Toni MORRISON : L’écriture comme lignes de vie, par Claudine Raynaud
« Le bonheur ne m’intéresse pas dans mon travail. Ce qui m’intéresse, c’est la survie »
Le sous-titre de ma monographie sur l’écriture de Toni MORRISON est « l’esthétique de la survie » (1996), et c’est à partir de cette notion de « survie » que je vais aborder aujourd’hui son œuvre. Car, comme nous allons le voir, au-delà de l’ancrage dans la culture noire américaine, l’intervention de Toni MORRISON nous interpelle en ces temps de confinement. « Survivre », dit-elle, et c’est ce sur quoi porte son effort d’écrivain, d’intellectuelle, de créatrice. Comment survit-on ? Quelles ressources doit-on développer, déployer ? En quoi, l’art et ici, la littérature, sont-ils une réponse face à la mort, l’anéantissement, l’oubli, la négation de soi ? En outre, son œuvre nous interroge-t-elle de manière plus globale sur le rapport de l’homme à autrui, le rapport de l’homme au monde animal, végétal ?
I. Éléments biographiques, bibliographiques et notion de littérature noire américaine
Dates : née 18 février 1931, morte l’été dernier, 5 août 2019
Directrice de collection à Random House, Professeur à Princeton
Prix Nobel 1993, Prix Pulitzer 1988, médaille de la liberté remise par Obama
11 romans
L’Œil le plus bleu, 1970
Sula, 1974
Le Chant de Salomon (Song of Solomon), 1977
Tar Baby, 1981
Beloved, 1987
Jazz, 1992
Paradis (Paradise), 1994
Love, 2003
Un don (A Mercy), 2008
Home, 2012
Délivrances (God Help the Child), 2015
Pieces de théâtres : Dreaming Emmett, Desdemona
Libretti pour opéras : Honey and Rue, Margaret Garner
Livres pour enfants (avec son fils Slade), poèmes
Invitée du Louvre Étranger chez soi / « le chez soi de l’étranger », 2006
Recueils
Playing in the Dark. Whiteness and the Literary Imagination, 1992
Race-ing Justice and En-gendering Power (Clarence Thomas), 1992
Birth of a Nation’hood : Gaze, Script and Spectacle in OJ Simpson’s Trial, 1997
L’Origine des autres, 2018
La Source de l’amour propre, 2019
Avant toute chose, j’aimerais revenir sur le concept de littérature noire américaine. Pour MORRISON, la littérature noire américaine n’est pas un traité sociologique. Je ne suis pas comme ... comme JOYCE, comme FAULKNER : elle refuse ces comparaisons. Elle refuse aussi l’enfermement dans la catégorie « littérature noire américaine » : elle écrit pour les Noirs, à partir de son expérience de femme noire américaine, ce qui explique un regard que certains qualifient de « féministe », bien qu’elle-même se méfie de ces étiquettes.
Citant Tolstoï, elle réclame un accès à un vaste lectorat ; le particularisme de l’expérience, de la situation historique, géographique, ne doit pas se penser comme excluant ce qui nous lie en tant qu’humain (« the commonness of our humanity »), ce qui sous-entend que nous le penserions ce particularisme pour la littérature noire, mais non pour la littérature blanche, ou mondiale ... De la même manière que Tolstoï décrit la société russe de son époque tout en dotant ses ouvrages d’une dimension universelle, la spécificité de l’expérience décrite ne s’oppose pas à l’exemplarité, à la portée humaniste du message.
II. Histoire et survie
C’est bien évidemment en référence à l’histoire des Noirs américains qu’elle envisage la question de la survie. Elle chronique dans ses fictions ce qui fait que, depuis le génocide de la traite et de l’esclavage, à travers les expériences de la ségrégation, des lynchages et de la Grande Migration vers les villes du Nord, les Noirs américains ont survécu. « 60 millions et d’avantage » est la dédicace de son roman le plus connu, Beloved (1986) qui traite de la période de la Reconstruction après l’abolition de l’esclavage.
