Introduction et modération par Olivier Middleton : Michel Botbol est directeur médical de la clinique Dupré à Sceaux. Clinique qui accueille des adolescents et des jeunes adultes en hospitalisation tout en leur permettant de poursuivre leurs études. Je lui ai demandé de faire une intervention sur ce que sont les conduites, les comportements à risque à l’adolescence et leur place dans le développement du jeune. On a beaucoup parlé de violence, on a parlé de dopage, c’est vrai ce sont des comportements à risque qui là deviennent négatifs mais on sait, et cela ne concerne pas que l’adolescence, que la prise de risque a une part importante dans le développement des individus.
Là, il s’agit de comportement à risque chez les adolescents. Il ne s’agit pas spécifiquement de jeunes sportifs, quel que soit leur niveau de pratique. En début de soirée, Dominique Vuillaume succèdera à Michel Botbol sur les facteurs de vulnérabilité, les facteurs de protection chez les adolescents dans la population générale.
Je vais laisser la parole à Michel Botbol, sachant qu’ayant un patient à voir, il ne sera disponible que pour deux ou trois questions, mais il devra nous quitter tout de suite après. A toi Michel.
Michel Botbol : Merci beaucoup Olivier, merci à vous.
Effectivement, comme l’a dit Olivier Middleton, la question que pose l’adolescence, de façon très fréquente, c’est précisément celle du risque avec cette double valence du risque. C’est que prendre un risque c’est se mettre en danger mais être adolescent sans prendre aucun risque c’est rester à la maison et pas tellement faire son « boulot d’adolescent ». En somme, d’emblée, comme tu l’as très bien posée, il y a une double valence de cette question. Ce dont il va s’agir de parler, c’est bien évidemment du point de vue qui est celui d’un professionnel de la santé mentale, de cette question des conduites à risque dans le développement plutôt par rapport à la question de ce en quoi ça participe à ce développement, mais ça peut aussi le perturber.
Pour commencer, l’adolescence est une période de vulnérabilité parce que c’est une période de transformation. C’est une période où l’on quitte un état pour aller à un autre. C’est ce que Françoise Dolto appelait : « le complexe du homard ». Les homards, quand ils grandissent, à un moment donné, quittent leur carapace. Pendant un petit moment, le temps que l’autre carapace se fasse, ils sont un peu à poil. Ils sont un peu écorchés vifs, et elle (Françoise Dolto) a attribué ce terme de « complexe de homard » précisément à l’adolescence qui est une période où l’on change comme ça ses repères. L’épidémiologie confirme ça puisque, comme vous le savez peut-être, sûrement, les accidents sont la première cause de mortalité : 70% ; les suicides : 15% des décès, les maladies ne comptant que pour 12% et puis les tentatives de suicide. Il y a beaucoup de tentatives de suicide à cet âge, 40 000 par an chez les 15-20 ans, 40 000, un tiers des tentatives de suicide en population générale tous âges confondus, c’est beaucoup tout de même. C’est d’autant plus beaucoup que ce n’est pas vraiment, vue de dehors, vue de notre part qui l’avons perdue, l’adolescence, au moins dans ses éléments les plus évidents, on a du mal, souvent, à percevoir que cette époque était si terrible, si difficile quand on a réussi à passer les choses et du coup on a un peu de mal à vivre ça, comme ça.
Alors, pourquoi est-ce une période de vulnérabilité ? Parce qu’il y a une chose qui en tout lieu ou en tout temps, - une chose qui n’est pas rien- est que le fait de devenir adolescent, c’est devenir sexué, c’est-à-dire une sexualisation, disons, adulte. Bien entendu, les petits garçons et les petites filles c’est différent, mais quand on est adolescent les liens se sexualisent. Ça devient une affaire permanente dans les relations. Dans les relations avec tout le monde, mais dans les relations y compris les plus familières, les plus proches, les plus habituelles, c’est-à-dire, consciemment ou pas, les relations intra familiales. Comme le montre le fait que tout d’un coup on ait besoin d’une nouvelle distance avec les objets infantiles et des choses qui étaient tout à fait possibles jusque-là deviennent difficiles : prendre les gens sur ses genoux, ce n’est pas uniquement une question de poids si l’on ne peut pas prendre son fils de 18 ans sur ses genoux, ou sa jeune fille qui a grandi, c’est, aussi, parce que cela ne se fait pas, on ne le sent pas, ça ne vient pas… C’est extrêmement difficile. Les liens se sont sexualisés, tout autant du côté de l’adolescent que du côté de sa famille et ça crée une gêne qui n’existait pas jusque-là, et au fond une nécessité d’établir des nouvelles distances avec les objets infantiles, c’est-à-dire avec ceux avec lesquels ce problème vraiment ne se posait pas jusque là en général, précisément, sauf dans les cas exceptionnels graves, traumatiques etc., mais en général cela ne se posait pas. Eh bien là, ça se passe comme si, tout d’un coup, on devenait quelqu’un qui avait été abusé, par rapport à l’omniprésence de cette question, indépendamment