1937 : l’inauguration du Palais de la Découverte
souvenirs de Charles PENEL
Fin de dîner, mon père fait une déclaration précise, mais un petit peu stupéfiante pour moi : « Nous partons à Paris – dit-il - et nous emmenons Charles. »
Ah ! Vous parlez, c’est quelque chose d’extraordinaire pour moi. Paris, c’est l’Exposition universelle, le métro, les escaliers et tapis roulants, bien sûr l’Arc de Triomphe, la tour Eiffel ... et le Palais de la Découverte.
Une façade magnifique, en cuivre et en aluminium. Je me disais : « C’est bien normal que pour une maison de Savants cela soit aussi beau ! » Malheureusement, il y avait une queue terrible. J’avais peur que mes parents abandonnent et disent : « Non … »
Finalement, on est arrivé à entrer. Et là, nous nous trouvons dans l’immense hall, qui s’est toujours appelé le hall d’Antin, devant deux grandes colonnes, dominées par d’immenses sphères en cuivre. Je dis immenses mais je ne me souviens plus du diamètre, mais enfin, c’était quelque chose de très important. Tout cela dans ce hall dominé par deux balcons, et autour des boules, au niveau des balcons supérieurs, un immense grillage.
Le démonstrateur, ah non, pardon, je vais reprendre là … Le Savant était là … et alors il entreprend la description de ces fameuses colonnes. Jusque moment où … un éclair formidable, avec un bruit moins sourd que celui du tonner, un bruit crépitant, si vous voulez. Bon, Bah, … Moi, j’avais à moitié compris, je me disais : « Tu demanderas à ton grand-père, ensuite, comment cela se passe exactement là-haut … » Ma mère au contraire, elle, très, très impressionnée dit : « Non, non, non, … on quitte ce lieu, on va voir autre chose. »
Nous quittons le hall d’entrée, et nous nous dirigeons vers la droite où se trouvait la fameuse dynamo Poirson. Il y avait dans la salle l’ensemble dynamo et un circuit électrique, composé de barres d’aluminium. Les barres, disons, faisaient 30 cm par 5 cm de section, groupées par trois. Tout ça, pour faire passer un courant extrêmement important. Et cette boucle en aluminium allait d’une vingtaine de mètres de la dynamo sur trois mètres de large, et là-dedans, il y avait un fournil d’appareils étonnants, quantité de choses et j’apprends que cela s’appelle des expériences.
Là aussi, il y avait un Savant présentateur. Se présentait un grand balaise, car le Savant avait demandé un volontaire, auquel on donne une barre d’acier et on lui dit : « Approche-là de la barre en laiton » et alors là, cela se colle dessus. Il a beau tirer dessus au risque de se coincer les doigts, etc. Moi, j’ai trouvé cela très bien, très impressionnant. À ce moment-là, le Savant nous explique que quand on place un conducteur parcouru par un courant dans un champ, cela crée une force et que c’est le principe des moteurs. Alors-là, je me dis : « Ah, ben tiens, oui » ; alors-là, j’ai une petite idée sur les moteurs.
Après, il y avait, ce qui à mes yeux était presque du cinéma : la salle de l’accélérateur d’électrons. La salle était très, très noire, et sur une passerelle était installé un attirail d’engins dont je ne pouvais deviner les fonctions. Et tout cela, quand la machine marchait, s’illuminait un peu. Il y avait de drôles de lampes qui rougissaient puis, delà descendait un câble sur une sorte de pile de bols qui dominait une boîte en verre pleine de vide. Et dans la boîte, des cailloux. Et quand l’appareil marchait le vide devenait un petit peu bleuté et les cailloux resplendissaient, bleues et rouges brillants, c’était absolument étonnant. Alors, là il faut dire que j’étais perdu. Par contre, le public qui était là posait mille questions au Savant-présentateur qui leur montrait l’affaire.
Dans cette même salle, il y avait quand même d’autres choses qui m’avaient frappé. Mais, là, ce qu’il y avait, un souvenir impressionnant avec cette machine, et à côté, il y avait un tube de Crooks. Et là, il y avait encore un champ magnétique qui venait faire bouger l’image. D’autres part un grand tube dans lequel il y avait des décharges électriques dans les gaz qui devenaient lumineux. Tout cela était amusant à regarder sans pour cela bien comprendre ce dont il s’agissait, mais enfin, cela sera pour plus tard, ….
Ensuite, un immense escalier, majestueux, magnifique. En haut de cet escalier, un grand disque blanc sur lequel est écrit : Optique. Puis, une lueur colorée, sur ce disque et un ballon de verre, très fortement éclairé. Et là, une pancarte disant : c’est une façon de créer un arc en ciel en quelque sorte.
On rentre dans la salle, et dans la salle deux énormes loupes, de très grande dimension, mais alors pas plus grossissante que ma loupe que j’avais l’habitude d’utiliser. Mais à côté aussi, une loupe particulière qui était dite : lentille de Fresnel, réalisée avec des anneaux successifs, et qui paraît-il servait les phares, d’après les explications qui étaient données.
