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Déconstruire les arguments des créationnistes, avec Julien PECCOUD

Rendez-vous Culture en partage d’Universcience, du 25 mars 2015, dans le cadre de l’exposition Darwin, présentée à la Cité des sciences et de l’industrie, du 15 décembre 2015 au 31 juillet 2016

Thème du jour : Créationnisme, de quoi il relève-t-il ? Comment il se diffuse, etc., programme du jour conçu et animé par : Taos AIT SI SLIMANE, Thierry HOQUET, Guillaume LECOINTRE

 Diversité des créationnismes contemporains, avec Cédric GRIMOULT, Professeur agrégé d’histoire enseignant en classes préparatoires littéraires au lycée Jean Jaurès de Montreuil (93) est docteur habilité
 Le créationnisme peut-il être une science ?, avec Guillaume LECOINTRE, Professeur du MNHN, Directeur du département Systématique & Évolution, Chef d’équipe à l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité
 Témoignage, avec Guy LENGAGNE, agrégé de maths, ancien Député-maire de Boulogne-sur-Mer, ancien Secrétaire d’État chargé de la mer, ancien membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, auteur du rapport, de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sur les dangers du créationnisme dans l’éducation.
 Déconstruire les arguments des créationnistes, Avec : Jean-Pierre GASC, Professeur du Muséum National d’Histoire Naturelle ; Mathias GIREL, Maître de conférences, département de philosophie et Directeur des études du département de Philosophie, (USR3608, ENS-Ulm) ; Julien PECCOUD, enseignant, agrégé, en sciences de la Vie au lycée La Pléiade Pont-de-Chéruy (Isère), membre du Cortecs (Collectif de Recherche Transdisciplinaire Esprit Critique et Sciences)

Discutant et modérateur : Thierry HOQUET, Professeur des universités, membre de l’Institut Universitaire de France.

Déconstruire les arguments des créationnistes

Sophismes, biais, idées reçues…

Avec : Julien PECCOUD, enseignant, agrégé, en sciences de la Vie au lycée La Pléiade Pont-de-Chéruy (Isère), membre du Cortecs (Collectif de Recherche Transdisciplinaire Esprit Critique et Sciences)

Bonjour. Je suis ravi d’être là, car c’est vraiment la mission du Cortecs (Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences) que de faire des formations de la sorte. Je me présente rapidement, je suis enseignant de SVT dans un lycée du Nord Isère. Je suis également membre du Cortecs, un collectif de recherche rassemblant une dizaine de personnes de tous horizons. Je vous invite à aller sur notre site, où vous trouverez du matériel pédagogique expliquant avec davantage de précisions ce que je vais présenter ici. Nous effectuons des formations doctorales, des formations aux enseignants, des interventions en collège, lycée, université… le champ est assez large.

J’ai prévu un certain nombre de choses, mais je vais trier quelque peu. Je vous présente tout de même la séparation que j’avais prévue, même si je ne vais pas tout traiter. Je pense que nous pouvons séparer les arguments créationnistes sous les 3 premiers points, qui ne sont pas spécifiques aux créationnistes :
  les idées reçues, les mauvaises compréhensions de l’évolution, tout le monde en a, mais les créationnistes les réutilisent même sans le faire exprès ;
  sophismes, arguments fallacieux ne sont pas non plus spécifiques aux créationnistes. Bien les connaître et les repérer permet de se défendre face à tous types attaques et de parfois mettre de la distance face au sujet principal.
  Les biais renvoient à une bonne connaissance de notre cerveau. En effet, ce dernier ne fonctionne pas toujours parfaitement. Nous sommes régulièrement face à des biais cognitifs. Ces derniers jouent également dans la mauvaise compréhension de l’évolution et sur les arguments des créationnistes.

N’hésitez pas à me couper et à m’arrêter si vous souhaitez avoir plus de précisions.

À la grande question de savoir s’il faut débattre ou pas avec les créationnistes, certains vont considérer qu’il est inutile de débattre, que c’est stérile. Si nous décidons de débattre, il faut bien savoir que les personnes représentant par exemple l’intelligent design vont aller sur des points de précision. Il faut donc être au point en termes d’évolution, parce qu’eux arrivent à entrer dans le détail. Il est également possible – comme nous l’évoquions ce matin – d’engager des discussions globales, afin de préciser dans l’ensemble, sans entrer dans la discussion, les points d’épistémologie, dont nous avons parlé ce matin. Je serais plutôt partisan de la deuxième solution, car la première est risquée.