du fait que cela se soit bien passé ou pas avant. Et, effectivement, il y a donc une injonction à trouver une nouvelle distance, c’est-à-dire à se séparer. Et ce n’est pas rien que d’avoir à se séparer. Parce que quand on se sépare, quand on est obligé de prendre une distance, d’autant qu’il y a une injonction sociale à le faire. J’ai oublié de dire, évidemment, qu’il y a toute la société qui dit : « Sois autonome », quand vous êtes adolescent. Eh bien ça pose un problème. C’est que si on est séparé, on est seul, face à ses capacités, ses doutes quant à ses capacités. Et si on est seul face à ses doutes quant à ses capacités, on est amené à être angoissé et quand on est angoissé, on essaye de se rassurer. Et qu’est-ce que c’est se rassurer quand on est à peine sorti de l’enfance, ou quand on y est encore en partie ? C’est retourner dans le giron familial, y compris le giron maternel, ce qui ne marche que quand le giron n’est pas trop sexualisé. Parce que si le giron en question est trop sexualisé on ne peut pas se rapprocher. Se rapprocher, en quelque sorte, pose précisément les problèmes pour lesquels on était obligé de se séparer et de constater qu’on avait des doutes quant à ses capacités à être autonome et seul. Autrement dit, on est devant une situation qui est complètement paradoxale, qu’a très bien décrite un professeur de psychiatrie, Philippe Jammet, où ce dont j’ai le plus besoin, ou ce dont l’adolescent a le plus besoin pour se rassurer devant les difficultés que pose pour lui la séparation, c’est précisément ce qui le menace le plus dans cette capacité qu’il a à supporter son autonomie. Autrement dit, ce dont j’ai le plus besoin est ce qui me menace le plus et, face à ça, ce qui me menace le plus dans mon autonomie qui est une tâche qu’impose la sexualisation des liens. Cette affaire-là arrive chez tous les adolescents. Plus un adolescent aura la possibilité de l’inclure dans des pensées plus élaborées, de faire comme s’il ne la voyait pas, de se poser la question trop crûment, plus, finalement, il sera dans des relations qui, quand même, arriveront à tenir. Plus il aura accumulé des réserves narcissiques, c’est-à-dire plus il aura l’expérience antérieure qu’il s’en tire toujours, plus il aura une certaine sécurité antérieure qu’il aura acquise dans ses relations passées, moins cette question se posera de manière aiguë. Et, inversement, moins il aura eu ça, plus cette question se pose de façon insupportable, en testant, au fond, les besoins de dépenses que sont les siennes. Au fond cette séparation lui révèle à quel point il a besoin des autres au moment où il aimerait tellement affirmer qu’il n’a pas besoin des autres. Ça lui révèle ça, et au point, le plus souvent, qu’il va inverser cette dépendance qu’il ressent en l’attribution aux autres, dont il dépend, de l’intention de l’asservir. Au lieu de dire : j’ai besoin de mon papa, j’ai besoin de ma maman, il va dire : ils me prennent la tête. Mais c’est très exactement la même chose. Sauf qu’au lieu de s’avouer à lui-même qu’il est dépendant, en réalité il transforme ça en une espèce de parano : c’est les autres qui veulent l’asservir. Toujours plus facile ! De toute manière, je vous conseille la solution paranoïaque. Quand vraiment cela va très mal, ça dé déprime. C’est très, très bon comme solution et de temps en temps il faut passer par là, même dans les événements de la vie quotidienne. Ça aide. Il ne faut pas en abuser, c’est comme tout, mais ça peut aider.
Donc, voilà, paradoxe, impression de dépendre et qu’est-ce que c’est ? Eh bien, tout un tas de comportements normaux et pas normaux, positifs et pas positifs, qui sont des comportements qui vont permettre d’affirmer aux autres et à soi-même qu’on n’est pas si dépendant que ça. Le premier truc, c’est le truc banal, que vous avez tous fait, ou avez vu faire, ou avez vécu, ou vivrez si vous n’avez pas encore des adolescents. C’est quand ils affirment qu’ils n’ont besoin de rien, que vous ne leur servez à rien, que de toutes les manières ils sont très bien tout seuls et que vraiment vous n’êtes là que pour les embêter, ils n’ont besoin que de très peu de choses, et qu’ils sont absolument indépendants de vous. En même temps, c’est très simple mais ça a quelques effets. Ça peut conduire à quelques situations, positions, de retraits. Exemple, ces adolescents qui dorment très tard, ce qui est une forme d’affirmation du non-intérêt pour la relation avec l’autre, en tout cas intra familiale, l’autre jour on en parle avec un psy de la maison des adolescents qui disait que : c’est quoi qui marque le début de l’adolescence ? Quand sait-on qu’un enfant est devenu un adolescent, parce que ce n’est pas toujours évident ? C’est quand au lieu de se réveiller à 7 h du matin et vous emmerder le dimanche vous n’arrivez pas à le réveiller avant midi. Essayez de réfléchir et vous verrez que cela se passe en quelques semaines. C’est cela le début de l’adolescence. Au fond, moins on les voit, ses parents, mieux on se porte, est une idée affirmée, aux yeux de celui qui l’affirme aux autres qui sont autour.
