De l’expertise à la décision
Table ronde animée par Fabrice FLIPO, philosophe, FSC
Fabrice FLIPO : Le thème de la première table ronde de cette après-midi est : « De l’expertise à la décision ». Entre l’expertise et la décision interviennent un certain nombre de parasites. L’expertise n’est pas véritablement un lieu ouvert, c’est le moins qu’on puisse dire, c’est un lieu monopolisé par des intérêts et des manières de concevoir l’expertise. Donc, on va examiner les problèmes qui ont lieu au cours de ce processus-là. L’expertise est cruciale et si elle est biaisée, les décisions qui en découlent le sont aussi.
Pour examiner cette question, nous avons trois invités :
Michèle RIVASI, députée européenne, cofondatrice de l’Observatoire de vigilance et d’alerte écologique (Ovale), et bien entendu de la CRIIRAD, sans doute l’association pour laquelle tu es la plus connue. Elle va nous livrer un témoignage de son expérience en tant que députée européenne, mais pas seulement, aussi de sa longue expérience des différents processus d’expertise et de leurs biais fréquents et récurrents.
Martin PIGEON de l’Observatoire de l’Europe industrielle (CEO : Corporate Europe Observatory), qui s’intéresse à l’influence des lobbies industriels sur la législation de l’Union européenne. Il nous parlera de comment les choses se présentent au niveau européen, en particulier dans le cas de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
Éric MEUNIER, de l’association Inf’OGM, crée en 1999 dans le but d’informer de manière non biaisée sur les OGM, en tout cas de contrebalancer le biais évident qui existait, qui existe toujours, dans l’information sur les OGM. Son thème, c’est : innovation et démocratie. Il interviendra sur le processus de décision de mise sur le marché d’une innovation et le rôle de l’expertise dans ce processus d’autorisation, et abordera les améliorations à apporter pour rendre ce processus démocratique.
Les processus participatifs comme aide à la décision publique
Par Michèle RIVASI, députée européenne
Avant tout, je vous remercie pour cette invitation. Je suis très sensible à ce que vous faites.
Quand j’ai vu le sujet : « Les processus participatifs comme aide à la décision publique », je me suis dit : « c’est très positif », mais mon expérience m’a montré qu’il existe des pièges à tous les niveaux.
Ma prise de conscience politique a démarré au moment de l’accident de Tchernobyl. Nous avions créé, avec un certain nombre de personnes, la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité). À l’époque il y avait un monopole constitué d’EDF, le la Cogema, du CEA, et une autorité représentée par le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) qui prétendait que seules des traces de particules avaient traversé la France. Ce n’étaient même pas des particules mais des traces de particules ! Circulez, il n’y a rien à voir ! C’est là qu’en tant que scientifiques, nous nous sommes posé des questions : ce qui nous avait mis la puce à l’oreille, c’est qu’à côté de chez nous, en Suisse, en Italie, etc. les gens prenaient des mesures. Cette expérience a provoqué en moi une prise de conscience. Il s’agissait d’une expertise citoyenne. La crédibilité des experts est très importante dans ce cadre, surtout quand c’est une expertise citoyenne. Mais grâce à des journalistes, grâce à Michel POLAC, qui nous a quittés il n’y a pas si longtemps, grâce à l’émission « Droit de réponse », les citoyens ont répondu à notre demande et ont permis de rassembler 300 000 francs pour acheter une chaîne de spectrométrie gamma. C’est une très belle histoire, la création de la CRIIRAD !
Par la suite, j’ai été élue députée, de 1997 à 2002, sous le gouvernement Jospin. Je me suis rendue, cela n’a pas été simple, à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), là il y a nos grands députés, très liés aux lobbies. J’ai souhaité réaliser un rapport sur les déchets radioactifs, cela n’a pas été sans mal puisqu’ils refusaient que je me rende sur le territoire exclusivement réservé à Christian BATAILLE, Jean-Yves LE DÉAUT, Claude BIRRAUX. Eux sont toujours là !
Je reviendrai sur l’histoire des déchets. Ma première expérience des conférences participatives pour l’aide à la décision a été sur les OGM. Rappelez-vous, à cette époque, les premiers OGM avaient été autorisés et il y a eu une mobilisation citoyenne, José BOVÉ, les Faucheurs volontaires, qui sont arrivés un peu après. Toutefois, cette conférence était un gadget. Le principe était pas mal : réunir des gens qui rencontrent plusieurs experts, etc. mais la conclusion était déjà décidée avant même que les citoyens n’aient pu, pendant les week-ends, se former, pour savoir quelle était leur position sur les OGM.
Ensuite, il y a eu la Commission nationale de débat public (CNDP). J’ai participé à plusieurs d’entre elles, dont une sur l’EPR. Rappelez-vous, le Président Sarkozy avait déjà pris la décision de construire l’EPR, mais on organise une Commission nationale de débat public a posteriori, qui s’est très mal passée. On dit vouloir un processus participatif, qui suppose que la décision n’est pas prise, mais nous nous sommes retrouvé avec des commissions nationales complètement inutiles réunissant les pro nucléaires comme les anti-, qui se sont bien rendu compte au bout d’un moment que cela ne servait à rien puisque la décision était déjà prise.
En revanche, pour la Commission nationale de débat public sur les déchets radioactifs, à laquelle je participais en tant qu’expert, la décision n’était pas prise au préalable. J’ai insisté pour qu’il y ait des experts et des contre-experts, et pas uniquement des personnes de l’ANDRA, afin d’attirer les citoyens, car en l’absence d’une expertise confrontée à une contre-expertise, les citoyens s’en désintéressent.
Actuellement, voyez ce qui se passe à Cigéo, le premier débat public sur l’enfouissement profond de déchets radioactifs dans le site de Bure : il n’y a plus aucun dialogue possible. On est arrivé à un point de non-écoute. Les citoyens ne supportent plus que les Commissions nationales de débat public soient utilisées comme des gadgets.
La seule commission que j’aie vue fonctionner, c’est celle qui concernait la construction d’une ligne à haute tension dans le Verdon. Elle a d’ailleurs abouti à la non-construction de cette ligne qui devait traverser les Gorges du Verdon. Il s’agit d’un exemple unique où la commission a tenu compte des avis de la Commission nationale. D’ailleurs la consultation dans le cadre de la Commission nationale de débat public sur Bure se fait par Internet car il n’est plus possible d’organiser des réunions publiques de ce type. Il s’agit d’un point de non-retour, la confiance des citoyens ayant été perdue : Bure est dans les tuyaux, le montant de l’opération ne cesse d’augmenter. Initialement il était question de douze milliards, maintenant on annonce trente-cinq milliards, la nature des déchets qui y seront enfouis n’est pas connue et les élus et les entreprises ont été payés pour accepter la création du site, etc. Quand on parle de démocratie, là vraiment il n’y en a plus, il faut trouver autre chose !
Le Grenelle était également un outil participatif, positif au départ. En France, il y a quand même un souci, maintenant que je suis députée européenne je peux vous en parler, les partenaires se rencontrent peu, ce qui est atypique. Or, le Grenelle a permis des rencontres entre les acteurs (entreprises, les syndicats, l’administration, les ONG, etc.) et il y a eu des dialogues. Au début cela n’était pas facile puis, avec les groupes de travail, il y a eu des préconisations intéressantes. La plupart n’ont pas été prises en compte, mais le processus était intéressant.
