La Bible est-elle écrite par Dieu ?
Régis BURNET : Bonjour et merci de nous retrouver pour la Foi prise au mot, votre émission de réflexion chrétienne. Ce dimanche est le 4e dimanches avant Noël, donc nous entrons dans l’Avant. Comme chaque année nous vous proposons une série d’Avant qui sera cette année un peu spéciale, puisque nous fêtons les 20 ans de KTO. Nous allons faire quatre émissions autour de quatre questions fondamentales de notre Foi : le Christ, le culte, le devoir d’obéissance, et aujourd’hui la Bible. Mais, ce n’est pas parce que nous parlons de choses fondamentales que nous renonçons à notre petit côté impertinent, aussi allons-nous traiter ce soir la question que tout le monde se pose, sans oser la formuler, est-ce que la Bible se présente comme le Coran ? En d’autres termes est-ce qu’elle a été écrite directement par Dieu et dictée ensuite aux hommes ? En bref, quel est le statut du texte sacré ?
Pour répondre à ces questions, trois invités père Éric MORIN, bonsoir
Éric MORIN : Bonsoir.
Régis BURNET : Vous êtes prêtre de Paris et vous êtes directeur du Service Biblique catholique « Évangile et Vie » (SBEV), on va revenir tout de suite pour savoir ce que c’est. Je présente mes autres invités : le pasteur Gilles BOUCOMONT, bonsoir.
Gilles BOUCOMONT : Bonsoir.
Régis BURNET : Vous êtes pasteur de l’Église protestante unie de France et vous exercez au Temple de Belleville, c’est un Paris.
Et, le père Jacques TRUBLET, bonsoir
Jacques TRUBLET : Bonsoir.
Régis BURNET : Vous êtes jésuite, et vous êtes aussi bibliste.
Alors, je l’ai promis, Éric MORIN, vous êtes le directeur du Service Biblique catholique « Évangile et Vie », cela veut dire que normalement vous êtes aussi bibliste, ce qui est le cas, mais que vous êtes aussi un peu le directeur de la Bible en France ?
Éric MORIN : Non, vous aimez le dire comme ça, mais non. Le Service Biblique catholique « Évangile et Vie » est un service qui dépend de la Conférence des évêques de France, qui a pour mission de promouvoir la lecture de l’Écriture dans les paroisses, les communautés, … On est surtout connu pour l’édition d’une revue qui s’appelle Cahier évangile et pour l’excellente revue que sont les suppléments du Cahier évangile, dont vous êtes le directeur de rédaction.
Régis BURNET : Ce n’était peut-être pas utile de le dire comme ça, et ce n’était pas le but de ma question. Merci en tous cas.
J’ai commencé de manière un peu provocatrice et je pense qu’il faut carrément rentrer dans la provocation à partir de cette question sur le Coran, est-ce que pour vous la Bible c’est comme le Coran ? Est-ce que cela a été donné par Dieu directement, dicté par Dieu ?
Gilles BOUCOMONT : Je crois qu’aucun d’entre nous ne dira que cela a été directement dicté par Dieu, parce qu’il faudrait avoir des enregistrements de la façon dont cela a été fait, … Mais la grosse question est de savoir comment Dieu a pu quand même intervenir dans cette histoire-là. Il y a sûrement beaucoup d’auteurs, une écriture directe, comme par exemple justement dans le Coran, on l’évoque, cela ne nous semble pas directement possible. Pourtant, il peut y avoir un récit qui, bien que construit sur de nombreuses années, sa cohérence, une progression, une forme d’intention, que l’on peut percevoir peut-être, au travers de l’ensemble de ses récits multiples, qui est intéressante et qui peut-être peut être reconnue comme une trace de Dieu. Je ne sais pas.
Régis BURNET : Est-ce que vous êtes d’accord avec cette réponse ?
Éric MORIN : Oui, mais quand on pose la question : est-ce que c’est écrit par des hommes ou est-ce que c’est écrit par Dieu ? On pourra rapidement arriver dans une impasse.
Régis BURNET : Absolument …
Éric MORIN : La seule chose qu’il faut retenir de cette question, c’est : c’est écrit et par les hommes et par Dieu. Après cela, ce qu’il nous faut réfléchir théologiquement, c’est commencé ça a coopéré ? C’est une histoire d’alliance, mais ça tombe bien, la Bible ne raconte que des histoires d’alliance.
Jacques TRUBLET : Moi, je rebondirai là-dessus. Effectivement, la Bible est d’abord une parole adressée à des hommes et les hommes la mette par écrit. Dire que la Bible et parole de Dieu, cela peut faire oublier que cette parole est un écrit. On parle de la Sainte Écriture, donc il y a bien quelque chose qui est de l’ordre de l’écrit. Or, entre la parole prononcée par Dieu et sa mise par écrit, il y a bien sûr un intermédiaire, qui est un intermédiaire humain. Le prophète reçoit d’abord une parole, il l’ingère, si je puis dire, elle le travail au corps même, et à un moment donné il la met par écrit éventuellement, pour qu’on s’en souvienne plus tard.
