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Anthropocène : entre défaunation, réensauvagement et renaturation, par Denis COUVET

Transcription, par Taos AÏT SI SLIMANE, de la conférence introductive, « Anthropocène : entre défaunation, réensauvagement et renaturation », par Denis COUVET, de la deuxième session du Colloque « L’Animal à l’Anthropocène », organisé par CNRS et le MNHN, les 10-11 décembre 2020, animé par le journaliste Frédéric DENHEZ.

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« Anthropocène : entre défaunation, réensauvagement et renaturation »

« Les animaux sauvages acteurs de l’anthropocène »

Par Denis COUVET (CESCO - MNHN / CNRS / Sorbonne Université, Paris)

Frédéric DENHEZ : […] Pris comme une des origines de la domestication, c’était le besoin de faire des sacrifices, c’est ce que nous avons fait ce midi, nous avons sacrifié des pizzas pour rendre hommage, à rien du tout d’ailleurs.

Merci, d’être là à nouveau, toujours aussi nombreux. Nous étions 350 ce matin, ce qui est beaucoup, ce qui ne veut pas dire beaucoup trop, ce qui est énorme nous réjouit.

Deuxième partie, deuxième temps de ces deux jours consacrés aux liens entre l’homme et l’animal, entre l’homme et les autres animaux, les animaux sauvages entre défaunation, terme nouveau, assez terrifiant, et réensauvagement.

Nous allons démarrer par la conférence introductive de Denis COUVET. Vous êtes professeur ou Muséum national d’histoire naturelle. Vous êtes le futur président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, au 1er janvier 2021. « Anthropocène : entre défaunation, réensauvagement et renaturation », les animaux ne sont pas que des victimes finalement, Denis COUVET, vous avez une demi-heure pour nous en convaincre.

Denis COUVET : Bonjour à tous. Le sous-titre de mon exposé sera « Les animaux sauvages acteurs de l’anthropocène », et pour développer cette idée, je commencerais par parler de ce phénomène de défaunation, dont on peut dire qu’il est massif et accompagné de réorganisation. L’aspect réorganisation me paraît important pour bien comprendre les enjeux.

Tout d’abord, il faut bien expliciter et rappeler que la crise de la biodiversité, dont on parle, c’est beaucoup articulée, d’une manière biologique, sociale, culturelles autour de l’extinction et du déclin accéléré des grands vertébrés. La notion de sixième extinction est largement associée à ces tendances, qui sont maintenant bien documentées. Néanmoins, ce que l’on constate, de plus en plus, c’est qu’au-delà des grands vertébrés, il y a tout un ensemble de groupes d’animaux qui sont effectivement affectés, notamment les insectes, que ces groupes d’animaux sont affectés à différents niveaux d’organisation : au niveau des populations, des espèces, des communautés, et puis des fonctions écologiques associées, j’y reviendrai, d’où ce terme proposé, par différents collaborateurs, en 2014, de défaunation, pour expliciter la perte générale de faune au sein des écosystèmes. Le rapport IPBES sur les pollinisateurs rappelle aussi cet aspect de défaunation sur une fonction écologique qui est importante, importante aussi, attention, certes pour les humains mais pour les non-humains eux aussi, notamment les plantes sauvages qui en sont très dépendantes.

Puis, troisième chose, qu’il faut souligner, c’est que derrière cette défaunation, il y a aussi, je dirais, des opportunistes, c’est à dire des espèces qui, je dirais, entre guillemets, « en profitent ». donc, il y a à une réorganisation, notamment il y a le concept d’homogénéisation biotique, sur lequel je reviendrai, qui désigne le remplacement des espèces spécialistes par des espèces généralistes.

Cette, défaunation, pour préciser les choses, est très bien documentée dans le cas des oiseaux communs européens. Là, vous avez l’exemple des pertes d’abondance et de biomasses, là abondance, on voit cette perte spectaculaire, sur les trente dernières années, on est passé de plus de 2 milliards d’oiseaux sauvages à quelque chose comme un milliard et demi, on a donc perdu 500 millions d’oiseaux à l’échelle de l’Europe en trente ans. Considérable ! mais, en ce qui concerne la biomasse, on a des pertes qui sont en comparables, c’est-à-dire de l’ordre de25%. On a pu aussi, c’est notre équipe au sein du Muséum qui a pu le faire, quantifier cette homogénéisation biotique, donc cette perte de spécialisation, on perd des espèces qui sont spécialistes des habitats agricoles, forestiers, urbains, qui sont remplacés par des espèces qui sont généralistes. Vous avez là, la référence en scientifique, ces références seront présentes au fur et à mesure de cet exposé.

