur que vous. Il n’y a pas que cela, des érudits germaniques de la même époque sont en train de découvrir quelque chose qui est également incontestable au point de vue historique, c’est que les Francs viennent de Germanie. C’est hélas difficile à contester ! En langage clair, la France a été conquise par les Allemands, en langage réinterprété plus exactement.
Laurence TOULORGE : Pourquoi est-ce qu’à ce moment que les érudits côté français veulent mettre en valeur un patriotisme français ? Qu’est-ce qui se passe qui fait que l’on a besoin de cela ? Patriotisme, ce n’est peut-être pas le bon mot.
Laurent AVEZOU : Si, on peut déjà employer ce mot sauf que c’est un patriotisme intellectuel. En fait, c’est à comprendre dans un mouvement intellectuel de retour aux sources, qui est caractéristique des renaissances intellectuelles. Il y a déjà eu des renaissances estampillées comme telles à l’époque de Charlemagne une première fois. Charlemagne visait un objectif très politique, il voulait homogénéiser son empire en le dotant notamment de livres religieux dans un latin qui soit le même pour tous, cela a occasionné un retour aux sources historiques. Au XIIe siècle, il y a une nouvelle renaissance intellectuelle qui correspond à ce moment à un désir plus désintéressé, plus gratuitement savant de revenir aux sources littéraires, et cette renaissance, elle, débouche sur la naissance des universités à travers l’Europe. Au XVIe siècle, il y a une affirmation des monarchies nationales. Pour répondre à votre question, ce qui se passe au moment de l’Humanisme, sans que l’on puisse dire où est l’œuf et où est la poule à proprement parler, c’est que les monarchies nationales commencent à affirmer leur personnalité spécifique. Il y a la France, il y a l’Angleterre qui viennent de se castagner pendant plus de Cent ans, au travers d’une guerre qui porte ce nom même si elle a eu des répliques, qui s’arrête en 1453, et c’est une nouveauté. J’entends par là que les conflits au milieu du Moyen-âge, on a tendance à projeter sur eux notre vocabulaire de nationalistes sans le savoir du début du IIIe millénaire où ce sont les Français qui se sont battus contre les Anglais. En fait ce n’est pas ça, c’est le roi de France qui se bat contre le roi d’Angleterre. Le roi d’Angleterre, il parle français aussi bien que l’anglais au début de la guerre de Cent ans. Donc, ce sont des souverains chrétiens qui prolongent leur guerre privée avec leur petit assemblage de guerriers autour d’eux, des guerres qui font beaucoup moins de dommage que les conflits industriels des XIXe et XXe siècles mais ils n’ont jamais le sentiment de défendre la patrie, ils ne traduisent pas les choses de cette manière, ils combattent au nom de Dieu. Ils ont chacun la conviction d’avoir Dieu de leur côté. Ils combattent pour l’honneur de leur lignage, pour l’honneur de leur dynastie mais cela ne leur viendrait pas à l’esprit si l’on se place mettons au XIIe siècle, d’affirmer qu’ils combattent au nom de la France, des libertés françaises, etc., etc. Or, c’est précisément ce qui change à partir des XIVe et XVe siècles. Pourquoi ? Parce que l’universalisme est en crise. Il y avait un universalisme médiéval qui ne s’appelait pas l’Internationale ou autre projection idéologique mais qui s’appelait la chrétienté, qui s’appelait l’empire. Il y avait un empereur qui prétendait être le seigneur des autres monarques, il y avait un pape, qui prétendait au spirituel être l’équivalent de cet empereur. En fait, ce pape et cet empereur n’avaient pas les moyens de leurs ambitions. Ils ont passé plusieurs siècles à s’épuiser mutuellement dans leurs confrontations. Ces deux universalismes ne fonctionnent plus, mettons, à partir du XIVe siècle. Le pape doit se résoudre à être l’évêque de Rome désormais, à avoir une influence spirituelle sur les chrétiens, il ne peut plus prétendre être une sorte d’autorité de tutelle qui guide leur politique aux souverains. L’empereur, c’est pareil. Il se rêvait successeur d’empereurs romains, il se découvre roi de Germanie, ce n’est pas mal mais cela ne fera jamais de lui le monarque universel qu’il rêvait. Donc, si vous préférez, il y a un vide. Un vide de légitimité politique, que les souverains qui se prétendaient universels n’arrivent plus à assumer, et ce vide va être comblé par des monarques régionaux, qui jusque-là se considéraient comme régionaux, la France, l’Angleterre, c’est un petit bout de la chrétienté, et qui finalement se disent que peut-être ils trouvent en eux-mêmes leur propre légitimité. Roi de France, roi d’Angleterre, cela ne signifie plus lieutenant de Dieu ou lieutenant de l’empereur, cela veut dire souverain, un point c’est tout. Donc, c’est parce que le pouvoir politique se découvre à une échelle nationale valide que, consciemment ou inconsciemment, les érudits découvrent dans les écrits de l’Antiquité des indices qui permettent de légitimer l’ancienneté de la monarchie par exemple ou l’ancienneté de la nation française.
Christine WARIN : Je voulais vous poser une question, pour revenir sur la question de Laurence, dans cette émergence justement de cette notion de monarchie nationale, quelle est la part de la notion de pays en tant que territoire physique ? La France, les frontières, est-ce que cela émerge justement à ce moment-là ?
Laurent AVEZOU : Effectivement, il y a une dimension territoriale qui émerge à ce moment, puisque le XVIe siècle est aussi considéré comme la période où la cartographie moderne est mise sur pied, tout simplement parce que le monde perçu par les Européens s’est dilaté, pas encore des cinq, mais désormais des quatre continents, sa perception a doublé en direction de l’Amérique, puis a triplé en direction de l’Afrique et de l’Extrême-Orient. Les projections cartographiques qui ne se content plus d’être des itinéraires reliant des points entre eux ou simplement des indications de ports, commencent à s’élaborer. Les premières cartes topographiques de la France qui semblent tenir la route sont mises sur pied, notamment par un cartographe italien qui s’appelle Oronce Fine, qui tente la première projection. « La guerre des Gaules » de Jules César sert également à élaborer cette version cartographique parce que César a fixé des limites précises à la Gaule, pour la première fois, des limites qui se veulent naturelles. Qu’est-ce qu’il décrète (parce qu’il s’agit bien d’un décret : un décret conquérant qui fait sa petite propagande.) ? Il décrète que la Gaule est le territoire bordé par la Mer du nord, la Manche, l’océan Atlantique, les Pyrénées, la Méditerranée, les Alpes et le Rhin. Toutes ces limites ne posent pas de problèmes politiques essentiels sauf le Rhin. La Gaule historique de César va jusqu’au Rhin, c’est-à-dire qu’elle englobe l’actuelle Belgique, le Luxembourg, une partie des Pays-Bas, une petite partie de l’Allemagne. Pourquoi ? Tout bêtement parce que César n’a pas pu aller plus loin que le Rhin. Il en avait bien l’intention pourtant. À deux reprises il a tenté de passer le fleuve et de poursuivre la conquête sur sa lancée, il a été refoulé. Il a été refoulé par des tribus qui se trouvaient être beaucoup plus belliqueuses et beaucoup plus résistantes que les tribus de la rive ouest. Qu’est-ce qu’il a décrété à ce moment ? Que jusqu’au Rhin sa conquête s’appelait la Gaule et qu’au-delà du Rhin c’était la Germanie. Or, il faut bien comprendre que c’est une aberration au point de vue ethnographique. La Germanie et la Gaule n’existent pas comme des entités vécues et ressenties par leurs habitants. En fait, il y a un agrégat de tribus qui réussissent à se confédérer en peuples, c’est déjà bien à leurs yeux, six ou sept tribus peuvent constituer un peuple, qui gravite dans un territoire en général plus petit qu’une de nos régions. Être gaulois ou être germain, personne n’aurait formulé les choses de cette manière sauf un conquérant qui avait intérêt à homogénéiser sa conquête, à lui donner une carte d’identité précise et à dire : je voulais conquérir la Gaule, c’est fait, je n’ai pas de raison d’aller plus loin (c’est surtout que je n’ai pas eu le choix, ça je le garde pour moi). Comme, à Rome, personne ne sait où est la Gaule, à peu de chose près, on n’ira pas chercher plus loin. Disons que l’on peut schématiser les choses de cette manière, sauf que cette instrumentalisation de la géographie a été prise pour argent comptant, et les limites de la Gaule projetées par César sont devenues des limites administratives incontestables. Et au XVIe siècle, quand on redécouvre la Gaule, quand on traduit cela en langage politique et que l’on se dit que les rois doivent avoir vocation à faire coïncider les frontières de la France avec les frontières de la Gaule, ça va légitimer plusieurs siècles de conflits avec le voisin allemand. Alors là, j’anticipe. Cette vision des choses au XVI siècle, elle est encore le fait des seuls Humanistes. Seuls certains d’entre eux précisent qu’il serait bon que la France ait les limites de la Gaule un jour. Cela ne donnera pas lieu à une politique expansionniste des rois de France. Le premier gouvernement français qui tentera de traduire cette vision des choses en politique expansionniste, ce sera le gouvernement révolutionnaire. Ce que l’on appelle la politique des frontières naturelles, faire coïncider la France avec des frontières qui n’ont absolument rien de naturel en réalité, qui sont parfaitement politiques, c’est la Révolution qui va le soutenir pour la première fois, c’est le gouvernement républicain qui, autour de 1795, s’assigne comme objectif d’atteindre les bouches du Rhin, d’étendre la conquête jusque-là. Les gouvernements français garderont cette aspiration au moins jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il y aura encore une tentation à ce moment-là. On sera très près au lendemain de la guerre de 14-18 de revendiquer la rive gauche du Rhin, donc tout un territoire qui engloberait un parte de la Rhénanie, du Palatinat actuel en Allemagne, et c’est le président américain Wilson qui obligera les Français à être moins gourmands et à faire machine arrière.