Le dialogue suivant entre Paul D et Payé Acquitté, deux ex-esclaves, tiré de Beloved, dit bien ce qu’il faut endurer, mais aussi la force morale, la résistance dont il faut faire preuve. La folie, le suicide, la mort étant l’autre option :
Un frisson traversa Paul D. Un spasme à glacer les os qui lui fit s’empoigner les genoux. Il ne savait pas si c’était le mauvais whisky, les nuits dans la cave, la fièvre porcine, le mors de fer, les coqs souriants, les pieds rôtis, les hommes morts en riant, les sifflements de l’herbe, la pluie, les fleurs de pommier, la bijouterie du cou, Judy dans l’abattoir, Halle dans le babeurre, l’escalier d’un blanc de fantôme, les prunelliers, les camées, les trembles, le visage de Paul A, la saucisse ou la perte d’un cœur rouge vif …
- Dis-moi voir, Payé. (Les yeux de Paul D étaient chassieux). Dis-moi juste une chose. Jusqu’à quel point un nègre est-il censé tout accepter ? Dis-moi. Jusqu’à quand ?
- Tout ce qu’il peut, dit Payé Acquitté. Tout ce qu’il peut. (« All he can »)
- Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? (p. 326)
Mais on ne survit pas en étant victime. On survit en faisant des choix. C’est ce qu’elle explique notamment à propos de la mère Sethe, esclave qui a fui dans les territoires libres, et qui choisit de tuer son enfant plutôt que de la laisser retourner en esclavage :
Comment les esclaves ont-ils survécu ? Comment leurs descendants ont-ils survécu ? C’est une question toujours d’actualité en Amérique où l’espérance de vie des jeunes Noirs est très basse. Le héros du Chant de Salomon, Guitare Bains qui choisit une voie semblable à celle des Panthères noires comme solution à la violence raciste, exprime ainsi sa préoccupation première qui est celle de la survie de la lignée :
Est-ce que nous avons un tribunal, nous ? Y a-t-il un seul tribunal dans une seule ville de ce pays où un jury les condamnerait ? Il y a des endroits encore aujourd’hui où un Noir ne peut pas témoigner contre un Blanc ; où le juge, le jury, le tribunal sont tenus de par la loi de refuser d’entendre ce qu’un Noir peut avoir à dire. Ce qui signifie qu’un homme noir est victime d’un crime uniquement si un homme blanc l’admet. Uniquement. Et s’il y avait quelque chose qui ressemble de près ou de loin à une justice ou à des tribunaux quand un p’tit Blanc tue un Noir, on n’aurait pas eu besoin des Sept Jours. Mais ça n’existe pas. Alors nous existons. (p. 156)
Notre but n’est pas que tu vives plus longtemps. Plutôt comment tu vis et pourquoi. Ce qui nous intéresse c’est que tes enfants puissent faire d’autres enfants. C’est d’essayer de construire un monde où les Blancs réfléchiront avant de lyncher. (p. 157)
La voie qu’il choisit est celle du meurtre, de la loi du talion, pour un Noir tué, un Blanc le sera ; elle est contrebalancée par l’autre voie, celle de son ami Milkman (Le Laitier), le héros du roman. Celui-ci revient sur le chemin de ses ancêtres dans les terres du Sud et apprend leurs noms, ainsi que le secret de leurs exploits, ceux des Africains volants.
Cette survie passe par l’écriture, le langage, ce que MORRISON explicite dans le discours de Stockholm lors de la remise du prix Nobel. Survivre, c’est soustraire le langage à la mort, c’est-à-dire la doxa, les idéologies qu’il véhicule : « Le langage [est] sujet à la mort, à l’effacement ; il est à n’en pas douter, en péril et ne peut être sauvé que par un effort de la volonté. » (Discours de Stockholm, 1993). Ce discours est une parabole qui met en scène une vieille femme aveugle, l’écrivaine, et des jeunes gens. Le langage y est figuré par un oiseau qu’ils tiennent entre leurs mains : est-il vivant ? est-il mort ? La vieille femme leur répondra que la responsabilité de la survie de l’oiseau (donc du langage) leur incombe. C’est à eux d’agir.