Alors, cette défaunation, cette réorganisation est complexe, peut être diverse, avec diverses tendances. Sur les invertébrés, comme je le disais, on a beaucoup moins de données, elle commence néanmoins à accumuler. On a cette publication récente qui essaye de faire un bilan à l’échelle de la planète, en ce qui concerne les insectes, sachant que l’Afrique n’est pas présente, parce que les données restent insuffisantes. Qu’est-ce que nous montre cette méta-analyse ? En marron vous avez les insectes terrestres, en bleu vous avez les insectes aquatiques. Ce que vous montre ici cette figure, c’est que là, lorsqu’on est à gauche, on est en déclin, il faut le noter, là c’est en terme en l’occurrence d’abondance, lorsqu’on est à droite on est plutôt en croissance, en expansion. Les populations d’insectes tropicaux de général sont en déclin, particulièrement en ce qui concerne les insectes aquatiques, de l’ordre de 2 à 3% par an, ce qui est considérable, au bout de 50 ans on aura perdu 50 à 75%, c’est énorme en fait. C’est sans doute lié notamment à l’extension de l’agriculture. Si on prend maintenant les milieux boréaux et alpins, on aurait - alors attention, c’est entre guillemets, ces données restent encore partielles - plutôt une expansion, une augmentation d’abondance, qui pourrait être liée à une amélioration de conditions climatiques. Le changement climatique créé des conditions qui sont plus favorables aussi bien pour les humains que pour les non-humains. Enfin, dans nos milieux, milieux tempérés, vous pourrez constater des dynamiques qui sont assez divergentes, un déclin des insectes terrestres, qui est maintenant bien connu, les médias s’en sont fait largement écho, et puis pour les insectes aquatiques, il y aurait peut-être, je dirais, une lueur d’espoir, qui selon les auteurs, serait due à maintenant, depuis plusieurs décennies, à une politique d’amélioration de la qualité des eaux, et qui permettrait aux insectes aquatiques de mieux se porter. Voilà, des visions diverses néanmoins une défaunation très importante.

Alors, derrière cette défaunation, cela sera un point central de ma conférence d’aujourd’hui, les animaux sont présents dans des écosystèmes, sont associés à des fonctions écologiques, et lorsqu’on perd les animaux eh bien on perd des fonctions écologiques, voire des mutualismes. Là, vous avez l’exemple, en ce qui concerne la dispersion des graines, fonction très importante pour les plantes, pour se disperser, ici la pollinisation, avec des expériences d’exclusion, ici de chauves-souris, disperseuses de graines, ici de d’oiseaux qui sont pollinisateurs, et l’on peut voir que dans les milieux sans exclusion, en rose, on a beaucoup plus de dispersion que dans les milieux avec l’exclusion, représentés en bleu. Pour la pollinisation, de la même manière, vous voyez que le pourcentage de fructifications et le nombre de plantes qui émergent est beaucoup plus important lorsqu’on a des animaux. Là, c’est un indicateur un peu particulier, c’est le taux de limite, la limitation par la pollinisation. Et puis, là, nous avons deux autres exemples, en ce qui concerne des fonctions plus larges, qu’on pourrait qualifier de mutualisme diffus, nous avons le recyclage du carbone, le rôle des nématodes, qui, en l’occurrence, lorsqu’elles sont présentes, entraînent des flux carbones beaucoup plus important. Puis, là, nous avons la qualité des eaux, ici la qualité en termes de particules suspendues, en termes d’activités biologiques. Effectivement, ses fonctions écologiques qui changent, qui peuvent être affectées par la défaunation.

