Rencontre avec Valérie Chansigaud, jeudi 04/10/2007
Introduction par Taos AÏT SI SLIMANE : J’ai déjà eu le plaisir de vous présenter Valérie CHANSIGAUD, qui est avec nous depuis deux jours. Elle est administratrice de Wikipédia France, mais ce n’est pas à ce titre que nous l’avons invitée. Avant de l’oublier, je vous informe que Valérie est l’artisan du premier Colloque de Wikipédia France, qui aura lieu à la Cité des sciences, le 19 et 20 octobre 2007, dont le thème est : Développer - Valider - Ouvrir. Nous vous communiquerons l’url du site pour ceux qui souhaitent y participer. Nous avons invité Valérie, pour son actualité scientifique. Elle vient de publier l’« Histoire de l’ornithologie », chez Delachaux et Niestlé. Valérie a une formation scientifique et une expérience professionnelle dans le monde de l’édition. Il nous a semblé intéressant d’écouter « son histoire » d’auteur dans sa relation avec l’éditeur, une histoire qui nous donnerait à voir la genèse d’un livre, son parcours, les partis pris de l’auteur et leur convergence avec les intérêts de l’éditeur et du lecteur… Pourquoi ce livre ? Pourquoi ce titre ? Pour quel public ? Comment devient-on auteur de livres scientifiques ? Qu’est-ce qui distingue un livre scientifique, d’articles scientifiques sur Wikipédia, par exemple ? Voilà, en vrac, une série de questions, qui seront sans doute complétées par d’autres, après avoir écouté le récit de Valérie.
Valérie CHANSIGAUD : Je ne sais pas par quoi vous préféreriez que je commence. Je vais peut-être dire simplement deux, trois mots sur mon parcours.
Mon expérience dans l’édition est relativement variée. J’ai commencé en créant des revues de vulgarisation en zoologie. À l’origine c’était une sorte d’amusement, de challenge personnel, notamment en réalisant une revue consacrée aux araignées, puisque j’avais travaillé sur ces petits animaux, fort décriés malheureusement. J’avais fondé la revue, Pénélope, j’espérais, lors du n° 0 avoir 30 abonnés. Finalement, j’ai eu à gérer une revue, on a fait 21 numéros en tout, à 350 abonnés fixes. Chaque numéro a été vendu à 700-800 exemplaires. Ce qui a été énorme à gérer et complètement imprévu, avec tout ce que vous pouvez imaginer derrière, s’adapter entre quelque chose de totalement artisanal et quelque chose d’artisanal mais d’une plus grande envergure. Ce qui était intéressant c’est que c’était vraiment une revue de vulgarisation. L’idée reposait sur quelque chose d’assez simple. Il y a beaucoup de gens qui sont intéressés par les araignées, des jeunes et des moins jeunes, et il y avait, à l’époque, très, très peu d’informations sur ces animaux. L’idée était donc d’éclairer la biologie de ces bestioles d’une façon différente, amusante, avec plein de petits dessins. Il y avait un lien un peu affectif, presque de filiation avec la Hulotte, que vous connaissez certainement. C’était à peu près le même format, un format A5.
L’histoire a été intéressante à conduire, difficile, parfois, parce qu’il a fallu aller chercher des scientifiques, les faire travailler suivant ce modèle-là, ce n’était pas évident. Les articles étaient écrits par des scientifiques et il y a eu de tout. Il y a eu des scientifiques qui se coulaient très, très bien dans ce moule-là, d’autres essayaient d’imposer leur façon de voir, en présentant notamment des choses très, très vulgarisées, très bêtasses. C’est-à-dire prendre le lecteur pour un grand enfant un peu ignorant, le tutoyer… Une vulgarisation que je n’aime pas trop, où l’on prend les gens pour des imbéciles. Puis, au contraire, on a eu des auteurs qui ne savaient pas, pas du tout, écrire le moindre mot de façon vulgarisée. Je pense également à une autre revue sur les Mille-pattes – j’avais une spécialité dans les petites bêtes incongrues – qui a eu moins de succès que sa consœur Pénélope, mais qui était quand même intéressante à faire. Il y avait un chercheur du Muséum, très bon et très grand chercheur sur les mille-pattes, dont les textes tellement incompréhensibles que j’avais soumis l’un d’eux à un confrère myriapodologiste qui lui-même ne comprenait pas. Pour de la vulgarisation c’était un peu mal parti.
Suite à ça, je vous fais grâce de quelques détails sans grand intérêt, j’ai fait un DESS d’édition, à Paris 13, Villetaneuse. Je me suis consacrée essentiellement à l’édition scientifique, notamment dans le cadre de mon mémoire, à l’image scientifique plus exactement. Puis, j’ai travaillé pour des éditeurs scolaires et parascolaires, comme Nathan et d’autres. J’ai également été dans des sociétés un petit peu différentes, des packageurs, je ne sais pas si vous connaissez cette expression dans l’édition, expression qui a été un peu perdue de vue ces dernières années. Un packageur, c’est un sous-traitant de l’édition qui prend un projet déjà édité, à l’étranger, et qui assure son adaptation en français. C’est en fait un sous-traitant mais c’est beaucoup plus joli de dire un packageur. Chez un packageur, c’est un peu comme dans les ateliers de confection turcs, ou chinois que l’on peut trouver dans certaines caves, il y a plein d’ordinateurs rangés les uns à côté des autres, on fait travailler des gens à des prix absolument indigents par rapport à leur temps de travail, puis on réalise des produits richement illustrés que certains éditeurs de renom font paraître sous leur propre nom. Ce qui est intéressant, c’est qu’on voit là l’édition sous un autre angle. Ce n’est plus une grande maison, comme Nathan, où il y a une division du travail, où il y a le directeur de ceci, ou cela qui va prendre une décision, le directeur de la fab qui va prendre une autre décision, là on participe à toutes les étapes du travail de l’acquisition des images à la rédaction des textes. Il m’est arrivé d’être auteur dans ce cadre. J’avais réalisé, pour un éditeur qui faisait un panorama des événements de l’année, -je ne vous donne pas les noms, c’est un peu gênant d’autant qu’ils existent encore- la partie scientifique ça allait, on partait des dépêches AFP, mais il fallait parler des événements automobiles, je ne connais absolument rien aux voitures sinon qu’elles ont 4 roues, donc, on a largement puisé dans la documentation fournie par Renault, Peugeot. Ce qui donne une autre vision de la réalisation des livres, un autre regard sur la qualité que les éditeurs mettent à la réalisation de certains ouvrages et ce pour des raisons de coûts. L’objectif était de produire le moins cher possible et les ouvrages illustrés, les documentaires coûtent très chers à fabriquer, la marge est relativement petite. On n’investit donc pas des sommes mirobolantes pour les réaliser.
À la suite de ça, j’ai fait tout autre chose tout en restant dans mes sujets de prédilection. J’ai fait un DEA en environnement, suivi d’une thèse en environnement, ou je me suis attachée à étudier les rapports de l’être humain et de la biodiversité, pour essayer de répondre à une question bien simple : est-ce qu’on protège la nature, ou est-ce qu’on protège une construction humaine, une vision humaine de la nature. C’est-à-dire : est-ce que les préjugés sociaux culturels ne font pas écran quand on souhaite protéger la nature ? Est-ce qu’on protège vraiment la nature en tant que telle ? La réponse est globalement non. On protège une vision complètement artificielle et reconstruite de la nature et la nature en tant que telle intéresse fort peu de monde. Ce n’est certainement pas le terme biodiversité, si je peux faire un petit aparté, c’est un terme bateau qui ne parle pas du contenu. Est-ce que c’est la biodiversité ? C’est essentiellement de petites bestioles dont on passe son temps et son énergie à essayer de se débarrasser. L’essentiel des recherches, par exemple, consacrées aux insectes sont faites dans le but de lutter contre des espèces nuisibles. La part de budgets consacrés à étudier les invertébrés en tant que tel, en dehors de ces recherches, est très, très réduite. Ainsi, quand on dit protéger la biodiversité, oui, mais laquelle ? Ça, c’était un petit peu l’objet de mon doctorat.