A un niveau supplémentaire, se sont les banales, disons, conduites d’opposition. Cette nécessité, que va avoir l’adolescent d’affirmer : certes il y a des règles, certes il peut échanger avec vous concernant ces règles, mais il ne faut quand même pas exagérer. Il ne va pas tout respecter. Il comprend que vous puissiez lui dire qu’il faut qu’il rentre avant minuit, mais il ne va pas rentrer avant minuit. Il va rentrer à une heure. Il ne va pas rentrer à six heures, il va rentrer à une heure. Il va en quelque sorte se poser en s’opposant. Compromis formidable où à la fois il prend en compte le soutien que vous représentez pour lui et en même temps il va vous affirmer que par rapport à ça il prend une certaine indépendance où il est tout entier sujet. Compromis. Solution finalement relativement élaborée, sophistiquée et très efficace. Mais qui est une solution quand même de relatif risque. Parce que c’est vrai qu’il reste une heure dehors quand même.
La troisième forme qui est déjà un degré plus, c’est le passage à l’acte. L’action. L’agir sous une forme plus agressive soit sous la forme d’une agression plus au moins manifeste à l’égard des autres qui comptent et à la mesure de ce en quoi ils comptent, soit à un niveau encore supérieur, une auto agression qui est une espèce de façon de prendre. C’est comme s’il disait : je te prends ton enfant en otage. Ça marche très bien avec les parents. Je te prends ton enfant en otage, je prends un risque puisque j’ai les moyens, moi en tant qu’adolescent, de me mettre en risque, je suis en risque pour t’embêter toi, pour t’agresser, pour te mettre à l’épreuve, pour te démontrer que je suis indépendant, que ton souci ne m’importe que moyennement,… au moment même où, précisément et paradoxalement, c’est ce souci là que l’on manifeste. Au fond se mettre en danger de façon répétitive, s’auto agresser de façon répétitive, c’est une façon, de dire : « Tu ne me sers à rien » et de dire par contre : « Je veux ton inquiétude, je t’inquiète, je compte pour toi et je vais te le prouver » mais en affirmant cette indépendance par rapport à ça, à un moment, où toutes ces conduites à risque, sous la forme du passage à l’acte, ce sont des affirmations d’une omnipotence et d’un défi à l’égard des lois de l’existence, des lois de la vie. On voit ça par exemple, dans ces comportements à risque très fréquents, c’est de brûler le feu rouge. Brûler le feu rouge, il y a très peu d’adolescents qui ne le font pas en mobylette, heureusement cela n’a pas toujours des conséquences dramatiques, mais c’est vrai que c’est quelque chose où va être mis à l’épreuve, assez fréquemment, des règles plus ou moins sévères, plus ou moins graves comme celles-là, c’est-à-dire des interdits. On reconnaît, de façon absolue, qu’il est interdit ce qui n’empêche pas de le transgresser. Au demeurant, juste en passant, cela montre à quoi servent les interdits. Qu’est-ce qui se passe si on disait : Maintenant les feux rouges, c’est comme les feux orange, on peut passer ? Il faudrait trouver un feu, violet par exemple, qui serait interdit, sinon c’est compliqué. Je dis cela par rapport à la question, qui est très discutée, de la légalisation des drogues (quelles qu’elles soient : douces, dures…). On n’est pas dans un système où il suffirait de rendre légale quelque chose pour qu’il n’y ait plus de transgressions puisqu’on voit bien l’utilité qu’il y a à avoir des interdits, pas seulement pour les respecter mais aussi pour les transgresser et tant qu’à les transgresser, il vaut mieux que cela ne soit pas des trucs mortels à tous les coups. Il vaut mieux que cela soit des trucs qui ont un grand nombre de chances de ne pas vous tuer tout de suite. Sinon il ne reste plus que ceux qui peuvent vous tuer tout de suite, ce qui est un grand problème.
Troisième élément, qui se passe au travers du passage à l’acte, ce qu’on appelle les conduites ordaliques, le fantasme ordalique. L’ordalie, c’était le jugement de dieu. Quand on ne savait pas qui avait raison, au Moyen Âge, on faisait se battre les chevaliers, celui qui était tué par l’autre, c’est qu’il avait tort. Celui qui était mort avait tort. On avait d’autres trucs, plus cruels : prendre un chevalier avec son armure et le jeter dans l’eau. S’il flottait c’est qu’il n’était pas coupable. C’était une logique de bourreau. C’est ça la conduites ordalique, ça existe. En tout cas dans quelque chose qui affirme, d’une certaine manière, d’une façon simple au fond : Je défie les choses comme si je mettais le tapis au poker. Si je gagne c’est que j’avais raison. Je suis là, réaffirmé, dans l’assertion de mon autonomie, de ma liberté, et du fait que je suis plus fort, même que les lois de la vie. En tout cas, ce jour-là, on m’a fait grâce et j’en ressors avec une espèce de soulagement très grand.
Alors, un autre élément qui est une vraie conduite à risque, si l’on veut, c’est les échecs. Les échecs, tous les échecs ne serait-ce que scolaires. Cela met en cause la question de l’avenir. Et ça a un intérêt formidable : échouer, c’est beaucoup plus facile que réussir. Vous maîtrisez beaucoup plus facilement l’échec que la réussite. L’échec ça a un avantage formidable, ça permet qu’à la fois ça mette à distance l’autre, les parents, parce que d’une certaine manière vous ne leur faites pas plaisir, tout en mobilisant leurs soucis. Donc c’est du cent pour cent. Mais, c’est une conduite à risque. L’échec scolaire est une conduite à risque.