Maintenant, je vais passer à la deuxième partie de mon exposé, qui concerne les conséquences systémiques des syndromes de défaunation et de réorganisation, notamment d’homogénéisation biotique. Cette diapositive, pour vous faire sentir la complexité des enjeux scientifiques que doit affronter l’écologie par rapport à ces questions. Là, vous avez une représentation qu’on peut qualifier d’assez classique en écologie, qu’est la représentation d’un réseau écologique. Les espèces sont dans des réseaux, des systèmes écologiques. Les écosystèmes sont des réseaux. Chaque cercle, j’espère vous arrivez à distinguer sur la diapositive, représente une espèce, ici nous avons les plantes, plantes domestiques, on est sur une exploitation agricole d’une centaine d’hectares. Ici, quelques plantes sauvages. Ici, vous avez représentés, onze groupes d’animaux sauvages, qui sont en interaction avec ses plantes. Ces onze groupe d’animaux sauvages, ici vous avez des zooms qui précisent les relations qu’entretiennent les papillons avec les plantes, avec leurs fleurs. Ici, nous avons le réseau plantes-pollinisateurs. Là, nous avons trois réseaux de mangeurs de graines, des rongeurs qui mangent des graines. Ici, des oiseaux et ici des insectes, avec des espèces, d’autres animaux qui exercent un contrôle biologique, finalement un contrôle sur cette capacité de prédation de graines, contrôle biologique de ces rongeurs, de ces insectes, en l’occurrence, ici, des ectoparasites, et ici des parasitomites (orthographe incertaine), des insectes que l’on pourrait qualifier de canivores. Et enfin, là, nous avons deux groupes que l’on qualifie généralement en agriculture de ravageurs, ici nous avons les mineuses, ces larves qui forent dans les plantes, et ici nous avons les pucerons, qui sont des suceurs de sèves, et derrière, nous avons des groupes de parasitoïdes, qui contrôlent aussi ces pucerons. Je reviendrais sur cet aspect-là, à propos des écosystèmes agricoles. L’enjeu derrière la défaunation et la réorganisation, c’est d’anticiper comment les écosystèmes vont changer dans leur fonctionnement, quelles fonctions écologiques nous sommes à même de perdre, quelles fonctions écologiques éventuellement pourraient être renforcées, et puis travailler sur nos relations et le mutualisme que l’on entretient avec l’ensemble de ces animaux sauvages. Mutualismes qui nous sont totalement indispensables, ça, c’est un point que je voudrais souligner.

Derrière ces pertes de fonctions écologiques, je voudrais justement parler des aspects systémiques, qui inquiètent particulièrement les écologues. Eh bien, c’est la possibilité que les écosystèmes basculent, parce que les écosystèmes, c’est ce qui représenté dans cette figure, on ce qu’on appelle des bassins d’attraction, ou encore des attracteurs en mathématiques. Là, l’idée c’est que les écosystèmes peuvent basculer, beaucoup d’entre vous ont dû entendre parler du basculement des écosystèmes des forêts amazoniennes vers des systèmes de savane. C’est effectivement une des possibilités qui existe derrière cette défaunation, avec ici un exemple, sur des récifs coralliens. Là, à droite vous avez des coraux, qui luttent difficilement face à une invasion par des algues. Pourquoi, cette invasion par des algues à lieu et est en train de surclasser les coraux ? C’est parce qu’on ces poissons, ce groupe de poissons qui sont des brouteurs d’algues, qui contrôlaient donc les populations d’algues, et qui permettait finalement aux coraux de se maintenir. Donc, perte de fonctions écologiques qui peuvent entraîner des basculements. Actuellement, nous sommes peut-être en train de vivre un certain nombre de basculements, associés à la crise du Covid, on voit effectivement tout l’enjeu, ce qui peut être dramatique derrière ces basculements d’écosystèmes, ou de socio-écosystèmes, en concurrence pour ce qui concerne le Covid.

Alors, dans ces basculements d’écosystèmes, je vais y revenir sur la diapositive suivante, mais pour l’introduire j’aimerais attirer votre attention sur notamment l’effet de la de l’homogénéisation biotique, dont j’ai parlé tout à l’heure, - désolé là il y a une erreur de frappe - donc effectivement basculement des écosystèmes avec un rôle, l’homogénéisation biotique, donc le remplacement, ici, des espèces spécialistes qui sont représentées un gris clair, par des espèces généralistes qui seront présentées en brun, qui sont généralement associées à des perturbations des écosystèmes, et les écosystèmes faits d’espèces généralistes beaucoup plus connectées, et bien ne fonctionnent pas de la même manière que des écosystèmes qui sont peuplés d’espèces spécialistes.