Je voudrais vous parler d’un exemple, le Grenelle des ondes. Vous savez que je m’intéresse fortement aux ondes électromagnétiques. A ce titre, j’avais fondé, en 2005, le CRIIREM, qui comme la CRIIRAD créée en 1986, est un Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques non ionisants. Des mesures indépendantes ont été effectuées, suite auxquelles des procès ont été intentés, dont certains ont abouti à des démantèlements d’antennes de SFR, d’Orange et de Bouygues. Peur en a pris au gouvernement, ils ont fait un Grenelle des ondes. Là encore, avec la participation des partenaires : Bouygues, SFR, etc., l’ANFR, Robin des toits, la CRIIREM, etc. Il a abouti à un Copil (Comité de pilotage) pour étudier la possibilité d’atteindre dans les villes une mesure inférieure à 0,6 volt par mètre, ainsi qu’il est demandé par des scientifiques indépendants. Cependant, ce travail s’est arrêté, car la ministre actuelle Fleur PELLERIN déclare qu’il s’agit de peurs irrationnelles ! Cette attitude conforte les citoyens dans leur perte de confiance dans ces structures participatives.
Maintenant, on a la première conférence environnementale à la place du Grenelle de l’environnement, à laquelle j’ai pu participer. Il y avait André CICOLELLA et d’autres lanceurs d’alerte. Une grand-messe avec des ateliers où tout le monde s’exprime, mais elle était dépourvue d’une volonté de confronter les propositions et de les mettre en œuvre. Il ne s’agit que de discuter vainement. Ce sont des structures de bla-bla ! Au cours de la deuxième conférence environnementale de 2013, les sujets de la crise sanitaire, des perturbateurs endocriniens et des pesticides neurotoxiques étaient absents du débat. De qui se moque-t-on ?
Il existe donc un réel problème. J’espère que la deuxième partie portera sur les solutions parce qu’à l’heure actuelle, on n’a pas trouvé d’outils, on (n’) a [pas] de politiques qui ne veu(il)lent pas prendre de décisions avant de solliciter la participation des citoyens, les écouter, et aboutir à des propositions. Et cela, je trouve que du point de vue démocratique, c’est terrible !
Au niveau européen, en tant que députée européenne, d’un point de vue législateur, j’ai besoin de rencontrer les ONG, on se voit d’ailleurs assez souvent. Je m’occupe beaucoup de santé et d’énergie et là, c’est vrai que l’on rencontre énormément de partenaires. Les partenaires que nous rencontrons influent sur les amendements portés dans les différentes commissions du Parlement européen. Avant d’élaborer une directive, la Commission organise des consultations participatives, au cours desquelles toutes les ONG peuvent s’exprimer. Toutefois, le nombre de consultations reste inconnu. Je travaille actuellement sur les allergènes qu’il y a dans les huiles essentielles, dans les parfums, etc. et je constate que ce sont surtout les entreprises qui participent, et non les citoyens.
L’enjeu aujourd’hui consiste à rétablir la crédibilité des politiques en organisant des débats avec des experts et des contre-experts avant la prise de décision. Un référendum à l’échelle d’une ville représenterait également un outil participatif, cependant les référendums sont refusés par crainte qu’on n’obtienne un résultat tranché. La gouvernance française connaît donc un véritable souci, qui ne se rencontre pas dans les pays anglo-saxons. Regardez ce qui se passe à l’Assemblée nationale, par exemple, c’est affligeant et cela dure depuis des années, on ne sait pas accepter que l’autre puisse avoir une position différente. Ce que l’Europe m’a appris, c’est qu’en discutant avec des étrangers, nous sommes obligés d’entrer dans leur culture car nous devons trouver des compromis, afin de ne pas introduire d’amendements minoritaires. Il est donc indispensable de comprendre le positionnement des Polonais sur le gaz en provenance de Russie, par exemple.
Cette ouverture d’esprit et cette écoute existent donc. Toutefois, les politiques, qui ont le pouvoir de décision, doivent comprendre que les citoyens possèdent désormais une véritable expertise citoyenne et accepter des compromis pour qu’une véritable réflexion sociale existe. Le travail à accomplir reste important.
Fabrice FLIPO : Martin Pigeon, existe-t-il davantage de compromis dans la culture anglo-saxonne, qui domine la culture européenne, ou d’autres obstacles ?
Lobbying et conflits d’intérêts : l’exemple de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments
Par Martin PIGEON, Corporate Europe observatory
Je ne suis pas d’accord avec cette supposition. L’Union européenne est un processus nouveau, en cours d’identification, on verra ce que cela donne.
Un mot quand même de remerciement à la Fondation sciences citoyennes d’abord pour l’invitation mais aussi pour leur travail, parce que c’est quelque chose de précurseur qui n’existe pas à l’heure actuelle au niveau européen, pas réellement, pas dans ces termes. On a eu l’occasion de travailler ensemble sur la question de l’innovation, par exemple, qu’est-ce que c’est que l’innovation dans le cadre de la définition du programme cadre de recherche de l’Union européenne ? On était les seuls à faire ça pour la société civile. Nous avons été battus misérablement parce que nous ne faisions pas le poids mais l’effort méritait d’être signalé.
Un mot de présentation, je travaille depuis cinq ans dans une ONG « Corporate Europe Observatory », Observatoire de l’Europe des entreprises, qui ne reçoit aucun financement public ni commercial. Nous sommes financés selon le modèle (largement anglo-saxon) de fondations privées, un capital géré par une fondation philanthropique dont les intérêts financent le projet. C’est une sorte de contradiction, nous dépendons indirectement du bon fonctionnement des marchés financiers ! Mais nous vivons avec cela, et c’est un mode de fonctionnement qui nous a permis jusqu’à présent de bénéficier d’une indépendance politique quasi totale. Nous travaillons essentiellement sur le pouvoir politique du monde économique, donc nous travaillons sur le lobbying et l’influence de ses acteurs sur les décisions publiques.
Le lobbying consiste à construire de la crédibilité, y compris quand elle n’existe pas. Il est aussi un marché, un secteur d’activité en tant que tel : le marché de l’influence. Un lobbyiste français a récemment résumé son métier, un peu abruptement, en disant qu’il faisait de l’espionnage et de la manipulation. Ce n’est pas faux, c’est entre autres de cela qu’il s’agit. La construction de crédibilité implique la notion d’expertise. Il est en effet nécessaire de se fonder sur des faits. Mais de quels faits parle-t-on, et qui les construit ?
Avec la journaliste et documentariste indépendante Stéphane Horel, nous avons publié en octobre 2013 un rapport intitulé Unhappy Meal, qui étudie les liens d’intérêts de tous les scientifiques qui siègent au sein des panels scientifiques de l’Agence européenne de sécurité des aliments. Nous avons travaillé sur les déclarations d’intérêts rédigées par ces experts, qui sont des documents publics, consultables en ligne. Nous avons volontairement répliqué les conditions de travail de l’Agence. Nous n’avons donc pas réalisé de recherches additionnelles d’informations, nous n’avons évalué que ce qui était déclaré ; c’est ainsi que l’Agence travaille, pour des raisons que je détaillerai ultérieurement, elle ne vérifie rien de ce qui est dans le domaine public, elle ne travaille qu’à partir des documents qui lui sont transmis.
Nous avons travaillé sur les intérêts de 210 personnes et avons été stupéfaits et consternés par l’ampleur du problème, qui était d’ordre systémique. 58 % des experts dont nous avons étudiés les déclarations ont en effet des liens d’intérêt avec des entreprises commerciales dont les activités tombent sous le champ de compétence de l’Agence. En outre, les deux tiers de ces liens sont d’ordre financier : financements de recherche, contrats de conseil. La situation est donc grave.