Pour revenir aussi à la question du mythe, je vous parle de la manipulation de l’Histoire qui, au début du XVIe siècle, concerne un petit cénacle d’intellectuels, qui font leur chemin et dont certaines indications font mouche dans le regard des politiques, mais plusieurs siècles après. La politique des frontières naturelles qui est une vue de l’esprit au début du XVIe siècle devient une vraie politique expansionniste trois cent ans après quasiment, à l’époque de la Révolution.
Maud GOUY : Est-ce que Les Helvètes sont Gaulois ? Est-ce qu’ils ont eux aussi ce mythe gaulois ? Les Belges, eux aussi sont allés cherches des racines dans le mode gaulois ?
Laurent AVEZOU : Oui, oui, tout à fait, ils sont allés chercher des racines dans le monde gaulois. Il ne s’agissait pas simplement de trouver ses racines mais de trouver en même temps, comment dire, une manière fantasmée d’assouvir sa puissance. Pour les Suisses, il y a un épisode qui inaugure la Guerre des Gaules justement, que vous connaissez peut-être, quand ils brûlent leurs villages et décident de migrer vers l’ouest après la mort de leur chef Orgétorix, en 58 avant Jésus-Christ. C’est ce qui donne à César d’ailleurs le prétexte pour intervenir pour porter secours aux tribus gauloises avec lesquelles il est allié. Les Suisses vont garder la mémoire d’être passés bien près de transformer la Gaule en gigantesque Helvétie. Ils garderont l’idée que si César n’était pas intervenu, peut-être que les Suisses auraient envahi la Gaule. Le destin de l’histoire aurait été totalement transformé. Les Belges, ils sont très contents de lire dans César deux lignes où, au détour d’une tasse de cervoise, il s’est laissé à dire qu’ils étaient les plus braves des Gaulois parce qu’ils lui avaient donné plus de fil à retordre, ils passent sous silence qu’il rajoute immédiatement qu’ils sont les plus braves parce que ce sont les plus sauvages, les plus primitifs, ça les rend plus méchants que les autres, mais on tronque la citation à la première moitié. Ça fonctionne mieux comme cela, évidemment ! Les Anglais, de la même façon, sont très fiers de mettre en avant leurs racines bretonnes parce que, certes ils ont été soumis par les Romains, mais ils ont tenu plus d’un siècle protégé par leur insularité et par leur détermination face aux conquérants.
Maud GOUY : Quelque chose qui n’est pas tout à fait dans votre sujet, au niveau du nombre, est-ce que vous avez une idée, est-ce que vous avez des chiffres, vous, de la population ? Nous, on avait des chiffres que nos archéologues nous ont fait enlever. Donc, on dit que la Gaule était très peuplée mais cela ne veut pas dire grand-chose …
Laurent AVEZOU : Pendant longtemps, ce sont des chiffres extrêmement hauts qui ont été posés, on créditait la Gaule d’une population oscillant entre 15 et 20 millions d’habitants, ce qui était absolument énorme aux proportions de l’Antiquité. Il est incontestable que c’était un territoire d’une grande densité. Si on prend, là aussi, au pied de la lettre les chiffres qu’a donnés César, il se crédite d’un million de morts gaulois et d’un million de captifs, de Gaulois convertis en esclaves. Si on démultiplie cela, l’idée d’un territoire de 15 à 20 millions d’habitants semblait fonctionner. Les estimations actuelles sont difficiles à bâtir, on estime plutôt que c’est entre 7 et 10 millions d’habitants, il me semble, que la Gaule pouvait être peuplée. Je sais que la Gaule de l’apogée de la Paix romaine est censée avoir aux alentours de 7 millions d’habitants. Mais on est dans un domaine pré-statistique où les estimations peuvent se planter complètement du simple au triple et sont sans garantie. En tout cas, qu’il s’agisse à l’échelle du bassin méditerranéen, au sens large du terme, d’un territoire très densément peuplé, ça c’est incontestable, César en avait une estimation très vague mais il y a tout lieu de penser que, par comparaison, le territoire pouvait lui sembler très peuplé.
Il faut préciser au passage, pour rester dans le domaine de l’humanisme, que le mythe historique trouve toujours en lui-même sa cohérence. J’entends par là que l’inconscient collectif est capable de retravailler la matière historique pour l’articuler avec ce qui précédait ses reconfigurations. Qu’est-ce que je veux dire par là ? C’est qu’au XVIe siècle, cela fait un millénaire que l’on balance aux érudits que les Français descendent des Troyens. C’est tout de même assez dur de devoir admettre d’un seul coup que l’on s’est gouré sur toute la ligne et que pendant mille ans on n’a raconté que des bêtises, de plus cela ne plaît pas au roi, je le répète. La redécouverte des Gaulois par les Humanistes, les rois ne sont pas encore prêts à l’assumer, comme le montre l’attitude de Louis XIV, deux cents ans après. Eh bien, qu’à cela ne tienne ! Il suffit de faire preuve d’un petit peu d’imagination pour trouver la solution de départ. Il y a un érudit dont je parle dans mon livre, Guillaume POSTEL, qui n’était pas seulement un érudit mais qui avait également une réputation d’alchimiste, qui avait des curiosités diverses et variées en tout cas, son obsession notamment c’était de faire l’unité de la chrétienté pour bouter les Turcs hors d’Europe, un truc qui traverse les siècles, dans des configurations différentes. Guillaume POSTEL invente une tournure pour articuler les Troyens aux Gaulois. Il nous explique que les Troyens ont quitté Troie en flammes et ; sous la direction de Francus ; sont allés à travers des errances diverses en Allemagne puis en Gaule. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient aimantés par les souvenirs inconscients du territoire de leurs ancêtres, parce que Troie a été fondée par les Gaulois ! Les Gaulois, dans un passé encore plus ancien que le récit d’Homère, sont censés être partis dans une grande politique expansionniste jusqu’à ce site et sur les bords de la Mer de Marmara où ils ont trouvé également l’herbe plus fraîche et les vaches plus dodues et ils ont fondé Troie. Donc, les Troyens descendent des Gaulois, CQFD ! D’autres, plus raisonnables, laissent tomber les Troyens, parmi eux il y a un historien qui est encore aujourd’hui considéré comme sérieux parce qu’il a été le premier quasiment à écrire un bouquin de méthode historique dont beaucoup de mes collègues contemporains pourraient retenir encore la leçon, il s’appelle Jean BODIN, c’est également un théoricien de la monarchie absolue, il faut le savoir, parce qu’il y a toujours un lien entre politique et histoire. Jean Bodin : laissons tomber les Troyens, laissons-les où ils sont, dans le silence du tombeau, cela sera très bien comme ça, par contre répliquons aux Allemands, qui prétendent qu’ils nous ont envahis puisque les Francs sont des Allemands. Certes, répond BODIN, si l’on remonte le passé de manière plus élaborée, on découvre, comme il le découvre lui, que les Francs sont en réalité des Gaulois qui ont émigré de l’autre côté du Rhin, qui ont installé des colonies et qui un beau jour sont revenus, ont retraversé le fleuve pour libérer la Gaule du joug romain, de la domination romaine. Donc, les Francs sont des Gaulois de première génération, des Gaulois de souche qui viennent rendre sa liberté au pays gaulois après plusieurs siècles d’oppression romaine.