C’est ce que nous propose la diapositive suivant, dans des travaux de chercheurs SCHEFFER et ses collaborateurs, qui sont des spécialistes de la théorie des écosystèmes, des systèmes écologiques, qui nous expliquent que la réponse d’un écosystème, qui représenté ici en rouge, l’état de l’écosystème ou d’un socio-écosystème, en fonction de facteurs de stress, ou variables de forçage, le changement global est un facteur de stress, eh bien cette réponse des écosystèmes elle peut se faire de manière linéaire, graduelle, gentiment je dirais, ou bien cette variation peut être brutale. Et ce qui émerge de manière générale de la théorie des systèmes, c’est que lorsque nous sommes dans des systèmes qui sont compartimentés, avec une diversité d’espèces, ce qui est représenté ici, diversité des espèces des fonctions écologiques, représentées par des couleurs et des formes qui sont différentes, des systèmes qui sont relativement peu connectés, on peut avoir des effondrements très locaux mais avec un remplacement régulier. Là, on parle de systèmes qui sont modulaires hétérogènes, c’est remplacements réguliers fait que nous avons de petites oscillations, mais globalement le système s’ajuste de manière linéaire. Par contre, lorsque nous sommes dans des systèmes avec une grande homogénéité, représentés ici par des ces points rouges, qui représentent cette homogénéisation des espèces qui sont relativement identiques, identiques et très connectées, mais ici les connexions sont beaucoup plus denses que dans ce système, eh bien ce que nous dit la théorie des systèmes, c’est qu’on peut avoir un basculement brutal, dû à cette connectivité et cette homogénéité. Donc, il faut bien voir que cette homogénéisation biotique, ce remplacement des espèces spécialistes par des espèces généralistes, à peut-être des conséquences systémiques qui fragilisent nos systèmes, qui pourraient basculer plus facilement. Je vous renvoie aux idées d’effondrement, qui sont bien connues, et qui sont donc associés à ces propriétés générales des écosystèmes, voire des socio-écosystèmes.

Je passerais maintenant la troisième partie de mon exposé, sur justement comment penser ces basculements de systèmes, de socio-écosystèmes, en rappelant qu’il n’y a pas que des animaux sauvages qui sont présents dans ces réseaux écologiques, mais il y a une espèce particulière, je sais pas si on peut dire que c’est espèce domestiquée, en l’occurrence, c’est nous-mêmes. On a toujours du mal finalement à objectiver notre situation. Les humains sont dans des réseaux écologiques, c’est ce que représente ici DUNNE et ses collaborateurs, en expliquant que là on a un réseau écologique, vous l’avez reconnu, chaque boulette est une espèce. Ici, nous avons les interactions entre espèces. Ici, l’espèce humaine qui est présente, et cette espèce humaine est tributaire du devenir de ce réseau écologique auquel elle est associée, et des variations qui peuvent exister dans ce système. En fait, on peut poser la question brutale qui est que les systèmes écologiques sont en train de changer, vont peut-être basculer, finalement dans ces basculements ce système, est-ce qu’il le restera une place d’une part pour les animaux sauvages, ça, on peut le penser, j’y reviendrais ? Est-ce qu’il existera une place pour les grands vertébrés ? C’est déjà moins évident, la défaunation massive actuelle ne nous rend pas très optimistes. Puis, finalement, est-ce qu’il existera encore une place pour les humains ? Est-ce que nous-mêmes ne risquons pas d’être expulsés finalement de ces réseaux écologiques ? Je vous renvoie aussi genre aussi à la notion plus précise, plus analytique d’extinction en chaîne. Extinction chaîne, c’est l’idée que lorsqu’une espèce est en déclin, et bien ce déclin peut entraîner en fait l’extinction d’une autre espèce qui est en interaction avant le l’extinction de cette propre espèce qui est en déclin. SATERBERG et collaborateurs montrent que c’est peut-être une cause d’extinction prépondérante, peut-être que dans 80% des cas, on aurait comme cela une extinction par ricochet plutôt qu’une extinction quantitativement, cela pourrait être un phénomène qui est très significatif.