Et puis, dernier élément, à un degré au-dessus, mais on va vous en parler tout à l’heure, les conduites de dépendances. D’une certaine manière, au lieu de dépendre des autres, au lieu de constater devant le constat de l’autre, du besoin que l’on a des autres, on va transformer ce constat du besoin que l’on a des autres en un besoin que l’on a d’une chose, une chose maîtrisable, parce qu’il n’y a rien de plus immaîtrisable que l’autre. L’autre, il peut vous quitter, il peut en aimer un autre, il peut ne pas s’intéresser à vous, alors que le produit que vous allez prendre, dans les conduites de dépendance, ou la conduite que vous allez choisir dans la conduite de dépendance, c’est quelque chose qui ne dépend que de vous. Et si cela ne dépend que de vous c’est maîtrisable. Donc, on déplace la dépendance. Je suis indépendant des gens et j’affirme cette indépendance au travers d’une conduite dont je suis dépendant. C’est l’affirmation d’une complète indépendance dans une conduite de dépendance. Et là, effectivement, cela peut se passer à tous les niveaux. Au niveau le plus évident qui est l’utilisation de produits. Vous voyez des types qui dès le matin vont fumer un joint avant d’aller à l’école pour être sûr de ne pas être embêté avec l’autre à l’école. C’est un moyen pour eux d’être préparés à ne pas être en circuit fermé d’emblée. Vous avez ces types qui passent des journées à fumer et qui ne s’ennuient même pas, ça tourne en rond. Vous avez tous les produits. Vous avez l’anorexie mentale, c’est formidable. Quand vous êtes un anorexique mental, vous avez toujours faim, au point que c’est votre être au monde. Vous êtes la faim. Ce qui fait que vous ne vous ennuyez pas. Vous n’avez qu’une chose à faire, c’est de vous contrôler. Ça vous prend vingt-quatre heures sur vingt quatre. Mais vous avez un autre truc que vous connaissez très bien. Vous avez ces types qui bossent jour et nuit, ou qui font de l’ordinateur jour et nuit, ou qui font des maths jour et nuit, qui peuvent d’ailleurs réussir jusqu’à devenir des gens très importants dans l’université ou ailleurs. Vous avez aussi un certain nombre de conduites, vous m’avez donné un article tout à l’heure qui est formidable parce que ça dit ça, qui sont des conduites corporelles : le sport, par exemple, que vous connaissez, qui peut être un moyen d’occuper la vie entière autour de préoccupations strictement autocentrées. Ça n’est pas toujours le cas, de même que l’on peut être polytechnicien sans être toxicomane, mais c’est un truc qui tourne, qui peut, chez certains, tourner. Ça tourne en rond, il n’y a plus que ça. Ce qui plus est le mouvement sécrète des endorphines. C’est-à-dire qu’en plus de tout, tu n’as même pas besoin de l’acheter. Ça secrète à l’intérieur, beaucoup de mouvements, ça secrète beaucoup d’endorphines. Et quand vous arrêtez cela vous fait un drôle d’effet et ça peut avoir des effets « dépressogène ». Cet article est remarquable. Je ne l’avais pas vu, je vous remercie beaucoup pour me l’avoir donné. Donc, il y a là quelque chose de tout à fait intéressant par rapport à ça, autrement dit, ce n’est pas seulement le résultat qui compte, à un certain âge, pour définir que ce n’est pas une conduite à risque. C’est beaucoup plus le rapport que l’on entretient à ces choses-là, à quoi ça sert ? Il y a, évidemment, un énorme écart entre les conduites à risque qui sont reconnues par tous comme des conduites à risque et des conduites à risque qui ont des avantages autres. Qu’est-ce qui fait le point commun ? Eh bien, c’est le fait que ça vienne traiter les choses de telle façon que l’auto stimulation, la façon dont on fonctionne en circuit fermé, vient remplacer la relation à l’autre en privant l’adolescent de toute nourriture affective qui lui permettrait pour se séparer, de ne pas se séparer. Autrement dit, c’est paradoxal, on ne peut se séparer que quand on emporte un peu de l’autre dans la tête. Si on a l’autre dans la tête, on peut y aller, il peut aller où il veut, à la limite on n’en a plus rien à foutre de sa réalité, des fois quand même un peu, mais c’est plus facile de se séparer si vous l’avez dans la tête. C’est un peu comme « E.T. » quand il s’en va, il lui dit : « Tu me gardes là ». Et puis on ne peut être autonome, autrement dit, que si on est un tout petit peu dépendant. Paradoxalement, si vous refusez toute dépendance à l’autre, il n’y a plus d’autonomie, il y a un circuit fermé où vous vous privez de toute nourriture affective obligeant en quelque sorte à continuer de s’auto stimuler d’avantage. Il y a une dose de plus puisqu’on n’a pas d’ouverture, il faut encore en rajouter, en rajouter, en rajouter… ça tourne en rond.