On a toujours, et cela vous pouvez le percevoir dans la société actuelle, cela sera valable pour tous les âges, des gens que l’on peut secouer comme des pruniers pendant des heures en leur expliquant que rien n’est fondé intellectuellement dans leurs affirmations idéologiques, ils trouveront toujours une manière de contourner votre discours sensé pour démontrer, en se plaçant dans une optique plus haute, que ce sont eux qui ont raison. Cela ne sert à rien de lutter contre un mythe, on ne peut que le contourner.
Je ne sais pas si vous connaissez l’essayiste Pierre JOURDE, il fait beaucoup de choses et notamment écrit des articles sur le débat relatif à l’identité nationale dans la société, il proposait sa réponse à qu’est-ce qu’être français ? Peut-être qu’être français, c’est maîtriser à la fois ce qui fonde la légitimité culturelle d’un pays ou d’un groupe humain Et le discours intellectuel capable de remettre en question cette légitimité. Être français, c’est intégrer à la fois les ressorts symboliques du fait national français et avoir le recul critique pour le remettre en question, en fait pour ne pas les subir mais pour les dominer, pour les articuler. Il précisait à ce sujet que de ce point de vue personne ne peut se considérer comme pleinement français, qu’être français c’est toujours une construction, une aspiration dans laquelle on arrive à des résultats plus ou moins élaborés en fonction de sa volonté, de sa conscience de soi.
Maud GOUY : Vous ne dites pas les mythes gaulois, vous dites le mythe gaulois. Nous, on a une partie où on nous a reproché de dire le mythe gaulois. Notre dernière partie, on ne sait pas encore comment on va l’appeler mais cela serait « Adieu le mythe ? », on nous a dit non…
Laurent AVEZOU : Je suis d’accord, il faut le dire au pluriel. Moi, je dis le mythe gaulois par simplification mais quand on regarde dans le détail, il y a plusieurs mythes gaulois qui sont conjoints, qui s’articulent. Par exemple, après l’époque que je viens de vous décrire, après le XVIe siècle, les Gaulois rentrent en sommeil à nouveau si on peut dire. Pourquoi ? Parce que la monarchie s’arroge une sorte de monopole sur le discours historique, sur la production du discours historique et elle est encombrée des origines gauloises, pour une raison très simple, c’est que la Gaule indépendante décrite par César n’a pas de roi. Elle est composée de 300 tribus regroupées en 60 peuples dont certains se donnent des chefs de guerre en effet, certains de ces chefs ont le titre de roi mais aucun ne peut prétendre avoir été roi de la Gaule. C’est un peu embêtant, c’est d’autant plus embêtant qu’il y a même eu des groupes au temps des guerres de Religion qui se sont servis du passé gaulois en disant que l’idéal pour notre pays, si on se réfère à nos ancêtres gaulois, ça serait que la France soit transformée en une confédération de petites républiques, qui peuvent être des républiques aristocratiques ou des républiques bourgeoises, mais où le roi n’aurait qu’un rôle de pantin décoratif et où le pouvoir se ferait à l’échelle locale. Il n’a pas du tout envie de parler de ça, le monarque, une fois que les rois ont surpassé la crise de croissance de la monarchie, une fois qu’il y a en a eu deux qui y ont laissé leur peau, Henri III en 1589, et Henri IV en 1610, le XVIIe siècle et le XVIIIe siècle, c’est le temps du retour à l’ordre, « une foi, une loi, un roi » et un discours historique qui va avec.
Taos AÏT SI SLIMANE : De qui est cette formule ?
Laurent AVEZOU : Formellement parlant, je n’en sais rien. C’est le genre de mots, de formules courantes sous l’Ancien régime, je serais incapable de dire qui a été le premier à la formuler. Donc, de ce point de vue, les Gaulois cela ne marche pas. Les Francs, c’est bien. Il y a un roi franc qui peut passer pour l’ancêtre de la monarchie française, c’est Clovis. Clovis, c’est très bien, c’est net, c’est propre, il domine un territoire qui est quasiment celui de la France actuelle, quasiment parce qu’il faut quand même un certain effort d’imagination quand on regarde les choses dans le détail, mais les choses sont bien élaborées de ce point de vue, elles peuvent rester comme ça. Il faut préciser également un autre élément, Vercingétorix à cette époque-là ne compte pas. Il y a certes un mythe gaulois qui lui donne une certaine légitimité, si l’on peut dire, c’est un mythe auvergnat. Vercingétorix est le héros historique de l’Auvergne, avant la Révolution. C’est déjà ça mais cela ne peut pas être créateur d’un mythe national. Le Vercingétorix du XVIIe-XVIIIe siècle, il intéresse surtout les Auvergnats, c’est le XIXe qui va lui donner une stature nationale.
Qu’est-ce qui change quand on s’approche de la Révolution ? Les Gaulois recommencent à intéresser certains courants intellectuels pas dans une perspective patriotique pour l’instant mais dans une perspective qu’on pourrait qualifier de lutte des classes, avant la lettre évidemment, parce que les Gaulois, aux yeux de ceux que l’on appelle à l’époque les Patriotes et qui fournirent les premiers effectifs aux révolutionnaires de 1789, sont présentés comme les ancêtres du tiers état, c’est-à-dire plus de 98% du corps social, qui aspirent à secouer le joug des Francs dont les descendants sont les nobles, et secondairement les clercs, qui sont considérés comme les alliés objectifs de la noblesse. Donc, le Gaulois reconstitué à la veille de la Révolution, c’est le fils du peuple. Non, j’inverse plutôt, le Gaulois, c’est le peuple par opposition aux privilégiés dont il faut secouer la suprématie qui a été fondée sur le droit de conquête, les Francs ont soumis les Gaulois, désormais les pirouettes délirantes dont je vous ai parlé, à la Jean BODIN, « les Francs sont les Gaulois avant la lettre », ça ne marche plus, c’est une fantaisie qui a duré un petit moment mais on réussit quand même à être graduellement sérieux sur certains points. En revanche l’idée que le tiers état descend des Gaulois et que les Francs ont donné les nobles fonctionne bien à la veille de la Révolution, qui est une période où paraissent de nombreux pamphlets dans la perspective de la préparation des états généraux de 1789, et l’un de ces pamphlets est particulièrement fameux, il est dû à l’abbé Sieyès, qui n’avait d’abbé que le titre, c’était un pur laïc d’esprit par ailleurs, il a une formule fameuse où il dit : « Il faut renvoyer les nobles dans les forêts de Franconie d’où ils sont sortis ». La Franconie étant la région contiguë, dans la géographie antique, à la France. Donc, il faut renvoyer les nobles à cette Germanie qui les a vomis dans un passé lointain et rendre à la Gaule du tiers état sa liberté. Donc, à ce moment-là, les Gaulois sont segmentés dans une perspective des luttes des classes. Ils deviennent la revendication propre au peuple, qui constitue, dans une perspective large, l’immense majorité. Et c’est sous cette identité qu’ils entrent dans le XIXe siècle. On appelle le XIXe siècle le siècle de l’histoire. C’est d’ailleurs une formule qui a été forgée après coup par l’historien Gabriel Monod. Siècle de l’histoire, c’est une formule trompeuse, il faudrait dire plutôt siècle de l’instrumentalisation de l’histoire puisque nous sommes à une époque où faire de l’histoire c’est afficher sa couleur politique par le sujet dont on se saisit, disons de manière plus nette et plus assumée qu’aujourd’hui, parce qu’aucun historien à quelque époque que ce soit ne peut se prétendre parfaitement objectif et libre de toute compromission idéologique, je le répète, elle peut fonctionner de manière inconsciente mais elle fonctionne toujours. Au XIXe siècle, c’est une fierté d’être un historien politisé, faire de l’histoire, c’est être politisé, c’est faire l’histoire de la Révolution selon un angle qui valorise une perspective révolutionnaire mais soit libérale, favorable à la bourgeoisie, soit socialiste, donc favorable à l’émancipation du prolétariat, ou au contraire réactionnaire favorable à un retour de l’ordre ancien, considéré comme celui qui a donné l’harmonie à la France éternelle. Donc, siècle de l’histoire dans lequel les Gaulois sont le plus souvent enrégimentés du côté des républicains, républicains plus ou moins avancés, libéraux simplement ou qui valorisent en règle générale la liberté d’entreprise des Gaulois d’avant César, une initiative, une spontanéité qui peut se traduire en termes économiques dans la marche à l’industrialisation, bref les capitalistes doivent être eux-mêmes des descendants des Gaulois et de leur décontraction, ou ça peut être aussi toujours les défenseurs de la liberté originelle que la monarchie a ensuite ôtée au pays. Une formule d’une écrivaine libérale, dont vous connaissez sans doute le nom, Madame de Staël, qui était une opposante active à Napoléon, qui dit en substance : « En France, c’est la liberté qui est ancienne et le despotisme qui est nouveau ». L’idée que la liberté fait partie de l’ADN de la Gaule et on lui a surimposé ensuite une sorte de despotisme plaqué.