Alors, pour appuyer le trait, sur des réorganisations qui risquent de nous échapper, un des cas, j’allais dire biblique, qui est connu, qui est un cas emblématique de l’histoire, en tout cas judéo-chrétien, occidentale, c’est le cas des criquets. Les criquets qui en l’occurrence font preuve de capacités de réorganisation sociales, qui ne sont pas forcément à notre avantage. Un phénomène d’ailleurs tout à fait fascinant pour les biologistes, puisque les criquets peuvent passer de formes solitaires, qui sont représentés ici à gauche, a des formes grégaires, avec tout un ensemble de changements morphologiques, qui concernent y compris l’organisation du cerveau. Ces criquets peuvent faire des ravages, comme vous savez sans doute, au printemps, en Afrique, on a eu effectivement ce problème à beaucoup là. Un exemple de réorganisation sociale, dont nous pourrions nous préoccuper et qui montre au passage donc l’agentivité des animaux sauvages, qui sont exposées actuellement à nos impactes.

Dans cette réorganisation on a parfois l’impression que le monde scientifique n’est peut-être pas à la hauteur. Pour expliciter cette idée qu’il n’est pas à la hauteur, je prendrais cette figure, qui est empruntée un journal prestigieux, Science, qui nous expliquer qu’il y a des problèmes dans le domaine de l’alimentation, de la santé et de l’environnement. Pour un écologue, tout de suite on bondit devant cette manière de présenter les choses, comme si jamais le secteur de l’alimentation de la santé se présentaient et indépendamment du secteur de l’environnement, évidemment que la santé dépend de l’environnement, c’est notamment le concept de « One Health », de la même manière, l’alimentation, l’agriculture est étroitement dépendante de l’environnement. Là, il nous propose une spécialisation, dont on sait qu’elle est très délétère, au niveau aussi bien culturel qu’institutionnel, qui effectivement est en place actuellement. On voit très bien cette recherche développement en silos, ou finalement le secteur agricole ignore le secteur environnemental. La politique agricole commune, par exemple, se construit indépendamment des institutions qui gèrent l’environnement, et c’est évidemment catastrophique, parce qu’on a en fait des interactions écologiques qui sont fortes. Autre motif d’inquiétude, lorsqu’on voit cette figure, je ne vais pas à la commenter, elle est un peu complexe, vous avez compris l’idée, vous avez trois secteurs : le secteur d’environnement, le secteur de l’alimentation et puis le secteur de la santé, avec des problèmes, des difficultés d’un côté, les mismatch, et puis de l’autre côté des enjeux. L’autre chose qui est pathétique, c’est en fait les tactiques qu’ils proposent en l’occurrence pour répondre à cette évolution rapide des écosystèmes, des systèmes écologiques. Ils nous proposent notamment des stratégies à base de biologie de synthèse, dont on a vu jusqu’à présent qu’elle avait des possibilités relativement limitées, mais je ne vais pas trop déborder sur ce sujet-là, mais je voudrais surtout souligner ce qui me paraît extrêmement inquiétant, c’est cette idée qu’en fait les humains vont contrôler, trier les organismes qui nous sont indésirables et nous protéger ceux qui nous sont désirables. Cette vision scientifique est hautement attaquable d’un point de vue éthique, je pense que les autres intervenants ce cet après-midi y reviendraient ; mais aussi sur le plan scientifique, elle est catastrophique, parce que elle suppose que nous savons reconnaître quels sont les organismes utiles, d’une part nous savons les reconnaître et qu’ensuite nous serions les séparer, anticiper, créer des systèmes écologiques avec que des animaux qui nous plairaient, ce qui est une totale utopie, voire dystopie, surtout parce que c’est souhaitable, et puis on revient à cette idée de recherche en silos, on sépare, on va repérer les organismes qui sont intéressants sur le plan de la santé, de l’agriculture, indépendamment du secteur environnemental. J’insiste là-dessus, sur l’importance de changer de modèle conceptuel, c’est la chose à laquelle je vais venir, à la fin de mon explosé, c’est d’élargir la perspective lorsqu’on pense aux problèmes posés par la défaunation et la réorganisation des faunes.

