Diversité des créationnismes contemporains
Avec : Cédric GRIMOULT, Professeur agrégé d’histoire enseignant en classes préparatoires littéraires au lycée Jean Jaurès de Montreuil (93) est docteur habilité en histoire des sciences de l’Université de Nanterre
Thierry HOQUET : Bienvenue pour cette journée, qui va être riche en arguments et contre-arguments, puisque nous allons disséquer les stratégies créationnistes et exposer leurs réseaux. S’agissant d’une matière très riche, je passe tout de suite la parole à Cédric GRIMOULT. Cédric a beaucoup travaillé sur l’histoire des idées de l’évolution. Il a ainsi consacré ses deux derniers ouvrages à la question des créationnistes.
Cédric GRIMOULT : Bonjour à toutes et à tous. C’est en tant qu’historien que je viens ce matin. J’enseigne l’histoire des sciences dans l’ensemble des matières de l’histoire, en classes préparatoires. Tous les ans, je suis confronté, dans ma classe, à des étudiants, qui viennent d’avoir le baccalauréat et qui s’interrogent sur le créationnisme, car c’est ce qu’ils entendent à la maison ou dans leurs lieux de culte. Dès que je commence le cours d’histoire des sciences, ce type de problématique intervient. Comme il y a une bonne dizaine d’années que je suis confronté à ce problème, j’ai élaboré des stratégies.
Ayant fait ma thèse en histoire de l’évolutionnisme, j’étais en quelque sorte prédisposé pour creuser la question de ce qu’étaient les créationnistes. J’interviens ce matin, non pour faire un historique de ces mouvements, mais pour vous présenter brièvement la diversité des créationnismes (au pluriel), qui reste une problématique contemporaine.
Très succinctement, car Guillaume LECOINTRE développera ces points, j’aimerais clairement que la position de n’importe quel médiateur soit vraiment très nette vis-à-vis du créationnisme. J’espère évidemment que pour vous tous, le créationnisme ne relève pas de la science. Si vous avez des questions à ce sujet, elles pourront être évoquées au cours de cette matinée.
D’une manière plus surprenante, j’aimerais souligner que le créationnisme n’est pas une affaire de foi. J’y reviendrai à plusieurs reprises au cours de mon exposé. Vous verrez que cette question n’oppose pas science et religion, mais divise les croyants ou les théologiens entre eux. Il n’y a pas de césure entre science d’un côté religion de l’autre. Ceux qui acceptent le contrat, parmi lesquels des scientifiques et des religieux modérés d’une part et d’autre part des personnes dogmatiques, voire fanatiques et tout à fait extrémistes, dans leur façon de se représenter le monde contemporain.
Il ressort des différentes études contemporaines – pas seulement de mes travaux – que fondamentalement, les créationnismes sont une affaire de politique, une affaire d’intrusion de contenus à caractère théocratique dans la sphère publique. Il s’agit bien de cela. Nous allons voir des choses relativement surprenantes dans la première partie de cet exposé, à savoir que les différentes confessions, les différentes Églises (catholiques, protestants « classiques », fondamentalistes américains et islamistes turcs) n’hésitent pas à s’allier dans la stratégie globale contre les gouvernements laïques, qui visent à séparer très clairement l’évolution et la création.
Il y a différentes grilles d’analyse des phénomènes créationnistes. Je ne prétends pas avoir une vision exhaustive. Je vous présente seulement quelques éléments pour entrer dans ce que l’on appelle parfois « la nébuleuse » créationniste. Vous verrez qu’il y a un aspect tout à fait opaque dans ces groupes, qui entretiennent le secret, masquent une certaine part de leurs activités. Je voudrais poser quelques points d’entrée, quelques éléments de focalisation pour essayer de voir plus clair dans cette galaxie. Je développerai trois points :
– la diversité doctrinale, afin de classer les différentes positions créationnistes d’un point de vue théorique ;
– la diversité religieuse. Nous verrons en effet qu’en fonction des confessions, des Églises et des religiosités, le créationnisme se pare de teintes assez différentes. Il peut être renvoyé à des contenus franchement distincts, voire opposés ;
– la diversité stratégique, sur laquelle il faut insister car ces différents mouvements peuvent se retrouver ou s’opposer dans leurs différentes actions et finalités. Je crois qu’il convient surtout d’explorer en détail ces éléments ce matin.