La survie passe donc par recouvrer une histoire effacée, malmenée, car comme le dit un des personnages de Beloved : « Les définitions appartiennent à ceux qui les formulent ». L’histoire est écrite par les vainqueurs. Dans les années 90, MORRISON déclare au sujet de l’histoire de l’esclavage, qu’elle fait l’objet d’une « amnésie nationale » dans son pays. Beloved porte sur l’esclavage, Jazz sur les années 20, Paradis sur les années 60. Le héros de Home est un soldat qui a combattu en Corée et souffre de syndrome post traumatique. Le temps et le lieu d’Un don sont l’Amérique précoloniale, avant la fondation des États-Unis en 1776.
III. Mémoire et création
Recouvrer l’histoire repose sur la mémoire : le récit épouse les va-et-vient de la mémoire ; il est une remontée vers le passé par les souvenirs. Pour cela, MORRISON a recours à la langue des Noirs américains, le vernaculaire (AAVE : African American Vernacular English) : il faut se « re-souvenir » : « to rememory ». L’ex-esclave Sethe, qui a tué sa fille Beloved pour que les maîtres d’esclaves ne la reprennent pas, essaie d’oublier, mais le roman met en scène le retour du refoulé ; sa fille revient sous forme de fantôme. Il va falloir reconstruire mentalement la scène du trauma pour passer à autre chose. La nécessité de se souvenir s’établit par rapport au trauma de l’histoire (traversée transatlantique, esclavage, ségrégation, première ou deuxième guerre mondiale, guerre de Corée), mais aussi par rapport au trauma individuel, tel l’inceste (L’Œil le plus bleu), l’abus sexuel des enfants (Délivrances). Dans son processus de création, MORRISON insiste sur le fait que l’image est première ; elle lui permet de remonter au souvenir. Les souvenirs intérieurs (« memories within ») sont le terreau de son œuvre. Elle déclare ainsi : « Je dois faire confiance à ma mémoire et à la mémoire des autres » ou bien encore : « La mémoire (le fait de se souvenir de quelque chose de façon délibérée) est un acte volontaire de création ». La création est définie comme une sorte d’« archéologie littéraire » : c’est cette métaphore qui explique l’acte créateur. Il s’agit de reconstruire le passé en fonction de restes ou « remains » qui résonnent avec le français « rémanence » :
C’est une sorte d’archéologie littéraire : à partir de certaines informations et quelques conjectures, tu te déplaces sur un site pour voir quels vestiges on y a laissé et pour reconstruire le monde que ces vestiges impliquent. « Le site de la mémoire », La Source de l’amour propre, p. 302.
C’est l’image qui va lui permettre d’accéder à la vérité. L’opposition qu’elle introduit est non entre les faits et la fiction, mais entre les faits et la vérité :
Par conséquent, la distinction cruciale pour moi n’est pas la différence entre les faits et la fiction, mais la distinction entre les faits et la vérité. Parce que les faits peuvent exister sans l’intelligence humaine, mais non la vérité. Donc si je cherche à découvrir et exposer une vérité sur la vie intérieure de gens qui ne l’ont pas couché sur le papier (ce qui ne signifie pas qu’ils n’en avaient pas) ; si j’essaie de combler les lacunes laissées par les récits d’esclaves, de lever le voile qui était si souvent tiré, de mettre en mot les histoires que j’ai entendues alors l’approche qui est la plus productive et la plus fiable, est alors pour moi le souvenir qui mène de l’image au texte. Pas du texte à l’image. « Le site de la mémoire », La Source de l’amour propre, p. 302.