L’Agence nous explique qu’il n’y a aucun problème car sa façon d’évaluer les intérêts est strictement thématique. Donc, tant qu’il n’y aurait pas de coïncidence exacte entre l’intérêt et le mandat du panel, il n’y aurait pas de conflit d’intérêts. Par exemple, un scientifique membre du lobby américain des producteurs de soja peut légitimement contribuer activement au panel pour ce qui concerne les additifs au soja, car ces deux sujets seraient différents. Cette approche ne me semble pas convaincante, elle ne l’est pas non plus pour la plupart des journalistes à qui j’ai eu l’occasion d’expliquer nos résultats.
J’ai assisté hier à une réunion de la Commission pour l’environnement, la santé et les consommateurs du Parlement européen. Celui-ci vérifie les comptes de toutes les agences, ce qui est une prérogative fondamentale des parlements en démocratie, et émet des recommandations le cas échéant. Le rapporteur chargé de la décharge budgétaire des agences affirmait qu’il était scandaleux que les budgets des agences chargées de missions si importantes soient si faibles et qu’il fallait donc les laisser travailler en paix. Nous sommes d’accord avec le diagnostic d’insuffisance des ressources mais nous en tirons des conclusions différentes : nous considérons qu’il est nécessaire, dans une perspective de santé publique, soit d’augmenter le budget des agences, soit de réduire leur rôle. Il ne faut pas se contenter de dire que leur manque de ressources est un scandale et espérer que cela aille mieux après l’austérité, ce qui était apparemment la position de cette personne.
Les experts de l’Agence ne sont pas rémunérés. Ils sont souvent uniquement défrayés. Ce sont par nécessité des personnes très compétentes. L’Agence européenne n’a toutefois pas les moyens d’organiser une expertise publique à la hauteur de sa mission. Elle n’a pas contesté nos résultats, seulement l’interprétation que nous en faisions, mais s’est défendue dans les médias en expliquant que cette situation était aussi due à la politique européenne de recherche qui pousse les universités à établir des partenariats public-privé avec les entreprises. Excellente défense, nous sommes d’accord. On en revient à ce problème fondamental du financement de la recherche et des conditions dans lesquelles celle-ci peut s’exercer.
L’EFSA est en outre confrontée au relatif manque d’attractivité pour une carrière scientifique de ce travail de membre de panel. La plupart des travaux concernent des produits réglementés, dont les études de toxicité sont réalisées par les producteurs eux-mêmes et envoyées au panel, qui vérifie leur validité scientifique. Une partie de ces données n’est cependant pas consultable publiquement, ce qui signifie que le travail réalisé dans ces panels ne peut être utilisé par un scientifique pour une publication scientifique. Ces études ne peuvent pas non plus être répliquées, ce qui est le fondement de la démarche scientifique.
Ainsi, nous sommes dans une situation où les membres des panels ne sont pas payés et ne peuvent valoriser leur travail pour une carrière scientifique. Les panels sont donc composés bien souvent de scientifiques âgés, parfois retraités, qui risquent d’avoir un biais conservateur, et de personnes qui ont un intérêt commercial plus ou moins direct, à participer à ces panels dans la mesure où une part significative de leur activité professionnelle consiste à conseiller les industriels. Il semble pour l’instant que la transparence des intérêts ait abouti à une forme de légalisation de fait du trafic d’influence, ce qui est extrêmement grave.
Dernière partie de ce rapport : sur les recommandations. Il y a un certain nombre de choses qui peuvent être faites, selon l’endroit où l’on place le curseur. Il est possible de corriger le système existant, cela serait plus facile, plus rapide, cela ne nécessite pas une nouvelle législation et l’EFSA peut le faire elle-même. Cela consisterait, par exemple, à éliminer la faille juridique essentielle, à savoir le fait que les intérêts des scientifiques soient évalués en fonction du mandat du panel et non de l’agence, une démarche volontairement « par le petit bout de la lorgnette ». Ceci peut être changé facilement au moins en droit car ce sont des lignes directrices qui ont été édictées par l’EFSA elle-même.
Une autre solution, qui pourrait contribuer à résoudre beaucoup de problèmes, il en a été question ce matin, est le fait de rendre accessibles les données brutes, pour permettre la réplication des résultats et une évaluation par les pairs post-publication. Et enfin, il en a été également question ce matin, de nombreuses personnes y pensent, il s’agirait de transformer le système afin que l’évaluation des produits ne soit plus réalisée par leurs producteurs mais par des laboratoires indépendants, les producteurs continuant de couvrir les frais de l’évaluation. Ceci impliquerait un système d’aveuglement pour que les industriels ignorent quel laboratoire évalue leurs produits et que les laboratoires ne sachent pas de quelle société provient le produit qu’ils évaluent. Ce système permettrait de contourner le problème des moyens qu’induit l’austérité et de présenter une démarche véritablement scientifique, dont les résultats pourraient être publiés dans la littérature scientifique.
Je voudrais terminer cette intervention par deux remarques. La première, c’est une réflexion plus large, j’en ai un peu parlé ce matin, je le répète pour ceux qui n’étaient pas là, sur les conflits d’intérêts et la démocratie. On est confronté aujourd’hui à un discours sur la science qui soutient que la science doit être la source de toute vérité et de toute politique, ce qui est particulièrement le cas des entreprises de lobbying des biotechnologies, de pesticides et de leurs alliés. Cela pose évidemment une question directe dans le champ de cette assemblée, qui est : de quelle science parle-t-on ? Quelle science, pour quels intérêts ? La science n’est qu’une méthodologie ; mais au service de quelles fins ? Qui finance ? L’information sur une étude et ses résultats n’est pas complète en l’absence de ces données. De plus, quelles sont les questions que l’on prend en compte et celles que l’on exclut ? Car il n’est pas possible de faire des études où l’on regarde tout en même temps. Nous devons lutter contre ce simplisme au nom de la science elle-même, qui a vocation, en tant que méthodologie, à ouvrir le débat et non à le fermer. Souvent, le conflit d’intérêts est considéré comme un manquement à l’objectivité, un manquement à une espèce de devoir de stricte neutralité, le scientifique pensé comme une espèce de surhomme qui planerait au-dessus des contingences sociales et politiques. Cette objectivité et cette neutralité n’existent pas, on parle toujours de quelque part, on a toujours un point de vue, ne serait-ce que dans le choix ou l’exclusion de son sujet. Il faut donc se poser la question de la qualification du conflit d’intérêt.
Un conflit d’intérêts est une situation de double allégeance à des institutions aux finalités contradictoires : il doit être matériel, mesurable et quantifiable. Cette définition est fondamentale pour éviter l’écueil consistant à estimer qu’un conflit d’intérêts existerait dès lors que l’on ne partagerait pas les opinions de tel ou tel scientifique. L’industrie utilise comme argument de lobbying que les conflits d’intérêts matériels et intellectuels seraient identiques, ce qui est une façon de noyer le poisson en décrédibilisant, à terme, la notion de conflit d’intérêts elle-même puisque qu’on pourra l’utiliser pour tout et n’importe quoi. Nous devons nous montrer fermes sur cette question. Notamment parce que la question des conflits d’intérêt, aujourd’hui on en parle pour les scientifiques, mais on en parle aussi pour les élus.