Régis BURNET : Je propose qu’on procède en deux temps, éviter le face-à-face, le vis-à-vis, on va commencer par expliquer que c’est une parole qui a été mise par écrit par des hommes, puis on va essayer de voir, comme vous le disiez très justement, il y a quelque chose de Dieu qui se dit. Alors, est-ce que l’on peut dater l’écriture de la Bible ?
Jacques TRUBLET : Pour l’Ancien Testament, c’est un problème qui bouge beaucoup, on a eu tendance à avoir des datations très hautes, jadis, il y a une vingtaine ou une trentaine d’années, aujourd’hui on a plutôt tendance à dater la mise par écrit assez tardivement. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a vraiment un travail d’écriture et de relecture, la Bible est quelque chose que l’on relit sans cesse, et ce travail d’écriture et de mise par écrit, souvent arrive parce que les livres ont disparu ou les choses ont disparu, l’oralité disparaît, il n’y a plus de témoins, et ça, cela se passe beaucoup autour de l’exil. Autour de l’exil, il y a tout un rewriting, si on peut dire, de la Bible. Puis, quand il y a les persécutions macchabées, etc., on apprend par les Macchabées par exemples que les livres sont brûlés, là on cherche les meilleurs rouleaux qu’on puisse trouver pour les recopier, afin qu’il y ait une trace écrite. Donc, en gros, on peut dire que la Bible, il y a certainement beaucoup de traditions orales, pour ce qui est de l’Ancien Testament, et à un moment donné il y a une mise par écrit. Et cette mise par écrit est probablement assez tardive. Aujourd’hui, je tiendrais volontiers, que ce qui est en tête de la Bible, la Genèse, est probablement ce qui a été écrit en dernier.
Régis BURNET : Vous dateriez cela de quelle période, pour que les téléspectateurs aient quelques repères ?
Jacques TRUBLET : 530, c’est le retour de l’exil, vers les années 300, on peut avoir au moment de la période hellénistique, on a encore des mises par écrit très importantes et des traductions, surtout, que l’on va avoir à ce moment-là, la Bible d’Alexandrie en grec, en 245 à peu près.
Régis BURNET : Le Nouveau Testament, vous avez une idée de quand cela a été écrit ?
Éric MORIN : Une fourchette, les plus anciens textes de Paul, on le met à peu près en 49, on peut descendre un peu en dessous mais pas en dessous de 45, et le dernier, la deuxième lettre de Pierre, on la met en 120-125, ce qu’on appelle de la pseudo-épigraphie, on écrit sous le nom d’une autorité. Donc, on a une période de 70-80 ans de rédaction.
Régis BURNET : Justement, ce que le père TRUBLET commençait à dire, c’est que Dieu a parlé - il va falloir définir ce que c’est que cette parole de Dieu -, a dit quelque chose et qu’il y a une très longue tradition orale avant la mise par écrit, cela ne vous dérange pas cela ?
Gilles BOUCOMONT : Non, cela ne me dérange pas d’autant plus que Jésus, qui aurait été quand même la personne idéale pour écrire quelque chose, n’a vraisemblablement rien écrit sinon quelques lettres dans le sable, devant les pieds de la femme adultère. Je trouve intéressante la Bible justement naisse de cette transition de l’oralité à l’écriture, d’une civilisation de l’oralité à une civilisation de l’écriture. On trouve à l’intérieur même du corpus biblique aussi toute une évolution du rapport à la technologie, qui m’intéresse beaucoup, notamment les tables de pierre ou d’argile, dans lesquels des choses sont écrites, puis après une autre évolution technologique, on peut écrire sur des peaux d’animaux et donc avoir des rouleaux, quand on lit des rouleaux ce n’est pas la même chose que quand on lit des ostraca, dans de petites pièces d’argile, et puis on a une grande révolution technologique avec le Nouveau Testament, où on passe au Codex, c’est-à-dire à des livres qui ont des pages, qui peuvent utiliser le papyrus, … Il y a toute une évolution technologique qui correspond à des révolutions à l’intérieur des grandes périodes d’écriture de la Bible. Je trouve que cela est c’est assez intéressant de le relire, forcément en tant que protestant j’y pense avec l’évolution de l’imprimerie, qui a produit la Réforme, beaucoup plus que LUTHER et CALVIN. Et peut-être une grande révolution actuelle du christianisme, avec l’internet et le rapport au numérique.
Régis BURNET : Cette question de la technique, de l’intervention des hommes, est- ce que cela ne risque pas de d’entacher la Parole de Dieu de toutes ces petites bricoles que nous portons, nos petits problèmes, nos petites manières de parler même, ces choses-là ?