L’acte créateur se contente de détails, d’impressions, des émotions. Avec ces fragments, ces morceaux (« pièces »), elle essaie de construire un ensemble plus grand, mais ces parties doivent rester distinctes. Elles forment des cercles ; elles ne se touchent pas. La forme des romans en découle. C’est la spirale pour Sula, le miroir brisé pour l’Œil le plus bleu, un train qui prend de la vitesse pour le Chant de Solomon. La forme doit correspondre au contenu. La circularité, les retours en arrière, définissent une esthétique non linéaire, chahutée. Dans Jazz, c’est la musique de jazz, le blues, qui sert de modèle au récit et à sa fragmentation. Des portions de texte correspondent à la mélodie qui revient, est rejouée. La syncope trouve sa place dans les transitions abruptes entre les chapitres.
La littérature noire est le relais de la musique noire, du prêche, des sermons, des arts de l’oralité, d’où l’importance de la parole et des sons. MORRISON écrit de la littérature de village, de la littérature de paysans (« village literature », « peasant literature ») où l’individu doit rendre des comptes à la communauté. Pas de littérature de ghetto, pas de littérature de la plantation. Les romans des écrivains blancs décrivent l’aliénation du héros dans la ville. La ville est un lieu autre pour le Noir américain, c’est un lieu de liberté et le lien avec le village doit être préservé. Dans Jazz, Violette et Joe sont respectivement coiffeuse et représentant de cosmétiques à domicile dans le Harlem des années 20 qui n’est pas, à cette époque, le ghetto urbain qu’il est ensuite devenu.
IV. Éthique : « the moral imagination »
L’éthique qui découle de cette pratique d’écriture provient de la place faite au lecteur. Les fins de ses romans sont ouvertes : au lecteur de décider. Voici l’excipit du Chant de Salomon comme exemple de son refus de clôture :
Sans essuyer ses larmes, sans respirer profondément, sans même plier les genoux – (Milkman) sauta. Léger et brillant comme une étoile filante, il tournoya vers Guitare, et peu importait que ce fût l’un ou l’autre qui rendît l’âme dans les bras meurtriers de son frère. Car il savait maintenant ce que savait Shalimar : si l’on s’abandonne à l’air, on peut le chevaucher. (p. 320)
On ne peut conclure sur ce qui va se passer : Milkman va-t-il mourir ou au contraire s’élever dans les airs comme son ancêtre Salomon ?
« Le lecteur doit participer dans l’expérience non narrative, non linéaire du texte » : cette expérience aboutit à la transformation de son lecteur/sa lectrice qui doit notamment revenir sur ses propres stéréotypes « racistes » ou « racialisants ». Elle a ainsi volontairement brouillé les pistes dans Paradis en ce qui concerne l’appartenance raciale des personnages. La fin de Jazz est symptomatique de la façon dont MORRISON introduit dans son texte des espaces pour que le lecteur puisse intervenir et utiliser sa propre imagination. Ici, le lecteur est interpellé dans sa présence physique, hors texte, dans son corps :
Pouvoir dire tout haut ce que (les vieux amants) n’ont pas besoin de dire : Que je n’ai aimé que toi, n’ai abandonné mon être entier qu’à toi et à personne d’autre. Que je veux que tu m’aimes et que tu me le montres. Que j’aime la façon dont tu me tiens (…). Mais je ne peux pas le dire tout haut ; je ne peux dire à personne que j’ai attendu ça toute ma vie et qu’avoir été choisie pour attendre est ce qui m’a permis de le faire. Et si je pouvais je le dirais. Dirais fais-moi, refais-moi. Tu es libre de le faire et je suis libre de te laisser parce que regarde, regarde. Regarde où sont tes mains. Maintenant. (p. 249)
Le récit doit faire parvenir le lecteur à une connaissance : « La forme narrative (le récit) est une des façons dont la connaissance s’organise ». Elle ajoute aussi : « Il est important que ce que j’écris ne soit pas simplement littéraire (références, noms cités, etc. souvenirs littéraires du lecteur) ». Le contenu de la culture afro-américaine (folklore, chants, musique, art du sermon, vernaculaire) est mis en avant, comme la légende des Africains volants, le conte de compère Lapin et Tar Baby (la poupée de goudron), dans Tar Baby.