Comment va-t-on repérer ça ? J’imagine que ça, ça vous intéresse. Comment repérer la différence entre un type qui a une conduite à risque, au sens banal du terme, de façon inquiétante, ou celui qui a une conduite à risque, au sens banal du terme, de façon non inquiétante ? Comment distinguer le travail intellectuel ou le sportif de haut niveau qui utilise ça pour se faire du mal ou qui l’utilise pour se faire du bien ? Je crois que c’est question de contexte. Il faut aller au-delà. Il y a certes des conduites qui sont absolument dangereuses, mais celles qui nous posent questions à nous et qui vous posent peut être questions à vous, c’est plus celles qui sont en marges. C’est-à-dire, celles où il faut aller au-delà du simple constat de la description, en s’interrogeant sur quelle fonction ça joue. S’il y a de retrait, s’il n’y a plus aucun plaisir, s’il n’y a plus rien d’autre que ça, il faut se méfier. Il faut se méfier parce que ça devient quelque chose de contre productif dans le développement. Ça veut dire, quand on a au fond quelqu’un qui est tout entier dans le ressenti auto stimulé et dans l’acte et qui ne pense qu’à ça de façon obsessionnelle, obsessive, permanente, au point qu’il n’y a plus de relation avec d’autres, qu’il n’échange pas, qu’il est pris constamment dans un rapport à lui-même spéculaire comme devant un miroir. Dernier élément, comment on voit que quelqu’un est inquiétant ? Eh bien, quand on est inquiet. Je peux vous dire qu’il n’y a rien de mieux. Quelqu’un est inquiétant quand il vous inquiète. Le seul problème c’est d’accepter de le voir. Et, effectivement, là, on peut avoir besoin de parler avec d’autres. C’est quand on a une certaine difficulté à accepter sa propre inquiétude, en parlant, tout d’un coup il se révèle qu’on est effectivement inquiet. Ça peut être utile dans les cas douteux comme ça d’en parler. D’en parler avec quelqu’un comme ça, il n’y a pas besoin d’un spécialiste, mais rien que d’en parler avec des collègues, avec un médecin évidemment, mais pas qu’avec un médecin, et puis vous allez repérer en vous-même une inquiétude qui est différente de celle que vous avez pour d’autres.
Juste en passant, un autre élément que j’oubliais, qui est un élément récent, vous savez l’anorexie mentale dont je vous ai parlée, tout à l’heure, il y a un type qui dit : l’anorexie mentale il y a 9 filles pour un garçon, mais l’équivalent chez le garçon c’est Schwarzenegger. C’est-à-dire, une forme de modelage du corps permanent qui a exactement la même valeur. Du coup, il sort une enquête épidémiologique qui dit qu’il y a autant d’anorexie de trouble chez les hommes que chez les femmes sauf que ça n’a pas la même forme. Je vous dis cela juste pour aller dans le sens de cet exemple un peu paradoxal.
Alors que faire ? Il me semble, par rapport à ça, qu’il faut essayer de se trouver toutes les occasions, surtout chez ceux qui sont en doute, en risque etc., de permettre qu’ils aient une relation avec les autres sans que cela soit insupportable pour eux. Ceci peut se faire, bien sûr au travers de tout modèle d’activité de plaisir partagé entre l’adolescent en question et les autres y compris les adultes, à condition que tout le monde y ait un plaisir partagé, autour d’une médiation qui peut être corporelle ou pas corporelle, d’une médiation en tout cas, qui est de l’autre sans que l’autre ne soit trop présent. Ce n’est pas dans un rapport face-à-face, les yeux dans les yeux, c’est : on regarde ensemble dans la même direction quelque chose qui nous fait plaisir à tous les deux. Toutes les techniques qui viennent servir ça, même si elles ne sont pas directement profitables à l’entraînement mathématique ou sportif, c’est quelque chose qui est utile pour permettre cet échange de plaisir qui relance un peu la mécanique de nourriture affective qui rend moins nécessaire le retrait dans le comportement d’auto stimulation.
Voilà. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. J’ai voulu essayer de faire les choses brièvement et schématiquement.
Question 1 : Merci. Effectivement, ce n’est pas facile de parler de l’adolescence comme ça en si peu de temps, tu l’as, très bien, fait. Peut-être une question autour des comportements de violence. On voit bien là que c’est la relation à l’autre qui est conflictuelle et difficile, c’est quand même une question qui est une problématique que rencontre beaucoup d’encadrants du sport. Comment un éducateur sportif ou un dirigeant sportif peut gérer, ou peut apercevoir derrière cette violence une problématique, qui peut être une problématique intra familiale ou autre, et qu’est-ce qu’il peut faire ?