Éric MORIN : C’est justement cela qui est fantastique, c’est que Dieu assume les tics de langage d’un auteur, les lourdeurs, les balourdises, voilà. C’est parce que le langage humain est assumé par Dieu, eh bien nous, on va aller jusqu’au mystère de l’incarnation du verbe fait chair. C’est ORIGÈNE, je crois, qui dit que le mystère de l’écriture de la Parole, c’est la quasi incarnation du Verbe, du coup tout est assumé. Du coup, Jésus apprenant un langage humain nous permet de dire avec des mots humains comment nous adresser au Père. On peut entrer plus avant dans ce mystère-là par le mystère de l’écriture.
Jacques TRUBLET : Tout à fait d’accord. La seule façon de rendre compte de la dualité de l’écriture, son côté humain et son côté divin, c’est le paradigme de l’incarnation. Il n’y a pas moyen de dialyser dans le Christ ce qui est de l’homme ce qui est de Dieu. On a essayé, il y a eu des tas d’hérésies là-dessus. Pour la Bible, c’est la même chose. On a essayé d’extraire de la Bible ce qui pouvait être humain et de trouver le noyau Divin qui, lui, n’aurait pas été touché, mais c’est une articulation des deux, un mélange des deux et on peut pas dialyser cette affaire-là. Si vous lisez les prophètes, vous allez voir que Jérémie n’a pas du tout le même tempérament qu’Isaïe. Jérémie est plutôt quelqu’un d’angoissé, qui se plaint du fardeau qui lui tombe dessus, Isaïe est un peu mégalo, si on peut dire, Ézéchiel n’en parlons pas, c’est un visionnaire, etc. Donc, chaque livre biblique, j’ai pris quelques exemples chez les prophètes, mais cela vaudrait aussi de la Genèse ou des Sages, est marqué très, très profondément par la psychologie de son auteur, ça on ne peut pas s’en empêcher ; j’ajouterais à cela, même par le langage de l’époque où le texte a été écrit. Le langage d’Isaïe n’est pas celui de Qohelet, il y a des mutations très fortes.
Régis BURNET : Du coup, est-ce que le danger n’est pas de se perdre, et peut-être que les exégètes aussi, nostra culpa, se sont perdus là-dedans, ne voir que ces petites choses et d’essayer de passer son temps à retrouver les angoisses de Jérémie, peut-être même de dire que Jérémie n’a pas existé, parce qu’il se contredit ou qu’il y a plusieurs écritures ? C’est aussi cela que les gens ont eu aussi comme impression. En insistant de manière assez forte sur le côté humain, on se faisait la Bible une sorte d’écrit comme les autres.
Jacques TRUBLET : Je dirais qu’au XIXe siècle, où commence vraiment la question de l’identité de l’Écriture, on a plutôt insisté sur son caractère Divin ; je crois que c’est vrai aussi dans le monde protestant ; parce que justement on avait peut-être tendance à en faire un écrit banal, tout simplement parce qu’il y a eu un gros problème au XVIIe siècle : est-ce qu’on peut lire la Bible comme on lit Homère, les auteurs classiques grecs ? Est-ce qu’on peut leur appliquer les mêmes méthodes ? Il y a tout un débat là-dessus en disant : Non, c’est un texte sacré, et on ne peut pas le désacraliser comme ça et appliquer n’importe quelle méthode ; jusqu’au moment où on l’a dit : la face humaine de l’Écriture relève des mêmes méthodes que ce que l’on applique à Homère et aux auteurs classiques. Et depuis, depuis le XIXe, et même avant, cela commence dès le XVIe siècle, on « attaque l’Écriture », attaquer au sens d’étudier, décortiquer le texte, exactement comment on fait pour Platon.
Régis BURNET : Et du coup ?
Jacques TRUBLET : Du coup, le risque c’est fait effectivement d’oublier que ce texte-là est un texte sacré. J’ai un logiciel en hébreu sur internet, qui demande qu’avant de commencer cette lecture, qui est sur internet, de ne pas oublier que c’est un texte sacré, faites un temps de pause, avant de commencer à lire le texte. Au fond, on risque toujours d’occulter cet aspect Divin, parce qu’effectivement la matérialité du texte a été la tablette, le Codex, aujourd’hui, c’est internet, c’est formidable, mais ça peut faire oublier que derrière ça, se profile quand même la puissance de Dieu, qui est à l’origine, pas le commencement, de ce Texte.