À l’issue de ce doctorat, là aussi, je vous fais grâce des détails, j’ai rencontré Wikipédia, ce qui m’a donné l’occasion de faire ce que j’aimais faire à savoir la diffusion des connaissances. C’est un outil fabuleux de transmission d’informations pour le plus grand nombre, avec un certain nombre de contraintes, d’obligations, mais c’est quelque chose qui est assez intéressant à faire. Ça a abouti à la création d’un portail consacré à l’histoire de la zoologie et de la botanique, qui regroupe plus de 3 000 articles. 3 300 articles, c’est l’ensemble de l’information la plus riche de tout le web francophone. Ce qui est intéressant, c’est de voir le projet évoluer. Ça a été l’occasion de voir les balbutiements, les embryons d’articles, par exemple, sur de grandes figures de la science comme les Jussieu. Quand je suis arrivée, il y a 3 ans, il n’y avait aucun article sur les Jussieu, il a fallu créer des embryons qui sont devenus petit à petit des choses plus ou moins évoluées, fiables, qui vivent leur vie.
À côté de ça, il s’est trouvé, là, je vais vous raconter la genèse de ce livre, je dirais son histoire. Je ne sais pas jusqu’à quel point on peut l’extrapoler à d’autres cas, d’autres situations. Delachaux et Niestlé avait sorti il y a un peu plus de 2 ans une Histoire de la botanique. J’en avais parlé sur mon portail, c’est un des rares portails de Wikipédia où l’on fait des analyses d’ouvrages, ce qui a d’ailleurs fait grincer quelques dents, mais ça c’est typique de Wikipédia. J’ai téléphoné à l’éditeur pour avoir plus d’informations sur la genèse du livre. Je contacte en général toujours les éditeurs, et j’essaye toujours de contacter les auteurs, quand je parle de leurs ouvrages. Je leur ai demandé incidemment s’il avait, en projet, une histoire de l’entomologie. Je venais de terminer ma thèse, j’avais travaillé sur les invertébrés pour l’essentiel, ça me paraissait assez logique de leur proposer une histoire de l’entomologie sauf qu’elle était déjà en cours de fabrication. Dans la discussion, je leur ai dit : une histoire de l’ornithologie, est-ce que vous avez ceci en préparation ? Ce n’était pas en préparation. Je connaissais un petit peu l’histoire de l’ornithologie parce que j’avais étudié durant ma thèse le cas des oiseaux par rapport aux cas des invertébrés, j’avais fait des comparatifs entre les deux. Donc, je n’étais pas en terre inconnue et il se trouve que je connais très bien la bibliographie, notamment française, concernant l’histoire de ces disciplines. Je savais que la dernière histoire de l’ornithologie était celle de Maurice BOUBIER, parue chez Félix Alcan, en 1932. Il y a donc effectivement un manque d’autant que l’ornithologie est la discipline de l’histoire naturelle, sans doute avant les champignons, du moins pas trop loin derrière, qui regroupe le plus d’amateurs en France. Il y avait donc la concordance de deux choses : une absence éditoriale, il n’y avait pas d’ouvrage sur le sujet et une possibilité, je dirais, marchande, il faut bien appeler un chat, un chat, une possibilité de vente auprès d’une communauté d’ornithologues importante, structurée, très structurée et extrêmement demandeuse de ce type d’informations. Donc, c’était une idée de produit, je sais que beaucoup de gens n’aiment pas employer le terme de produit pour désigner un livre, mais un livre c’est également un objet marchand. C’est un objet marchand qui a une image, qu’on vend, je me ferais assassiner par certains de mes anciens condisciples, un peu comme un paquet de nouilles mais c’est un petit peu ça. Ce n’est pas la même chose qu’un paquet de nouilles, c’est un produit culturel mais il reste quand même que c’est un produit marchand qui doit avoir une rentabilité, ne serait-ce que parce que les éditeurs l’exigent, le demandent, que les libraires aussi en ont besoin. Ils ont besoin d’avoir des livres qui se vendent. Si les libraires étaient simplement des dépositaires de piles d’ouvrages qui ne se vendent pas, ce qui est aussi un peu le cas, ça poserait quand même aussi des problèmes pour la survie de leur entreprise.
Donc c’était la concordance de ces deux, trois facteurs : je connaissais le sujet, le créneau, entre guillemets, était à prendre, et il y avait de bonnes chances qu’il se vende. Bien évidemment j’aurais proposé une histoire de l’arachnologie, par exemple, j’aurais eu sans doute une petit peu de mal à remplir 240 pages avec 250 illustrations, mais il est bien improbable d’en vendre plus de 1 000, 1 200 exemplaires. Il faut être réaliste, ce n’est pas du tout la même situation.
Ça, c’est une proposition que j’ai faite il y a un peu moins de 2 ans. Finalement, là encore pour des raisons diverses et variées, j’ai rencontré le responsable de Delachaux et Niestlé, le 5 septembre de l’année dernière, il a dit oui, tout de suite, à ma proposition. Il faut dire que je connais un petit peu comment les choses se font, je bénéficie de mon expérience de l’autre côté de la barrière. Je n’ai pas simplement envoyé une sorte de brouillon informe, fait sous Word, ça ne suffit pas, tout le monde le fait, il faut surnager. J’ai envoyé le sommaire en m’inspirant exactement du premier opus de la série, puisqu’il s’agissait d’une série et que j’arrivais en troisième position. J’ai également envoyé également une double page maquettée avec des images. J’avais même mis du vrai texte. Tout ça, simplement pour montrer mon expérience. C’était un argument supplémentaire parce que faire un ouvrage illustré est une aventure pour un éditeur. Il faut gérer les images, l’auteur, le texte, les légendes, le droit des images, les scans… C’est une entreprise qui est largement plus compliquée que celle d’un roman. Un roman, vous avez un texte de X caractères, vous le coulez, vous mettez 3 feuilles de styles et hop, c’est fait. C’est 3 heures de travail. Un livre illustré, comme celui-là, c’est facilement 2 heures de travail minimum par page juste pour la mise en page. Si l’on intègre dedans la gestion des corrections, on arrive facilement à 3 h 30. C’est un investissement qui a un coût important.
Tout ça faisait partie de mon approche, montrer qu’effectivement je pouvais aussi gérer cela. Ce qui s’est traduit d’ailleurs, je vais tout vous dire, ce qui est rarement le cas quand on parle de la genèse d’un livre, j’ai également fait la maquette. J’ai non seulement fait la maquette mais j’ai aussi géré les scans de toutes les images, le traitement colorimétrique des images parce que j’ai l’expérience de ça. À l’exception de la page de titre et de faux titres, j’ai absolument tout fait dans ce livre. Ce qui est d’ailleurs extrêmement agréable à réaliser en tant qu’auteur. Parce que dans un livre illustré il y a toujours des problèmes de calibrage des légendes, par exemple. Comme j’étais à la fois la metteuse en page, l’iconographe et l’auteur, c’était beaucoup plus simple de gérer ça. Les allers-retours étaient quand même plus rapides.
Il s’est trouvé également que j’ai eu la grande chance, j’insiste vraiment là-dessus, d’avoir pu travailler avec quelqu’un de la maison d’édition de très compétent et avec qui ça s’est très bien passé sur le plan humain. On était vraiment dans le même état d’esprit. On avait le même langage. Si elle me parlait d’un problème de chasse je voyais ce que cela signifiait. Si elle me parlait de coupe inopinée au niveau de 2 lignes qui suivaient sur telle page, je voyais également ce que cela signifiait en termes de typographie. On a discuté d’égale à égale puisque j’avais le vocabulaire typographique, j’avais le vocabulaire de la mise en page et je connaissais les impératifs techniques derrière, ça éliminait une grande partie des problèmes que rencontrent d’habitude ce type de réalisations.
D’ailleurs l’ouvrage qui a précédé celui-là, L’histoire de l’entomologie, qui a été fait par un spécialiste, je crois du Muséum, un vieux monsieur qui est aussi un bibliophile, qui avait une collection de livres absolument étonnants, ce livre, d’après les échos que j’en ai eu, a été très difficile à réaliser. Quand on le lit, c’est facile de critiquer le travail des autres, donc je vais mettre des bémols, manifestement l’éditeur responsable qui a suivi le projet ne savait pas trop comment gérer le manuscrit qui lui a été fourni. On sent bien que le manuscrit ne coulait pas naturellement dans la structure de cette collection. Réaliser un livre, dans le cas d’une collection, nécessite que l’on tienne compte des impératifs de la collection. Par exemple, dans le cas de cette collection, l’un des impératifs était d’être chronologique. Chaque chapitre, ou chaque portion de chapitre va traiter d’une époque particulière. Il y a bien sûr un index. Dans celui-là il y a une chronologie ainsi que dans L’histoire de la botanique. L’auteur de L’histoire de l’entomologie n’a pas fourni une chronologie. Ça, c’est quelque chose qui est très compliqué à faire comprendre aux auteurs. Un auteur peut avoir des exigences qui sont incompatibles avec la charte graphique. Un exemple tout bête, la longueur des titres courants. Si le titre courant reprend une portion du titre du chapitre qui va se retrouver – s’il y a des points de vocabulaire que vous ne connaissez pas il ne faut surtout pas hésiter à m’arrêter – sur 3 lignes, ce n’est clairement pas possible. Donc il y a des impératifs de cette nature. Par exemple, j’ai fait en sorte qu’impérativement mes intertitres aient 2 lignes pour des raisons de maquette. Il n’y a aucun intertitre d’une ligne parce que je connaissais cet impératif. Ça peut paraître un détail mais en termes de gestion et de réalisation de l’ouvrage c’est sur quoi très souvent on bute avec les auteurs, ça entraîne des discussions sans fin. En général l’éditeur finit par avoir le fin mot de l’histoire. C’est-à-dire que l’auteur remet son texte et celui-ci sera en partie remanié.