Cette semaine, par exemple, Mme Rachida DATI a déposé des amendements en faveur des gaz de schiste, ce qui a soulevé la question de ses possibles liens avec GDF. C’est une question de question de transparence mais également de légalité. Il se trouve que le trafic d’influence, car c’est ce dont il s’agirait si ces allégations étaient validées, n’est pas encore réprimé pénalement par la réglementation du parlement européen, ce qui est déplorable. La dépénalisation du trafic d’influence au nom de la transparence serait le pire scénario envisageable.
Dernière remarque, pour conclure. Nous nous trouvons actuellement dans une course de vitesse, s’agissant du contrôle démocratique sur la réglementation, entre la démarche qui nous anime et les industriels. Les négociations sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis impliquent notamment un dispositif de « convergence réglementaire », mais également des dispositifs relatifs à des sujets inquiétants comme les OGM, les poulets chlorés, le bœuf aux hormones, etc. Il s’agit de demandes explicites de l’industrie américaine mais le consentement du gouvernement français ne sera probablement jamais obtenu sur ces sujets. La « convergence réglementaire » consiste à créer un espace permanent d’harmonisation de la réglementation au niveau transatlantique qui permettrait d’une part l’extension du Marché commun européen aux États-Unis, et d’autre part la soustraction au débat démocratique de la souveraineté réglementaire.
Je vous remercie pour votre attention.
Fabrice FLIPO : Merci à vous. Je passe la parole à Éric Meunier.
Innovation et démocratie : l’exemple des OGM
Par Éric MEUNIER, de l’association Inf’OGM
Bonjour à tous. Je suis de l’association Inf’OGM qui a été créée en 1999 et fournit de l’information critique sur les OGM, sans prendre parti dans le débat, ni pour ni contre, on fournit de l’information pour tous ceux qui veulent se faire leur propre idée.
S’agissant du sujet « Innovation et démocratie » mon constat est pessimiste. Le débat sur les OGM et les nouvelles biotechnologies montre que les citoyens, qui n’ont pas tous une formation scientifique, et les gouvernements, évoluent dans une société dans laquelle une parole qui n’est pas exprimée en termes techniques et scientifiques ne semble plus valable.
Merci à la Fondation sciences citoyennes qui pose une question large et pas simple. L’exemple des OGM, pour tout ce qui concerne l’innovation et la démocratie, pour ce qui me concerne, je n’ai pas une lecture très réjouissante au regard de ce que l’on constate, mais ce constat fait que cela ouvre les portes sur ce qui peut être imaginé pour l’avenir.
Mon intervention, en dix à quinze minutes, va avoir comme fil : en quoi le débat sur les OGM et le débat qu’il recoupe sur les nouvelles techniques des biotechnologies montrent que finalement les citoyens lambda, qui ne sont pas tous de formation scientifique, et les gouvernements aussi, évoluent dans des sociétés où dès lors que notre parole ne s’exprime pas en des termes techniques et scientifiques, elle n’est légalement plus valable. Je vais essayer de vous en faire la démonstration à travers un rapide historique sur les OGM.
Les OGM sont apparus au milieu des années 90. Il s’agit de plantes dont le génome est modifié par une technique de biotechnologie, que l’on appelle la transgénèse, et qui arrive en Europe en provenance des États-Unis, principalement, sans qu’il y ait eu aucun débat. Ce sont des plantes que les citoyens et les législateurs connaissaient peu ou pas du tout à l’époque.
Comme cela a été rappelé dans une précédente intervention, il y a eu effectivement des actions citoyennes, qui ont été menées dans la société civile et de syndicats agricoles, relayée partiellement par les politiques. Elles ont créé une situation telle que certains membres de l’Union européenne, dont la France, ont décrété un moratoire de facto. Les plantes transgéniques ne pouvaient donc être cultivées dans les champs européens tant que l’Union européenne et ses états membres ne se seraient pas dotés d’une législation sur les plantes transgéniques.
Ce constat paraît surprenant, car une innovation technologique parvenait en Europe sans que les citoyens ni le législateur aient été saisis de la question en amont. La société civile, un peu aux forceps, a gagné le droit pour les législateurs nationaux et européens qu’ils prennent le temps de réfléchir à la manière dont les produits issus de cette technologie pourraient être évalués avant d’être autorisés : est-ce qu’il fallait les étiqueter ? Comment les surveiller ? Autant de questions qui ont nécessité plusieurs années de débat, de conflit même, entre des États membres et la Commission européenne, pour aboutir à une procédure législative, formalisée en 2001-2003, qui décrivait la procédure pour autoriser les plantes transgéniques. Et là, on rentre dans un des cœurs des plantes transgéniques, celui de l’évaluation des risques des plantes transgéniques préalablement à leur autorisation.
Cette évaluation consiste pour les entreprises à déposer un dossier auprès du panel OGM de l’EFSA, qui comporte des données d’études réalisées par les entreprises ou des laboratoires qu’elles rémunèrent. Les conflits d’intérêts sont importants dans ce domaine. Si l’on s’intéresse au travail de l’EFSA, il y a tous les conflits d’intérêts, dont Martin Pigeon vient de parler, mais il y a aussi le volet scientifique. Nous, à Inf’OGM, après plusieurs années de travail et de discussions avec des experts, nous nous sommes rendu compte de ce que l’évaluation scientifique est conduite par les experts de tout sauf ce qui constitue de la « bonne science ». Le terme de « bonne science » étant évidemment subjectif.
Deux exemples concrets le montrent, ils ont tous les deux fait l’actualité récemment au niveau de la toxicologie. Je ne vais ici entrer dans le débat sur la qualité de l’étude de Gilles-Éric Séralini, mais force est quand même de constater que la publication de son étude a poussé dans leurs retranchements les experts, notamment ceux de l’EFSA, qui ont été excessivement prompts à descendre en flèche le travail de ce chercheur, alors que plusieurs structures, dont Inf’OGM, avaient observé que les critiques formulées sur ce travail étaient identiques à celles qui pouvaient être portées sur les études que les entreprises fournissaient à l’ENSA. La critique principale concerne le manque de puissance statistique des études. Cette notion signifie que chaque chercheur doit signaler si le protocole mis en place et la recherche mise en route pour réaliser son étude lui permettent d’effectuer des constats. Pour illustrer cet aspect, l’exemple qu’on prend à Inf’OGM est de dire : si vous êtes en guerre au Moyen-âge, vous placez un garde en haut d’une tour de guet pour surveiller les mouvements de l’armée adverse, la moindre des choses est de vous assurer que si garde est myope ou pas afin d’évaluer la fiabilité de son alerte.
Il se trouve que depuis 2013, et 2012 pour le Comité d’experts français, le Haut conseil des biotechnologies, les avis que les experts donnent soulignent le manque de puissance statistique des études fournies par les entreprises. C’est une nouveauté car depuis le début des années 2000, les protocoles n’ont pas changé. Ce constat motive désormais des refus. L’expertise scientifique est donc capable de s’améliorer.
La question aujourd’hui concerne le citoyen lambda face à un dossier très controversé, qui constate que l’expertise censée garantir l’absence de risque d’un produit qu’il est susceptible de consommer (n’est pas forcément fiable) : quelle place a-t-il dans la procédure d’autorisation ? Quelle place a-t-il dans une société qui veut choisir une nouvelle technique, une nouvelle technologie ? Il a deux moments principaux pour s’exprimer : c’est quand il y a des essais en plein champ, ou lors des demandes d’autorisation commerciale. Il y a des consultations publiques, les dossiers scientifiques sont mis sur Internet. Les citoyens peuvent les consulter, s’ils disposent du temps et des connaissances nécessaires pour comprendre le dossier, et y répondre.