Éric MORIN : Il y a des auteurs biblistes qui disent de temps à autre, si on les écoute bien avec ces méthodes-là, on arrive jusqu’à ce qu’ils disent même de leur propre expérience. Je pense à Moïse, dans le livre de l’Exode, au chapitre 33 : « Il est caché au creux du rocher, il veut voir Dieu, et Dieu lui dit : pas de face, juste de dos », donc par tout un stratagème il voit Dieu passer devant, il voit les traces du passage de Dieu. Je trouve cela très stimulant, la tradition juive nous dit que le Pentateuque est écrit par Moïse, celui qui voit les traces du passage de Dieu dans son peuple. Cela veut dire qu’il y a un certain nombre de textes où les auteurs bibliques réfléchissent justement sur leur travail et le lien avec lien avec Dieu. On parlait de Jérémie, l’angoissé-là, mais au tout début il a une vision et il dit : qu’est-ce que tu vois ? – Je vois un amandier. Avec un jeu de mot que seul l’hébreu peut rendre, Dieu lui dit : « Je vais veiller à l’accomplissement de ma Parole », parce qu’en gros, l’amandier ça se dit le veilleur en hébreu. Il raconte comment il a été saisi. Il a vu bel amandier, et un bel amandier dans les pays méditerranéens, c’est le début du printemps, et puis peut-être aussi parce qu’il y a des ornements d’amandiers sur la menorah, le chandelier à sept branches, peut-être fait-il le lien entre ce Dieu veilleur avec la menora ; eh bien il nous dit comment simplement en voyant l’amandier, faisant le lien avec un élément de la liturgie, il est tout d’un coup habité par une conviction : Dieu veillera à l’accomplissement de sa parole. Et ça devient pour lui le ressort de son message. Donc, quand on va jusqu’au bout de ce que les outils d’analyse nous permettent d’appréhender, et bien, on écoute aussi les auteurs nous dire : « Je me suis fait dépasser, ce n’est pas simplement moi qui ai écrit. ».
Gilles BOUCOMONT : Je pense qu’à la fois ceux qui écrivent le texte biblique et ceux qui le lisent, ils sont d’abord dans une expérience psychique avant d’être spirituelle, une expérience cognitive avec leur intelligence, et une expérience émotionnelle, et on a la trace de tout cela, dans le sens où par exemple avec les quatre Évangiles, on a quatre personnes, qui ont quatre intentions différentes, parce qu’elles ont quatre publics différents, très certainement quatre psychologies différentes, certains sont très brefs, comme Marc, d’autres mettent plus de temps pour expliquer les mêmes récits. Je trouve intéressant qu’à l’intérieur d’un même livre on ait assumé, non pas de compresser et de ne faire qu’un Évangile sur la base des quatre, cette diversité des quatre témoins. Je trouve intéressant - au-delà de l’évocation que cela peut donner aux fins lecteur de la Bible, avec le livre d’Ézéchiel - qu’on assume que le regard qu’on porte sur Dieu est toujours à la croisée d’une multiplicité de témoignages, et la Bible nous amène cela et nous met nous-même dans cette situation-là, à savoir qu’on va y lire des choses et on va être très intéressé de voir que les autres y lisent d’autres choses, pourtant on a lu même le texte.
Régis BURNET : Là, vous entrez dans quelque chose de tout à fait central, malheureusement ou heureusement, il va falloir interpréter la Bible du coup, puisque c’est plein d’humanité, si vous dites que ce n’est pas une dictée directe, on ne peut pas faire l’économie de l’interprétation.
Gilles BOUCOMONT : On ne peut pas faire l’économie de l’interprétation parce que c’est une telle - ne serait-ce qu’au niveau littéraire - diversité entre des textes de lois, des romans, des poèmes, des narrations quasi journalistiques, comme l’Évangile de Luc, qui, dans la façon dont il présente son Évangile on a l’impression d’un traité de journalisme, il y a une telle diversité que forcément on n’a pas le même rapport au texte, les émotions qu’on a dans le Code de pureté dans la Torah ne sont pas exactement les mêmes que dans le Cantique des Cantiques, …
Régis BURNET : J’explique aux téléspectateurs pourquoi ils rigolent, c’est parce qu’il trouve que c’est un peu pénible de lire le Code de pureté dans la Torah, mais il a tort …
Éric MORIN : C’est au cœur de la Torah : « Soyez sains comme je suis sain, tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Régis BURNET : Jacques TRUBLET, vous voulez ajouter quelque chose ?
Jacques TRUBLET : C’est fondamental, Lévitique. Je veux dire que cela révèle quelque chose qui, évidemment par rapport à notre époque un petit peu distancée de cette affaire-là, ce qui est intéressant c’est quand on lit un texte biblique, je vois cela beaucoup avec des étudiants, ils projettent leurs questions sur le texte, et éventuellement leurs réponses, or, justement, le texte est là pour mettre à distance nos questions, parce qu’il ne répond pas forcément aux questions que l’on se pose, il répond à d’autres, qui peuvent nous servir de modèle pour réfléchir aux nôtres. Et le but de l’écoute de la Parole de Dieu, ou de sa lecture, c’est justement d’entrer dans quelque chose qui n’est pas moi, pour voir comment Dieu a travaillé un personnage, un prophète, un sage, et il dit quelque chose avec lequel je ne suis pas forcément d’accord, mais il y a quelque chose de très important justement dans ce déplacement. Il ne faut considérer la Bible comme un miroir immédiat de mes propres problèmes.