Diversité doctrinale
Je vais aller assez vite sur le 1er point, qui s’inspire des travaux d’une scientifique américaine, Eugénie Scott. Elle a longtemps été directrice du National Center for Science Education et a clarifié les différentes doctrines des créationnistes, essentiellement des créationnistes protestants américains. Cette grille est intéressante, bien qu’elle soit relativement incomplète. Elle a d’ailleurs été mise à jour par Eugénie Scott, qui a elle-même retravaillé sa classification. Je vous en propose une version simplifiée.
La première position doctrinale est aussi la plus simple pour nous et également la plus ancienne historiquement. Il s’agit de celle qui s’oppose frontalement à toute idée scientifique moderne. C’est ce qu’on appelle le créationnisme Jeune Terre, qui relève du littéralisme. Il considère que la Genèse (1er livre de l’Ancien Testament) est à prendre au pied de la lettre : Dieu a créé la Terre et les espèces, telles que nous les connaissons aujourd’hui, en six jours, il y a 6 000 à 10 000 ans dans le passé. Il s’agit de la version la plus stricte et la plus simple, qui n’a pas tellement le vent en poupe. Elle demeure, mais les mouvements virulents ou les plus représentatifs ne s’inspirent pas aujourd’hui de cette doctrine.
Voici une représentation en mosaïque de la basilique Saint-Marc à Venise, qui est une représentation classique de la doctrine d’après la Genèse. C’est probablement la représentation, qui vient le plus facilement à l’esprit quand on évoque les créationnismes. Or il faut savoir qu’aujourd’hui, elle n’est plus forcément la vision la plus répandue ni celle qui intervient pour contrarier les programmes scolaires ou les lois sur la laïcité.
En effet, depuis longtemps coexistent différentes variantes du créationnisme Vieille Terre, qui considère que Dieu a créé les espèces d’aujourd’hui de manière instantanée, mais dans un passé lointain. Cette version du créationnisme englobe certaines connaissances géologiques et des sciences de la vie et de la Terre, parce qu’elle admet au moins une transformation des reliefs, des paysages.
Je passe assez vite sur les variantes successives, même si elles existent aussi :
– Des créations successives voudraient dire que Dieu serait intervenu à plusieurs reprises dans l’histoire du monde pour créer les faunes distinctes. Il se serait débarrassé de ces mondes, en particulier par des catastrophes généralisées, qui se seraient succédé dans l’histoire de la Terre. Cette version est tout à fait périmée d’un point de vue scientifique, mais compte encore des partisans de nos jours dans les milieux sectaires.
– La création continuée est pratiquement la même chose. Mais au lieu de croire en des catastrophes globales et générales, ses partisans considèrent que les espèces pourraient s’éteindre graduellement et progressivement dans l’histoire du monde et être remplacées – toujours de manière surnaturelle pour les créationnistes – au cas par cas. On ne verrait pas dans l’histoire du monde ces différents remplacements.
– L’intelligent design quant à lui, dans la dernière ligne, est peut-être le mouvement qui a fait le plus parler de lui depuis la fin du XXe siècle. Il admet de façon formelle un grand nombre d’acquis des sciences contemporaines, notamment la transformation des espèces, mais sous certaines conditions. Ses adeptes pensent, en particulier, que cette évolution serait guidée par Dieu. Ils seraient d’accord avec une forme d’évolutionnisme, une transformation biologique. En revanche, ils n’admettent pas qu’elle ait lieu selon un processus entièrement naturel.
Ce point est particulièrement intéressant, parce que nous voyons que notre langage, qui oppose facilement et historiquement évolution et création, bute ici sur une difficulté, puisque nous avons affaire à des créationnistes qui sont, en même temps, par certains aspects, évolutionnistes. Au cours de l’histoire, des courants intermédiaires entre créationnisme et évolutionnisme ont existé. Pour le dire brièvement, cette cohabitation « est possible », car les deux éléments de connaissances ou de croyances (évolution et création) ne se situent pas sur un même plan épistémologique. C’est pour cette raison que, d’un point de vue de la croyance, on peut être favorable à l’idée que Dieu est responsable des phénomènes terrestres, et en même temps, d’un point de vue scientifique, ne recourir qu’à des faits et des théories établis rationnellement.
Nous développerons peut-être cela dans les questions. Toutefois, il est important de savoir que l’Intelligent Design n’est pas un compromis acceptable entre science et religion, puisque, par contrat, la science repose sur un postulat naturaliste, excluant les phénomènes surnaturels. Bien sûr, chacun a le droit de croire à ce qu’il veut. Cela ne pose pas de problème, mais cela doit rester du domaine de la croyance privée et ne pas interférer avec les connaissances scientifiques, qui se fondent sur un a priori méthodologique ne comprenant aucune intervention de puissance surnaturelle.