Réponse 1 : D’accord. Il faut voir. Si la violence est impliquée dans les effets de groupe liés à la pratique par exemple, j’imagine que c’est ça votre question, si cette violence est intérieure au groupe je pense que ça pose les choses d’une autre façon. C’est une violence à l’égard des personnages significatifs de l’équipe, je veux dire des dirigeants de, je ne sais pas, je ne connais pas très bien vos organisations, ça a un sens un peu différent de cette violence partagé par le groupe à l’égard d’un autre groupe. Il me semble que dans un cas on est dans une situation ou effectivement ça pose toujours la question de cette difficulté à se rendre indépendant à la mesure même de la dépendance ressentie. D’ailleurs ceux qui ont l’air les plus affranchis du lien avec leur personnage significatif sont probablement ceux pour qui ça pose le plus de problème de s’en séparer. C’est à la mesure de cette importance, d’ailleurs vous allez voir que dans certains cas c’est quelque chose qui se produit après qu’ils aient, de façon réplétive, réussi à attirer votre intérêt sur des parties qu’ils avaient jusque-là cachées de leur vie. Vous devenez un confident. Vous vous rapprochez de ce jeune là et vous allez voir qu’à ce moment là, à un moment donné, il va pour voir, plus fréquemment, une certaine agressivité qui va apparaître entre lui et vous à la mesure même de la dépendance qu’il se met à ressentir à votre égard, comme si vous vous étiez « parentifié ». Comme si au fond, il n’y avait plus de tiers. Comme si vous étiez comme ses parents. Par exemple, quand je parlais tout à l’heure « de regarder dans la même direction », l’idée c’est que le tiers, l’autre, s’use quand on s’en sert. C’est comme la pile Wonder. Il s’use quand on s’en sert, c’est-à-dire, quand vous êtes avec un jeune qui a cette problématique, quand vous vous fréquentez peu à peu vous allez devenir de plus en plus significatif et vous allez vous retrouver dans la même situation que la mère qui voit son fils à la maison, qui ne fait rien, qui le titille, le houspille pour qu’il fasse, il ne fait rien. Il est affalé sur le canapé. Le papa rentre en lui proposant un truc, alors là il va, alors qu’avec sa mère il ne fait rien et puis au bout d’un moment, il a fait l’ordinateur (ou autre chose) avec lui, avec lui aussi ça ne va plus marcher au bout d’un moment par contre s’il va chez les voisins, alors chez les voisins : c’est un garçon magnifique, tellement différent de ceux des voisins, on vous demande comment vous faites pour l’élever comme ça, sauf qu’à la maison il est exactement comme ceux des voisins. Si vous voulez, c’est comme si au fond il fallait donner à manger du tiers nouveau et au fond proposer à chaque fois une chose nouvelle. Alors, dans la violence intra, en quelque sorte, intra équipe, intra groupe, je crois que ça pose le problème plus du rapproché, sauf peut-être des situations particulières où on a été irrespectueux etc., mais ça pose le problème du rapproché de l’excitation de la relation de dépendance et de la perte de la position tierce. Par contre, par rapport à l’autre, par rapport aux autres, je pense que ce qu’il faut interroger c’est ce sur quoi en tant que groupe vous proposez la violence comme modèle identificatoire de groupe. Il faut quand même s’interroger sur ça parce que c’est vrai que l’écart est étroit entre gagner l’autre et être violent avec l’autre. On ne peut pas gagner, grandir, réussir, sans un minimum d’agressivité, tout le problème est que cette agressivité reste dans les normes. Eh bien, quand on est adolescent la question même des normes pose problème et ce qui va devenir pertinent c’est ce qu’on va partager comme norme de groupe identifiante. Voilà. Ça ne se pose pas de la même façon et je ne dirais pas que c’est la question de la violence qui est en soit la question qui doit nous inquiéter, ça peut nous gêner, nous mettre dans la position de ne pas pouvoir continuer mais ce n’est pas ça qui manifeste en soi une pathologie du côté de l’adolescent. Ce qui manifeste une pathologie de l’adolescent c’est le fait que cela devienne un mode relationnel exclusif ou préférentiel ou qui se produit toujours dès qu’il y a quelque chose de bien qui se passe, dès qu’il y a un rapproché ou qui se produit dans des conditions intempestives, insupportables, etc.
Question 2 : Juste une question qui concerne un phénomène Tanguy. Vous parliez aussi des jeunes qui se lèvent à 7 h et puis qui tout d’un coup seul vont se lever à midi et qui significativement ont adopté tout d’un coup leur adolescence. La question que je pose est par rapport au phénomène dit Tanguy, ce film qui a été fait sur les jeunes qui vivent de plus en plus longtemps chez leurs parents par rapport à il y a 20, 25 ou 30 ans, où le propre de l’adolescence c’était de quitter le foyer familial pour s’émanciper très vide. Quel est votre regard de psychiatre sur la chose ?
Réponse 2 : D’accord, moi, je ne suis pas sûr, d’après d’ailleurs les chiffres que l’on a, que cela soit tellement récent, simplement, avant, ils râlaient contre le fait qu’ils ne pouvaient pas partir. La différence c’est qu’aujourd’hui, alors qu’ils peuvent partir, ils ne partent pas. Ce qui montre bien qu’il y avait quelque chose de différent quand on les empêchait de partir et quand on leur permet de partir. Au fond, ce que ça a de commun à ces deux situations, bien qu’elles aient l’air inverses, c’est le fait qu’il ne se passe pas exactement ce que l’on voudrait en tant que parents. En tout cas dans le film Tanguy, il les emmerde à peu près autant que les adolescents de mon époque embêtaient leurs parents pour partir. Le degré d’embêtement est à peu près équivalent. Il se fait en direction inverse. Moi, je crois que véritablement il y a un problème qui est l’appétence des adolescents pour les interdits non pas pour les respecter mais pour les dépasser, les transgresser etc. autour de la question de la séparation. Ce qui importe c’est d’affirmer sa différence. Que dans le film le cas de Tanguy, n’importe qui à sa place verrait qu’il n’est pas désiré là, c’est assez évident, tout le monde le voit. Il reste. Il s’incruste. Il fait de la résistance passive alors qu’il y aurait une forme de résistance active qui serait d’aller ailleurs. Mais il le fait avec cette double chose c’est que d’une part il a une famille avec qui il est proche et d’autres part elle ne lui interdit rien. Il fait tout ce qu’il veut. Il touille. Pourquoi il va partir ? Marcel Ruffo dit : l’adolescence ça se finit quand on emmène plus son linge à laver à sa mère. Son linge sale, pas le propre !