Alors, dans un nouvel avatar, la France prend en pleine poire une défaite nationale dont elle n’aurait jamais soupçonné l’ampleur. En 1870, les Français qui voyaient jusque-là le danger venir soit, au choix, de l’Angleterre ou de l’Espagne voient débouler sur eux une Prusse surpuissante militairement, qui a besoin d’une bonne victoire militaire pour légitimer l’unité de l’Allemagne qu’elle est en train de constituer autour d’elle. La France se découvre d’une faiblesse qu’elle n’aurait jamais soupçonnée. Donc, la fierté nationale en prend un coup terrible ! Un coup dont on a oublié l’ampleur aujourd’hui dans une certaine mesure, parce qu’en est en droit de penser que même en 1940, la débâcle n’a pas eu le même impact, en quelque sorte parce que les Français étaient déjà vaccinés, ils avaient déjà pris un coup à l’orgueil. C’est le premier coup qui fait le plus mal, après ça on apprend à les atténuer. Et les historiens sont chargés de panser à leurs manières les plaies de la pauvre nation claudicante qui vient d’être blessée, mais pas mortellement, or, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, il va falloir réinventer de nouveau un discours sur le passé national cohérent. Ce sera l’œuvre de la IIIe République, celle qui instaure l’enseignement laïc, gratuit et obligatoire, en 1881-82, et qui par là-même a enfin une plate-forme aux dimensions nationales incontestables, qui peut prendre la question à la racine de la nation auprès d’enfants de 8-10 ans, dont aucun ne peut théoriquement échapper à la vulgate qui va lui être injectée. Et cela va être d’une redoutable efficacité. Alors, j’insiste là-dessus parce que quand j’ai sorti mon bouquin, j’ai eu la surprise (pas vraiment une surprise parce que je connais le milieu) de découvrir un compte-rendu sur le Net dans lequel j’étais accusé d’avoir fait l’apologie du discours nationaliste caricatural des manuels scolaires de la IIIe République, le discours du Petit Lavisse, etc. Je me suis découvert une âme tricolore de coq chantant à tue-tête au sommet de son tas de fumier, comme disait Pierre DESPROGES. Ce que je disais simplement dans mon livre, c’est que ce discours était admirable de cohérence, c’est la machine idéologique qui a le mieux fonctionné pour insuffler une vision historique commune au pays. Je ne voulais pas dire par là qu’il était intellectuellement recommandable mais que l’on n’a pas fait mieux depuis en matière d’efficacité. Ce discours a été fort justement et fort légitimement déconstruit par étapes à partir des années 1960, je dis simplement que l’on n’a pas encore inventé un discours de rechange qui réussisse à faire une relative unanimité autour de lui, comme il a pu le faire pendant un petit siècle, des années 1880 aux années 1960. Et qu’est-ce qu’il dit notamment, ce discours ? Eh bien, que la France est aussi grande par ses défaites que par ses victoires, une manière de dire que la France se montre aussi noble dans la défaite que pleine de mansuétude dans la victoire. On comprend à quoi servent les Gaulois dans cette perspective et à quoi sert notamment Vercingétorix, qui est vraiment historiquement réinventé à ce moment-là, qui sort des limites de sa petite Auvergne pour être enfin dilaté aux dimensions de l’hexagone. Vercingétorix a certes été vaincu mais avec quel style, quel panache ! Il lance ses armes aux pieds de César, il lui brise les orteils et il s’en va comme un prince, il s’en va en prison pour être étranglé après mais l’épilogue ne nous intéresse plus, quel baroud d’honneur avant ce qui semblait s’imposer d’avance, c’est-à-dire l’écrasement du sympathique archaïsme gaulois par la modernité romaine. Donc, heureusement pour elle, la Gaule a été colonisée par les Romains, j’emploie à dessein le terme colonisée parce que les Gaulois servent aussi à autre chose à ce moment-là, il en est sorti un grand bien pour elle, mais avant, elle a mené un combat d’arrière-garde à travers lequel elle a exprimé son autochtonie encore une fois, quelque chose qui n’appartient qu’à elle et qui, même si c’était simplement une question de principe, a su s’exprimer avec panache face à César, même si la conclusion ne pouvait aboutir qu’à une victoire des Romains. La Gaule a été colonisée par les Romains. À une époque où la France, dans les années 1870, est en train de se découvrir un destin civilisateur mondial, de répandre les Libertés de 1789 sur les cinq continents, et à ce titre je vous signale que dans le manuel scolaire qui a façonné plusieurs génération, le fameux Petit Lavisse, dont la première édition remonte à 1882, qui est encore réédité en 1959, qui a servi, et est réactualisé, aux élèves du primaire jusqu’à cette époque, il y a un parallèle entre Vercingétorix et Abdelkader. Abdelkader le défenseur de l’indépendance algérienne pendant la guerre de conquête entre 1834 et 1847. L’Émir Abdelkader a les mêmes vertus que le roi des Arvernes, Vercingétorix. Il est généreux, compatissant envers ses ennemis, viscéralement attaché à la liberté nationale, il dirige des guerriers impétueux au courage inentamable mais qui ont en même temps les défauts de leurs qualités, c’est-à-dire indisciplinés, incapables de rester concentrés pendant longtemps sur une œuvre de construction commune. La manière dont César décrivait les Gaulois et dont les Français, avec un dédain plein de compassion, décrivent les Algériens qui n’attendaient qu’eux pour entrer dans la modernité. Vercingétorix sert également à cela, à donner une leçon nationale aux peuples colonisés en disant : Vous voyez, nous-mêmes avons été colonisés dans le temps, et cela nous a fait du bien. Donc, vous nous remercierez plus tard, c’est cela le discours sous-jacent.
Donc, vous avez raison, il faut bien sûr parler de mythes gaulois au pluriel. On voit à quoi ils peuvent servir, de toutes les manières possibles et imaginables.
Il faut préciser une chose aussi, un personnage dont je n’ai pas parlé jusque-là, dont on n’aime pas trop parler dans le mythe historique relatif à la Gaule, c’est Brennus.
Maud GOUY : Pourquoi ? Parce qu’on aurait très bien pu s’appuyer sur Brennus ? C’est un vainqueur justement.
Laurent AVEZOU : Non seulement un vainqueur mais un conquérant ! Il conquit Rome vers 390 avant Jésus-Christ, c’est tout de même quelque chose ! Sauf qu’il n’a pas fait preuve d’élégance dans sa conquête. Brennus, on le connaît pour le mot fameux : « Malheur aux vaincus ! » Au moment où il se fait monnayer son retrait de Rome en se faisant payer un tribut, il utilise de faux poids pour accentuer l’importance du tribut et quand les Romains le lui font remarquer, il ajoute encore son épée dans la balance en s’écriant Vae victis pour démontrer en quelque sorte que s’il le voulait il pourrait asseoir un éléphant dans la balance du moment que le droit du plus fort prime. Il ne fait pas preuve d’élégance et il y a l’idée qu’à trois siècles et demi de distance la Gaule paye l’absence de mansuétude de Brennus et que Jules César est la vengeance des Romains, vengeance que les Gaulois ont bien cherchée. Brennus aurait pu parfaitement être utilisé comme un anti-Vercingétorix mais précisément, quand on en parle c’est plutôt pour en tirer une parabole qui explique que le vainqueur doit être généreux. La vertu du vainqueur est sa générosité. Donc, Brennus ne servira jamais à construire une identité gauloise conquérante.