Si mon travail doit refléter fidèlement la tradition esthétique de la culture africaine américaine, il doit faire un usage conscient des caractéristiques de ses formes artistiques et les traduire sur la page : l’antiphonie, la nature collective de l’art, sa fonctionnalité, l’improvisation qui est dans sa nature, sa relation à un auditoire qui s’implique, la voix critique qui soutient la tradition et les valeurs de la communauté, et qui aussi offre à l’individu l’occasion de transcender et/ou de défier les restrictions du groupe. « Mémoire, création et fiction », La Source de l’amour propre, p. 395.
Écrire l’esclavage (celui de la traite, des plantations) lui a été seulement possible avec Beloved. Ce texte soulève la question d’une poétique de l’abjection. Elle revient à la notion d’esclavage avec A Mercy (Un don) qui se situe au XVIIème siècle, mais il s’agit là de mettre en fiction la naissance de la notion de « race », l’« invention » de la race, car ce roman fait référence à différents états d’asservissements, outre l’esclavage : serviteurs sous contrat, épouses envoyées aux colonies par des parents nécessiteux. Un des personnages principaux est un Africain libre.
Les romans de Toni MORRISON témoignent, en anglais « « bear witness », et c’est ce recouvrement de ce qui a été délibérément occulté qui sert pour le présent, en particulier pour ceux qui doivent vivre dans des conditions d’oppression, de domination :
Si mon travail doit servir le groupe (le village, en quelque sorte), il doit alors témoigner et identifier dans le passé ce qui est utile, et ce qui devrait être rejeté ; il doit faire que l’on puisse se préparer pour le présent, et pour que nous arrivions à le vivre ; et il doit faire cela, non pas en évitant les problèmes et les contradictions, mais en les examinant ; il ne devrait même pas tenter de résoudre les problèmes sociaux, mais il devrait sûrement essayer de les clarifier. « Mémoire, création, et fiction », La Source de l’amour propre, p. 395.
Coda : survivre à l’oppression, mais aussi au-delà, survie du monde qui nous entoure
On note une progression dans l’œuvre depuis le pessimisme des premiers romans (dans L’Œil le plus bleu, la petite Pecola devient folle car elle comprend qu’elle n’a pas l’œil le plus bleu du monde) vers des textes dans lesquels on entrevoit des solutions, des résolutions. Cette progression se traduit par un certain minimalisme, des romans plus brefs.
On guérit (« healing ») en mettant en mots, en mettant en paroles, l’indicible, à l’image de la cure psychanalytique (« talking cure ») : dans Beloved, les deux ex-esclaves, Paul D et Sethe, par l’échange de leurs récits respectifs atteignent une certaine paix, en mettant leurs histoires côte à côte. Raconter à l’autre. Recevoir l’aide d’ancêtres bienveillant(e)s, d’une communauté aimante. Cee et son frère, Frank Money, dans Home, finissent par donner une sépulture digne à un homme lynché enterré à la hâte par des Blancs du Klan. Cette thématique d’une sépulture, littéralement de faire que les morts reposent en paix, « Rest In Peace », se retrouve de roman en roman. Les fantômes dérangent ; le refoulé fait retour. Il faut donc y faire face et agir.
Peut-on envisager une lecture éco-critique de MORRISON ? Survivre dans un univers préservé avec un lien à la nature recouvré. Tar Baby se situe dans une île des Antilles. Le roman met en scène des personnages blancs et la leçon finale est que : « Cela commence avec le secret le plus fondamental de tous : comme nous regardons le monde, le monde nous regarde. C’est le genre de secret que l’on avait de toute façon quand nous étions enfants, les arbres nous regardent. » (p. 110) Dans Le Chant de Salomon, le héros, au cours de la chasse au lynx dans le Sud de ses ancêtres, fait une expérience déterminante dans sa quête initiatique. Il comprend à travers les cris des animaux et les sifflements et cris des chasseurs qu’il a pénétré dans un temps avant le langage humain : un temps du dialogue entre les hommes et les bêtes. Une préoccupation du rapport de l’homme à la nature parcourt l’œuvre ; si elle n’avait pas fait l’objet de l’attention critique, ceci est en passe d’être rectifié.