J’ai discuté avec un auteur, Michel GLEMAREC, qui vient de sortir un livre sur l’histoire de la biologie marine, chez Vuibert, je vous le recommande, c’est un très bon ouvrage d’autant que c’est le seul ouvrage en français traitant de ce sujet. Il y a eu un autre livre qui vient de paraître chez un petit éditeur, Ellipse, plutôt mauvais, par contre ça vous pouvez l’éviter, plus petit et moins cher certes mais qui a bien moins d’intérêt. Donc, j’ai discuté avec Monsieur GLEMAREC de la vie de son ouvrage, de comment ça s’est passé. Ce n’est pas du tout la même histoire que j’ai vécue. Cette collection est coéditée avec ADAPT, pour simplifier une association pour la promotion de la diffusion de la connaissance scientifique, je ne connais d’ailleurs pas plus que ça ses activités, ils ont une coédition chez Vuibert déjà depuis quelques années, je crois que le premier volume date des années 2000 sur l’histoire des sciences, ils en sont à 20, 25 titres, c’est vraiment une collection intéressante plutôt de haut niveau, ils se soucient bien de la lisibilité. En fait le cheminement de son texte a été beaucoup plus compliqué puisque son manuscrit a été envoyé chez quelqu’un d’ADAPT, qui lui a renvoyé. Il y a eu des allers-retours avec des demandes d’éclaircissement de tel ou tel détail… La responsable d’ADAPT a demandé à ce qu’il y ait un glossaire, une petite notice bibliographique sur certains des principaux noms de la biologie marine... Il y a eu toute une série d’allers-retours. Puis, il y a eu des allers-retours entre l’auteur et Vuibert qui se chargeait de la réalisation technique. J’imagine que tout cela entraîne des frais et du temps, j’ai oublié de lui demander le temps de réalisation de cet ouvrage. Pour moi, ça a été fait globalement très, très vite puisque ça représente 7 mois de travail tout compris : relecture, relecture scientifique et typographique intégrées, avec des semaines de travail qui ne respectaient pas les 35 h, mais bon !
Mais c’est vrai que ce problème de vocabulaire, de gestion de texte, de lisibilité du texte c’est quelque chose qui est souvent très long à gérer avec les auteurs. Ça, c’est un vrai problème. Il a eu aussi des problèmes avec les illustrations. Il avait choisi des illustrations qui avaient été refusées par Vuibert. Donc, il y a eu, là aussi, des allers-retours.
Le titre de mon livre a été imposé par la collection. Après L’Histoire de la botanique et L’Histoire de l’entomologie, c’était assez logique que le troisième s’appelle L’Histoire de l’ornithologie pour respecter, je dirais, le moule. Mais, par exemple, le titre du livre de Monsieur GLEMAREC, ce n’est pas celui qu’il a choisi. C’est le sous-titre qui était à l’origine le titre et l’éditeur a imposé que le titre L’Histoire de la biologie marine. Ce qui fait hurler ce spécialiste des aspects faunistiques de la vie marine, il ne traite pas du tout les végétaux marins, pour lui ce titre, trop généraliste, ne correspond pas à son livre. Son titre allait bien, mais il était probablement trop long pour les contraintes de l’éditeur. Exemple typique de rapports peu adéquats entre les exigences de l’auteur et celles de l’éditeur, en sachant qu’in fine c’est l’éditeur qui a le fin mot. On peut penser ce qu’on veut, mais c’est l’éditeur qui prend le risque de commercialiser un livre. Ça me paraît assez logique qu’il ait un certain nombre de droits lorsque ces droits ne dépassent pas, comment dire, ne font pas affront au bon sens. J’ai un bon exemple, je ne sais pas si ça existe encore, j’espère que oui, il y avait le microzoo au Muséum de Paris, c’était génial puisque vous pouviez découvrir toute la micro faune du sol. Ça partait d’une hypothèse très simple : je suis en forêt, j’ai mis le pied quelque part, je regarde 10 cm de sol en dessous de ma chaussure. On découvre une faune incroyable ! un monde complètement inconnu. Il y a un éditeur, je crois que c’est Nathan, ou Bordas, qui a décidé de faire un livre, grand public mais un peu à destination des enfants sur cette microfaune. Les photographies de cette microfaune sont prises au microscope à balayage. Qu’est-ce que c’est qu’une photo prise au microscope à balayage, c’est forcément une photo en noir et blanc. Il n’y a pas de couleurs à cette échelle-là et compte tenu des procédés de prise de vue la notion de couleur n’a pas de sens. Mais pour un éditeur contemporain éditer un livre en noir et blanc il ne fallait pas y penser quand même, mon Dieu ! toutes les photos prises au microscope à balayage ont été colorées, on perd la netteté. Blanc et noir passé au bistre-blanc, ce n’est pas vraiment top. Autre exigence de l’éditeur, qui avait donné une crise cardiaque au pauvre auteur, le détourage. C’était la grande mode du détourage. Il avait détouré toutes les bêtes pour donner un aspect plus dynamique à la maquette et ça avait abouti, par exemple, à ce qu’un petit animal, qui s’appelle le collembole, extrêmement présent dans la microfaune, caractérisé par une petite queue grâce à laquelle il peut sauter en la ramenant sous son abdomen. Sa queue est crochetée et quand il veut sauter, pouf, ça fait comme un ressort à lamelles, il saute. Il peut sauter deux fois dans sa vie. La caractéristique de cet animal est donc ce crochet qui retient sa queue fourchue qui s’appelle une furca. Dans le détourage, la joie de détourer l’animal, outre qu’ils avaient enlevé tous les poils, - or, les poils permettaient de reconnaître les espèces, admettons que ce soit compliqué de détourer les poils, non pas que ce soit impossible, mais ça coûte surtout très cher, douze heures à détourer au lieu d’une heure, ce n’est pas le même coût- la furca avait disparue. C’est un peu gênant qu’il ne reste plus rien de la principale caractéristique de la bestiole. Ça montre bien l’autre revers de la médaille. Si l’éditeur a raison parfois d’aller à l’encontre de son auteur parce que son auteur peut avoir des idées qui ne correspondent pas au but recherché par l’ouvrage, bref, qui posent problèmes, il faut se méfier de l’inverse, quand on lâche l’éditeur sans aucun contrôle, ça peut aboutir à des choses assez incongrues.
Je ne sais plus de quoi je voulais vous parler avant de vous parler du collembole. Alors, l’une des exigences de l’éditeur était aussi, bien sûr, qu’il y ait le moins de droits possibles à payer en terme d’images, par exemple. Petit budget, du coup c’était compliqué à réaliser. Je voulais parler du XXe siècle, au moins d’une partie du XXe siècle, en général en histoire des sciences, on évite soigneusement les parties les plus contemporaines parce que c’est les plus compliquées à traiter, les choses ne sont pas stabilisées, on n’a pas de recul… En général on préfère traiter du XVII ou XIIIe siècle, c’est beaucoup plus tranquille que des périodes immédiatement contemporaines, c’est un autre type d’histoire des sciences, disons. Là, moi, ce que je voulais c’était d’aller grosso modo jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Mais ça posait un problème, un problème tout simple : quelles illustrations puisqu’il est illustré ? Quelles illustrations mettre dans cette partie-là, en essayant de faire de sorte que cela coûte le moins cher possible ? Il y a eu une solution que j’ai suivie, c’est d’en mettre moins. C’est tout bête mais il y a moins d’illustrations dans cette partie-là, il y a plus de texte. Il a bien fallu payer quelques images ne serait-ce que pour représenter Lorenz, par exemple, ou d’autres éthologues, ou des couvertures de livres et effectivement il y a eu, de ce côté-là, un petit budget qui a été mobilisé mais ça a été relativement faible. Ça, par contre, ce n’était pas mon domaine. La discussion des droits, les autorisations, c’était le domaine d’une responsable chez Delachaux et Niestlé, ce qui me satisfaisait très bien, parce qu’on ne peut pas tout faire non plus.
