Au fond, l’Algérie, c’est surtout un désert. Le peuple au départ, c’est un peuple de pasteurs, c’est un peuple qui marche. Il marche derrière ses troupeaux. Donc, il faut marcher pour vivre. Quand ils vivent dans l’immensité, cela les enivre et à la fin, ils ne peuvent pas imaginer de vivre autrement, pare que l’espace c’est la liberté, même quand on ne mange pas, quand on est pauvre, même quand on froid et qu’on a froid, on se sent libre et puis cela développe la poésie. La profonde solitude dans laquelle on se trouve à ces moments-là aide beaucoup à se retrouver. Moi, je sais que quand je marche, j’ai des idées. C’est là que je rêve le mieux, c’est quand je marche. Oui, on veut découvrir le monde, c’est sûr, et on le découvre en marchant. Justement, ma première émotion poétique m’est venue en marchant. À la découvre d’un brin d’herbe, devant une rivière, je me suis mis à marcher et puis j’ai vu que la rivière ça allait loin.
« Ici, je suis né. Ici je rampe encore pour apprendre à me tenir debout, avec la même blessure ombilicale qu’il n’est plus temps de recoudre. Ici est la rue des vandales, des fantômes, des militants, de la marmaille circoncise et des nouvelles mariées. Ici est notre rue. Pour la première fois je la sens palpiter comme la seule artère en crue où je puisse rendre l’âme sans la perdre. Je ne suis plus un corps mais je suis une rue. Ici est la rue de Nedjma. »
La francophonie au départ, chez nous en Algérie en tout cas, procédait d’un fort désir de nous rendre français. Pour nous, la francophonie est irrémédiablement liée au colonialisme. La francophonie en tant que machine politique. Alors, celle-là, moi, cette francophonie-là, je m’en désolidarise, je la combat. Mais par contre, la langue française ne peut pas être aliénante quand on veille à respecter son génie propre, qui est un génie de libération et non pas d’aliénation. Pratiquer la langue française de manière libératrice, oui, la pratiquer pour continuer à être un objet du néocolonialisme, non !
Quelqu’un qui va en Algérie, qu’il soit un Algérien ou étranger, il est toujours frappé d’une chose, c’est que les femmes sont absentes, elles passent très vite, souvent la tête baissée, elles sont souvent importunées et importunes. Quant aux jeunes, les enfants de ces femmes, on le voit le dos au mur, comme des vieux, les bras ballants, ne sachant que faire : pas de travail, pas de distraction, rien, une prison. Le pays est devenu une prison.
D’après ce que je sais maintenant, le martyre du peuple algérien est devenu beaucoup plus difficile qu’avant, beaucoup plus difficile qu’avant parce qu’à l’heure actuelle, une Algérienne, une Tunisienne, une Marocaine ou une Africaine ne pourrait être appréciée à sa juste valeur que par un Européen. Ça, c’est ce qu’il y a de pire, ce qu’il y a de pire pour nous et c’est bien ce qui se produit.