Nous, nous avons, il y a quelques années, quand il y avait encore des essais en champ en France, interrogé le gouvernement sur le résultat d’une consultation, je ne me souviens plus de la plante qui était concerné à l’époque, mais vous verrez que la réponse est en lien avec le sujet d’aujourd’hui. Le gouvernement nous a expliqué, officiellement, que 50 réponses, sur 2 000 réponses reçues, possédaient un fondement scientifiquement étayé, qu’elles soient pour ou contre l’essai en champ. Les autres, au nombre de 1950, relevaient d’un langage citoyen non scientifique, elles ont été mises de côté par le gouvernement, qui ne les prenaient pas en compte. Nous avons alors réalisé, ce dont on se doutait, que la parole citoyenne n’accède pas au débat démocratique sur l’innovation, si elle n’est pas scientifiquement exprimée.
Ce qui est inquiétant, selon moi, c’est qu’un même constat peut être fait au niveau des législateurs, des gouvernements et des instances, qu’elles soient nationales ou européennes. En effet, la législation sur les OGM est exprimée au niveau européen. Toutefois, le législateur européen n’est pas plus libre de ses mouvements car il doit là aussi justifier ses décisions sur un plan scientifique.
Deux exemples illustrent ce fait. Une plainte a été déposée en 2006 contre l’Union Européenne en raison des moratoires nationaux qui avaient été décidés contre la mise en culture d’une plante transgénique. La France, l’Autriche, la Hongrie, prenaient des décisions nationales de ne pas autoriser la mise en culture d’une plante transgénique, les États-Unis, le Canada et l’Argentine avaient porté plainte auprès de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Cette dernière avait considéré dans son jugement final que ces moratoires nationaux posaient un problème de légalité vis-à-vis du fonctionnement international : ils ne répondaient pas à une démarche scientifique, mais à une démarche politique. Ainsi la première leçon qu’on apprenait, c’est qu’un gouvernement, qui représente ses citoyens, veut justifier d’une position et mettre en place une politique, s’il n’a pas d’arguments scientifiques à l’appui de cette position, il se fait « taper sur les doigts » par l’Organisation mondiale du commerce. Cela signifie que les gouvernements subissent les mêmes contraintes que les citoyens, qui les contient dans au cadre technico-scientifique dont il est impossible de sortir. Il y a là de toute évidence un vrai problème démocratique.
Le deuxième exemple, en apparence anecdotique, et qui encore une fois va raccrocher l’actualité Séralini, bien malgré lui. Nous, on épluche les dossiers d’évaluation des plantes transgéniques et les articles scientifiques que les membres du panel OGM de l’EFSA publient, et l’on a constaté de grosses différences. Par exemple, un expert en allergologie, qui dans ses articles scientifiques explique que le test à la pepsine, qui permet d’évaluer l’allergénicité d’une protéine, scientifiquement parlant vous ne pouvez rien en conclure. Or, ce même expert, membre du Comité de l’EFSA, qui vote sur les OGM, pour évaluer l’allergénicité des protéines transgéniques valide ce test. Nous interrogeons l’expert en lui disant : expliquez nous juste pourquoi en tant que scientifique vous écrivez que ce test n’est pas valable scientifiquement et en tant que membre de l’EFSA, vous le validez. Sa réponse est assez claire : « Je n’ai pas le choix ! » C’est le Codex alimentarius qui impose ce test dans les dossiers de demande d’autorisation. Le Codex alimentarius est un sous-comité de l’Organisation mondiale du commerce. On approfondit la question et on essaye de voir comment cela s’est passé au sein du Codex alimentarius et pourquoi ce test à la pepsine été validé. Et là, on trouve que la référence qu’il donne provient de l’ILSI (Institut international des sciences de la vie), qui est une plateforme de lobbying très puissant des entreprises de l’agroalimentaire et des biotechnologies. Et continuons nos recherches pour comprendre d’où l’ILSI sort le test à la pepsine. L’ILSI fait référence à un article scientifique signé de trois chercheurs de l’entreprise Monsanto.
Ainsi, les citoyens et les gouvernements n’ont le droit de s’exprimer ou de justifier leurs décisions que par des critères scientifiques, dans un cadre qui leur est donné par l’OMC, alors que les entreprises de biotechnologie qui demandent les autorisations ont elles-mêmes édicté les règles que les experts qui réalisent les évaluations doivent suivre. Il se pose donc un problème important pour la démocratie et l’innovation.
L’histoire n’est pas finie. Comme vous le savez, l’étude de Gilles-Éric SÉRALINI vient d’être retirée de Food and Chemical Toxicology, la revue qui l’avait acceptée en septembre 2012. Certains font un lien entre cette décision et la nomination, en février 2013, d’un rédacteur en chef adjoint, M. GOODMAN, qui a travaillé pour les entreprises de biotechnologie, pour l’ILSI et pour le Codex alimentarius, notamment sur l’établissement des lignes directrices pour l’évaluation sanitaire des risques liés aux plantes transgéniques. Et sa spécialité professionnelle, c’est l’allergénicité, et il fait partie des personnes qui ont promu le test à la pepsine. Ainsi, la boucle est bouclée, grâce à l’étude SÉRALINI et ce qu’elle a permis de soulever du point de vue fonctionnement.
Il est difficile de savoir ce qui se produit au sein de Codex alimentarius. Qui y est ? Qui parle et au nom de qui ? Tout ce qu’on sait, pour l’instant, c’est que le représentant de la France, pour les tables rondes sur les OGM, a été envoyé par le ministère de l’Économie, et non par celui de l’Agriculture, de la Recherche ou de l’Environnement.
Il y a également un autre organisme, l’OCDE, qui publie les lignes directrices de bonnes pratiques scientifiques. Inf’OGM a découvert que l’OCDE ne donne pas la liste des personnes qui siègent dans ses comités et contribuent à émettre des décisions qui s’imposent aux gouvernements et à l’Union européenne.
Pour conclure, on va dire que l’innovation et la démocratie, cela se passe au niveau international dans un cadre flou. C’est l’OMC, le Codex alimentarius, l’OCDE. Les citoyens s’estiment victimes, interdits de parole si elle n’est pas scientifique. Les gouvernements sont victimes du même système, mais ils se sont imposés eux-mêmes ce cadre restrictif en signant notamment la mise en place de l’OMC.
Je termine par un dernier élément. Le débat sur les plantes transgéniques est désormais obsolète. Les entreprises ont, depuis, initié le débat sur les nouvelles techniques de biotechnologie. Le débat sur les OGM aurait pu permettre de tirer des leçons importantes en termes de choix démocratique. Il a été trop public, et, la législation étant trop contraignante, le débat sur les nouvelles technologies concerne le cadre dans lequel les plantes issues des nouvelles techniques de biotechnologie seront commercialisées. La Commission européenne y réfléchit, mais leur agenda et leurs interlocuteurs restent secrets.
Questions de la salle
Fabrice FLIPO : Ce que j’en retiens, en deux mots, avant de passer à la salle, c’est d’une part le poids des intérêts commerciaux, évidemment – cela paraît un peu évident –, et puis ce talent à maintenir les débats dans des limites de faits qui ne sont pas trop dérangeants. A partir du moment où on arrive à les sortir – ce que tu disais, Michèle, c’est l’émission de Michel POLAC –, à partir du moment où les faits, où la fabrication même des faits arrive à tomber dans la société, se produit un débat qui embête bien, quand même, les intérêts établis.
Sur ce, je vous invite à prendre la parole.