Il a fallu, aussi, trouver des systèmes, des ressources pour trouver des images. Je ne suis pas bibliophile et je n’ai pas les moyens d’avoir des originaux d’Audubon en sachant qu’une planche doit se vendre aujourd’hui aux enchères autour de 4 à 5 000 dollars, je me vois mal avoir les Oiseaux d’Amérique d’Audubon, version complète dans ma bibliothèque, surtout que c’est format éléphant, donc absolument ingérable. Heureusement Internet est là, est c’est vrai qu’il y a beaucoup de bibliothèques numériques qui disposent de documents en haute définition qui sont plus ou moins librement exploitables. Ça, ça fournit une base absolument considérable, avec des biais plus ou moins imaginables. Par exemple, pour la partie du XXe siècle, pour des raisons historiographiques j’ai beaucoup parlé d’Amérique. Pourquoi ? Parce que je connais très bien l’histoire scientifique de ce pays, pour des raisons diverses, mais parce que sur beaucoup de plans ils ont été en avance, en particulier sur les Français. Il y a parfois des distances de 30 ans qui séparent certaines choses qui se passent en Amérique et notamment un domaine extrêmement particulier et passionnant qui est l’arrivée de la photographie animalière. La photographie animalière, aux États-Unis, c’est vraiment une révolution qui se passe dans les années 1890-1910 et qui va changer le rapport à l’animal. L’ornithologie était, pendant longtemps, une science de chasseurs. Si on n’était pas fin fusil et si on n’avait pas d’ailleurs une petite fortune personnelle pour acheter des spécimens déjà préparés, faire de l’ornithologie était un petit peu difficile. Tous les grands ornithologues jusqu’à la fin du XIXe siècle sont des chasseurs émérites. Audubon se fait peindre un fusil à la main. On a comme ça des images, il y en a quelques-unes dans le livre, d’ornithologues qui sont tous des chasseurs. On veut étudier un oiseau, on le tue, puis on conserve sa peau, on le met en collection. Des collections qui sont l’objet de tous les ornithologues. Arrive la photographie animalière et ça, ça bouleverse complément les choses. Pour la première fois, on ne va pas tuer l’animal, on va l’observer vivant. C’est le but, le photographier au nid, photographier la femelle nourrissant ses petits. Non seulement ça change le rapport à l’animal, mais ça permet d’explorer de nouveaux champs disciplinaires. On n’étudie plus l’oiseau que dans un cadre descriptif mais également son comportement, et ça va contribuer à l’émergence de l’éthologie. Ce qui est très intéressant, c’est qu’on n’a aucun document en français sur l’arrivée de la photographie animalière. Il y a un livre très intéressant qui est paru, il y a 2-3 ans, Pôle sud, d’un certains Laurent Arthur, que je vous recommande, c’est vraiment un livre à avoir, d’un petit éditeur mais c’est un ouvrage exceptionnel, sur l’histoire de la photographie animalière, d’autant qu’il n’y a aucun équivalent, un seul équivalent au monde à ma connaissance, un ouvrage paru, je crois dans les années 50, aux États-Unis. Il n’y a rien d’autre qui existe sur ce sujet ni en français, ni en anglais, ni en allemand. Et là, j’ai béni Microsoft. Pourquoi, j’ai béni Microsoft sur ce sujet ? Parce que, vous savez, on parle beaucoup de Google, mais on ne parle pas de Microsoft qui fait une campagne de numérisation exceptionnelle qu’on trouve sur un site qui s’appelle archive.org, et si les chiffres que j’ai sont bons, ils ont déjà numérisé tranquillement, dans leur coin, 120 000 documents, entièrement téléchargeables, bien sûr, en PDF, et cela m’a permis très rapidement d’avoir accès à une information exceptionnelle, que je n’aurais probablement pas eu, ou qu’en partie à la BNF. Ils ont très peu de titres, à la BNF, correspondant au fonds numérisé par Microsoft.
Cette numérisation est tellement riche que je vais continuer à travailler sur ce sujet parce qu’il est intéressant et que je dispose d’une matière première.
Bon, voilà, là, j’ai un peu l’impression de m’égarer. Est-ce que vous avez des questions particulières ?
Question 1 : Je voulais juste savoir si vous comptiez faire d’autres titres dans cette collection, si ça vous a donné le goût de continuer dans cette voie ?
Valérie CHANSIGAUD : C’est une bonne question. On a discuté, avec l’éditeur, sur les titres possibles, parce que ce n’est pas évident. On pourrait imaginer une Histoire de la carcinologie, de l’ichtyologie, de la conchyliologie – ça, je l’avais préparé un petit peu avant -, dans l’ordre ce sont les crustacés, les poissons et les mollusques à coquillage, oui, mais pour quel public ? Il y aurait certainement à faire des choses dans ces disciplines. Est-ce que ça peut être fait dans le cadre d’un ouvrage illustré, de cette nature, dans ce type de collection ? Ce n’est vraiment pas évident. Il faudrait peut-être tabler sur une histoire de la zoologie, qui n’existe pas en français. Il y a un petit livre sur ce sujet, toujours chez Ellipse, sorti dernièrement, mais c’est dérisoire. Il faudrait faire quelque chose de plus ample. Ce n’est pas évident. Du coup on sort du cadre de la collection. La logique de la collection est très pernicieuse. Ça fournit un cadre, parfois c’est très pratique pour dérouler son histoire, parce qu’on sait un petit peu comment on va le faire, ça peut-être contraignant si l’on n’accepte pas ces contraintes justement, mais c’est limitatif, parce qu’il faut aussi coller à l’esprit de la collection. Et là, clairement, eux, ne savent pas s’il y aura un quatrième titre. Ils songent peut-être à une Histoire de la géologie, ça pourrait être possible, ou de la paléontologie. Mais il faudrait qu’il y ait derrière un public minimum.
Je suis en négociation, pour une autre chose, probablement dans un autre format. Quand on va voir un éditeur pour lui proposer quelque chose, il faut accrocher. Là, j’ai eu la chance d’y aller et ça marché tout de suite, parce que je connaissais le sujet, je connaissais l’environnement éditorial et je savais ce que je pouvais apporter, bref. Ma thèse, je suis prête, sous une autre forme, en la retravaillant, à la caser chez un éditeur, depuis 6 ans. C’est compliqué. C’est un sujet qui est passionnant, en tout cas qui me passionne, mais il reste à trouver, je dirais, le pitch. On en est là, on est dans le domaine du pitch. Si on ne peut pas décrire, avec un titre simple, compréhensible par tout le monde, et une phrase le contenu du livre, ce n’est pas la peine. D’ailleurs, ce qui est intéressant, l’Histoire de l’ornithologie, je vois ça du point de vue de la diffusion du livre de science, c’est la promotion. Là aussi je vais glisser sur certains détails, la revue Pour la science a accepté que je fasse un article relatif à l’un des sujets traités, à savoir la transformation de l’ornithologie d’une science chasseresse en une science protectrice de la nature et des espèces, qui est un bouleversement de pratiques scientifiques unique, de toute l’histoire naturelle, c’est la seule qui a vu ses pratiques métamorphosées à ce point-là. Toutes les autres disciplines reposent sur la cueillette, ou la chasse. On étudie les araignées, mais on les tue pour les étudier. Quand on étudie les poissons, on doit les tuer. Maintenant, quand on étudie les oiseaux, on évite de les tuer. Il y a des prises encore, il y a des muséums qui ont des actions de ramassages très actives dans le monde, mais pas au niveau qu’on a connu au XIXe siècle. Cette transformation, y compris dans l’imaginaire populaire, l’ornithologie je vous le disais est une des disciplines les plus étudiées, en Angleterre, la société royale de la protection des oiseaux qui a été la première société constituée pour défendre une espèce animale, il existait des sociétés pour la protection des animaux, mais c’était la protection contre des formes de barbarie appliquée aux animaux, cette société a été la première qui voulait défendre une espèce en particulier, à savoir la grèbe huppée qui était victime d’une surchasse pour l’exploitation des plumes dans l’habillement féminin, et qui avait conduit la population britannique à la limite de la disparition. C’était un grand problème l’exploitation des plumes pour l’habillement féminin. La Guerre de 14 a beaucoup aidé avec le changement de mode. Aujourd’hui, il y a plus d’un million de personnes, 1 300 000 membres, juste en Angleterre, c’est énorme ! Il n’y a pas d’autres secteurs de l’histoire naturelle, de sociétés qui a cette taille-là. Je crois même que c’est la plus importante société de protection de la nature, tout domaine confondu, en Angleterre. La France est très - je ne vais pas non plus vous faire un cours sur les sociétés de protection de la nature dans le monde - en retrait par rapport à ça. On n’a pas le même rapport à la nature que les Anglo-Saxons, et ce de façon très lointaine dans l’histoire.