Gilles BOUCOMONT : Elle nous résiste je crois fondamentalement, l’Écriture. J’aime beaucoup cette parole du rabbin OUAKNINE qui dit que l’alternative pour nous c’est soi lire soit dé-lire. Il y a évidemment un jeu de mots derrière ça. Je crois qu’il y a cette résistance du Texte qui finalement ne dit pas ce que j’aurais eu envie de dire.
Éric MORIN : Je crois aussi, on est obligé d’interpréter, je souscris à ce qui vient d’être dit, mais il faut aussi comprendre que les auteurs biblique, Marc, Luc, l’auteur de Qohelet, interprètent. Ils ont été saisis par la Parole de Dieu, on évoquait tout à l’heure une tradition orale qui les précède, parfois ils s se copient, se contestent l’un l’autre, vraisemblablement il y a des textes d’Ézéchiel qui sont écrits alors qu’il Jérémie sur les genoux, cela le désespère un peu, ou autrement, et du coup eux-mêmes interprètent une Parole qu’ils ont entendue. On n’est pas devant une Parole de Dieu immédiate, on est devant une Parole de Dieu qui a traversé des psychologies, des personnalités, des communautés, puis tout d’un coup il y en a un qui a le courage et qui met quelques pattes de mouche sur le parchemin, et pour être lu. Les premiers extraits d’Évangile qui ont été écrits, c’était vraisemblablement des notes pour permettre aux prédicateurs itinérants de souvenirs de ce que Jésus avait dit, ça devait être pris à la va vite et ça servait à être lu, à être dit, à être exprimé jusqu’au jour où l’on a mis tout cela en forme pour stabiliser la prédication sur Jésus. Donc, les textes sont déjà des interprétations.
Jacques TRUBLET : Ce qui peut choquer, embarrasser quelqu’un qui commence à lire la Bible, ce sont ces ruptures de style. Par exemple, dans le Pentateuque, on a un premier récit de la création, suivi d’un second, puis on va lire l’histoire d’Abraham, on a une vision d’Abraham qui est tout à fait spécifique, on a une autre après, … je veux dire qu’il y a continuellement des ruptures. On a pensé à une époque qu’on avait plusieurs traditions, plusieurs relations qui avaient été mise là-dedans, et on a cherché jusqu’en 1960 à essayer de trouver les morceaux de la mosaïque,
Régis BURNET : Avec des ciseaux et de la colle, …
Jacques TRUBLET : … voilà, justement on est face un une écriture biblique qui n’est pas la nôtre, à savoir qu’on peut écrire un texte et mettre à côté quelque chose qui contredit complètement ce qui vient d’être écrit. Nous, on effacerait, on reconstruit, on refait un autre texte qui essaye d’accommoder un peu toutes les opinions, eux ils ont tendance à juxtaposer, c’est typique de Genèse 1, Genèse 2-3, qui sont deux récits différents sur la création, même si dans le temps les pères de l’église où les rabbins ont essayé de montrer qu’il y avait eu deux créations, à partir de ces récits, en fin de compte la Bible écrit, ne rature pas, et laisse en plan va je dirais on ajoute on surcharge sans forcément vouloir avoir un texte unifié ce qui vous donne dans l’Exode sur la page de gauche de ma Bible de Jérusalem on ne peut pas voir Dieu sans mourir, et sur la page de droite Moïse parlait face à face avec Dieu et il n’en est pas mort. On a une chose et son contraire. Contrairement à la pensée occidentale où on ne peut pas dire que A est noir et dans la page d’à côté le A est blanc, eh bien dans le corpus biblique, on a justement cette juxtaposition de contradictions et la vérité est justement dans la contradiction dans le paradoxe.
Régis BURNET : Ce qui évite - c’est ce que vous commenciez à dire - tout dogmatisme, le but de la Bible est aussi de déconstruire nos dogmatismes, ce que vous dites, on a beaucoup de d’idées préconçues sur la Bible.
Jacques TRUBLET : En fait, ce à quoi on risque d’aboutir, si on n’accepte pas ce cette affaire-là, cela vaut pour le Nouveau Testament, on va fabriquer les quatre Évangiles en un seul. J’ai connu ça dans mon enfance …
Gilles BOUCOMONT : Les harmonies …
Jacques TRUBLET : … les harmonies, oui, cela a été fait d’ailleurs par Tatien, …
Éric MORIN : C’est intéressant justement on ne les a pas gardées.
Jacques TRUBLET : … cela n’a pas été gardé par la tradition. Et pour l’Ancien Testament, on voudrait bien finalement : « dites-nous exactement quel est le bon texte ? » eh bien, le bon texte justement il est dans la contradiction des deux propositions, qui ne sont pas réconciliables en une seule.
Régis BURNET : Je vous propose que l’on fasse une première pause entendant un texte de l’Apocalypse, là, on est à toute fin de la Bible, qui nous dit qu’il y a une dictée de Dieu quand même. Alors, cela ne contredit pas ce qu’on vient de dire, mais cela va peut-être nous permettre de passer dans le deuxième temps de cette émission, à savoir l’importance de la divinité dans ce texte. C’est le chapitre 1, j’ai fait une petite coupe, versets 9-12 puis les verser 17-19.