Elena PASCA : J’aurais quelques remarques à faire à propos des interventions de Michèle RIVASI et de Martin PIGEON, et également pour faire le lien avec ce qui a été dit ce matin. Je pars de l’affirmation de Christian VIGOUROUX, qui est l’un des magistrats chargés notamment du contentieux en matière de conflit d’intérêts au Conseil d’État. M. VIGOUROUX était présent à une réunion que j’ai évoquée ce matin, à la Haute autorité de santé, sur l’expertise et conflits d’intérêt, en décembre 2009 et non pas en 2010, comme je l’ai dit ce matin. Comme on était quelques-uns à protester, moi particulièrement qui depuis la salle ai « poussé un coup de gueule », Christian VIGOUROUX a dit ceci : « Je ne dis pas contre les conflits d’intérêt, je ne dis pas contre les groupes intérêts et de pression, je ne dis pas contre les jeux d’influence parce qu’après tout, c’est le jeu de la démocratie, tout le monde recherche un intérêt, chacun suit son propre intérêt – et c’est où je veux en venir – d’ailleurs, les associations et les ONG aussi cherchent aussi leurs intérêts. Elles aussi ont des liens d’intérêts, veulent influencer la décision publique et ainsi de suite. Donc pourquoi – s’adressant à moi – venez-vous au nom d’une association, dire que le lobbying… »
Là où je veux en venir, c’est qu’on aurait peut-être tort de laisser les lobbyistes poser les termes du jeu, parce qu’ils définissent la musique selon laquelle on danse. En définissant la terminologie, par exemple « tout le monde doit se déclarer lobbyiste », ils nous poussent dans quelque chose qui n’est pas notre façon de faire. N’oublions pas que les associations et ONG, notamment ALTER-Eu dont fait partie Corporate Europe Observatory (CEO), toutes ces associations, ou presque, se sont inscrites dans le registre des lobbyistes à Bruxelles. La Fondation sciences citoyennes a refusé de le faire et on s’en félicite. Jacques Testart et moi avons suffisamment milité pour ça, pour qu’on parle de plaidoyer et non pas de lobbying. On peut chercher un autre terme… Là n’est pas la question. On ne devrait pas jouer selon la musique écrite par les lobbyistes.
Michèle RIVASI disait tout à l’heure que seuls les industriels répondent lorsqu’il y a une demande de consultation, de participation. Ça s’explique historiquement, dans l’histoire même du lobbying. British American Tobacco, l’un des lobbyistes les plus importants des années 80, avait importé en Europe un modèle qui s’était d’abord imposé aux États-Unis, celui de la Better Regulation. Bien sûr, c’est un terme qui sonne bien mais, au nom de la Better Regulation, on a demandé aux pouvoirs européens de consulter largement, soi-disant pour que la décision soit plus démocratique. Or seuls les industriels, avec leur cabinet de lobbyistes, ont eu la capacité de répondre à ce type de demande et de fournir des centaines et des centaines de pages de rapports en réponse à quelque chose.
Effectivement, méfions-nous de la transparence aussi, et je finirai avec ça, parce qu’au nom de la transparence – et j’ai essayé de le dire tout à l’heure, dans mon intervention – on banalise et on légitime les conflits d’intérêts. Si on se limite à la déclaration publique, si on ne cherche pas, si on ne vise pas justement à en finir avec le lobbying mais qu’on dit « encadrons-le », ça ne va jamais marcher. Si on se limite à déclarer les conflits d’intérêts, si on ne cherche pas à les éliminer, ça ne va jamais marcher. On est donc, à cause du fait qu’on ait accepté les discours sur la gouvernance – n’oublions pas ce que voulait dire « gouvernance » dans les discours des lobbyistes –, on a accepté tous ces termes-là : transparence, participation, consultation… On est tout simplement emprisonnés dans quelque chose qui fait, en fin de compte, le jeu des industriels, malgré notre bonne volonté.
Désolée, j’ai été longue mais il me semblait que tout cela devait être dit.
Yves LE BARS : Je suis actuellement Président du Comité français pour la solidarité internationale ; j’ai travaillé sur les transformations urbaines et la gestion des déchets radioactifs aussi. Est-ce qu’il n’y a pas à la base de tous les combats qu’on est obligé de mener, une croyance chez bon nombre de scientifiques, ingénieurs, experts, chercheurs, qu’on trouvera à corriger, certes en créant probablement des problèmes, une attitude orgueilleuse, d’une certaine manière, qui veut faire croire qu’on trouvera une solution aux problèmes que l’on aura créés ? En avant le Progrès ! On accepte la dérégulation commerciale, on fera et on fait les Objectifs du millénaire du développement, donner de l’argent pour arriver au quota. Cette attitude-là, ce n’est pas la mienne, c’est plutôt celle de l’homme sur la planète qui essaie de détourner les choses à son profit. Je pense qu’il faut voir ce combat idéologique, autrement on risque d’être contre des moulins à vent.
Comment tenir le combat face à cette croyance ? En avant le Progrès. On le voit bien fortement, aujourd’hui, dans pas mal d’instances de la République française. La convergence réglementaire, c’est ça aussi. Il y a des controverses, il faut peut-être – et c’est ce que l’on fait – travailler avec les armes de la science. Il y a le droit… Il me semble qu’il faut construire un combat à partir de ce constat.
Fabrice FLIPO : Est-ce qu’il y a une ou deux autres questions ? Ensuite, on passe la parole aux orateurs.
Une dame (nom non indiqué) : : Excusez-moi, je ne suis pas scientifique ; je vais me couvrir de ridicule. Je pense qu’il faut que les choses passent par l’émotion. Si des dramaturges, des écrivains et des cinéastes parviennent à sensibiliser sur ces questions et à créer des fictions… Je vois les choses un peu comme ça. Cela étant, c’est bien joli de le dire, mais je suis incapable de le faire.
Un monsieur (nom non indiqué) : J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les trois interventions, mais je pense que c’est encore pire que ce que vous dites. Ce matin, par hasard, j’ai entendu à la radio que de manière mondiale, la production de charbon redevenait majoritaire. Je ne sais pas si c’est vrai ou pas. Je ne suis pas sûr de ma mémoire – vous avez parlé de référendum et le Monsieur, à côté, a parlé de conflit d’intérêts. Je voudrais donc essayer de lier les deux. Il me semble me souvenir qu’il n’y a pas très longtemps, en France, il y a eu un référendum sur le Traité établissant une constitution pour l’Europe. Il me semble me souvenir qu’il y a eu un résultat à ce référendum. Là, ce n’est pas la science, je ne sais pas s’il y avait du lobbying, mais il me semble avoir souvenance qu’on avait, pour des raisons qui valent ce qu’elles valent, dit non.
Je ne sais pas quels sont les lobbies ni à quel niveau. Je pense quand même qu’il faudrait qu’on s’interroge beaucoup… La première chose que j’ai notée, et la seule, est : qu’est-ce que l’expertise ? Parce que quand on nous a dit qu’on avait voté « non » et qu’il fallait en fait voter « oui », c’est parce que les experts, avec un ton d’autant plus doucereux et paternaliste, s’adressaient à nous pour dire qu’on n’y comprenait rien au progrès. Mais le progrès, ça va quand même bien dans le sens d’intérêts, non ?