Un autre titre, dans cette collection, ça ne va pas être évident. De plus, comme il y a une histoire de la biologie marine, ça aurait été un beau sujet, qui vient de sortir, de plus il aurait fallu trouver la personne adéquate. Moi, je n’écrirai jamais l’histoire de la géologie, ce n’est pas mon domaine.
Question 2 Quand on crée une collection, on n’essaye pas, en amont, de trouver justement des thèmes qui puissent la nourrir ?
Valérie CHANSIGAUD : En général, oui, c’est comme ça que cela se passe. Mais là, ce n’était pas une collection. Le premier volume a été proposé par l’auteur à l’éditeur. C’était une proposition d’auteur, puis ils ont fait un deuxième titre. Ah ! oui, collection, méfiez-vous, c’est les références du naturalisme et là, je fais référence à cette petite série, un embryon de collection sur l’histoire des disciplines. Mais dans les références naturalistes, bien sûr vous trouvez bien d’autres titres. Ce n’est pas une collection spécifique d’histoire des sciences. C’est les références naturalistes dans laquelle il y a maintenant 3 titres dans l’histoire des disciplines. Mais là, il y aurait effectivement de quoi, si on avait des sujets, d’entamer… d’autant qu’ils ont fait L’Histoire de l’écologie politique, chez le même éditeur. Donc, ça va être un peu délicat à traiter. Je pense que ça n’ira guère au-delà.
Question 3 : Je voulais juste savoir pourquoi vous pensiez qu’une petite Histoire de la zoologie, quelque chose d’assez simple et d’accessible n’aurait pas son public ?
Valérie CHANSIGAUD : Je n’ai pas dit ça, mais il faut trouver l’éditeur qui accepterait de se lancer dans l’aventure. Je ne pense pas que ça serait accepté. Dans cette série, on pourrait faire l’Histoire de la zoologie globale en reprenant des petits bouts bien sûr de l’entomologie, de l’ornithologie, on pourrait imaginer ça, mais là, je ne le sens pas et les éditeurs, je pense, non plus. Pour l’ornithologie, on voit la cible et il faut toujours voir l’adéquation entre la maison d’édition et son public. Delachaux et Niestlé, c’est la référence auprès des naturalistes. C’est la plus vieille maison qui existe et édite des livres d’histoire naturelle à destination des naturalistes. Les autres ont eu des politiques en dents de scie. Il y a le Guide vert de Bordas, si je ne me trompe pas, ou Nathan, je ne me souviens plus. Le Guide Vert, c’est de Hachette ? Je ne sais pas. J’ai l’impression qu’il y a plusieurs collections qui s’appelaient Guide Vert, mais elles n’ont pas toutes une existence dans la durée. Là, c’est un éditeur, qui n’a pas fait que ça dans son histoire, parce qu’à l’époque où ils étaient à Lausanne, avant d’être racheté 3 fois, ils faisaient des sciences humaines mais c’est une grande partie de leur activité. Ils sont spécialisés là-dedans. N’importe quel naturaliste de France ou de Navarre a forcément eu un Delachaux et Niestlé en main, ne serait-ce que le Peterson, le fameux guide ornithologique. Donc, c’est la maison par excellence. On ne trouve guère que Boubée qui a à peu près le même âge, c’est un tout petit éditeur maintenant. Ce n’est pas le même niveau non plus, il ne joue pas dans la même cour.
Effectivement, il y a beaucoup de choses à faire. Il y a un projet qui serait très intéressant à conduire qui est, par exemple, les rapports entre histoire naturelle et colonialisme. Ça, c’est un sujet extraordinaire. Mais qui va se lancer là-dessus ? Je connais un chercheur qui vient de faire sa thèse un petit peu sur ce sujet qui a le plus grand mal à trouver un lieu pour se caser parce que le colonialisme, c’est politique, on sort de l’histoire des sciences pour rentrer dans autre chose. C’est pourtant de l’histoire des sciences aussi. La science a objectivement participé, et pas qu’un peu, au colonialisme.
Là, le format est relativement petit. Mais tout ça, c’est du temps. Il faut monter des projets, avoir de la documentation, avoir accès à un certain nombre de centres de ressources, etc. c’est compliqué. Le muséum n’a pas tout. Il y a beaucoup de choses qui manquent au muséum. La BNF n’a pas tout non plus, pas pour les mêmes raisons mais ils n’ont pas tout. Heureusement, encore une fois, qu’il y a une numérisation massive faite par les Américains pour toute la partie anglo-saxonne parce que ça, ça couvre beaucoup, beaucoup de choses. Ils ne se posent pas de questions, ils numérisent des rayons entiers. Dans le site que je vous ai cité, il y a des ouvrages en 3 exemplaires, numérisés 3 fois.
Taos AÏT SI SLIMANE : Le Muséum a un autre problème, la qualité de ses archives. Ils ont énormément de choses mais tout n’est pas disponible, accessible, etc. Un des soucis du Muséum est la non valorisation du métier de l’archiviste et de la documentation, ça cause des dégâts sérieux aux outils, matériaux, documents … Les caves et autres niches du Muséum recèlent des trésors, mais de nombreux lieux sont de véritables capharnaüms. Pour trouver quelque chose, il faut persévérer, fouiller longtemps et comme tout ça n’est pas forcément organisé, ceux qui fouillent rajoutent du désordre. Quand vous êtes jeune chercheur au Muséum, vous entrez dans un endroit, prenez un document, ou un objet, une fiche tombe, vous ne la ramassez pas forcément, vous ne la remettez pas au bon endroit, pas plus que vous ne remettez le document, ou l’objet là où vous l’avez pris et tout ça participe du « chaos ». Il n’y a pas toujours des professionnels avertis, en poste, qui vous guident, vous transmettent ce type de valeurs et veillent sur le patrimoine. C’est malheureusement aussi la triste réalité.
Valérie, ton expérience sur Wikipédia, tes contributions, tes recherches pour indiquer des sources, pour qualifier les articles, pour mettre d’équerre certaines choses, etc. tu travailles énormément sur cet outil, est-ce que cette expérience, ce labeur t’a aidé pour la réalisation de ce livre ?
Valérie CHANSIGAUD : Indirectement. Je suis venue à Wikipédia un jour, comme tout le monde, je cherchais quelque chose, je suis arrivée sur Google, sur une page en anglais, ouah ! vachement bien, il y avait une foultitude d’informations sur le sociologue que je cherchais et qui avait publié un livre passionnant en 1950, bref. J’ai été sur la partie française, j’ai trouvé ça lamentable. Je me suis demandé ce qu’était ce machin, que ce soit sur l’ergonomie que je trouvais lamentable et pathétique, que je considère d’ailleurs toujours comme très mauvaise, c’est très compliqué Wikipédia, quand on ne connaît pas l’informatique contribuer n’est pas évident. Il y a un sacré apprentissage à faire même s’il n’est pas impossible, ça reste compliqué. Je me suis dit : qu’est-ce que c’est que ce truc ? J’ai été voir un article sur un domaine que je connaissais bien, à savoir les araignées, comme par hasard, forcément on revient toujours à ses premières amours, et j’ai vu à peu près une erreur tous les deux mots. Je me suis dit : c’est une catastrophe. Mais, on peut modifier ? Bien sûr, j’ai modifié illico pour nettoyer tout ce que j’ai pu. Et puis, je me suis dit : c’est rigolo, ce machin et j’ai créé mon premier article en faisant 3 fautes dans le titre, qui ont été corrigées par la suite, sur Jack GOODY, dont je vous recommande la lecture, c’est génial et passionnant.
En fait, je me suis servi de Wikipédia pour faire quelque chose que je n’avais jamais résolu, c’est la question de la prise de notes. Au cours de mes lectures, de mes recherches, je tombais forcément sur monsieur X, ou monsieur machin, ou monsieur Z, puisque c’est essentiellement des messieurs, dans l’histoire naturelle les femmes sont quand même quasi totalement absentes. Là, c’était génial, je pouvais mettre mes informations quelque part tout en en faisant profiter d’autres personnes.