Par ailleurs, j’ai remarqué une confusion récurrente entre débat sur l’évolution et origine de la vie. Cette confusion est présente notamment chez les témoins de Jéhovah : « La vie, comment est-elle apparue ? Évolution ou création ? » Il y a ici un mélange entre deux théories. L’évolution renvoie à la modification des espèces au cours du temps. L’origine de la vie ne traite pas de la même chose, même si ces deux champs disciplinaires sont certes liés. Il faut être prêt à recentrer le débat. Parlons-nous de l’origine de la vie ou de l’évolution de la vie ? Ce sont deux choses différentes.

Le premier des sophismes, qui est aussi le plus courant, est ce qu’on appelle la technique de l’épouvantail. Une personne présente la théorie adverse avec des erreurs volontaires, lui permettant de mieux la discréditer. Ce concept renvoi à l’idée des chevaliers, qui s’entraînaient sur des hommes en paille. Il est donc plus facile de combattre un homme de paille qu’une vraie personne. Ainsi, face à ces parents, qui lui demandent de ranger sa chambre, l’adolescent répondra qu’il l’a déjà rangée hier et qu’il n’a pas à le faire tous les jours. L’adolescent déforme les propos de ses parents et il faudra lui répondre « je t’ai juste demandé de ranger ta chambre, pas de la ranger tous les jours ». Appliqué à la théorie de l’évolution, cela donne de tels propos : les évolutionnistes affirment que la vie sur Terre est intervenue par hasard. Comment l’être humain pourrait-il apparaître de rien, de nulle part ? Face à de tels propos, il convient de recentrer le débat en répondant par exemple que les évolutionnistes ne disent pas que la Terre ou même une espèce, ou même un organe est apparu par hasard. L’évolution n’affirme en aucun cas qu’un être humain soit apparu ex nihilo.

J’aime bien un autre sophisme, qui est assez présent : la pétition de principe. Il s’agit de proposer une démonstration, qui accepte déjà en elle-même la conclusion, afin de guider doucement vers cette conclusion. Le Cortecs préfère utiliser des outils faciles, à plus forte raison que nous travaillons souvent avec un jeune public. Je vous donne l’exemple d’un répulsif anti-girafe. Une personne installe un panneau anti-girafe dans la rue. On lui rétorque qu’à Paris, il est inutile d’installer un panneau anti-girafe. Le premier de répondre que cela marche : « et bien tu vois … il n’y a pas de girafes ! ». Ici, on accepte a priori l’idée de la présence de girafes à Paris. L’argumentaire est fallacieux dès le départ. Autre exemple : « Jésus est né d’une vierge. Comment cela serait-il possible sans intervention divine ? ». On accepte donc a priori que Jésus soit né d’une vierge. C’est ce qu’on appelle des raisonnements tautologiques. C’est-à-dire qu’ils fonctionnent en boucle.

Cela peut marcher par analogie. Il s’agit des arguments de l’intelligent design. « Au même titre qu’une maison a besoin d’un architecte, il est évident que l’univers a besoin d’un créateur ». Nous partons ici d’un a priori préexistant : on se permet de comparer mais cette affirmation se discute largement.

La science n’a pas vocation à faire plaisir ni à correspondre à nos attentes ou à notre bon sens. Typiquement, peu de personnes comprennent la physique quantique. Du point de vue de l’esprit critique, on parle du report d’adhésion. Une affirmation va ainsi remporter notre adhésion, parce qu’un certain nombre de faits viennent faire qu’on est obligés d’y adhérer. Or parfois, il y a des biais et nous serons plus enclins à penser qu’un Tibétain peut léviter qu’un couple d’Auvergnats du début du siècle. Il y a quelque chose, qui nous pousse à croire davantage au Tibétain, qui lévite. Nous pouvons donc tomber dans ce type de piège en ce qui concerne la théorie de l’évolution. Les personnes ne vont pas avoir de problèmes à croire en la radioactivité, aux désintégrations radioactives, etc., mais l’évolution pose problème.

Les biais psychologiques concernent la partie de l’esprit critique, qui nous permet de bien nous connaître. Cela relève des enseignements de la psychologie expérimentale, qui nous apprend que notre cerveau est faillible.