Christine WARIN : À un moment donné, Vercingétorix a été reconnu comme roi, chef d’un certain nombre de tribus …
Laurent AVEZOU : Tout à fait, Vercingétorix a pu, pendant quelques mois seulement, il faut le rappeler, être considéré comme le chef de toutes les tribus, mais en fait il n’a jamais réussi à fédérer les soixante peuples autour de lui, il y a de gigantesques pans de la Gaule qui, jusqu’à la fin, ne se sont pas ralliés à sa cause : les Belges - et la Belgique à ce moment-là cela va jusqu’à Paris, nous sommes en Belgique, sur la rive droite on est en Belgique, la limite administratives de la Gaule dite Belgique, c’est la Seine –, les Armoricains non plus – les ancêtres d’Astérix - n’ont pas voulu se rallier à Vercingétorix, ni les Aquitains, ceux qui vivaient au sud de la Garonne. En 1870, après la défaite, on se dit qu’il faut faire taire les querelles idéologiques, que la France qui regarde encore vers le passé monarchique et la France républicaine doivent faire taire leurs querelles dans une perspective nationale commune, qui est de revenir sur nous-mêmes pour pouvoir un jour prendre notre revanche. Eh bien, il faut autant que possible trouver des symboles nationaux, dont au moins une composante plaise à chaque famille idéologique. En effet, Vercingétorix a pour lui d’avoir pu incarner une Gaule monarchique pendant quelques mois. Mais une Gaule monarchique qui n’a été suscitée que dans une perspective défensive pour faire face à l’ennemi commun, une Gaule qui ne niait pas la diversité des républiques tribales entre lesquelles la Gaule se divisait et qui plaisait au corps républicain par là-même. Un despotisme défensif qui avait à un moment donné été chapeauté de libertés républicaines gauloises de manière à plaire à la droite monarchique comme à la gauche républicaine, ce Vercingétorix reconstitué.
Christine WARIN : Ce n’est pas un chef politique, c’est un chef de guerre en fait.
Laurent AVEZOU : Tout à fait. Et ça, historiquement c’est vrai. Je rappelle qu’à cette époque, au XIXe siècle être de gauche c’est être républicain et être de droite, c’est être monarchiste, c’est seulement à partir de l’Affaire Dreyfus qu’une droite républicaine apparaît comme étant une voie moyenne, à mesure que les monarchistes sont relégués graduellement au rang des curiosités historiques, ce qui est un petit peu leur destin.
Pour sortir des Gaulois aussi à ce moment-là, il faut bien préciser que ce travail de reconstruction qui est forgé pour eux fonctionne pour d’autres. Les manuels scolaires de la IIIe République mettent en valeur des rois ou des ministres des rois qui ont œuvré à la construction nationale, à l’unité nationale et qui en quelque sorte ont préparé sans le vouloir la Révolution, ont préparé l’œuvre d’homogénéisation de la Révolution. Ce qui plaît dans le passé monarchique c’est Philippe Auguste qui, pour la première fois, à côté des guerriers nobles, use de milices bourgeoises pour combattre, pour combattre qui d’ailleurs ? Comme par hasard, l’Empereur germanique. La première fois que les Français ont flanqué la pâtée aux Allemands, c’est à Bouvines en 1214, sous le règne de Philippe Auguste, c’est un souvenir historique qui est réactivé, où il est démontré que c’est l’union des classes, les bourgeois à pieds et les nobles à cheval, qui a réussi à défier les Allemands, dans une perspective qui anticipe sur l’appel à la Patrie en danger, qui va secouer la Révolution en 1793 et où tous vont partir sous les drapeaux pour défendre le pays assailli de toutes parts. Ce qui plaît dans la monarchie de l’Ancien régime ce sont de grands ministres, comme Richelieu ou Mazarin, qui combattent les particularismes locaux, combattent la volonté des protestants de faire une nation dans la nation, ou la résistance des nobles qui veulent continuer à se comporter comme de petits roitelets dans leurs seigneuries. Richelieu sert le roi mais il sert aussi la nation dans cette perspective parce qu’il unifie le territoire national. De la même manière, Vercingétorix, dans une perspective déterministe, prépare l’unité dans la diversité de la France à venir. C’est un petit peu cela la leçon de ce discours reconstitué. Et à ce moment, la géographie a durci son discours en la matière. L’idée qu’il y a un déterminisme géographique de la France est de plus en plus martelé. Celui qui est considéré comme le père de la géographie moderne de la France, Vidal de La Blache, donne son prologue à la grande histoire de France qu’Ernest Lavisse publie au début du XXe siècle, « L’histoire de France des origines à nos jours », à ses jours disons, commence par un tableau géographique de la France où il est clairement entendu que la France est éternelle, que la France est géographiquement éternelle, ses limites sont inscrites dans la nature et elles ont été ensuite remplies par des dépositaires successifs, que sont les Gaulois, les Romains, les Francs, qui n’avaient pas à l’inventer géographiquement, elle était là à leur disposition, elle attendait des régisseurs susceptibles de la mettre en valeur, mais elle est là de tout temps.
Il faut bien comprendre qu’avant le XVIe siècle, le pouvoir politique ne s’inscrit pas dans l’espace. Il s’inscrit dans les fidélités. Il s’inscrit dans les hommes. Être roi des Francs par exemple au temps de Clovis, ce n’est pas diriger un territoire, d’ailleurs il n’avait pas lui-même la moindre idée, la moindre projection cartographique du territoire qu’il dominait. Ce qu’il comprenait, c’est qu’il dirigeait des guerriers francs, qui étaient les seuls qu’il reconnaissait, les autres étaient des figurants. Et le territoire sur lequel ils oscillaient, plus en nomades d’ailleurs qu’en sédentaires, n’était qu’une toile de fond. Donc, la dimension territoriale n’apparaît vraiment qu’au XVIe siècle et elle ne fait que s’accentuer à partir du XIXe siècle, ce qui n’empêche pas ces historiens et ces géographes d’affiner leurs méthodes d’analyse, alors même qu’ils peaufinent un discours complètement fantasmé sur le passé national. Ces gens sont des gens sérieux, ce sont des techniciens parfaitement au fait de leur travail, sans avoir le sentiment d’une incohérence, à superposer leur conscience professionnelle de scientifiques méthodiques à des invariants patriotiques qui leur semblent faire partie du substrat sur lequel on ne transige pas, quelque chose qui va de soi. Il faut absolument que les méthodes scientifiques de l’histoire et de la géographie légitiment un discours qui remonte à plusieurs millénaires et qui n’a pas besoin d’être démontré, qui a besoin d’être reconfirmé, réactualisé, reconfiguré mais qui reste invariable jusqu’à ce que, passé deux guerres mondiales où on a pu voir ce que donne le nationalisme, et surtout plusieurs nationalismes qui se heurtent en étant aussi intransigeants les uns que les autres, la légitimation historique du passé national ait de plus en plus mauvaise presse. On s’aperçoit que la géographie comme l’histoire, cela sert de plus en plus à faire la guerre et de moins en moins à se comprendre. Donc, crise de légitimité de ce discours, qui apparaît disons à partir des années 1970, ça ne dépasse pas les années de Gaulle en fait. De la Gaule à de Gaulle, sans mauvais jeu de mots évidemment, mais c’est tentant, pourquoi se priver ? Il y a une véritable cohérence. De Gaulle est celui qui, pendant son passage à la présidence, réussit encore à entretenir l’illusion sur la grandeur de la France, en en donnant une vision perpétuellement intellectualisée, perpétuellement fantasmée et qui recourt énormément à l’histoire, qui recourt à la légitimité historique permanente. Il s’en sert comme d’une rustine pour cacher les failles de plus en plus béantes qui commencent à secouer la « maison France », qui était fière des tâches roses que projetait son empire colonial sur le planisphère et qui s’aperçoit qu’elle est désormais une puissance moyenne, vermoulue, ringarde aux yeux des nouveaux surpuissants. Alors, de Gaulle, à la manière de Vercingétorix, offre son dernier baroud d’honneur idéologique à la France éternelle, en lui disant, en gros avant la lettre, qu’en France on n’a pas de pétrole mais on a une histoire. Il n’est pas fortuit, je pense que vous l’avez relevé vous-même, que le moment où de Gaulle devient président de la République, en 1959, coïncide avec la sortie du premier album d’« Astérix le Gaulois ». Le discours idéologique sous-jacent d’« Astérix le Gaulois » est aussi la résistance d’une France qui ne veut pas mourir, qui sent bien qu’elle a perdu sur la longue durée l’enjeu, qu’elle ne va pas résister à la modernité. Mais tant qu’on a encore un petit peu de potion magique dans les veines, on peut flanquer par terre le domaine des Dieux, c’est-à-dire le domaine des grands ensembles bétonnés, qui menacent le village gaulois, qui vont l’emporter dans un flux de modernité, qu’il faudra bien rejoindre un jour ou l’autre, mais autant retenir aussi longtemps que possible l’échéance. « Astérix le Gaulois » sert à ça, comme de Gaulle.