En faisant mon livre, je me suis rendu compte parce que, par exemple, tous les titres cités ont été bien sûr vérifiés sur des catalogues extérieurs et c’était assez marrant de voir ce test grandeur nature de la qualité de Wikipédia, par exemple. De toujours vérifier sur d’autres ressources ce que j’avais pu engranger en tombant sur telle, ou telle note, ou quelqu’un d’autre, je n’étais bien sûr pas seule là-dedans, et effectivement je faisais ce qu’on doit faire avec Wikipédia, ce qu’on recommande de faire, c’est de croiser l’information. Donc, ça ne m’a pas servi directement, mais indirectement ça m’a permis au moins d’avoir un éventail complet et quand je tombais sur une information intéressante mais que je n’allais pas utiliser dans le livre, je la mettais dans Wikipédia. Parce que bien sûr, il y a des naturalistes, des ornithologues dont je n’ai pas du tout parlé.
Question 4 : Un peu plus largement, tout à l’heure, vous nous avez dit que certains livres étaient écrits très vite, par des gens qui ne connaissaient pas toujours – quand vous parliez de l’exemple de l’automobile -, comment expliquez-vous que certains professeurs aient un blocage complet par rapport à Wikipédia comme si le livre, l’encyclopédie papier était intouchable, et que Wikipédia parce qu’ils ont relevés 2 erreurs, dans deux articles, c’est inacceptable, alors qu’on relève aussi des erreurs dans les livres ?
Valérie CHANSIGAUD : Vous avez 2 heures, là devant vous ? C’est un sujet intéressant, compliqué, pour lequel on n’a pas forcément toutes les réponses. Je vais vous donner ma grille d’analyse. Le numérique en général, ce n’est pas le papier, ce n’est pas du tout la même logique de travail et d’organisation. Wikipédia, par exemple, ce n’est pas fait ad vitam aeternam, un article bouge. Il peut être corrigé, amélioré, etc. En général, c’est comme ça que ça se passe. Parfois, on voit dans la presse : « oh ! la, la ! de bons articles qui deviennent de mauvais articles », c’est une fable. La plupart des articles connaissent le destin inverse. Ils sont en général, au début microscopiques, ils deviennent mauvais, puis ils s’améliorent au fil du temps. D’ailleurs, plus un article, - ça, ça a été étudié moult fois - est fréquenté, modifié, plus il a tendance à s’améliorer. C’est vraiment quelque chose qui a été observé plusieurs fois. Forcément, comme c’est un changement complet, à la fois dans ce caractère immédiat, on fait une modification, pouf, elle est en ligne. Ça n’a rien à voir avec le livre. Le livre imprimé, c’est autre chose. Il a un numéro ISBN qui permet de le repérer d’une certaine façon, là, on n’est plus dans cette logique-là. Il n’y a pas un individu qui porte un état de la vérité. On a un article qui va évoluer au fil du temps. Mon opinion que j’ai pour un article X aujourd’hui sera peut-être totalement fausse si je la maintiens parce que l’article aura évolué. D’ailleurs, parfois j’ai des discussions assez surréalistes, des opposants à Wikipédia qui me disent : « Oh oui, l’article machin n’est pas bon, il y a telle et telle erreur. » On va voir, la longueur a été multipliée par 4, les erreurs qu’il a constatées sont depuis belle lurette corrigées. Donc, son avis, il faudrait que sa critique soit, comme Wikipédia, mise à jour régulièrement. C’est ça, le problème. C’est très déstabilisant pour certaines personnes. Ça, je le comprends tout à fait. Autant je trouve que c’est un outil formidable, autant je ne dis pas que ça doit tout remplacer. Comme je le disais tout à l’heure, il faut croiser ses sources. Mais c’est très bien pour une première recherche, pour une première information sur un sujet. C’est d’ailleurs utilisé comme ça, Wikipédia. Quand on voit les statistiques de fréquentation par Médiamétrie, les 8 millions de français qui viennent chaque mois sur Wikipédia, séjournent à peu près 20 mn. 20 mn, on voit à peu près 3 pages en moyenne, mais c’est tout. Ça veut dire que c’est une première information, on s’arrête puis on va chercher autre chose. On avait besoin de connaître la musique du film machin, de connaître la mort de trucmuche, on trouve l’information et ça s’arrête là. C’est un outil qui est aussi, pour cette raison, de nature différente de la source sur laquelle on va passer 2 h pour étudier, réfléchir, lire et croiser. Et le problème est que ça s’appelle une encyclopédie, on a tendance à dire : ce n’est pas une encyclopédie parce qu’on ne peut pas s’en servir comme une encyclopédie classique. Il y a d’ailleurs un fantasme de l’encyclopédie papier. Autant les médiathèques et bibliothèques qui achètent une encyclopédie vont s’en servir autant les gens qui l’achètent ne s’en servent bien souvent que 3 fois au cours de leur vie. Personne ne va lire son encyclopédie, s’y référer tous les jours. Pour beaucoup c’est un talisman. D’où la fortune des ventes de l’encyclopédie par fascicules. Il ne faut pas se leurrer, on a l’impression d’acquérir la connaissance, mais après on n’en fait quasiment rien. Effectivement, pour Wikipédia, ce n’est pas la même pratique, le même contexte, ce n’est pas la même cohabitation des intervenants sur le savoir. Sur Wikipédia, c’est ouvert à tous. Alors là, il faut se méfier aussi de ça. C’est effectivement vrai que tout le monde peut intervenir pour participer, mais ça ne veut pas dire que tout le monde peut venir pour écrire n’importe quoi. Très souvent, là aussi, les médias écrivent franchement n’importe quoi sur Wikipédia. Il y a un très bon article dans Pour la science, qui est paru ce mois-ci. Pour une fois, l’article est mesuré, sans trop d’erreurs, presque pas d’erreurs. Pour une fois, je dis bien : pour une fois. On a la même chose dans Le Point, paru il y a quelques mois, et c’est une catastrophe. J’ai rencontré la journaliste. Elle a fait un truc très fort, elle dénonce le manque de qualité de Wikipédia en partant d’exemples qu’elle a trouvés non pas sur Wikipédia mais sur des blogs qui parlent de Wikipédia. Pas mal, n’est-ce pas ? Je citerais, quand même, Pierre ASSOULINE qui est parti dans un grand combat, une grande croisade contre Wikipédia, c’est devenu sa bête noire, il dénonce, conteste ces informations absolument non fiables que l’on trouve sur Internet, et il le fait où ? Sur Internet. C’est manifestement une affaire de culture, de générations, du changement du rapport à l’objet. Ce qu’il faut voir aussi, ce qui est fascinant, c’est les critiques que l’on porte sur Wikipédia. Idéalement, il faudrait les prendre, reculer, prendre du champ et on se dire : qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Quand on dit : on ne sait pas qui signe les articles. C’est en parti faux, on a tout l’historique avec toutes les interventions. Mais sait-on réellement comment est fabriqué un ouvrage scolaire, ou parascolaire ? Est-ce qu’on sait la part de l’éditeur ou de l’auteur, comme je vous évoquais tout à l’heure, sur un ouvrage X, ou Y ? Comment sait-on, comment tout ça s’est fait ? Que l’on ne me dise pas qu’un livre n’est pas, aussi, une boîte noire. Pour le coup, Wikipédia est beaucoup plus transparente que nombre d’ouvrages, ou médias. Donc, ce qui est très, très drôle c’est que les critiques qui sont faites sur Wikipédia le sont hors d’un contexte plus général. Après tout, les tenants de Wikipédia n’arrêtent pas de dire aux gens : ’’vérifiez, recoupez vos informations, ne croyez pas ce que vous lisez sur parole’’. Mais c’est une idée géniale de dire ça aux gens, et ce qui importe est qu’ils le fassent systématiquement, qu’ils regardent le journal de TF1, ou France 2, ce n’est guère meilleur, surtout au niveau de l’information scientifique et médicale, c’est une catastrophe, mais également au niveau des médias. Dans Le Monde, il y a quelques mois, je lis un article sur la disparition des essaims de ruche, une information qui a été reprise par plein de médias. Le titre, « Les plantes sont pollinisées à 80 % par les abeilles, elles sont menacées de disparition » Oh ! titre catastrophe ! Vous vous imaginez ? Alors c’est vrai la proportion est exacte. 80 % des plantes à fleurs sont pollinisées par des insectes, pas forcément par des abeilles. Les abeilles sont des animaux introduits, elles sont originaires d’Europe, mais pas d’Amérique, ni d’Océanie. Ça veut donc dire que les plantes à fleurs qui vivaient en Amérique ou en Océanie étaient tout à fait pollinisées avant l’arrivée des abeilles. Donc, globalement, même si je ne souhaite pas que les abeilles disparaissent, 80 % des plantes à fleurs ne vont pas disparaître, c’est faux. Par contre, on aura des soucis avec nos vergers parce que les abeilles, là pour le coup, sont très utiles, ça c’est autre chose. Donc, cette information qui était en partie vraie, en partie fausse, et surtout en partie catastrophique parce que ça permettait de faire un chapeau ou un surtitre, a été reprise je ne sais combien de fois, personne n’a dit, Pierre ASSOULINE en tête, c’est scandaleux on raconte n’importe quoi aux gens. On exige de Wikipédia, des choses que l’on n’exige pas des autres médias.