Martin PIEGON : Merci pour ces questions. Je vais commencer par répondre à la critique, je crois, en tout cas à l’observation d’Elena PASCA sur le fait que CEO soit enregistré dans le Registre européen de transparence qui est d’ailleurs le résultat d’une de nos campagnes, de notre campagne principale même, vous allez voir pourquoi. La transparence ne règle rien, mais sans transparence, on ne peut rien faire. Ce que je veux dire par là, c’est que la transparence, de toute façon, est un état de fait. Vous avez tous, sur vous, en général, un téléphone portable. Vous êtes géolocalisables. Vous êtes technologiquement de plus en plus transparents. La transparence, c’est quelque chose qui nous concerne tous. C’est déjà une question politique. C’est : qui est transparent aux yeux de qui ? Voyez ? En tant que citoyens, nous sommes tous déjà largement transparents vis-à-vis du pouvoir politique et, de plus en plus, du pouvoir économique. L’enjeu, pour nous, c’est de nous placer dans une démarche, de lier la question de la transparence à la question des responsabilités. Les décisions sont prises par des gens ; il faut savoir qui, avec quels moyens, quel budget, etc. C’est le sens de cette campagne pour laquelle nous avons milité. Nous avons une conscience aiguë du fait que les lobbyistes professionnels passent leur vie à « noyer le poisson », comme je l’expliquais. Effectivement, si vous écoutez un lobbyiste professionnel, pour lui, un patron du CAC 40 et un manifestant, c’est pareil ; tout le monde poursuit son intérêt. Non, ce n’est pas pareil ! Le premier poursuit un intérêt économique et récupère tout ce qu’il peut dans le débat public pour soutenir son intérêt, tandis que le second utilise des arguments idéologiques, politiques, culturels, émotionnels pour ce qu’il y croit. Ce n’est pas la même chose. Tout n’est pas pareil et je crois qu’il faut tenir bon sur ces questions. En l’occurrence, la question du Registre européen de transparence n’a pas du tout vocation à banaliser le lobbying mais à faciliter sa critique. C’est en tout cas notre option. Je suis, après, d’accord avec vous sur le fait que le débat en France a tout à fait été dévoyé et que le risque réel, c’est la légalisation de fait du trafic d’influence au nom de la transparence. Mais ça, c’est un dévoiement du problème. Ce n’est pas le même problème.
Je fais assez vite. Sur la question de la technique, je suis un grand lecteur de Jacques ELLUL. Je ne vais donc pas contredire ce que vous dites. Simplement, pour moi, la technique ne fait que déplacer les problèmes, elle ne les résout jamais. Il est donc illusoire d’espérer que la technique résolve des problèmes qu’elle a elle-même créés.
Maintenant, comment combattre cette soustraction de la décision experte du champ politique ? Je pense que ce que vous dites, Madame, n’est absolument pas ridicule. C’est très important. Chacun a le droit de voir sa parole, quelle qu’elle soit, respectée et entendue. Vous parlez de dramaturges, qu’il faudrait que des gens de la fiction fassent ça. Je suis un peu moins partisan de ça parce qu’en général, quand les littéraires font ça, cela devient de la propagande et c’est rarement intéressant d’un point de vue littéraire. C’est Sartre je crois qui disait qu’on pouvait écrire pour la vérité ou la victoire mais qu’il fallait choisir son camp. Je pense qu’il est très bien que la littérature continue à travailler pour la vérité.
Pour le reste, je passe la parole à mes collègues.
Michèle RIVASI : Par rapport aux questions, je trouve qu’il y a des termes très importants qui ont été employés. D’abord, « accélération des processus ». On est vraiment dans une phase où tout s’accélère. La technologie, en l’occurrence, prend un pouvoir. Je parlais des trois D, dont qui décide. C’est la technologie qui décide. Le deuxième D, ils désinforment, ils nous disent qu’il n’y a aucun souci, qu’ils ont pensé à tout. Le troisième D, ils diffèrent. C’est-à-dire que quand il y a des lanceurs d’alerte, ils disent : « Ah mais non, il faut encore faire des études. » Voyez, on est dans ce monde-là.
On est aussi dans un autre monde, où on veut nous confisquer le pouvoir de décision. Écoutez, sur le plan européen, quand je vois comment la Commission européenne fonctionne, quand je vois le Conseil des États et quand je vois l’influence des multinationales… Tu parlais du traité de libre-échange, mais c’est quoi le traité du libre-échange ? Ce sont des multinationales qui s’organisent et qui nous disent : « On va augmenter de 0,5 % la croissance de l’Union Européenne. » Là, c’est ça qui me fait peur. Autant, j’étais en France, on voyait, on visualisait les politiques pourries, mais là, vous vous dites qu’en fait, ils se mettent d’accord. Quand Hervé KEMPF parlait de l’oligarchie, il a raison, on est bien dans une oligarchie. Maintenant, tout le problème est de savoir comment essayer de ramener le pouvoir de décision au niveau des citoyens. Parce qu’il nous échappe. Là, je suis d’accord avec ce que tu dis : on est manipulés, instrumentalisés. Quand on me dit « la consultation », la consultation de qui ? Qu’est-ce qu’ils prennent en compte ? Est-ce qu’ils nous donnent tous les éléments ?
Là où tu as aussi raison, Martin, c’est quand tu dis : « Voyez, encore aujourd’hui, on vient de gagner quelque chose en Commission de santé et environnement au Parlement européen où on a refusé ce qu’a dit la commission sur les OGM, qu’ils voulaient autoriser. Pour la première fois, on a été majoritaires. » Ça veut donc dire qu’on est arrivés à convaincre des députés européens qui étaient PPE – parti conservateur –, mais vous avez des socialistes aussi et il faut savoir que les socialistes roumains ne sont pas les mêmes que les socialistes français ou les socialistes anglais. Sur ce point, on a gagné un peu sur les OGM. Mais sur le nucléaire, je n’y arrive pas. J’ai beau sensibiliser hommes – et femmes surtout, car elles sont plus ouvertes que les hommes –, c’est idéologique. Je me dis : quelle énergie renouvelable faut-il pour y arriver !
Soyez très sensibles à ça. Je pense qu’on veut nous confisquer le pouvoir. Ce traité (TTIP), c’est la caricature, mais on peut gagner si on a une mobilisation. Je l’ai vu sur les gaz de schiste. Depuis le début, on a fait des réunions, des collectifs, on a voulu sortir des partis politiques, on a voulu rassembler large. Quand je suis allée en Bulgarie, j’ai constaté que la mobilisation citoyenne était importante pour dire à leur gouvernement : « On fait une loi comme les Français pour interdire les gaz de schiste. » On a gagné. Vous voyez donc que notre expérience, nous pouvons aussi la transmettre à d’autres. Je me dis que rien n’est perdu. On n’a pas gagné sur le nucléaire, mais quand même… Sur les OGM, il y a eu quand même une mobilisation citoyenne qui a été relayée par des politiques, qui a montré que ce moratoire est un peu brinquebalant parce que les Espagnols font un peu de culture d’OGM, mais ce n’est pas très important sur le plan européen. Sur les gaz de schiste il y a eu une forte mobilisation locale en France, on a pu mobiliser parce qu’on a fait des collectifs mais cela reste fragile. On tient parce que Hollande sait très bien que s’il ouvre là-dessus, c’est la rébellion chez moi. En Ardèche, c’était des milliers de personnes dans tous les villages ; je n’ai jamais vu ça.