Je suis Jean, votre frère ; uni comme vous à Jésus, je suis votre compagnon dans la détresse, le royaume et la persévérance. J’ai été exilé sur l’île de Patmos, à cause de ma fidélité à la parole de Dieu est la vérité révélée par Jésus. Le jour du seigneur, l’Esprit Saint se saisit de moi et j’entendis derrière moi une voix forte, qui résonnait comme une trompette ; elle disait : « Écris dans un livre ce que tu vois, et envoie le livre où sept Églises suivante : à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. » Je me retournai pour voir qui me parlait. Alors, alors je vis cette lampes d’or. Au milieu d’elles se tenait un être semblable à un homme ; il portait une robe qui lui descendait jusqu’aux pieds et une ceinture d’or autour de la taille. […] Quand je le vis je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sa main droite sur moi et dit : « N’aie pas peur ! Je suis le premier et le dernier. Je suis je suis le vivant. J’étais mort, mais maintenant je suis vivant pour toujours. Je détiens le pouvoir sur la mort et le monde des morts. Écris donc ce que tu vois : aussi bien ce qui se passe maintenant que ce qui doit arriver ensuite.
Apocalypse 1, 9-12 et 17-19
Régis BURNET : On a entendu ce texte, évidemment on a l’impression que le Seigneur, vous êtes d’accord qu’il s’agit du Christ qui apparaît, est en train de dicter quelque chose, est-ce que cela veut dire que l’Apocalypse est un texte qui serait plus vrai, par exemple, que le texte de la Genèse, qui en plus contradictoire, il y a deux récits de création, etc. ? Est-ce que ce que cela veut dire ça ?
Éric MORIN : Non.
Régis BURNET : Au moins c’est clair. Alors, expliquez-nous.
Éric MORIN : D’abord, il y a un petit problème de traduction. Dans le texte qu’on vient d’entendre Jean le voyant se retourne et, on a entendu, « j’entendis la voix », et littéralement « je vis la voix », ne me demandez pas comment il a fait, mais c’est ça que le texte dit. Cela veut donc dire que l’expérience qu’il fait est une expérience qui prend toute sa sensibilité mais qui la transcende et la dépasse, puisque vision et audition se croisent et s’interpénètrent. Après, ça, il voie cette voix et qui lui dit d’écrire, d’écrire quoi ? D’écrire l’expérience qu’il fait ; qu’est-ce qu’il fait. Il voie le Seigneur ressuscité. Alors, je crois que là aussi, c’est un texte intéressant, qui nous montre comment Jean réfléchit sur le statut de son propre écrit. En fait, lui, ce qu’il fait, et je crois qu’il le fait de la première page de son Évangile à la dernière page de l’Apocalypse, y compris dans les lettres, il décrit le corps de Jésus ressuscité ; en racontant des histoires dans l’Évangile, en donnant des méditations sur l’amour dans les lettres, en puisant dans les écritures anciennes, parce que c’est truffé de réminiscences d’Ézéchiel, de Zacharie, et d’autres, de l’Exode, pour permettre au lecteur de décrire le corps de Jésus ressuscité, qui est là, et que nous attendons.
Régis BURNET : Êtes-vous d’accord ? Monsieur le pasteur ? Je m’adresse à vous parce que dans certaines églises de la Réforme, on a beaucoup investi sur ce livre de l’Apocalypse, qui serait presque une sorte de mode d’emploi du futur.
Gilles BOUCOMONT : Oui, c’est un livre qui est fascinant, une fois qu’on est fasciné on peut tout dire … Je pense qu’en tout cas, quand vous parliez je repensais à des situations de prédication dans lesquelles nous pouvons être en tant que pasteurs ou prêtres, je crois qu’il y a des moments où on parle à ceux qui sont devant nous et temps en temps on se dit : tiens, ça, cela me dépasse, je viens de dire quelque chose - surtout si on prêche sans ces notes - qui qui n’est pas de moi » ; de là à dire que C’est de Dieu il faut être prudent, bien sûr, mais en tout cas je pense qu’on peut avoir dans l’expérience de l’écriture, comme Jean ou dans l’expérience de la prédication en général, une intuition qu’il peut y avoir des moments où Dieu nous utilise étrangement, au-delà de nous-même, au-delà de ce que nous pouvons saisir, comprendre, voir, toujours dans ce paradoxe de nos sens, et qu’on n’est pas dans un contrôle total de ce qui se dit, notamment dans cette expérience que beaucoup font, d’être soi-même le premier bénéficiaire de sa prédication ou de son homélie. On a l’impression que c’est finalement une parole qui passe par notre bouche mais qui nous est adressée pour notre existence actuelle, présente. Je pense qu’il y a eu dans le travail des rédacteurs de l’écriture biblique un mélange de deux témoignages ou là c’est vraiment l’âme de la personne qui parle, et puis d’autres moments ou peut-être est-ce là l’œuvre du Saint-Esprit, de finalement nous utiliser dans un processus d’incarnation continu, pour que Dieu continue à parler. Je ne sais pas.