Question 5 : C’est peut-être simplement parce que c’est une façon de remettre en cause l’autorité du professeur, de celui qui dit.
Question 6 : J’ai une petite question, puisqu’on nous a dit que vous vous occupiez plus particulièrement du portail de botanique et de zoologie. J’utilise beaucoup le portail de botanique qui m’a beaucoup sauvé la mise, un petit moins celui de zoologie, mais j’ai l’impression que celui de botanique est plus complet, plus étoffé. Est-ce une impression ? Ou vous avez une raison à ça ?
Valérie Valérie CHANSIGAUD : La qualité d’un champ disciplinaire sur Wikipédia dépend étroitement du nombre de personnes compétentes qui y contribuent. Par exemple, en botanique, cela fait longtemps qu’ils sont assez bien organisés. Il faut dire qu’il y a moins de plantes que d’animaux et en zoologie, on a eu tendance, un peu trop, à favoriser des questions que je trouve accessoires et secondaires par rapport à des choses essentielles. Par exemple, dès qu’on a une image d’une bestiole quelconque, on crée un article avec sa taxonomie, sa classification, puis on s’arrête là. Moi, je serais partante, - j’essaye, mais la communauté résiste - pour supprimer systématiquement tous les articles où il n’y a qu’une image, une classification, on devrait supprimer 8 à 11 000 articles. La communauté est assez résistante, mais c’est en train de changer petit à petit. On a eu l’arrivée de contributeurs de qualité parce qu’en fait le problème du recrutement de contributeurs sur Wikipédia est le suivant, il est très simple. Un, il faut des contributeurs de qualité, ça veut dire quelqu’un qui sait écrire, qui sait faire une synthèse, il n’est pas nécessaire de faire une thèse de 500 pages pour écrire sur un sujet, il faut savoir des synthèses à partir de bonnes sources. C’est de la vulgarisation, ce n’est pas de la littérature primaire. Beaucoup de critiques oublient ça, et confondent les rôles. Donc, des contributeurs de qualité qui sachent se débrouiller avec le langage Wiki et tous les modèles que l’on se trimbale, et ça, c’est une vraie plaie. Deux, des contributeurs qui ont du temps. Ça, c’est un argument très important, peut-être un des plus importants. Parce que cette histoire prend un temps infernal. Il y a beaucoup de contributeurs, sur Wikipédia, qui passent à vue de nez, entre 4 et 12 heures par jour. Il faut pouvoir y consacrer ce temps. J’en connais qui passent plus de 12 heures. Donc, forcément quand on met tout ça en équation, le nombre de personnes est un peu limité. D’autant qu’il se développe des outils spécialisés qui font non pas concurrence à Wikipédia, mais un petit peu quand même. Par exemple, il y a FishBase, qui est une excellente base de données sur les poissons. Un outil extraordinaire fait notamment par des ichtyologistes du muséum, c’est un travail communautaire, je pense qu’il doit y avoir des amateurs là-dedans, du coup, je pense qu’on mettra du temps à recruter un très bon ichtyologiste qui va passer du temps. Vous voyez donc que le problème du recrutement est important, des contributeurs qui ont du temps. Il faut accepter de passer, minimum, 3 à 4 heures par jour.
Question 7 : Inaudible
Valérie CHANSIGAUD : Là, à nouveau, il nous faut 2 heures. Comment ça marche ? Wikipédia est un projet de la Wikimedia Foundation, qui est une association de droit américain, qui gère 9 projets. Le plus connu étant Wikipédia. Il y a un autre projet important qui s’appelle Wikimedia Commons, qui est une banque de documents multimédias essentiellement d’images, librement exploitables y compris à des fins commerciales, aujourd’hui, on est à plus de 2 millions de documents, souvent de très, très grande qualité. Si vous allez sur Wikipédia, en bas de la page d’accueil, vous avez la liste de tous les projets. On a également, dans le giron de Wikimedia Foundation, Wikiversity, c’est un site consacré à des cours, de la maternelle à l’université, libres et réalisés en collectif etc. je ne vais pas vous faire l’article là-dessus. Il y a toute une série de projets plus ou moins dynamiques. Il y a un projet, qui en France est peu dynamique, c’est Wikinews, je n’ai jamais compris ce qu’il y avait dedans. Il doit y avoir à peu près 3 personnes qui travaillent à ça.
Cette fondation qui gère les Wikipédia de toutes les langues, il y en a un bon paquet, c’est le huitième en taille dans le monde, c’est quelque chose qui est considérable à gérer. Elle possède la marque Wikipédia, les serveurs et c’est tout. C’est-à-dire qu’ils jouent le rôle d’un hébergeur. Quand un serveur tombe en panne, ils le remettent en marche. En tout et pour tout, il y a, dans la fondation, 8 salariés liés à Wikipédia. Huit personnes pour faire tourner le 8 huitième site au niveau mondial ! Sur les 8 salariés, il doit y avoir 5 informaticiens, dont 3 basés en Floride, les serveurs (350 à 500 serveurs) sont en Floride. Tout est financé par des dons. Valeur moyenne des dons, 20 dollars. Le budget de l’année qui vient est estimé, au minimum, à 2 millions de dollars. On essaye de rassembler plus de dons pour pouvoir financer d’autres choses à l’intérieur de la fondation.
Donc, c’est une sacrée utopie tout ça. C’est un système qui n’a rien à voir avec ce que l’on connaît. C’est un modèle qui est complètement nouveau, ça dérange certains parce que la nouveauté ne plaît pas à tous. Mais c’est une utopie qui se réalise petit à petit. Quand je suis arrivée, il y a 3 ans, il y avait 78 000 articles, en français, aujourd’hui, il y en a plus de 500 000. C’est considérable.
Taos AÏT SI SLIMANE : Ne crains-tu d’être désormais frustrée sur Wikipédia après ton expérience d’auteur ? Pour l’Histoire de l’ornithologie, tu as documenté ton ouvrage, synthétisé, travaillé sur un maximum de sources, manié le matériau produit par d’autres… tout cela est proche de ce que tu fais sur Wikipédia, mais tu as écrit « librement », et dans cet ouvrage on trouve une plume, ta pente, comme dirait Élisabeth Bing, or, sur Wikipédia, il y a une forme de lissage.
Valérie CHANSIGAUD : Non, ma réponse va être simple, pas du tout. C’est deux choses différentes. L’écriture même est différente. Il y a un ton extrêmement simple, des constructions verbales extrêmement simples. Sur Wikipédia, je ne m’amuse pas à faire des appositions, ou je ne sais quoi. Je ne cherche pas à faire du style sur Wikipédia. Ça dénote le fait que pour moi, c’est plus de la prise de notes qu’autre chose. Mais il y a d’autres personnes qui cherchent à faire du style. Par exemple, actuellement on a des soucis sur l’article consacré à Charles Darwin, suite à l’arrivée d’un néo-lamarckien qui a orienté l’article de manière bizarre, ça fait des années que je vois ce pauvre article sur Charles Darwin absolument minable, avec une bibliographie à faire peur tellement elle est longue. Il y a tous les articles, tous les livres, et Dieu sait s’il y en a eu sur Charles Darwin. Mais l’article lui-même est vraiment minable. Or, on a un article en anglais qui est vraiment épatant, du coup on a entamé une série de concertations, on doit être une petite dizaine à travailler dessus, il y a quelqu’un qui s’est chargé de la traduction de l’article anglais, -qui a été récompensé en anglais par un label de qualité, je mets beaucoup de prudence autour de ces labels qu’on s’auto-décerne, mais la communauté y tient- le traducteur s’est vraiment attaché à faire du vrai style. Mais pour moi, c’est bien séparé, ce n’est pas la même chose.