Je voudrais souligner la capacité d’action, d’innovation des animaux. Qu’est-ce que nous représente cette figure, qui vient de PNAS ? En abscisse vous avez le nombre d’individus qui peut varier entre 1010 et 1030. Ici, vous avez la biomasse. Ici, en vert, vous avez les humains et leur domesticité, l’ensemble des élevages qui seront présentés. Nous avons effectivement des effectifs considérables, nous-mêmes et nos animaux domestiques, de l’ordre de 10 puissance 10 mais j’aimerais effectivement rappeler que les animaux sauvages et bien sont beaucoup plus nombreux, avec des ordres de grandeur qui sont beaucoup plus considérables. Vous preniez les arthropodes, des annélides, les mollusques, par rapport à ça, je dirais, peut-être de manière un peu brutale, je ne suis pas sûr que dans l’adaptation nous fassions le poids en l’occurrence. C’est vrai que nous avons des capacités intellectuelles tout à fait extraordinaires, les humains sont extrêmement intelligents, comme nous le savons tous, néanmoins est-ce que c’est extrême intelligence sera suffisante pour développer des relations mutualistes ? J’aimerais peut-être aussi contrer des interprétations qui ne nous seraient pas favorables, dans cette histoire de poids, je ne voudrais pas non plus donner une image conflictuelle derrière cela, ce qui paraît tout à fait essentiel, de nombreux auteurs l’ont souligné, eh bien il s’agit de négocier, de renégocier et de développer des interactions mutualistes, des relations mutualistes entre les humains, dans cette capacité formidable d’innovation en l’occurrence des animaux sauvages.

Je viendrais dans la dernière partie de mon exposé, sur cette notion de négociation et de mutualisme, pour souligner d’une part qu’un certain nombre de travaux ont effectivement proposé, je rappellerai quand même quelques auteurs marquants dans ce domaine-là : Bruno LATOUR, qui parle de constitution écologique, de manière effectivement à constituer des collectifs d’humains et de non-humain en expansion ; la féministe Donna HARAWAY, qui parle d’une crise générale des relations à propos du Chthulucène, l’idée est de recréer des relations à travers notamment le jeu le jeu entre les humains et les animaux sauvages ; Isabelle STENGERS, qui nous invite à identifier les possibles, les propensions, quels sont les possibles dans nos interactions avec les animaux sauvages ? Et enfin Serge AUDIER, qui nous propose une éco-république, de créer une citoyenneté républicaine combinant à la fois des humains et de non-humains qui tienne compte de nos interdépendances écologiques évolutives, avec évidemment comme dans toute citoyenneté des droits et des devoirs. Droits et des devoirs pour des humains et des non-humains, vaste sujet sur lequel je ne m’étendrais pas plus, à ce moment.

Et puis, surtout, je voudrais venir à ce que propose l’écologie et les sciences de l’évolution, qui est plus le domaine avec lequel je suis familier, et là aussi nous avons des réflexions assez anciennes dans ce domaine-là, avec la théorie des cycles adaptatifs, sur laquelle je vais revenir, la notion de système adaptatif complexe, qui offre des perspectives assez comparables et puis la notion de « wildlife anthropocène », mais ça je laisserais François (?) en parler dans la suite de cet après-midi.

Je vais venir sur la théorie des cycles adaptatifs, qui nous l’offrent une perspective dynamique. D’abord, donner l’idée d’équilibre, de manière générale et d’équilibre des sociétés, équilibres de la nature. Certes, néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il va arriver n’importe quoi. C’est ce que nous propose la théorie des cycles adaptatifs, organiser nos pensées, nos propositions, nos politiques publiques, en considérant que les écosystèmes, les socio-écosystèmes passent par quatre stades successives, qui sont présentés ici. Ils sont rangés ici. L’axe des abscisses, c’est la connectivité, l’intensité des interactions qui se créent entre les entités biologiques, les entités aussi sociales, on peut caractériser aussi la connectivité, le tissu économique, par exemple. Puis, en ordonné, vous avez le potentiel de ses socio-écosystèmes. Potentiels qui pourrait être représenté de manière un peu plate pour la biomasse, ou de manière plus large, par ce que l’on appelle le capital naturel, le capital humain, le capital social. L’idée générale de cette théorie, est que nos socio- écosystèmes passent immanquablement par quatre stades successifs : le stade de l’exploitation, le stade de la conservation, le stade de la crise et du relâchement, et le stade de la réorganisation. Chacun de ces stades recelant ses pièges. Le piège, ici, c’est celui de la surexploitation. Ici, c’est la préservation à tout prix du statu quo, qui conduit généralement à une crise encore beaucoup plus grave. Le piège de la crise, c’est d’oublier les fonctions vitales, qui sont nécessaires pour finalement les réorganisations.