Ce discours a fait beaucoup de mal, il a contribué incontestablement aux horreurs de la colonisation et à deux guerres mondiales mais, d’un point de vue strictement technique, il faut lui concéder une grande cohérence interne. Depuis 40 ans on tape dessus, faute de trouver un discours alternatif. Un discours qui est extrêmement difficile à trouver. Ce que j’ai fait dans mon livre c’est écrire l’histoire de France mais une histoire de France qui est au second degré. Je passe en revue de grands épisodes du passé national, tels qu’on les a appris à l’école, et je rends visibles les échafaudages qu’il y a derrière la représentation théâtrale, leur théâtralisation. C’est très difficile de faire passer cela dans le discours scolaire aujourd’hui : demander à des élèves de 8 ans d’intégrer à la fois la perception du réel historique et sa mise à distance critique. Plusieurs réponses sont proposées, la réponse communautariste étant d’intéresser certains groupes en fonction de leur assise soit sociale, soit géographique, soit ethnique, ou prétendue telle, ces assises elles-mêmes sont autant fantasmées que l’assise hexagonale, représenter un discours qui n’est censé être opérationnel que pour eux. On s’aperçoit en règle générale que cela a plus ou moins pour conséquence d’entretenir le sentiment que telle région, tel groupe social, telle composante géographique, a subi un long martyr au cours de son histoire, a été perpétuellement malmenée par l’État français, et on passe d’un extrême à l’autre, d’une France généreuse, impavide et éternelle à la vision d’une France tortionnaire au sens naturel ou au sens littéral comme au sens fantasmé du terme qui a voulu perpétuellement nier tous les particularismes, a menti à ses administrés comme elle ment aux électeurs aujourd’hui. Je ne soutiens aucune des deux positons. Je dis tout simplement que l’on n’a pas encore trouvé le juste milieu.
Christine WARIN : Je me dis que c’est aussi important, vous l’avez dit tout au début, c’est que c’est dans le contexte des autres pays, la France n’était pas seule, ses mythes et ses fantasmes c’est en lien et en réponse à la Prusse, l’Angleterre, etc. Je pense que ce n’est pas mal de mettre en regard avec ce que faisaient les voisins.
Laurent AVEZOU : C’est ça. C’est comme quand on répond aux pacifistes qui prônent le désarmement : nous, on veut bien mais qui nous garantit que si, nous, on désarme, le voisin va en faire autant ? Un côté ping-pong dont on ne sort pas.
François VESCIA : Est-ce qu’un point de la réponse n’est pas d’aller vers une histoire européenne qui intègre différentes dimensions ? Et de ce point de vue là une petite suggestion par rapport aux conflits mondiaux du XXe siècle, c’est une réponse européenne.
Laurent AVEZOU : Vous avez tout à fait raison de le rappeler. Entre l’échelle communautariste et l’échelle nationale, il y a le recours européen, sinon nécessairement européen, du moins international. Il faut montrer que l’échelle hexagonale, tout comme l’échelle nationale dans les autres pays, est elle-même datée, a une histoire, est une construction qui remonte à un passé relativement proche, qui a commencé à n’être systématisé dans le discours historique que par les Humanistes, je le répète, au XVIe siècle, mais que ce n’était pas la dimension privilégiée de ceux qui la vivaient. Au Moyen-âge, comme longtemps après, comme au XIXe siècle dans une certaine mesure, on se sentait beaucoup plus Berrichon, Auvergnat, Lyonnais, ou dans une échelle plus large chrétien, catholique, protestant, ou ouvrier, bourgeois, citadin ou paysan que Français, Anglais, Espagnol, etc., et plusieurs identités conjointes pouvaient parfaitement fonctionner en harmonie. On pouvait se sentir au Moyen-âge appartenir à la chrétienté occidentale, qui était une des premières moutures géographiques d’une partie de l’Europe, qui n’a jamais coïncidé avec l’Europe des géographes de l’Atlantique à l’Oural. Oui, il faut préciser que l’échelle hexagonale n’est que conjoncturelle. Si on se rapporte aux Gaulois, l’articulation entre Gaulois et Celtes montre que c’est un peuple qui a gravité dans l’espace dans les dimensions européennes, des plaines de Pologne jusqu’au sud des Balkans, jusqu’au fond de la Péninsule ibérique. Mais je m’aperçois que ce qui est scientifiquement, intellectuellement soutenable et présentable de manière dépassionnée est très difficile à transformer en pédagogie, très difficile à articuler avec le besoin de certitude qui correspond à une certaine tranche d’âge à laquelle il faut essayer d’offrir un discours cohérent mais dénué de toute implication morale. On essaye de démontrer que c’est seulement le compte rendu du passé, qu’il n’y a pas de leçon à tirer du passé, c’est cela le plus difficile à faire admettre à des enfants qui ont besoin de parabole, qui inconsciemment ont besoin qu’on leur dégage une morale dans l’histoire. Il n’y a pas de morale dans le passé, l’histoire ça ne sert pas toujours à faire la guerre mais c’est un cortège d’horreurs.
Laurence TOULORGE : On parle de pédagogie des enfants mais la représentation dans le discours du gouvernement à l’heure actuel est quand même dramatique.
Laurent AVEZOU : Il est absolument dramatique. On essaye un retour justement à la cohérence qui fonctionnait jusqu’aux années 1960 en déniant tout le travail critique et de déconstruction qui a été formulé depuis, en proposant des ancrages dans le passé qui fonctionnent mal. La mise en avant du Résistant Guy Môquet, par exemple, par Sarkozy, consistait simplement à sortir un symbole historique alternatif qui ne parlait à personne mais dont il prétendait soutenir l’originalité justement parce que personne ne s’en était emparé jusque-là, ça reste tributaire de cette méthode qui consiste à concevoir une icône, une référence mémorielle qui ne vaut que pour elle-même, ou bien l’idée saugrenue de faire parrainer chaque enfant de la Shoah par des élèves vivants, la meilleure idée pour traumatiser des générations entières en les faisant vivre à l’ombre d’un mort, c’était d’une maladresse pédagogique… Malheur au pays dont le prince est un enfant !
Philippe HERNANDEZ : La pédagogie de la distance critique par rapport à l’histoire, est-ce que ce n’est pas le propre de chaque discipline, que l’on a aussi dans l’enseignement supérieur et pour chaque discipline ?
Laurent AVEZOU : Absolument ! Dans l’enseignement supérieur on réussit à la passer du moins dans le discours. J’ai pu constater, parce que j’ai enseigné et j’enseigne encore à cette classe d’âge, que même cette tranche des 18-22 ans est de moins en moins accessible au second degré. Cette tranche d’âge a besoin de certitudes intellectuelles qu’on accolait il y a quelques dizaines d’années aux enfants du primaire, il est très difficile de lui faire comprendre que l’histoire est une représentation, qu’elle n’est jamais le compte rendu de la réalité, mais le compte rendu des manières dont on se représentait la réalité, ce qui est tout à fait différent.
? : À votre avis pourquoi ?
Maud GOUY : Parce que c’est un méta-discours.
? : Parce qu’on ne leur a pas donné l’habitude de raisonner comme ça ?
Laurent AVEZOU : Surtout parce qu’on ne leur a pas donné d’assises factuelles, qui à mon sens sont incontournables, à partir desquelles on peut commencer à réfléchir sur le passé.
? : Vous pensez qu’avant c’était plus facile, mieux fait ?
Laurent AVEZOU : Je pense objectivement qu’avant c’était mieux fait. C’était fait avec des méthodes pédagogiques qui nous paraissent aujourd’hui appartenir au Précambrien, à un stade de la pensée complètement archaïque, mais je fais partie de ceux qui considèrent que l’on n’a jamais fait mieux de ce point de vue que d’apprendre des dates par cœur, des dates à la noix dont on ne comprend pas immédiatement la signification et l’articulation, mais qui vous familiarisent avec la distance chronologique, nécessaire pour réfléchir sur le passé. Faire comprendre à des enfants que ce qui était valable en 1500 n’est plus valable en 1900 est impossible quand ils ne font pas la différence entre les événements de 1500 et les événements de 1900. Donc, à mon sens on peut dire beaucoup de mal de la pédagogie à l’ancienne, qui affirmait le primat du chronologique jusque dans les années 1960, mais d’un point de vue strictement technique cela avait du bon. Ce qu’il fallait ôter, et ce que l’on a ôté à juste titre, c’était l’emballage idéologique larvé. Mais en fait on a jeté le bébé avec l’eau du bain. La volonté de casser le chronologique, qui continue d’être ringardisé notamment dans la manière dont on le présente dans les médias, a été une très grave erreur pédagogique, à mes yeux. Il y a beaucoup moins que par le passé de perception de l’épaisseur historique, comme, avant la Renaissance, en peinture, on ne sait plus ce qu’est la perspective, ce que sont les premiers plans, les seconds plans. C’est exactement comme on l’a fait, et comme on le fait encore, légitimer d’un point de vue chrétien l’antijudaïsme ou l’antisémitisme parce que les Juifs ont assassiné le Christ. Résumé de cette manière, c’est incontestable les chrétiens ont leur légitimité à taper encore sur les Juifs autant qu’ils le veulent, il ne fallait pas tuer leur Dieu, et peu importe que ce Dieu fût Juif lui-même. Et c’est ce genre de revendications que j’ai fait passer dans mon bouquin qui m’ont fait passer pour un réac parce que je défendais le primat du chronologique d’un point d’un point de vue strictement méthodologique et pédagogique.