Question 3 : S’il vous plait. Tout à l’heure vous avez parlé de conduites à risque comme l’anorexie mentale principalement pour les femmes et pour les adolescents hommes, mâles si je puis dire, plutôt le paraître : la musculation… Est-ce qu’on n’est pas dans une société où le paraître prend de plus en plus d’importance ? Et, est-ce que ce n’est pas plutôt la société qui engendre cette violence vis-à-vis de cette jeunesse ? Maintenant on est tous dans des normes et est-ce que cette obligation à la norme ne génère-t-elle pas une violence intra et… ?
Réponse 3 : Vous avez raison. D’une certaine manière on est dans une situation où à la fois, vous devez vous débrouiller avec le nouveau statut que vous donne votre statut d’adulte, d’être sexué et d’autre part, vous devez le faire en fonction de canaux qui sont de plus en plus individuels et exigeants. C’est évident que dans une société qui modélise l’apparence et la réussite immédiate, le coup de pot, par rapport à l’effort et la loi du père et tous les efforts que faisait le papa et ceci et cela pour y arriver, c’est différent. Mais, moi, je crois sincèrement que ça ne crée rien ça. Ça ne crée rien. Ça transforme les symptômes, je n’ai aucune preuve de ce que j’avance. A la clinique Dupré par exemple, où je travaille, depuis des dizaines d’années on n’arrive à prendre qu’1/4 de candidats qui demandent à rentrer parce que c’est une structure très connue et désirée d’une certaine, eh bien ça toujours été le même rapport. Il y a toujours eu 4 fois pas assez de place, pour le nombre de bonnes indications, sauf qu’avant il y avait 2% d’anorexiques et aujourd’hui il y en a 25%. C’est comme si, d’une certaine manière, si vous voulez, les mêmes causes provoquaient des effets différents, que les modes d’expression étaient différents et quand vous allez par exemple, j’étais récemment dans un congrès au Mexique, eux ils découvrent ça. Jusqu’à il y a dix ans ils avaient très peu d’anorexiques et maintenant ça commence à devenir à la mode, on a envie de dire, en même temps que la globalisation commence à agir. C’est un modèle. Il y a un sociologue qui disait, qui a inventé - Linton il s’appelle- le modèle d’inconduites. Le concept d’un modèle d’inconduites. C’est quoi le modèle d’inconduites ? La société dit : « Ne fais pas ça mais si tu le fais voilà comment ». Une société non seulement elle dit ce qui est interdit mais elle dit ce qu’il faut faire quand on veut transgresser l’interdit. La société n’a pas de dehors. Même les délinquants qu’ils le veuillent ou non ils sont dedans. Et d’ailleurs c’est des problèmes. Les réponses que l’on donne à des délinquances sont des réponses qui d’une certaine manière sont socialement déterminées et déterminent des sous-groupes, des formes d’inclusions. C’est-à-dire, même l’exclusion est une forme d’inclusion. C’est le paradoxe absolu qui est d’ailleurs un paradoxe très adolescent. Même quand je refuse, vous n’avez qu’à regarder la télé. Les types ils disent pareil, avec un conformisme extraordinaire qui est un conformisme de la révolte, un conformisme de la marge. Vous pouvez prévoir ce qu’il va dire la phrase d’après concernant tout un tas de trucs : les choix sexuels,… vous en êtes sûrs, vous savez, vous savez ce qu’il va dire, avec un conformisme terrible et tout ça au nom de l’autonomie et de la liberté, et de l’originalité si tu veux.
Question 3’ : Parce que c’est vendeur.
Réponse 3’ : Eh bien voilà. Oui, mais quand c’est repris par les jeunes, comment ils sont dupes de ça ? Des fois, ça vous scie ! Ils sont très intelligents, très autonomes et ils se laissent prendre là-dedans.
Question 4 : Merci, je trouve ça passionnant mais j’ai envie de vous poser une question un petit peu provocatrice. Utiliser le sport comme moyen de retour à la norme, par rapport à ce que vous avez dit, par rapport à des adolescents, est-ce que ce n’est pas se tromper de sens par rapport à la position qui consisterait à leur donner un espace de libre adhésion pour qu’eux-mêmes s’appliquent la norme ? Je dis cela par rapport à la volonté de positionner le sport comme moyen de ré éducation.
Réponse 4 : Je suis absolument d’accord avec vous. Je crois que comme moyen de ré éducation ça créera des gens à ré éduquer et je ne suis pas certain que vous auriez envie que votre fils soit ré éduqué. Moi en tout cas je n’aurais pas envie. Donc c’est bien cela ce que vous dites. C’est bien cela la médiation. On regarde ensemble dans la même direction : moi qui suis sportif et qui aime cela, je te propose à toi qui ne l’es pas encore mais dont je sens bien que cela peut t’intéresser, à toi qui dis que ça t’intéresse, même si tu l’es déjà, je te propose que nous regardions ensemble et que nous fassions ensemble. Pas pour me faire plaisir à moi, pour que je me fasse plaisir et que tu te fasses plaisir chacun seul ensemble. Et ça c’est, imaginez les histoires, la secte c’est aussi un traitement d’un certain nombre de transgressions, mais c’est un traitement amputant, tandis que si vous avez la ( ?) vous proposez quelque chose susceptible de faire plaisir partagé et dans ce quelque chose, même si c’est quelque chose que l’on fait tout seul, l’autre est très présent, son dirigeant, son adversaire, etc. […] dans ces conduites à risque y compris s’il secrète des endorphines ou s’il fait des maths.