Là, je vais finir mon exposé en explorant plus précisément les enjeux de la réorganisation. Réorganisation, on peut dire que nous sommes déjà dans un stade de crise. Nos socio-écosystèmes, c’est variable et il faut bien voir qu’il y a différentes d’échelles, spatiales, temporelles, que l’ensemble des socio-écosystèmes ne sont pas forcément au même stade et qu’ils communiquent entre eux, c’est extrêmement complexe, quoi qu’il en soit nous sommes dans cette phase de réorganisation de manière à pouvoir réenclencher un cycle, l’idée étant que si jamais cette phase de réorganisation se passe mal, eh bien nous pouvons sortir, avant d’avoir des cycles qui sont extrêmement, je dirais, dégénérés, avec peu de possibilités de renaissance et de sortie de sortie de la crise.

Donc, envisager la réorganisation des systèmes écologiques, il s’agit d’envisager la refondation, la reconstruction de mutualismes, avec tout un ensemble d’organismes divers, des coraux, des copépodes, des requins, ici des nématodes et des vers de terre, des pollinisateurs, des oiseaux, tout un ensemble divers d’animaux sauvages.

On peut décliner cette réorganisation dans différents contextes écologiques. Là, je distinguerais trois contextes écologiques : des écosystèmes dits naturels, qui sont des réservoirs de biodiversité ; des écosystèmes agricoles et les écosystèmes urbains. Un exemple, la réintroduction du loup dans le Yellowstone. Un exemple avec cette vision écologique extrêmement importante, le gestionnaire réintroduit le loup de manière à restaurer une fonction écologique, en l’occurrence le contrôle biologique des grands herbivores, en 1986.

Je vais passer rapidement sur les écosystèmes naturels, parce que je pense qu’au moins François SARRAZIN va y revenir beaucoup plus longuement. Ce que propose NORRIS et ses collaborateurs, c’est de penser la restauration de ses fonctions écologiques, à différentes échelles : l’échelle des 100 kilomètres carrés, des milles kilomètres carrés, et puis actuellement un autre enjeu, la restauration des grands cycles biogéochimiques associés à la mégafaune, à des échelles qui peuvent être de l’ordre du million de kilomètres carrés, notamment les éléphants et les baleines.

Maintenant, je passerai aux écosystèmes agricoles. Là, il y a différentes opportunités pour les animaux sauvages. Il s’agit de recréer ces opportunités. Ici, vous avez le système de production de fraises en Californie, dans une même région, avec on voit des opportunités qui sont assez différentes. Ici, un paysage très divers, donc beaucoup de possibilités pour recréer des réseaux écologiques autour d’animaux sauvages. Là, on peut se douter que ça va être beaucoup plus difficile pour ces animaux sauvages.

Là, en ce qui concerne des écosystèmes agricoles, je reviendrais, vous aurez peut-être reconnu le réseau écologique, dont je vous ai parlé tout à l’heure, L’enjeu, de quoi s’agit-il ? Il s’agit de savoir interagir, coopérer avec une diversité de groupes fonctionnels, notamment dont j’ai parlés tout à l’heure, des structures des paysages et puis surtout quelles institutions agricoles, environnementales, quel type de politique agricole commune, de manière à ce que nous sachions coopérer avec ces groupes fonctionnels, qui ont des capacités de mutualismes tout à fait considérables, avec lesquelles nous nous devons, non pas nous opposer, en essayant de les éliminer à travers des pesticides notamment, mais plutôt coopérer. Les possibilités de coopération sont sans doute extrêmement vastes et prometteuses.

Je terminerais par les écosystèmes urbains. De la même manière, dans les écosystèmes urbains, il va nous falloir savoir interagir, nous reconnecter avec les animaux sauvages. Donc, là, je contrasterais, je dirais que l’urbanisme d’hier, vous aurez sans doute reconnu la ville de New York, ce que l’on trouve d’assez d’impressionnant, c’est que finalement le grand partage nature-culture, la ville de New York l’a recréé à son échelle. On a ici la nature, puis ici la culture. L’idée c’est que dans les villes du XXIe siècle d’éviter cette séparation ou plutôt d’avoir un urbanisme vert, qui fasse que nous autres citadins, car nous sommes en grande majorité maintenant des citadins, en ce qui concerne les Européens, que nous interagissons directement avec la végétation et les animaux sauvages. En ce qui concerne les animaux sauvages, il y a beaucoup de perspectives positives, négatives, amélioration de la qualité de la vie évidemment.