IV. Conclusion
Une œuvre magistrale, plurielle, qui se double d’un engagement politique réel : essais sur le racisme, étude de la notion l’altérisation (ou « othering », L’Origine des autres : pourquoi a-t-on besoin d’un autre qu’on avilit ?), participation au Parlement des écrivains. Y a-t-il un héritage ? Les écrivains suivants peuvent être considérés comme les héritiers de Toni MORRISON, à commencer par les femmes écrivains Gloria NAYLOR, Sapphire, Ayana MATHIS, dans une moindre mesure Percival EVERETT et Colson WHITEHEAD, mais aussi des écrivains plus jeunes comme Ta-Nehisi COATES, Jesmyn WARD, Kiese LAYMON. Ils constituent la nouvelle garde des lettres noires américaines.
Liste de lecture : romans noirs américains contemporains :
Gloria Naylor. Les Femmes de Brewster Place (1980)
Sapphire. Push (1996)
Ayana Mathis. Les Douze Tribus d’Hattie (2012)
Percival Everett. Effacement (2004)
Percival Everett. Blessés (2008)
Percival Everett. Pas Sydney Poitier (2011)
Colson Whitehead. Le Chemin de fer souterrain (2017) (Prix Pulitzer)
Ta-Nehisi Coates. Une colère noire (2016) National Book Award Nonfiction
Ta-Nehisi Coates. The Water Dancer (2019) (en anglais)
Jesmyn Ward. Bois sauvage (2011) National Book Award Fiction
Jesmyn Ward. Le Chant des revenants (2019)
Jesmyn Ward. Moissons funèbres (2016)
Kiese Laymon. Balèze (2020, à paraître)
Bibliographie sélective de Claudine Raynaud sur Toni MORRISON
Ouvrage
Toni MORRISON : L’esthétique de la survie. Collection voix américaines dirigée par Marc CHÉNETIER. Paris : Belin, 1995, 128 pages.
Émission radiophonique
- « Toni MORRISON, une esthétique de la survie » 2/4, France Culture, La Compagnie des auteurs, 9/10/2018.
- Conférence du 28 avril 2020 – pour Intermines LR 8
Traduction
Toni Morrison : « Le langage ne doit pas transpirer : conversation avec Toni Morrison » (1981), Trad. C. Raynaud, in L’Art du langage. Fragments anglo-américains. Dir. Sandrine Sorlin. Paris :Houdiard, collection « Essais sur l’art » 4 (2011), 91-100. ISBN-13 : 9782356920652
Chapitres d’ouvrages
- “Beloved, or the Shifting Shapes of Memory,” in Justine Tally ed. The Cambridge Companionto Toni Morrison, Cambridge, England : Cambridge University Press, 2007, 43-58.
- “Risking Sensuality : Toni Morrison’s Erotics of Writing,” in Monica Michlin and Jean-PaulRocchi eds. Black Intersectionalities, A Critique for the 21st Century. Liverpool : Liverpool University Press, 2014, 128-144.
- « Écriture et syncope : La femme noire dans la Ville, ou Jazz avec Cane », in Sophie Marret dir. Actes du colloque de la SAES de Rennes « Féminin/Masculin ». Rennes : PressesUniversitaires de Rennes, 1999, 275-289.
- « Toni Morrison : le lieu et la mémoire », in Josyane Pacaud-Huguet et Michèle Rivoire dir. Psychanalyse et écriture. Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 2000, 45-63.
- « Toni Morrison : le langage est sujet à la mort », in Sandrine Sorlin dir. L’Art du langage : fragments anglo-américains. Coll. Essais sur l’art. Paris : Michel Houdiard, 2011, 101-11
- "Living the Dying Inside’ : Writing Violence in Toni Morrison’s A Mercy." Sillages Critiques [En ligne], 22 | 2017, mis en ligne le 20 mars 2017