? : Est-ce qu’il y a des débats justement au sein de la communauté des historiens, vous n’êtes certainement pas le seul à faire ce constat, et alors quoi ?
Laurent AVEZOU : Les historiens eux-mêmes, universitaires, ont pris conscience que leurs devanciers avaient fait énormément de bêtises en la matière. En fait il y a eu dans l’histoire, comme discipline scientifique, un discours qui voulait casser la perspective nationaliste qui faisait rage aussi bien dans les manuels scolaires que dans l’enseignement supérieur, sortir des dimensions de l’hexagone et des dimensions du récit historique : il fallait casser la chronologie, ce qui était une bonne chose en soi, abattre les barrières géographiques en se plaçant dans la perspective de la longue durée et de l’histoire globale, slogans à la mode dans les années 1960. Donc, il fallait travailler sur l’histoire du capitalisme à l’échelle mondiale, sur l’expansion européenne à travers le monde et arrêter de se préoccuper de son petit coin d’hexagone pour s’oxygéner, en fait. Ceux qui revendiquaient ce genre de choses avaient été élevés à coup de chronologie et d’histoire nationaliste revancharde. Traumatisés par cela, ils ont adopté le profil inverse. Ils ont, comme souvent en fait en France, substitué un extrême à un autre. Là où c’est devenu dangereux, c’est qu’à partir de la fin des années 1970 ils ont réussi à faire passer ces principes dans la pédagogie scolaire, notamment par la réforme Haby en 1977, du nom du ministre de l’Éducation nationale de cette époque, qui a tout de même réussi à supprimer l’histoire en tant que discipline dans l’enseignement primaire. L’histoire est devenue une matière d’éveil parmi tant d’autres. Moi, j’ai été « éveillé » à l’histoire dans cette tranche chronologique, je m’en suis sorti à titre personnel, du moins je l’espère, mais il y a beaucoup d’autres qui, à mon avis, en ont perdu le goût.
Maud GOUY : La géographie aussi ?
Laurent AVEZOU : Oui.
Maud GOUY : Elles étaient toutes le deux des activités d’éveil ?
Laurent AVEZOU : Elles étaient toutes le deux des activités d’éveil.
Maud GOUY : Et maintenant cela a changé ?
Laurent AVEZOU : Maintenant cela a changé, la réforme Haby a été enterrée en 1984, si je me souviens bien. L’histoire est redevenue une discipline en soi dans l’enseignement primaire. Cette réforme montrait que l’on arrivait au bout d’une perspective de déconstruction de la chronologie, voulue par des universitaires qui, égoïstement, avaient prêté leurs aspirations à l’ensemble du public concerné. Ils pensaient, eux qui avaient une distance critique, qui avaient eu le temps de se dégoûter des discours traditionnels parce qu’on les leur avait servi à la louche, rendre un service aux générations montantes en leur évitant ce qu’ils considéraient comme un archaïsme pédagogique. Mais allez faire comprendre à des gamins de 10 ans ce qu’est la perspective mondiale, ce que sont les grandes forces montantes comme le capitalisme, le mouvement ouvrier, etc., sans qu’ils aient momentanément une assise qui passe par l’anecdote, par le pouvoir du récit, récit qui n’est pas nécessairement édifiant mais qui ait des couleurs, des personnages, des incarnations ! J’ai un fils de 4 ans, quand je commencerai à lui parler d’histoire, parce qu’il ne va pas y échapper, le pauvre, je ne vais pas le prendre sur mes genoux et lui dire : « Je vais te raconter le mouvement ouvrier, je vais te raconter la montée du fascisme en France dans les années 1930. - Papa, c’est quoi le fascisme ? - Attends, je te dessine une moustache et une petite mèche »… et à partir du moment où je dessinerai une moustache et une petite mèche il commencera à avoir une vision un petit peu plus appréhendable des choses.
? : Le programme scolaire actuel est quelque chose d’assez aseptisé puisque de Brennus à Pétain, on a été très gentil et on s’offusque. Quand ils parlent de la Seconde Guerre au niveau primaire, Pétain quand il est arrivé, c’est le gagnant de Verdun…
Laurent AVEZOU : Sous-entendu : il a gagné à Verdun et on comprend pourquoi on a fait appel à lui en 1940…
? : Et cela s’est mal passé pour lui, il a voulu beaucoup mieux…
Laurent AVEZOU : Les circonstances dans lesquelles il a servi, ce n’est pas sa faute, etc….
Sylvie CARDON : En même temps le discours politique, c’est assez lié à la mondialisation, le fait que la chronologie ait été abandonnée. Maintenant on essaye de repartir sur une base plus solide parce qu’on en a besoin, le gouvernement actuel recherche une identité nationale, une identité française, justifier le fait que l’on n’accepte plus les immigrés, etc. Cela fait que l’on va se servir de l’histoire, il y a la Maison de l’histoire en route, l’histoire sert la politique et les programmes sont en fonction du discours du moment.
Laurent AVEZOU : L’histoire sert toujours la politique, sauf que c’est beaucoup moins excusable maintenant parce qu’on ne peut pas dire qu’on ne sait pas, que l’on n’a pas acquis le recul critique, accumulé grâce à des tonnes de recherche historique après lesquelles les mythes nationaux ne peuvent plus fonctionner en tant que tels. Donc, l’histoire sert le politique mais une classe politique qui est inculte en fait. Je reviens encore là-dessus, on a à notre tête le président le moins intellectuel qui soit depuis la création de la République.
Sylvie CARDON : On a le président que l’on mérite.
Laurent AVEZOU : On finit par ne plus savoir qui mérite l’autre, c’est un peu le problème. On est dans un débat où c’est, tout bêtement, la légitimité de la perspective intellectuelle qui est menacée dans les circonstances actuelles. Quand on demande aux gens à quoi sert l’histoire, à quoi sert la littérature, et qu’on leur répond que cela ne sert certainement pas à faire de l’argent, le débat est clos et cela ne gêne pas beaucoup de personnes. Objectivement, l’Histoire cela ne sert à rien, de même que les fleurs cela ne sert à rien, la beauté des paysages non plus. Formellement parlant, pour vivre on a besoin de manger, de boire, de dormir et d’avoir un bon transit intestinal, fonctionnellement parlant, on n’a besoin que de ça. On n’a même pas besoin de se parler, à bien y réfléchir, grogner suffit.
? : Ma fille grogne et justement je comprends très bien ce qu’elle dit !
Sylvie CARDON : Maud, comment vous allez faire ? Est-ce que vous n’avez pas peur qu’avec l’expo il n’y ait pas de récupération ? Je sais que vous y avez travaillé mais qu’elles sont vos réponses ?
Maud GOUY : C’est une vraie difficulté. Il y a des personnes qui pensent que Sarkozy a appelé la Cité pour demander une exposition sur les Gaulois. Mais cela n’a jamais été cela.
Sylvie CARDON : Nous, quand on en parle en tant que salariés de la Cité et qu’on dit que la Cité prépare une exposition sur les Gaulois, on nous dit : Ah bon ! Ça vient d’où, cette commande ? Cela serait bien que nous-mêmes on ait des informations et une réflexion et des arguments pour répondre quand on nous pose des questions.
Maud GOUY : Comme on est en interne, je pense que là, tout le monde est au courant. Cette exposition se fait à la Cité parce que Nicole Pot était directrice générale de la Cité des sciences et qu’elle est passé directrice de l’Inrap, donc il y a eu un pont qui s’est fait assez facilement. Elle en a parlé à d’AUBERT qui était intéressé pour monter une exposition là-dessus. La Cité des sciences présente une exposition sur le monde gaulois et derrière ce monde gaulois on va montrer toutes les techniques et les technologies nouvelles qui permettent de relire le monde gaulois, à savoir la carpologie, la palynologie, les graines, l’étude des os, etc. C’est une exposition qui a toute légitimité ici. Nous, on fait peu cas, je dirais, du mythe gaulois. C’est une exposition qui malheureusement ne parle pas du tout d’histoire. C’est le parti pris qu’on a choisi, sauf dans la première partie où on entre dans une galerie de portraits, une cinquantaine de portraits chronologiques qui donnent la couleur de ces mythes gaulois.