Un exemple peut-être, cette place écologie d’animaux urbains, dans la ville de Bombay, des léopards, présents dans cette ville, contrôlent les populations de chiens, qui divaguent et qui sont propagateurs de tout un ensemble de maladies infectieuses. Comme le remarque Bruno LATOUR, on va peut-être découvrir l’hygiénisme, ce courant qu’on pourrait qualifier d’écologique du XIXe siècle, qui réfléchissait aux conditions d’urbanisme de manière à éviter justement cette propagation des maladies infectieuses. Un courant qui a été un peu oublié à la suite du succès de la médecine pasteurienne, du succès des antibiotiques, mais qui peut être demande à être réactualisé. Là, on voit aussi toute l’importance des animaux sauvages dans cet urbanisme, cet hygiénisme.

Je conclurais. Les animaux à l’Anthropocène, importance fondamentale de leurs fonctions écologiques et surtout leur agentivité, leur propension à réorganiser les systèmes écologiques, à recréer des relations, et nous aurons peut-être le choix avec soit des relations antagonistes, que je ne recommande pas, soit des relations mutualistes. Voilà, donc des thèmes qui seront discutés au cours de la session de cet après-midi.

Je vous remercie pour votre attention.

Frédéric DENHEZ : Merci, Denis COUVET, ce fût brillant. Je ne sais pas quels animaux sauvages il faudrait réintroduire à Paris pour réguler le problème des rats qui pullulent et dont la Mairie de paris ne sait pas quoi faire. Mais c’est une question à soulever auprès d’Anne HIDALGO. Ils en sont aux pesticides, c’est la seule solution qu’ils ont trouvée, néanmoins Paris, comme d’autres villes, comme la Région Île-de-France, comme le département, notamment la Seine-Saint-Denis, ils veulent végétalisée à tous crins, par la réintroduction des eaux pluviales qui ne sont plus considérées comme des déchets à évacuer, mais à laisser aller en ville, à laisser s’imprégner dans le sol, ce qui ne peut que favoriser au moins la végétation. Il y a un changement qui est en train de s’opérer. Juste une petite question, avant de passer la parole à l’intervenant suivant. Vous parlez de réorganisation, mais est-ce qu’en réorganisant on peut revenir à l’état initial ? Ou est ce qu’il y a de de toute façon, substitution d’une espèce par une autre ? Est-ce que ce n’est pas un vœu pieu, une forme d’idéal inaccessible que de réorganiser, que de ré-ensauvagé ?

Denis COUVET : C’était pour cela que j’ai présentées la théorie des cycles adaptatifs. Je ne sais pas si vous vous rappelez, on passe par des stades successifs, je ne sais pas si l’on peut revenir à la diapositive, l’idée ce n’est pas de revenir à l’état initial qu’on ne retrouvera pas, mais c’est plutôt de préparer un nouveau cycle de conservation et d’exploitation qui se fera sur des bases dont on peut l’espérer qu’elles seront différentes, et qu’on évitera beaucoup plus la surexploitation, notamment.

Frédéric DENHEZ : Bases différentes mais avec un peu de pertes par rapport à la base initiale, voire beaucoup de pertes ?

Denis COUVET : Voilà, mais peut-être en offrant ainsi des opportunités de manière à pouvoir créer la diversité justement, de nouvelles opportunités.

Frédéric DENHEZ : Très bien, on vous retrouve pour les questions tout à leur. Merci Denis COUVET.

Jane LECOMTE, voilà il y a déjà le titre de votre intervention : « La défaunation, un processus « perdant-perdant » pour les humains les non humains les écosystèmes », voilà qui n’est pas bien gai. Vous êtes prof à AgroParisTech. Je ne sais pas quel fond d’écran vous avez choisi.

Jane LECOMTE : Déjà, je suis professeur à l’université Université Paris-Sud, Saclay.

Frédéric DENHEZ : Pardon, pardon ! J’ai sauté une ligne. Allez-y.

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