Je ne vais pas détailler l’anthropocentrisme, soit le fait de tout comparer à l’homme.
Les biais de confirmation de l’hypothèse renvoient au fait de n’aller chercher que des informations, allant dans les sens de ce que nous pensons. Nous l’appliquons tous les jours. Par exemple, si nous sommes plutôt pro-homéopathie, nous allons tendre à rechercher davantage des arguments favorables à l’homéopathie. Il s’agit d’un classique, qui peut parfois poser des problèmes dans la recherche, car les gens vont se fier à ce biais de confirmation.

Les créationnistes se basent sur l’effet Pangloss, du nom d’un personnage de Voltaire. Je vous laisse lire ma présentation. Je ne lis que les passages les plus importants :
  « Il n’y a point d’effet sans cause. » ;
  « Dans ce monde, le meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur, le baron est le plus beau des châteaux. » ;
  « Il est démontré que les choses peuvent être autrement, car tout étant fait pour une fin, tout l’est nécessairement pour la meilleure des fins. »

Il s’agit de chercher une cause à toute chose et surtout une réponse vers la meilleure des choses en tant que finalité. Généralement, la finalité est l’homme, qui est la pointe de l’évolution et sa conception la plus complexe.

Ce raisonnement part de 3 biais :
  Le biais d’interprétation des probabilités. Notre cerveau est peu enclin à comprendre les probabilités. Prenons l’exemple du loto. La Française des jeux avait fait son beurre en utilisant ce slogan : « 100 % des gagnants ont tenté leur chance », ce qui signifie : tous ceux qui ont gagné ont joué. C’est évident. On pourrait dire également : tous ceux qui ont perdu ont joué.

Généralement, le biais appelé en psychologie le biais d’attribution externe/interne signifie que, lorsque nous faisons des erreurs, nous sommes plus enclins à les attribuer de manière externe. « J’ai loupé cet examen, parce que le bus était en retard. Cela m’a stressé ». En revanche, quand nous réussissons quelque chose, il y a plus de probabilités pour que nous nous attribuions notre réussite. Typiquement, nous allons trouver une raison au fait de gagner au loto (la chance, Dieu, je le savais, etc.). Or, il y a autant de probabilités que de personnes qui jouent au loto. Il n’est donc pas improbable qu’il y ait un gagnant.

Pour revenir à notre sujet, nous pouvons trouver incroyable que des organes soient si complexes.
  Une autre solution possible consiste à ne prendre qu’une partie des résultats. C’est très courant dans les médias. On ne va se concentrer que sur les cas de cambriolages en oubliant le nombre de jours sans incident. Si une personne jouait à pile ou face, si nous gardons uniquement les tentatives où elle a réussi à enchaîner des piles, nous pouvons en conclure que cette personne a un pouvoir extraordinaire : elle arrive à enchaîner les piles.

En matière d’évolution, il s’agit de faire le tri des possibles au lieu des données. On oublie toutes les solutions possibles, qui n’ont pas eu lieu, mais qui auraient pu avoir eu lieu. Pour représenter cela, on utilise souvent l’exemple des « miracles » de Lourdes. Si on regarde le nombre de personnes soignées à Lourdes, en réalisant un rapport en fonction des échantillons, on se rend compte que ce sont les mêmes pourcentages que les guérisons spontanées dans les hôpitaux. Il y a en effet un certain nombre de guérisons spontanées dans les hôpitaux, qui ne sont pas expliquées. Cette valeur est la même qu’à Lourdes. On fait donc un tri des données, qui va occulter toutes les personnes qui sont allées à Lourdes, sans être soignées.
Avec un raisonnement par l’absurde, si je fais tomber une boîte d’allumettes, je peux trouver fou qu’il n’y ait que 4 allumettes sur le côté droit et un petit tas à gauche.
  Si nous ajoutons à cela la dernière couche, nous allons considérer que ces éléments ont un but. On fait un tri des données, dont on comprend mal les probabilités. On y appose une subjectivité. Ainsi, on va considérer que, dans le cas de Pangloss, le nez a été conçu pour porter des lunettes. Ainsi, nous portons des lunettes. De même, le melon est fait pour être mangé en famille, car des séparations sont pré-dessinées pour le découper. La banane fonctionne aussi très bien. Elle est faite pour être mangée. Votre main a 5 faces correspondant exactement aux 5 faces de la banane, elle peut s’éplucher et on peut la manger sans se salir, elle a la forme parfaite pour notre bouche …

Il est intéressant de chercher, dans les arguments créationnistes, comment effectuer ce raisonnement à rebours pour leur rétorquer qu’ils raisonnent à rebours, oubliant de nombreuses possibilités, ne se focalisant que sur certaines situations pour aboutir à un finalisme.