Taos AIT SI SLIMANE : Sur Wikipédia, certains articles sont une enfilade de mots techniques, ce qui les rend -la langue autant que le sens- difficilement accessibles.
Valérie CHANSIGAUD : Ça, c’est un autre défaut de Wikipédia. Très souvent, pour dire du mal de Wikipédia, on va dire : j’ai trouvé un article, je ne sais, sur la géométrie des bulles de savons en Chine, en XIIIe siècle, un article hyperspécialisé, où il y a une erreur qui est restée, pour dire tout le mal que l’on peut penser de Wikipédia. Ça, c’est un jeu très facile à faire. C’est exactement la même chose que de dire, ce matin, j’ai pris un train qui est arrivé en retard, franchement il faudrait fermer la SNCF. D’accord, on peut dire ça, sauf que, un, ça ne fait pas avancer les choses et, deux, ça ne reflète pas la réalité des choses. Je ne sais plus du tout pourquoi je te disais ça...
Taos AIT SI SLIMANE : Ma question partait du fait que certains articles étaient tellement spécialisés et complexes qu’ils devenaient arides, illisibles pour beaucoup.
Valérie CHANSIGAUD : Oui, merci. Moi, l’une des critiques que je fais, c’est du point de vue de la vulgarisation. Il y a de nombreux articles qui ne sont pas du tout vulgarisés. Je ne sais pas si l’article a changé mais, je le dis toujours quand je présente Wikipédia, c’est celui sur les prêles, ces innocents végétaux qui ont passé le temps sans trop bouger. L’article sur les prêles est absolument, complètement, totalement et de façon irrémédiable, je pense, incompréhensible. Je vous mets au défi de lire même le premier paragraphe. Ça doit être hyper juste. Là, on n’est plus dans le problème : Oh ! la, la ! Wikipédia on y lit n’importe quoi, là on n’arrive pas à lire quoi que ce soit. C’est vrai qu’il n’y a pas le souci du côté vulgarisation et ce pour plein de raisons. Comme on essaye d’être le plus juste possible, de pousser les contributeurs à être les plus justes possible, et bien ils sont les plus justes possible. Mais être juste dans un sujet scientifique, c’est plus compliqué que ça. On est dans le cadre de la vulgarisation et du coup l’article sur les prêles, si l’on comprend que ce sont des végétaux, c’est déjà quelque chose et j’en doute.
Mais on a plein de petits défauts comme ça. On a un gros souci en zoologie, par exemple, les articles consacrés aux NAC, nouveaux animaux de compagnies : furets, mygales… Régulièrement, il y a des gens qui pondent des tartines incroyables pour élever au mieux sa mygale favorite, ou son furet. Le problème est : est-ce que c’est encore des articles de zoologie ? On a des discussions avec des zoologistes patentés, qui participent au projet zoologie, pour savoir si l’on peut les garder, ou les mettre sous une autre image, ça c’est compliqué. Mais le problème est que régulièrement, sur l’article rat, on va avoir des bla-bla sur : moi, je chante à l’oreille de mon rat, il se porte mieux, il a le poil plus brillant… Des choses ahurissantes qui sont sourcées. Il y a des exigences de plus en plus fortes sur les sources, mais en cherchant bien on peut sourcer à peu près n’importe quelle bêtise, notamment dans le domaine des NAC. In fine, le problème est la gestion globale de ça.
Me voilà en train de vous faire une présentation sur Wikipédia, ce n’est pas le but premier de cette rencontre. Wikipédia n’est pas une communauté sans règles. Elle est truffée, bourrée de règles, des règlements de partout, des aides, des avis… Dès qu’on a un truc qui ne va pas, on fait une page de vote. Les pages de discussions sont parfois plus longues que celles de Guerre et paix de Léon Tolstoï. C’est une calamité. Je fuis, comme la peste, ces pages de discussions et de votes tellement c’est infernal. Il y a 2 phénomènes qui se passent et qui, pour moi, sont embêtants, c’est qu’un il y a des personnes qui ne font que ça, c’est-à-dire que voter, que d’être sur les pages de discussion et de vote -On regarde parce qu’on a plein d’outils pour voir qui fait quoi, sur quel domaine etc.- c’est des professionnels du côté administratif de Wikipédia. Quelle est l’expérience qu’ils ont d’écrire des articles ? Ils n’en écrivent jamais. J’avais proposé, ça n’a pas été adopté, de faire un permis à point : 1 vote pour 50 articles écrits, ça aurait été génial et les pages de votes auraient diminué, ou de limiter, par exemple, le bla-bla qu’on rajoute sur les pages de discussions, à 3 lignes, ça aurait été bien pour inciter à la concision. Le problème est que sur certaines pages de vote, on sent bien que les personnes qui votent n’ont aucune connaissance du sujet. Je peux vous donner un exemple. Il y a un article qui s’appelle, critique du darwinisme. Quand on le lit, on sent bien qu’on parle de la critique de la théorie de l’évolution, ou des théories de l’évolution. Or, le darwinisme n’est pas un synonyme de théorie de l’évolution. C’est une théorie de l’évolution durant l’histoire de la théorie de l’évolution inaugurée par Lamarck, on va lui accorder ça. Du coup, il y a une ambiguïté. On cite, par exemple, Pierre-Paul Grasset qui n’a jamais été contre la théorie de l’évolution, mais qui a remis en question la sélection naturelle émise par Darwin, peu importe, on ne va pas rentrer dans ces détails. L’article en tant que tel, vu comme il est nommé, vu comme il est chapeauté, n’est pas cohérent. C’est un nid à problèmes, il faudrait le supprimer, le remplacer par des choses plus pertinentes du style, la réception – on a un très bon article en anglais là-dessus– de la théorie de Darwin à son époque, ou critique des théories de l’évolution, où l’on pourrait caser tous les intégristes de tous poils. Là, c’est un article bâtard, qui mélange darwinisme et évolution, du coup on ne sait plus qui fait quoi, qui est qui, etc., mais les gens qui votent n’ont pas cette perception-là. Ils n’y connaissent probablement rien, ou ils ont des connaissances globales et cela ne les choque pas de mettre en synonymie darwinisme et évolution. Ça, c’est un problème. La page que l’on a proposée à la suppression, ne le sera pas. Ce n’est pas grave, je vais passer derrière et je vais virer tout ce que je pourrai, ça reviendra au même, mais c’est dommage que l’on ne puisse pas recentrer les votes sur le vrai sujet qui est derrière, mais il aurait fallu sans doute plus l’expliquer. Très souvent, on se rend compte que les choses qui ne vont pas c’est parce qu’il y a un défaut d’explication au sein de la communauté même. Parfois on passe des heures sur des bêtises simplement pour régler des petits points, pour faire que la communauté vote. On a eu une guerre à une époque pour savoir si l’article sur l’endive devait s’appelait endive, ou chicon. la guerre était heureusement virtuelle autrement il y aurait eu des morts. Si on imprimait tout ce qui a été dit à ce sujet, ça serait plus gros que mon bouquin.
Ça, c’est les joies d’un groupe humain avec ses défauts, ses imperfections et tous ces trucs absolument fabuleux. J’avais créé un article sur le premier naturaliste qui avait mis les pieds au Japon, après l’ouverture du Japon aux Occidentaux. Il avait fait un travail considérable. Il y a des bibliographies japonaises énormes sur lui. J’ai dû écrire 10 lignes peut-être. Ça a été pris en main par un contributeur français installé au Japon, depuis 30 ans, qui lit parfaitement le japonais, botaniste également. Il nous a fait un article vraiment épatant, sérieux et documenté. Je suis toujours très impressionnée quand je vais voir la bibliographie, vu qu’elle est écrite en japonais, je n’y comprends absolument rien. Il a même été dans des bibliothèques des laboratoires de botanique au Japon uniquement pour rédiger cet article. Ça, ça fait partie des merveilles que l’on trouve sur Wikipédia.
Taos AIT SI SLIMANE : Merci beaucoup, Valérie. On a eu trois contributions en un : auteur, éditeur et Wikipédia. Un grand merci particulièrement à l’auteur, c’est elle que nous avons invité et écouté avec plaisir et intérêt comme à chaque fois. Merci aussi à l’ex éditrice, et à l’administratrice de Wikipédia. Les règles du Wiki, « Fabrique de sens », ne sont pas encore écrites, j’espère que Valérie acceptera d’être des nôtres, avec d’autres personnalités que je vais solliciter, pour constituer un comité éditorial et méthodologique afin d’éviter les guerres même virtuelles.