Vincent Josse : Laurent Terzieff est à l’affiche de « L’Habilleur », actuellement au Théâtre Rive Gauche, à Paris. Vendredi, il va vous faire découvrir les livres qui comptent pour lui. Et d’ici-là, chaque matin il fait partager ses lectures. Voici un extrait de « L’aveu » d’Arthur Adamov, cet auteur de théâtre qu’il a joué et qui s’est suicidé en 1970.
Laurent Terzieff : « Ce qu’il y a ? Je sais d’abord qu’il y a moi. Mais qui est moi ? Qu’est-ce que moi ? Tout ce que je sais de moi, c’est que je souffre. Et si je souffre, c’est qu’à l’origine de moi-même, il y a mutilation, séparation. Je suis séparé. Ce dont je suis séparé, je ne sais pas le nommer mais je suis séparé. Autrefois cela s’appelait dieu, maintenant, il n’y a plus de nom. Si je n’étais pas séparé, je ne dormirais pas à chaque instant de ce lourd sommeil, entrecoupés des râles, des plus obscures remords, je ne finirais pas ainsi les yeux vides, le cœur lourd de désir. Il faut voir clair, tout ce qu’il y a en l’homme vaut la peine de vivre, tend vers un seul but, inéluctable et monotone : passer outre aux frontières personnelles, crever l’opacité de sa peau qui le sépare du monde. Dans l’amour mutilé l’homme cherche à reconstituer son intégrité première. Il cherche un être hors de lui qui, se fondant en lui, ressusciterait l’androgyne primitif. Dans la prière, il a recours cet autre qui gît au cœur de son cœur, plus lui-même que lui, et portant inconnu. Toujours, il est altéré. Altéré : celui qui a soif, qui désire, mais aussi celui qui est étranger à lui-même. Altère, il est toujours l’autre, celui qui manque. Et comment l’homme ne serait-il pas altéré, dans les deux sens du mot, puisque tout vit en lui, puisqu’il résume la création dont il est le terme, qu’il va vers le tout, qu’il pourrait l’être, mais qu’il ne l’est pas ? »
Vincent Josse : Et voilà Laurent Tazieff et « L’aveu » Arthur Adamov, un texte de 1946, Nicolas Demorand.