Je passe sur les idées reçues. Elles sont assez courantes. Celle-ci mérite d’être retenue. Quand on nous dit que l’évolution n’est pas testable, qu’elle n’a jamais été prouvée, il est bon de savoir qu’il y a eu des expériences. Peut-être les avez-vous abordées lors des journées précédentes. Il y a des expériences avec des organismes à génération courte. Il existe même des manuels entiers d’expériences en évolution. On enlève des données pertinentes en affirmant de telles choses. Il faut donc répondre que ces expériences existent.

Un autre exemple d’argument créationniste se trouve dans l’affirmation suivante : on n’a jamais vu une espèce évoluer. Il s’agit d’une erreur, car nous avons vu des espèces émerger sur les temps humains et des espèces évoluer. Le même problème pourrait se poser sur des sciences historiques. Il existe des sciences expérimentales et des sciences historiques.

Des connaissances de faits historiques constituent un type de science. Cela revient à considérer que, n’ayant jamais vu la bataille d’Austerlitz ou n’importe quel événement historique, il n’a pas existé. Oui, nous ne l’avons jamais vu, mais un certain nombre de faits, mis en corrélations, permettent de connaître son existence. Le même raisonnement est appliqué par les négationnistes, dont nous parlions ce matin.

En matière d’espèces, qui ont émergé, nous pouvons citer l’exemple des moustiques du métro de Londres, qui se divisent en sous-espèces en fonction des rames de métro. La résistance aux pesticides de certains moustiques dans le sud de la France peut également être citée. Il y a bien des cas.

Nous avons abordé ce matin la différence entre le statut d’une théorie et celui d’un scénario. La théorie évolue, alors que le scénario est stagnant. Il ne bougera jamais. « Le scientifique change tout le temps d’avis ». Ce type d’affirmation constitue un argument justifiant la validité de ses théories.

« Qui a inventé l’homme ? » « Pourquoi la science ne parvient-elle pas à percer le mystère des origines ? » Cela fait appel à un autre point important. La théorie se doit d’être humble, alors que le scénario a un pouvoir démesuré. Il peut tout expliquer. Ainsi, dès qu’on est confronté à un manque dans la science, on y cale une réponse divine. C’est pratique.

Nous n’avons pas besoin de présupposés pour pouvoir élaborer une théorie, qui ne nécessite pas d’acte de foi, au contraire du scénario.

L’esprit critique utilise en matière d’hypothèses l’outil appelé le rasoir d’Ockham. Guillaume d’Ockham affirmait que les hypothèses les plus simples sont les plus vraisemblables. Cela ne signifie pas que nous parlons ici des hypothèses les plus simples en terme d’explications scientifiques mais celles qui font appel au moins d’entitées non démontrées. Ainsi, nous pourrions dire que les éclairs sont liés à Zeus, qui envoie ses foudres sur Terre. Cette hypothèse est très coûteuse cognitivement, parce que nous devrions faire appel à une entité matérielle non démontrée. En revanche, même si la physique des éclairs est relativement complexe, elle est plus parcimonieuse car elle fait appel à des choses que nous connaissons déjà (électron…). Si nous prenons l’exemple d’un chat et d’une souris enfermés dans une boîte, on enlève la boîte, il n’y a plus la souris. Nous pouvons invoquer le fait que la souris ait été abductée par des extra-terrestres, partie dans une autre planète. Nous pouvons imaginer des choses incroyables. L’hypothèse la plus vraisemblable reste que le chat l’a mangée. Une prétention extraordinaire nécessite donc une preuve plus qu’ordinaire.

Une théorie se doit d’être réfutable, alors que le scénario est irréfutable. On ne peut pas tester Dieu. On ne peut pas tester des entités immatérielles.