Régis BURNET : Vous êtes d’accord, Jacques TRUBLET ?
Jacques TRUBLET : Dans l’Ancien Testament les premières allusions à l’écriture, la mise par écrit de ce que Dieu a dit, on voit ça par exemple dans Jérémie, il a toute une prédication où il annonce quand même de mauvais événements et il mourra avant que cela arrive. Il demande à son secrétaire : « Mets mettre cela par écrit parce que le jour où cela arrivera ils sauront qu’on les avait prévenus » Donc, la mise par écrit a quand même une fonction mémorielle, elle est là pour parce que l’oralité est volatile, ça s’évapore, donc l’écrit va témoigner de cela. De même, si on prend le Deutéronome, c’est à peu près contemporain de Jérémie dans sa rédaction, Moïse - on fait parler Moïse mais c’est une fiction littéraire, c’est le testament de Moïse qui nous est donné à travers les rédacteurs du Deutéronome - on va mettre cela par écrit pour que la loi soit juge contre nous : « on vous avait dit qu’il ne fallait pas faire ça, la loi témoigne contre vous » ; et non seulement on doit écrire la loi régulièrement, mais on doit la lire régulièrement et le roi doit en avoir un exemplaire à côté de lui, pour lui rappeler ce qu’il doit faire. Donc, l’écrit est très important au sens où la parole est toujours sujette à interprétation, le texte aussi, mais l’écrit est quand même plus précis à la limite que la parole, parce que j’entends ou je n’entends pas ce que me dit l’autre, c’est continuel dans nos dialogues, on entend ce que l’autre nous dit en fin de compte il voulait dire le contraire, mais un écrit et déjà plus précis. Donc, l’écrit est plus précis mais il n’est pas forcément la dictée que Dieu a fait. Moi, je n’aime pas trop cette image de la dictée, je préfère plutôt parler de traces mémorielles. L’écriture est une trace mémorielle de quelque chose qui était de l’ordre de l’oralité auparavant, pour justement que cela serve de pièce à conviction.
Éric MORIN : Plutôt que l’image de la dictée, il y a une autre que je trouve savoureuse, c’est l’image de l’auteur de théâtre. Un auteur de théâtre va mettre en scène des personnages et pour que sa pièce et que son texte soient audibles, il faut que les différents personnages de son texte soient vivants et il faut qu’ils soient interprétés ? Je comparerais davantage Dieu à un auteur d’une pièce de théâtre dont les hagiographes sont les acteurs, ils mettent en scène, tous ensemble - vous aviez parlé de l’unité de l’ensemble au début, je crois que c’est important - dans leurs dialogues, les uns avec les autres, et l’avantage de l’écrit et du Codex c’est que Jérémie, Ézéchiel et Paul sont contemporains, je les ai tous dans la main. Donc, Dieu est davantage un auteur de théâtre que quelqu’un qui dicte à quelqu’un qui se retrouve tout seul. Il met en scène des personnages. Un bon auteur de théâtre fait en sorte que ces personnages soient vivants, vrais et non pas convenus et stéréotypés, Dieu est un très bon auteur !
Jacques TRUBLET : Moi, j’ai exactement la même comparaison mais je prends plutôt la comparaison musicale, à savoir qu’on peut écouter une sonate de Mozart ou bien un concerto de Bach, l’interprétation des chefs d’orchestre est complètement différente d’un bout à l’autre. Moi, j’aime bien écouter, par exemple une pièce que j’aime beaucoup, qui est L’Art de la fugue de Bach, j’en ai une dizaine d’interprétations, c’est exactement le même support, le même substrat, mais chaque auteur met quelque chose de lui-même dans l’interprétation de la pièce. Ça, c’est très intéressant. La Bible est un peu comme ça, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui est derrière, je ne peux pas faire complètement le contraire de ce qui est écrit, ou de ce qui est révélé, en même temps ma propre personnalité va être sensible à telle phrase, tel mot, ou telle chose qui ait dite. Cela a été dit tout à l’heure par vous.