Diversité religieuse
Je voudrais revenir à présent sur les différences religieuses entre les créationnistes. Par leur histoire et par leur contenu dogmatique, les différentes religions n’ont pas la même sensibilité. Elles ne mettent pas le même accent sur ce qui serait du domaine du créationnisme. Par exemple, chez les musulmans, même s’il y a un fort courant littéraliste dans l’Islam, les théologiens musulmans sont plus ouverts sur la question du long âge de la Terre. C’est ce qu’on trouve par exemple chez Harun Yahya, qui est un vulgarisateur de masse de ce créationnisme contemporain.
D’autres religions mettront l’accent sur d’autres aspects. Par exemple, les créationnistes juifs sont davantage des créationnistes Jeune Terre, en particulier parce qu’il y a toujours un comput à partir du calendrier qui remonte à la création du monde, jusqu’à 5575 ans aujourd’hui. Cela crée déjà une différence de ce point de vue.
Par ailleurs, les protestants sont par définition, historiquement, plus attachés à la lettre du texte biblique. Il y a également des variantes ici aussi. Toutefois, ils ont peut-être une sensibilité plus importante au texte même de la Genèse, tandis que, les catholiques, ont pris davantage de recul, dans l’interprétation des textes et sont plus sensibles à la question de l’Intelligent design, même si l’expression vient du monde anglo-saxon. Cette représentation existe déjà chez les catholiques dès le XIXe siècle.
Cela dit, il ne faut pas opposer les créationnismes des différentes religions, confessions. Il existe des passerelles entre elles. Par exemple, à la fin de l’Atlas de la création, dû à Harun Yahia, nous remarquons plusieurs collusions entre les groupes religieux différents, notamment parce que les créationnistes turcs ont invité, dès les années 1990, des ténors du créationnisme américain à participer à des tournées de conférences à travers la Turquie et sont représentés dans l’Atlas de la création, qui présente ces collusions, ces éléments d’alliances stratégiques opposées à la laïcité qui était encore affirmée par la loi (en Turquie).
De plus, le clivage essentiel ne se situe pas entre les différentes confessions, mais à l’intérieur des Églises. Grosso modo, les créationnistes sont présents dans les branches les plus extrémistes, les plus dogmatiques, les plus sectaires des différentes religions. Cela vaut à peu près pour toutes. Mais les modérés des divers groupes se montrent en général plus circonspects. On en voit une preuve, lorsque dans les années 1980, lors du deuxième procès du Singe aux États-Unis, au sujet de la prétention de l’enseignement à égalité du dogme créationniste par rapport à la théorie de l’évolution dans les écoles publiques, la plupart des institutions officielles des Églises américaines se sont rangées dans le camp des scientifiques, contre ceux qui voulaient diffuser les lois du créationnisme. Il n’y a donc pas d’opposition plaçant d’un côté la religion et de l’autre les scientifiques. Cela s’explique en particulier parce que ces différentes Églises craignaient une intrusion de l’État dans la sphère religieuse. En effet, si on enseigne un créationnisme à l’école, ce ne sera pas forcément la version des autres Églises. Ils préféraient justement que l’État reste neutre vis-à-vis de ces questions et ne permette pas l’entrée de ces enseignements créationnistes dans les écoles publiques. Voici une photographie classique du 1er procès du Singe (1925) dans un manuel scolaire.
Diversité stratégique
Je voudrais à présent insister sur la diversité des stratégies. En simplifiant, nous remarquons une volonté manifeste de descente dans les classes sociales de la part des créationnistes, qui se sont d’abord attaqués plutôt aux intellectuels, à des institutions scientifiques, dans lesquelles ils ont essayé de trouver des soutiens, notamment à des fins de crédibilité. Il était intéressant pour eux de disposer d’un certain nombre de noms de personnes, issues de formations scientifiques, dont ils pouvaient coller l’étiquette sur leurs différents labels, sur leurs différents produits. Cela donnait un aspect plus savant, plus officiel de s’appuyer sur des personnes ayant suivi des études scientifiques, lauréats de doctorats, quitte à ce que ce ne soit pas dans le domaine des théories de l’évolution, afin de donner l’image d’une validité de leurs théories.
Puis, très clairement, ils ont lancé une offensive massive dans les sphères de l’éducation, à destination des professeurs, des parents d’élèves et évidemment des élèves eux-mêmes, sans doute en visant, à plus long terme, des stratégies de conquête, de soutien dans l’opinion publique, d’où un certain nombre de publications de masse (livres, films, conférences). Cela a produit un abaissement du niveau de langage et une volonté de diffusion d’un créationnisme simpliste, plus basique pour conquérir un public plus large.