Je terminerai sur ce point. Il convient de bien poser les définitions du mot science. Nous pouvons en discerner 4 :
  le groupe des scientifiques. Il s’agit du corps de métier, des critères sociologiques de la science ;
  les connaissances et la démarche. Les connaissances regroupent la somme des connaissances sur une espèce donnée ou sur un phénomène donné à un moment donné.
  La première définition de la science renverrait à la technoscience. C’est-à-dire aux sciences appliquées.
  La science est conçue comme un outil, une démarche rationnelle de connaissance du monde, la plus objective possible. C’est ce qui nous permet de dire des choses plus vraies que fausses sur le monde qui nous entoure. Il s’agit d’une démarche, d’un simple outil. Il faut donc bien faire la distinction entre l’outil des sciences, qui alimente les connaissances – grâce aux avancées –, qui permettent les avancées de la technoscience. Ces connaissances vont influer l’éthique, la politique et tout le champ social, qui font bouger les valeurs de la société au cours du temps. Les valeurs influent la technoscience. On va faire des choix politiques (OGM, nanotechnologies, etc.). Mais les valeurs n’ont pas à influer avec la science comme outil de connaissance du monde rationnel. Dans l’autre sens, la science n’a pas à être prescriptive sur les valeurs de la société. Il faut insister sur cela. L’évolution n’est pas une science technologique, mais un outil de connaissance rationnelle du monde.

Merci.

[Applaudissements]

Thierry HOQUET : Merci pour cette leçon d’esprit critique, qui aide à mettre des mots sur les arguments employés.

Auditeur : Pouvons-nous y voir une certaine parenté avec certains arguments créationnistes comme modèles de réfutation et les complotistes, y compris en dehors du champ créationniste ?

Julien PECCOUD : Oui. On pourrait entendre qu’il y a une sorte de lobby des scientifiques, comme nous en avons parlé ce matin, c’est-à-dire un lobby scientiste qui pourrait, en tant que groupe de valeurs, prendre le dessus au niveau de la société. Les complotistes s’opposent à un groupe de personnes, qui sont censées vouloir cacher des choses. Typiquement, ici les évolutionnistes voudraient cacher que beaucoup d’éléments montrent une création divine. Ce n’est clairement pas le cas. Toutefois, la question des complotistes restent complexes.

Auditrice : J’ai un souvenir de la faculté, où le travail était blanc. Y a-t-il des exemples d’espèces, qu’on a vues bouger en lien avec une évolution des conditions environnementales, qui de ce fait produiraient des arguments d’observation de l’évolution quasi en direct ?

Julien PECCOUD : Je crois qu’il y a eu quelques discussions par la suite, mais je n’ai pas d’éléments me permettant de vous répondre.

Guillaume LECOINTRE : Concernant l’évolution, nous avons donné au corps enseignant de nombreux exemples contemporains. J’en citerai deux :
  Le cas de la nouvelle espèce des moustiques du métro, où une barrière à la reproduction s’est installée entre les moustiques du métro et ceux de la surface. Cette évolution s’est produite en moins de 100 ans, puisque ce métro a été construit il y a moins de 100 ans.
  Il y a un exemple spectaculaire chez les lézards des îles de l’Adriatique. Ils sont passés d’un régime insectivore à un régime herbivore. La valve spirale de leur intestin définit des chambres de fermentation, dans lesquelles l’animal héberge des bactéries capables de digérer la cellulose, ce que ne fait pas un vertébré en général. Nous sommes très bien documentés sur l’origine de ces lézards, qui remonte à 30 générations et constitue un des records de vitesse du changement anatomique chez les vertébrés.

Il y a tout ce qui est bactéries.

Julien PECCOUD : J’aimerais préciser que l’exemple des moustiques de Londres illustre le sujet de la dérive génétique, qui serait à l’origine de ces espèces. C’est le cas pour les souris ? D’accord.

Guillaume LECOINTRE : La population des souris se stabilise avec des variations, qui ne sont pas spécialement avantageuses. Les moustiques du métro de Londres bénéficient des températures hivernales douces dans le métro. Il n’y a donc plus de pause hivernale. Ainsi, les moustiques accélèrent leur temps de génération. Comme ils sont bien nourris, les contraintes sont relâchées et cette accélération aboutit à une population importante.

Julien PECCOUD : J’avais lu des articles sur la digestion du nylon chez les bactéries. Le nylon étant récent, on s’est aperçu que des populations de bactéries arrivaient aujourd’hui à digérer le nylon.

En termes de vitesse, j’avais noté l’exemple de lézards, dont les tailles de membres postérieurs variaient en fonction de deux îles, où il y avait des prédateurs ou sans prédateurs. Les tailles des membres inférieurs avaient varié en quelques générations. C’était relié avec leur mode de vie au sol ou arboricole.

Guillaume LECOINTRE : Il est intéressant aussi de se pencher sur le développement des mutli-résistances aux antibiotiques.