On peut gagner. Seulement, il faut faire comme pour le TCE. Pourquoi il y a eu un « non » au TCE ? Parce qu’il y a eu des réunions citoyennes dans plein de villes. On a expliqué aux citoyens les enjeux, la concurrence, ce qu’on voulait faire sur le plan européen d’un point de vue libéral. Mais maintenant, on entre dans les élections européennes 2014. Là, de deux choses l’une. Soit on entend les sirènes du Front National qui disent « Oh là là, l’Europe, c’est horrible, regardez tout ce qui se passe, les délocalisations, tous ces immigrés qui viennent, ce n’est pas possible, ils vont vous prendre votre pain, ils vont vous prendre votre liberté, etc. », soit on se dit : « Mais il faut encore plus d’Europe. » Plus d’Europe, mais pas une Europe où l’on nous confisque le pouvoir pour augmenter celui d’une Commission européenne de droite. Il est important de réserver aux députés européens une place de choix. Par exemple, je constate que lorsque je travaille sur la révision d’une directive sur la pharmacovigilance, ou sur d’autres sujets, et que je me bagarre et passe des nuits dans les trilogues, le Conseil des États retire par la suite tous mes amendements, alors qu’ils avaient été gagnés à la majorité au Parlement européen, parce qu’un ou plusieurs État refusent que cette directive rentre dans ce sens-là. Mais comme c’est opaque, vous ne savez pas quels sont les États qui votent pour oui ou pour non.
La transparence n’est donc pas une condition suffisante. C’est quand même une condition nécessaire pour avoir accès à l’information. Il faut dénoncer les conflits d’intérêts, comme le scandale de Mme BANATI, qui était Présidente de l’ILSI et qui était aussi à la Direction de l’EFSA, car ce n’est pas acceptable.
Sciences Citoyennes a un rôle très important qui doit être relayé par les politiques. Il faut que ça vienne de la base. Nous avons besoin d’une Europe démocratique parce que comment s’en sortir tous seuls ? Il y a donc un combat français, un combat européen pour remettre le pouvoir de décision à hauteur des citoyens.
Il faut faire comprendre à vos élus que leur jeu et leurs manigances sont dévoilés parce que maintenant, vous devenez des experts citoyens.
Éric MEUNIER : Pour conclure, je vais essayer de ne pas être trop long. Je vois un lien dans les trois questions qui ont été posées. Pour l’émotion, ça me paraît clair. C’est directement en lien et c’est aussi avec l’autre question sur la place de la science. C’est un peu ce que j’ai voulu dire aujourd’hui et c’est ce que je retiens. Évidemment, la science a une place bien trop centrale dans toutes les procédures et une place bien trop centrale dans les convictions. C’est vrai que quand on parle avec certains politiques, pas tous, je ne donnerai pas la catégorie, parfois c’est assez sidérant de voir la conviction que tous les problèmes que la science pose, il n’y a que la science qui pourra les résoudre. C’est une religion, quasiment.
Mettre de l’émotion dans le débat, je trouve que c’est un pari à faire. Pourquoi ? Parce que quand on discute en conférence, par exemple, avec les gens, les questions sanitaires et environnementales sont importantes mais, finalement, quand j’interroge les gens en leur disant « Imaginons deux secondes que demain, une entreprise commercialise une plante transgénique qui ne pose aucun problème pour la santé et aucun problème pour l’environnement, si tant est qu’on imagine un monde où on peut se représenter ça », il y a souvent quelque chose qui gêne, qui chiffonne les gens.
À Inf’OGM, on se bagarre un peu aussi pour dire que tous les débats ne sont pas scientifiques. Dans le domaine des OGM, c’est loin d’être le cas et les débats importants ne sont pas les débats scientifiques, ce ne sont pas les questions sanitaires ou environnementales. Par exemple, si on met sur la table la question du brevet sur le vivant, où on est dans un débat juridique, légal, qui est censé traduire une approche de la société par rapport au vivant, la relation qu’on a, est-ce qu’on envisage que le vivant, si tant est qu’on puisse le définir, soit privatisable par le biais de brevets ? Là, il n’y a pas de dimension scientifique. Là, vous avez le droit d’exprimer un avis et les gouvernants sont dans l’obligation de relayer une position de société pour laquelle il serait ridicule de demander une base scientifique parce qu’il n’y en a pas. La question du brevet sur le vivant est un concept. Il se trouve que, finalement, dans le domaine des OGM, on le voit, le brevet sur le vivant fait partie, comme les nouvelles techniques de biotechnologie, des débats où tout est fait pour les masquer. C’est par rapport à la première intervention, ça revient à ça par rapport au calendrier des lobbyistes. Nous, on généralise, c’est le calendrier des lobbyistes, entreprises et commissions européennes. La question du brevet sur le vivant n’a jamais été concrètement sur la table pour les citoyens. Il y a une dynamique comme ça qui s’instaure.
En ce moment, il y a un débat très important au sein de l’Office européen des brevets. Les entreprises poussent pour que l’Office européen des brevets délivre des brevets sur des plantes sur lesquelles aucune technique de biotechnologie n’a été utilisée. Ce sont juste des plantes qui ont été améliorées comme, ce qu’on appelle encore aujourd’hui heureusement, des paysans faisaient, comme des entreprises semencières le font. C’est toute la sélection conventionnelle. Ils ont tenté un premier coup de « on va essayer d’obtenir un brevet ». La concurrence aidant, la première qui a eu le brevet, sur le brocoli ou la tomate, elle a fait face à une levée de bouclier, non pas des citoyens, pas de la Commission européenne ou d’autres mais des entreprises concurrentes. C’est donc tombé. Maintenant, ils disent : « Ok, si on ne peut pas breveter la technique d’obtention d’une plante conventionnelle, est-ce que la plante qu’on a obtenue par une technique conventionnelle est brevetable ? » Voyez, il y a vraiment en toile de fond cette question du brevet sur le vivant, et c’est un débat où, pour des raisons X ou Y, il y a une place beaucoup trop centrale, donnée à dessein par des entreprises et la Commission européenne, des questions scientifiques.
Tant que vous êtes concentrés sur les questions scientifiques, tant que vous êtes concentrés sur le fait de savoir si le gouvernement français va reprendre un moratoire sur le MON 810, s’il y a des impacts sur la santé, sur l’environnement, plein de questions importantes, vous ne vous intéressez pas à la question du brevet sur le vivant, vous ne vous intéressez pas à la question de votre capacité à exprimer une opinion. Comme ça vient d’être dit, il y a des combats qui ont été gagnés, il y en a d’autres qui seront gagnés par la société civile, mais à la condition qu’elle suive son propre calendrier, son propre agenda et j’aurais tendance à dire ses propres émotions, pour savoir comment aborder un problème autrement que par le seul cadre que les entreprises ont pu lui imposer.
Martin PIEGON : 15 secondes. Deux choses. Tous les organismes internationaux dont on vient de parler, y compris l’Office européen des brevets qui, contrairement à son nom, ne dépend pas de l’Union européenne, sont le fruit d’une coopération intergouvernementale. Tout ce dont on vient de parler, le gouvernement français, l’État français, je ne vais pas dire qu’il sait ce qu’il fait, mais il en est partie prenante et peut-être redevable et tenu responsable de ces agissements – première chose.
Deuxième chose, sur l’accord de libre-échange. C’est notre conviction qu’ils ont vraiment été trop loin et qu’à CEO, nous n’avons jamais reçu autant de fuites, sur aucun accord, jamais. Pour vous dire, il y a l’ancien chef de cabinet de Pascal Lamy qui a écrit un article, « L’Europe ou l’accord de libre-échange, il faut choisir ». Quand vous avez ce genre de personne qui dit ce genre de chose, c’est qu’il y a de la marge, je crois. Merci.
Fabrice FLIPO : Je crois qu’on peut remercier nos intervenants. Nous allons faire une petite pause de 15 minutes.