Enfin, dès les années 1990, en dehors des États-Unis, où il était déjà présent antérieurement, un lobbying intensif s’est développé auprès des dirigeants politiques, afin de faire promulguer des lois autorisant, favorisant ou permettant un discours créationniste dans des structures publiques. Nous avons vu apparaître cette démarche dans un grand nombre de pays européens dès les années 1990. Ces discours ont parfois porté leurs fruits, puisqu’aujourd’hui, il existe, y compris en Europe, des enseignements créationnistes officiels ou quasiment officiels. Si nous regardons en dehors de l’Europe, nous pourrions malheureusement considérer que, bien souvent, les enseignements créationnistes sont la règle.
Parmi ces stratégies, il faut laisser une place particulière à un phénomène récent qui veut que les créationnistes ne visent plus seulement les sciences de la vie et de la Terre. Dès le départ, la biologie n’était pas la seule visée. Étaient concernées également la géologie, la préhistoire, mais toujours des disciplines gravitant autour des sciences de l’évolution proprement dites.
Enfin, depuis les années 2000, nous observons un changement de stratégie, qui concerne davantage de disciplines, scientifiques, de sciences expérimentales et surtout de sciences humaines et sociales. Le centre de gravité du discours s’est déplacé des faits, des théories scientifiques, vers des éléments plus épistémologiques, des conditions de la connaissance.
Je pense que cette démarche est née d’abord d’une opposition assez frontale des biologistes, des évolutionnistes, qui ont trouvé des parades pour contrer les créationnismes classiques. De ce fait, les créationnistes ont modifié leurs stratégies pour demander : « qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que la science présente un discours fiable, ayant une sorte de supériorité méthodologique par rapport à d’autres types de discours ? » Ils se sont infiltrés, par ce biais, dans des disciplines très différentes.
C’est ce que Bertrand LEMARTINEL montre notamment dans la géographie. Dans Et l’homme créa la Terre. Quand les fondamentalistes détournent la géographie (Paris, François BOURIN, 2012), il montre un certain nombre d’intrusions théologiques, dogmatiques et sectaires, visant à nier divers éléments de la géographie contemporaine, y compris de la géographie physique, pour les amener à soutenir un certain nombre de propos antirationalistes à vocation théologique, nationaliste, en tout cas sectaire. C’est quelque peu surprenant. Toutefois, quand on connaît les créationnistes, on voit que cette stratégie est calquée sur ce qu’ont connu les biologistes à travers le XXe siècle.
Le livre de Joan Stavo-Debauge, Le loup dans la bergerie. Le fondamentalisme chrétien à l’assaut de l’espace public (Genève, Labor et fides, 2012), très technique, mais tout à fait intéressant, est une enquête sur l’intrusion d’une sorte de créationnisme dans les sciences sociales et la philosophie, tout particulièrement dans la philosophie de la connaissance. Il s’agit de développer une sorte de relativisme, dont nous avons tous entendu parler. La science a la prétention d’être supérieure, même dans ses aspects matériels et concrets par rapport à n’importe quel autre discours. À partir du moment où tout se vaut, pourquoi ne pas enseigner la création plutôt que l’évolution, du moins à égalité avec l’évolution. Cela constitue une dérive extrêmement dangereuse.
Un troisième livre, Le conflit. La femme et la mère, dû à Élisabeth BADINTER (Paris, Livre de poche, 2010), montre un autre type d’intrusion théologique et dogmatique, non pas directement dans des domaines scientifiques, mais dans le para-scientifique. Le thème abordé par Élisabeth BADINTER touche au statut de la femme et à la relation de la mère à l’enfant. Nous pouvons prendre d’autres exemples, avec le climato-scepticisme, bien que les débats actuels autour de l’écologie et de la pollution soient a priori très éloignés du créationnisme stricto sensu ou du créationnisme originel. Il s’agit de faire entrer des contenus à prétention scientifique, alors qu’ils ne suivent pas de méthode scientifique, à caractère créationniste, théologique et dogmatique dans ces débats de société.
Ces débats sont révélateurs de la finalité de la plupart des discours créationnistes : il s’agit de procéder à une intrusion théologique dans l’espace public pour banaliser la place des Églises et que l’opinion considère normal de consulter des éléments de nature religieuse dans des affaires publiques et sociales, bien qu’elles fournissent une sorte de fausse expertise et un pseudo-caractère scientifique.
De nos jours, je crois que nous sommes face à un offensif tous azimuts des différentes religions dans les diverses régions du monde et dans les différentes disciplines scientifiques (au sens très large) de la connaissance, avec le même but : l’entrée et la légitimation de la place des différentes religions dans l’espace public.