Auditeur : Pour me faire l’avocat du diable, ou de Dieu, que pouvons-nous répondre au contre-argument ?

Julien PECCOUD : Je pense qu’un des arguments est lié au temps de génération, à notre temps de vie et notre temps depuis que nous faisons de la science, qui est extrêmement court par rapport au temps évolutif. De fait, à part réaliser des expériences très longues, comme celle de LENSKI avec les bactéries, qui dure depuis 20 ans, les expériences ne sont pas compatibles avec les phénomènes évolutifs longs. Les autres arguments sont des arguments de paléontologie.

Thierry HOQUET : Herbert Spencer avait une réponse très simple à la question « Combien avez-vous d’exemples d’évolution ? » Il faisait simplement la réponse du berger à la bergère : Nous n’avons peut-être que quelques exemples d’évolution, mais combien d’exemples de création avez-vous ?

Julien PECCOUD : C’est ce que l’on appellerait la charge de la preuve.

Guillaume LECOINTRE : Ce sujet me rappelle un dialogue avec ma fille. Je lui montrais un documentaire télévisé sur les évangélistes et leurs musées aux États-Unis. Ils demandaient au public en les accueillant si les scientifiques avaient des caméras pour aller voir les dinosaures. On peut retourner l’argument : étiez-vous présent avec une caméra le jour de la création ?

Julien PECCOUD : J’ai repris ton exemple sur la bataille d’Austerlitz, mais nous pourrions appliquer cet exemple. On n’a jamais vu Jésus. On n’a jamais vu Marie. On n’a jamais vu la création. C’est pareil.

Guillaume LECOINTRE : Il existe un nombre énorme d’exemples d’évolution. Seulement, quel exemple d’évolution concerne des organismes observables à l’œil nu et qui soit assez spectaculaire pour convaincre ? Chez les microorganismes, c’est énorme. Les modifications interviennent en moins d’un an de manipulations. La sélection de souches des microorganismes pour l’évolution est vraiment élémentaire, quotidienne. Or les gens vont nous rétorquer que les bactéries ne les intéressent pas. Il nous faut donc des exemples de vertébrés, sur lesquels les gens vont se reconnaître. Pour cela, tu as raison de le souligner, il faut des temps de génération courts, mais la plupart des vertébrés ont des temps de génération importants du fait de leur taille, donc difficiles d’usage pour voir des changements spectaculaires de morphologie.

Il est très astreignant de faire de la pédagogie de l’évolution, car nous voulons des changements, qui soient spectaculaires. Le public veut des changements morphologiques majeurs, comme ceux des lézards des îles Adriatique, dont on voit les pattes se raccourcir, la spirale de l’intestin se mettre en forme, et la forme de la tête changer.

Jean-Pierre me signale qu’un changement de la forme de leur tête et de la forme des mâchoires est intervenu en 30 générations. Je voudrais que vous reteniez que l’évolution est partout, mais quelle évolution est plus propice à frapper l’imagination du public ? Si vous parlez de bactéries, ils ne vont pas se sentir concernés. Si vous parlez de lézards, cela commencera à les intéresser.

Julien PECCOUD : Les défenses des éléphants constituent un autre exemple. La pression de sélection était le braconnage, ceci a conduit au fait que les éléphants ayant la plus grande probabilité de reproduction étaient ceux qui n’avaient pas défenses. Or un allèle prévenait la formation des défenses. Les éléphants sans défenses étaient de fait avantagés dans ce nouveau milieu fait de braconniers car ceux-ci ne s’intéressaient pas à eux. Toutefois, on va nous objecter que la pression de sélection est liée à l’homme et non directement à la nature. C’est tout de même une pression de sélection. Nous faisons partie de l’environnement. De plus, cela constitue un exemple d’évolution de mammifères sur des temps assez brefs.

Thierry HOQUET : Pas d’autres questions ? Merci beaucoup.

Nous allons accueillir Mathias GIREL. Ce matin, vous avez peut-être ressenti que certains discours, tenus par les sciences humaines et sociales (comme le relativisme, l’historicité de la mort de Ramsès, etc.), peuvent être repris par les créationnistes. Certains discours de sciences humaines sont donc repris. Mathias GIREL est philosophe à l’École normale supérieure. Il va analyser ici comment les controverses scientifiques peuvent être mobilisées dans les revendications des créationnistes pour exiger un traitement équilibré entre l’évolution et la création.

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