Notre galaxie. Voilà bien une chose bien mystérieuse, et à l’époque, dans une vitrine, une galaxie, réalisée probablement avec du coton, et là-dedans la place de la terre. Alors là, c’était étonnant. J’ignorais tout cela. On m’avait parlé de planètes, de système solaire à la rigueur et là on me dit que le système solaire est dans ce petit bruit de galaxie. Je trouvais cela parfaitement étonnant. Je me demandais comment on pouvait avoir découvert tout cela, surtout qu’à côté il y avait et des vitrines avec la conception de l’univers par les anciens. Et alors, cette balance entre les deux était assez impressionnante, et menait à se dire : « Vraiment, nous sommes sacrément plus forts que les anciens ! »
Papa m’avait fait des démonstrations avec des rubans de papier, à découper avec des ciseaux, suivant la façon dont il tortillait sa bande de papier, les résultats étaient étonnants. Et voilà que j’arrive dans la salle de mathématique, un ruban de Möbius, formidable ! et à côté une surface, constituée avec des fils, appelée « surface réglée », mais quelque chose qui faisait deux mètres de haut, et c’était … il y a une big pancarte qui disait que c’était la surface de Möbius.
Alors, « Surface réglée », on se dit réglée probablement par la formule, mais enfin, bon, …
Je préférais là-dedans, dans une petite des vitrines, une explication sur la façon dont les Égyptiens retrouvaient, par triangulation, leurs champs, enfin les limites de leurs champs, après les crues du Nil. Alors, là, je me dis : « Là, c’est pas mal, c’est simple. », parce qu’il y avait des triangles, je savais ce que c’était.
Puis après, bien sûr, il y avait la salle « Pi ». Alors, cette salle « Pi » de 450 chiffres alignés, impressionnant ! On se disait que le pauvre monsieur qui avait calculé ça, il y avait passé pratiquement toute sa vie ! Alors là, j’étais un peu étonné. Un peu étonné mais pour une autre raison aussi en disant : « Mais enfin, bon Dieu, ce n’était quand même pas si difficile de diviser la circonférence par le diamètre, on trouve « Pi » dans ce cas. » Vous voyez, autant dire qu’il est difficile à certains moments d’évaluer la difficulté d’une science, surtout quand elle est très précise, et de comprendre le pourquoi il faut des méthodes complexes pour arriver à résoudre un problème.
Voilà subitement un ballon, dans lequel il y a un gaz. Dans le gaz jaune-vert qui a du chlore. Et à côté, dans une petite fiole, un petit bout de métal, du sodium. Et peu plus loin une salière. Et, on vous dit : « Voilà, le chlore, le sodium et le sel ». Mon grand-père m’avait déjà dit ça, mais ce que je ne savais pas, parce qu’il ne me l’avait pas expliqué, c’est comment ça s’arrangeait tout ça. Et entre ces trois objets, un immense cube, en fin immense … un mètre-cube en gros, constitué de petites boules jaunes et vertes, liées entre elles par de petits bâtonnets noirs. Et on vous dit : « Voilà, c’est ça le cristal de sel ». Seulement, c’est tellement grandi qu’on ne peut pas même pas le voir. Et il a fallu des calculs savants pour établir comment était faite cette construction atomique. Alors, là, j’étais content, étonné, et puis plein d’admiration pour les gens qui avaient fait ça, tout en n’y comprenant pas grand-chose, tout au moins en ce qui concerne la façon dont avec des rayons X on pouvait explorer un cristal. Bon, voilà, c’était ça. Je regardais, puis, bon, je ne comprenais pas trop.
Mais, mais, à la suite de ça, il y avait des choses beaucoup plus intéressantes. Il y avait la loterie de l’hérédité. Alors, la loterie de l’hérédité, c’est une loterie beaucoup plus compliquée que ce que je pouvais voir moi sur une foire où on tourne un disque. Là, il y avait une quantité de bras, montés sur des axes verticaux, chacun portant ce que le Savant appelait des chromosomes. Et tout cela était mis en marche, se brassait et ensuite se révélait un tri qui allait nous renseigner sur ce qu’était le bébé. Autrement dit, on vous expliquait que le sexe du bébé, s’il avait les yeux bleus, les yeux, noirs, … tout cela dépendait à la fois du hasard et de l’état des gènes de chacun des parents. C’était finalement très compliqué pour moi. Ce que je voulais savoir, moi, c’est si vraiment on descendait du singe, et ma mère m’a dit : « Non, non, on va plus loin. »
Dans une cage. Une cage, on voyait à l’intérieur, c’était du verre. Mais, « grillagé », se trouvait un monsieur, avec plein d’électrodes sur la tête, enfin pleins de contacts électriques. Et puis, alors là, le Savant expliquait ce qui se passait, tout en disant au monsieur, qui était à l’intérieur de la petite cage : « Fermez les yeux. Ouvrez les yeux. Ne pensez à rien. Rouvrez les yeux. Regardez-moi, … » Et alors, chaque fois qu’il y avait des ordres, on observait sur ce cylindre fluorescent une courbe qui changeait d’allure. Je ne rentrerai pas dans les détails, que j’ai connus après, du fonctionnement de l’expérience. Et tout cela, ça s’appelait l’électro-encéphalographie. Et moi, j’avais trouvé cela, absolument ahurissant !
C’est ce qu’apportait, qu’apporte le Palais de la Découverte. C’était comme si tous les Professeurs du monde s’étaient réunis pour y placer leurs trésors, les plus précieux, et les montrer aux uns et aux autres.