En conclusion, je soulignerai qu’il convient évidemment de rester vigilants, mais aussi d’être capables d’adapter nos discours aux différents publics. Quand nos élèves, pour reprendre mon exemple de départ, utilisent le terme de création ou de créationnisme, il ne renvoie pas forcément au même contenu, aux mêmes idées fondamentales. Il y a toujours un apparentement entre ces différents créationnismes, mais ils ne partent pas des mêmes présupposés ou ne se diffusent pas avec les mêmes stratégies, d’où une complexité pour les médiateurs, que nous sommes, à bien faire passer notre message. Guillaume LECOINTRE va maintenant expliciter les contenus des points, sur lesquels nous vous invitons à réfléchir ce matin.
Merci de votre attention.
Applaudissements
Thierry HOQUET : Pourrais-tu préciser brièvement les éléments concernant le procès du Singe ? En effet, les discussions autour de la création reviennent toujours à cette question du Singe.
Cédric GRIMOULT : L’un des problèmes majeurs pour les différents théologiens touche à l’origine simiesque de l’homme. Que l’homme soit un singe ou apparenté étroitement au singe a toujours bloqué ces fameuses figures narcissiques de l’homme. C’est pour cette raison que les différents procès, qui ont eu lieu dans l’histoire contemporaine américaine, au sujet de l’interdiction de l’enseignement de la théorie de l’évolution ont été appelés, de manière péjorative, les « procès du Singe ».
J’ai repris cette question dans le titre de mon ouvrage, Mon père n’est pas un singe ? Histoire du créationnisme (Paris, Ellipses, 2008) pour démonter cet argument classique des créationnistes, qui refusent ce changement de nature que présentent les biologistes et les évolutionnistes contemporains.
Auditeur : Vous avez parlé des intrusions théologiques dans l’espace public, qui tendraient à banaliser le créationnisme. Avez-vous quelques exemples pour nous donner un aspect concret de la forme que prennent ces intrusions ?
Cédric GRIMOULT : Des propositions de loi visent à rendre obligatoire l’enseignement du créationnisme.
Auditrice : Au début de votre intervention, vous avez dit que le créationnisme n’est ni une religion ni une science. Comment pouvons-nous le qualifier face à notre public ?
Cédric GRIMOULT : C’est un courant politique, une stratégie politique pour valider la présence et l’intrusion d’éléments religieux dans l’espace public. En France et dans quelques autres pays, des lois de laïcité séparent formellement les deux éléments. De ce fait, ce phénomène n’est pas forcément aussi visible que dans d’autres États. Beaucoup de pays, y compris en Europe, financent les Églises officielles. Beaucoup de pays en Europe proposent des cours de religion, même dans l’enseignement public. Ces cours ne sont pas obligatoires, mais de fait la plupart des parents préférant que leurs enfants soient dans une classe qu’à l’extérieur, cet enseignement est très largement suivi. Ainsi, en Roumanie par exemple, pays qui appartient à l’Union européenne, 90% des élèves suivent ce cours des religions.
En France, à Paris en particulier, dans des écoles juives, j’ai pu moi-même constater, dans des écoles confessionnelles privées, qu’un enseignement créationniste est dispensé. Le 1er chapitre d’histoire en 6e concernant la préhistoire y est interdit (ou plus exactement, son contenu est édulcoré), bien que ces écoles soient sous contrat avec l’État. Je sais de manière indirecte que cela existe aussi dans d’autres écoles. Beaucoup d’enseignants se censurent, notamment dans les banlieues dites sensibles comme en Seine-Saint-Denis par exemple, afin d’éviter ce type de problèmes à l’école publique, pour ne pas être confrontés à des chahuts, des remises en questions, etc. Voilà un exemple du type d’intrusion, très concrète, à laquelle on arrive aujourd’hui.
Auditrice : Le mot créationnisme est-il employé uniquement par les détracteurs du mouvement ? Les créationnistes l’emploient-ils pour se désigner eux-mêmes ?
Cédric GRIMOULT : Oui. Philip Johnson écrit très clairement dans son livre quelque chose comme : « Je suis créationniste. Je le revendique. D’ailleurs cette position n’est pas incompatible avec l’évolution. » Aucun problème de ce point de vue-là, les antis et les pro-évolutions utilisent le terme.
Thierry HOQUET : Merci Cédric GRIMOULT.
Maintenant, la parole est à Guillaume LECOINTRE, commissaire scientifique de l’exposition. Merci.