Laurent AVEZOU : Ça, vous le faites au début de l’exposition ?
Maud GOUY : Oui.
Laurent AVEZOU : Ça me paraît bien en effet, c’est la meilleure manière d’évacuer ce qui n’a pas de légitimité. À mes yeux, c’est une très bonne façon de faire les choses. Les Gaulois n’ont pas d’histoire, je veux dire qu’ils ne se projetaient pas eux-mêmes dans le discours historique. On n’aurait aucun récit sur leur passé, si César n’avait pas été là, Astérix n’existerait pas, on n’aurait pas pu faire de discours narratif. Le discours narratif que l’on a sur la Gaule, c’est celui du conquérant. Et quand les Gaulois ont commencé à se faire écrivains, ils ont adopté les curiosités des Romains qui les avaient dominés. Je ne sais pas si vous connaissez de nom l’historien Tronque Pompée…
Maud GOUY : Non, celui-là pas !
Laurent AVEZOU : Vous ne pouvez pas l’avoir parce qu’on n’a pas son texte directement, on ne l’a qu’à travers un abréviateur romain qui s’appelle Justin, qui vivait au IIe siècle après Jésus-Christ. Tronque Pompée est le premier historien gallo-romain. Or, il a écrit une histoire d’Alexandre le Grand. Il se fiche éperdument du passé de la Gaule. Il s’intéresse directement à ce qui intéresse les Romains, qui eux regardent avec déférence le référent Grec d’avant eux. Les Gaulois ne connaissaient pas l’histoire, ne se projetaient pas dans l’histoire. Il paraît tout à fait normal de commencer en parlant de cet aspect des choses puis de passer à ce par quoi on les connaît : l’archéologie, les sciences auxiliaires de l’histoire, la palynologie, etc., expliquer que l’histoire des Gaulois, c’est ça.
Maud GOUY : Je pense qu’il est beaucoup plus difficile de faire une exposition qui mêle l’histoire et l’archéologie, parce que les confrontations sont difficiles. Nous, on va essayer dans la dernière partie de l’exposition de chasser le mythe, mais peut-être en garder certains aspects parce qu’on sait bien que l’on ne chasse pas les mythes. Justement on a des fenêtres qui s’ouvrent sur la galerie de portraits.
Laurent AVEZOU : Une idée, je pense que vous y avez pensé, il serait bon de visualiser la différence entre ce qui appartient au mythe et ce qui appartient aux apports archéologiques, par des couleurs différentes, par exemple, dans les panneaux de présentation. Je vous dis cela parce que dans le temps j’avais été co-commissaire d’une petite exposition sur Richelieu (c’est mon domaine de recherche au départ, j’ai travaillé sur le mythe de Richelieu). Quand on avait monté l’exposition, on l’avait conçue comme une sorte de pentagone où la pièce centrale était consacrée au Richelieu historique et les ouvertures radiales aux projections mythiques de Richelieu : Richelieu défenseur de la nation, Richelieu le maléfique dans « Les Trois mousquetaires », etc., avec des couleurs différentes pour manifester que le Richelieu historique n’est pas la même chose que les Richelieu fantasmés.
Maud GOUY : Nous, les parties sont extrêmement distantes. Dans la première partie, c’est la représentation, l’image, l’iconographie, etc. Laurent Olivier, archéologue spécialiste des Gaulois, parle des fantasmes sur les Gaulois, qui sont tapis dans notre imaginaire comme dans les contes. J’espère que nos publics vont ressentir toute cette émotion des Gaulois tapis en eux-mêmes, puis on laisse cette partie, la seule où l’on introduise un petit peu d’histoire et de littérature, puisque ce sont des textes autour des Gaulois et les peintres de l’époque.
Laurent AVEZOU : En effet, il n’y a pas de raison d’introduire l’histoire au-delà de la dose homéopathique.
Sylvie CARDON : Et dans la suite il y aurait quoi ?
Maud GOUY : Dans la deuxième partie de l’exposition, dès que l’on entre, on sait de qui l’on parle, de quelle période on parle, puisqu’on aborde la période de 250 à 52 avant Jésus-Christ, la Gaule dont on parle, c’est la Gaule de Jules César, la partie septentrionale qui va de la Belgique au Luxembourg, un petit peu de l’Allemagne, la Suisse, pas la partie qui est déjà romaine, etc. Et là, on entre dans une grande reconstitution de fouille, avec 7 ateliers : Que mangeaient les Gaulois ? Faire parler l’analyse du pollen. Quels étaient les animaux au temps des Gaulois ? Faire parler un os. Etc., chacun de ces ateliers va prendre une question sur le mythe gaulois et y répondre par le travail de l’archéologue. Il y a une troisième partie où l’on présente les objets gaulois, au regard de quatre tombes, qui racontent et interprètent la société gauloise et comment elle fonctionnait, et un sanctuaire gaulois qui montre que contrairement à ce qu’on a longtemps cru les rites gaulois étaient très structurés, ne se passaient pas en pleine campagne sous un arbre mais dans des lieux fermés, structurés, dans lesquels se jouent aussi bien le politique que le religieux. Puis, on a une quatrième partie qui reconstitue, réconcilie, qui fédère tout ce que l’on a appris, avec un grand film en tournage actuellement, une dizaine de minutes. On ne voulait pas d’un péplum, notre volonté étant de ne pas donner encore de fausses représentations de Gaulois. Toute l’équipe, parce que c’est vraiment un travail collectif, on a demandé - quand on fait travailler des réalisateurs de films, des infographistes, des graphistes, etc.- une vision des Gaulois qui soit à chaque fois différente. Et ça, c’est un vrai choix, j’espère qu’il va bien se voir, c’est-à-dire qu’il n’y a pas l’idée d’un Gaulois que l’on va retrouver qui aurait pu nous conduire pendant toute cette période. Il y a des Gaulois, dans des paysages qui sont souvent les mêmes, on se rapproche beaucoup des paysages gaulois, on peut vous dire maintenant quels arbres il y avait au temps des Gaulois, les animaux au temps des Gaulois, on essaye de faire des multimédias qui sont plus proches de la réalité gauloise mais avec des représentations du Gaulois extrêmement différentes. Et ce film montre un Gaulois qui à mon sens va être suffisamment décalé pour que l’on n’ait pas de représentation mais que l’on ait une idée de comment cela pouvait se passer au temps des Gaulois. Puis, on a une cinquième partie, que l’on n’a pas encore totalement travaillée, qui s’appelle, « Adieu les mythes ». La scénographie permet à travers de petites lucarnes de revoir ce que l’on a laissé, c’est-à-dire tous ces portraits, et de redonner soit des questions, il y en a beaucoup en suspens évidemment, soit des affirmations, soit tenter de donner des explications sur des phrases de Jules César ou d’autres, où se cachait ce Dahu dans la Gaule profonde, etc., des questions d’archéologues qui s’interrogent encore pourquoi les Gaulois n’ont pas fait pousser de la vigne. Donc, il y a encore des questions ouvertes sur ce monde gaulois et la Cité présente un état des lieux modeste du monde gaulois en 2011, qui peut-être dans 20 ans sera différent. Parallèlement, sur le plateau, il y a un terrain de fouille active, animé par des agents d’accueil, où toutes les 20 minutes faire des présentations, expliquer ce que c’est que l’archéologie et ce qu’est le monde gaulois.
Taos AÏT SI SLIMANE : Je sais que vous êtes nombreux à avoir des obligations professionnelles, avant de nous séparer, j’aimerais remercier notre invité, Laurent AVEZOU, ainsi que vous tous, qui êtes venus nombreux, et vous indiquer notre prochain rendez-vous, cela sera avec David LOUYOT, auteur de « Tout ce que vous avez voulu savoir sur les Gaulois sans jamais le demander à Astérix ». Nous aurons bien sûr d’autres rendez-vous, avec des historiens, des archéologues et des auteurs.
L’auditoire à l’unisson : Merci beaucoup, Laurent AVEZOU, nous sommes ravis et heureux de cette rencontre extrêmement intéressante et enrichissante.
Laurent AVEZOU : Merci à vous pour cette invitation et la qualité de votre écoute. C’est en effet toujours intéressant et enrichissant de croiser des perspectives disciplinaires. Je vous souhaite une belle réussite pour ce très beau projet.