Question 5 : Pour continuer un petit peu dans le même sens et dans la question de l’autorité vis-à-vis des jeunes dans la position d’encadrant. Dans le cadre de l’apprentissage de la règle, qu’elle est la bonne position entre l’obligation qui est faite, l’aspect coercitif, la règle c’est ça, et ce qui a trait à encourager le jeune, et ce qui a trait à un petit peu à encourager le jeune, à la définir avec soin,... Où on place le curseur ?
Réponse 5 : On le place comme on peut. Ensuite on le place différemment selon le contexte, le pouvoir que l’on a selon le moment de l’histoire. C’est sûr que si aujourd’hui vous rentrez à la maison avec les règles de l’éducation d’il y a 40 ans, votre femme va divorcer,… C’est sûr que la famille c’est l’héritage du XIXe siècle qui est fondé sur un truc évident : c’est que les femmes ce n’est pas exactement aussi égal que les hommes, essayez d’imposer cela chez vous, vous allez voir, c’est impossible. Donc il faut tenir compte du contexte. Deuxième chose, c’est évident que plus on est dans une société qui est « préscriptrice », c’est-à-dire une société qui dit voilà ce que tu dois faire, voilà avec qui tu te marieras, voilà avec qui tu feras, voilà ce que tu feras, et voilà tous les autres avec qui tu ne feras pas, le choix étant limité, quand vous avez un problème exemple, on parlait de ça pour Tanguy, quand vous avez une difficulté, un malaise, vous pouvez dire c’est à cause de l’interdit. Vous avez un conflit d’autorité. Tandis que quand vous n’avez pas ça, dire : « Je ne peux pas », ça ne veut pas dire : « Je n’ai pas le droit », ça veut dire : « Je ne suis pas capable ». Vous avez plus de risque. C’est-à-dire, le type quand c’était interdit de faire monter les jeunes filles dans les cités universitaires à Nanterre en 68 eh bien qu’est-ce que ça fait ? La bagarre. C’était un conflit d’autorité. Aujourd’hui celui qui n’est pas capable de faire monter une jeune fille chez lui, il se pose la question de savoir où il en est dans sa sexualité et ceci précocement. C’est un peu différent. Parce que vous savez bien que ça fait beaucoup de bien mais en même temps ça fait peur etc., etc.
Question 6 : C’est au niveau de l’encadrement. Vous avez un groupe, vous avez dit que la personne qui encadre quand il y a un conflit à l’intérieur par exemple, si la personne qui encadre se rapproche du jeune par exemple, ce jeune va moins le respecter, va le comparer à ses parents, et il peut y avoir conflit. J’aimerais savoir quelle position adopter alors ?
Réponse 6 : C’est comme cette histoire d’autorité que vous avez posée d’une façon tout à fait juste. On a un balancement. Si vous voulez, il faut trouver le juste milieu, la juste mesure entre trop et pas assez. Pas du tout, c’est impossible. Trop, comme avant, c’est impossible. Il faut trouver quelque chose qui soit entre les deux et c’est pour cela que les médiations au sens : proposer quelque chose qui fait plaisir pour faire avec et des règles du jeu du coup, parce que pour faire, il faut des règles du jeu, c’est un moyen sur un domaine limité de faire. Eh bien c’est pareil, j’ai l’impression, avec le rapproché. Évidemment, si vous ne vous intéressez absolument pas au jeune, ça ne sert à rien. Mais si vous vous intéressez trop et que vous êtes trop de fait collé à lui, affectivement, il va devoir trouver un moyen de se séparer et un bon moyen de se séparer c’est d’avoir un symptôme agressif ou pas mais quelque chose qui fait que vous ne serez pas trop collé à lui. C’est lui…
Question 7 : C’est contradictoire par rapport à notre travail. Parce que c’est vrai moi je trouve cela, avec beaucoup de jeunes quand j’essaye de les aider et quand ils pètent un peu les plombs, ils me crachent leur haine du système…
Réponse 7 : Spécialement à toi.
Question 7’ : … au lieu de le dire à ses parents. C’est à tes parents qu’il faut dire cela. Donc c’est un peu bizarre, des fois on se demande si l’on ne bosse pas dans le vide.
Réponse 7’ : Je ne crois pas que vous bossiez dans le vide.
Question 7’’ : … Oui c’est vrai mais on n’est pas des machines nous.
Réponse 7’’ : Eh bien voilà…
Question 7’’’ : … Quand vous emmenez un gamin tout un mois dans un tournoi et qu’après il vous fait.
Réponse 7’’’ : Sauf que quand vous les voyiez ou que moi je vais les voir, si malheureusement ils ne vont pas bien, ils vont te dire : « Dans la vie voilà ce qui me sert à me construire, c’est qu’une fois il y a un type je n’arrêtais pas de lui crachais à la gueule mais c’était un type formidable et il l’a dans le cœur ». Et ça, ça lui sert pour toujours.