Gilles BOUCOMONT : On peut on peut même poursuivre la métaphore parce que à l’intérieur de chaque interprétation de L’Art de la fugue, si on a une oreille un peu avertie, on peut aller écouter le positionnement de chaque instrument, de chaque voix, et là, il y a une décomposition de l’interprétation qui peut être infinie. Et c’est là peut-être qu’on rejoint ce qu’on disait tout à l’heure, dans la fascination d’aller tout décrypter, trier, creuser le texte, au bout d’un moment il peut y avoir une forme de nihilisme. J’avais un professeur de théologie qui disait : « Creusez, creusez, mais n’oubliez pas que vous finirez par faire un trou » Je crois qu’il y a un moment où à la fois il faut s’instruire de ces choses, réfléchir à la cohérence avec les données archéologiques, avec tout ce qu’on sait de la littérature, de la narratologie, et tout ce qu’on veut, puis, de temps en temps, il y a ces temps où il faut prendre le pas de recul et relire le même texte. Je fais souvent cette expérience avec des groupes : leur faire une lecture très historicisante du psaume 22 dans la numérotation catholique, 23 dans la numérotation protestante, « L’éternel est mon berger, je ne manquerais de rien », le lire comme une expérience de David ; puis une lecture un peu sociétale, le berger la brebis pour nous qui sommes dans des villes, il nous faut un peu réfléchir à tout ça ; et puis après ça, tout simplement relire ce texte dans une forme de lectio divina, où le texte reprend son immédiateté ; et là on vit une troisième expérience autour du même texte, qui n’a aucun rapport et pourtant ce sont les mêmes personnes qui ont lu, trois fois, le même texte.
Régis BURNET : Au début de votre intervention ; vous avez dit ce texte, ces différents textes, cette multitude de textes, il y a quand même un message derrière, une sorte de d’analogie de l’écriture, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui est cohérente au Fond ?
Gilles BOUCOMONT : Quand on voit la progressivité, ne serait-ce que dans l’écho des textes prophétiques du Premier Testament et puis de la venue est l’histoire de Jésus, quand on voit la cohérence entre les propos de l’Exode et la prédication de Jésus, c’est assez fascinant, qu’un texte soit aussi bien composé. Je crois que tout amateur de littérature ne peut être qu’émerveillé par la cohérence d’une telle construction, malgré toutes les incohérences sur lesquelles vous mettiez l’accent. Donc, ce tissage d’incohérences et de cohérence en fait un texte qui est tout à fait merveilleux dans sa globalité.
Régis BURNET : C’est ce que vous disiez en disant que Dieu est un bon metteur en scène, qu’il écrit bien en fait ?
Éric MORIN : Oui, il convient, pour reprendre une image biblique, je crois que c’est Irénée qui interprète la parabole du fils prodigue, avec le fils aîné qui veut pas rentrer, il entend la musique et la danse, et Irénée interprète en disant : « Il ne veut pas écouter l’harmonie de l’unité de l’écriture », finalement un des lieux pour observer que ces textes-là sont portés par le souffle de Dieu, lui-même, c’est leurs harmoniques et leurs résonances, on les trouve parfois difficilement, avec parfois des contradictions, des tensions, des répétitions, mais justement c’est là que les choses vont briller et scintiller.
Régis BURNET : Je vous propose qu’on passe un troisième temps, dans cette émission, c’est, comme je le disais, à quel moment on peut dire que cette parole devient parole de Dieu pour nous ? Je vous propose que l’on écoute un passage de la Constitution dogmatique Dei Verbum de Vatican II, qui date de 1965. Évidemment, quand on dit cela comme ça, « Constitution dogmatique », ça fait un petit peu sérieux, et peut-être un petit peu sec, en fait je trouve, vous vous verrez, que c’est écrit de manière assez poétique. On va essayer de décortiquer ce texte, constitution dogmatique Dei Verbum, c’est le paragraphe 21.
Inspiré par Dieu et consigné une fois pour toutes par écrit, les Saintes Écritures communiquent immuablement la Parole de Dieu lui-même et font résonner dans les paroles des prophètes et des Apôtres la voix de l’Esprit Saint. Il faut donc que tout la prédication ecclésiastique, comme la religion chrétienne elle-même, soit nourrie et guidée par la Sainte Écriture. Dans les Saints Livres, en effet, le Père qui est au cieux vient avec tendresse au-devant de ses fils et entre en conversation avec eux ; or la force et la puissance que recèle la Parole de Dieu sont si grandes qu’elles constituent pour l’Église, son point d’appui et sa vigueur et, pour les enfants de l’Église, la solidité de leur foi, la nourriture de leur âme, la source pure et permanente de leur vie spirituelle. Dès lors ces mots s’appliquent parfaitement à la Sainte Écriture : « Elle est vivante donc et efficace la Parole de Dieu »
(HE4,12).
Constitution dogmatique Dei Verbum 21, 18 nov. 1965
Régis BURNET : Voilà donc cette formule, dont je ne sais pas qui est l’auteur, vous savez que les textes conciliaires ont été longuement écrits, réécrits : « […] Dans les Saints Livres, en effet, le Père qui est au cieux vient avec tendresse au-devant de ses fils et entre en conversation avec eux […] », est-ce que c’est ça l’Écriture ? C’est en fait un dialogue, en réalité.
Jacques TRUBLET : Effectivement, la Parole de Dieu, on y a fait allusion un peu tout à l’heure, j’aime beaucoup ce un texte de Dietrich BONHOEFFER, qui va un peu dans le même sens, ce n’est pas simplement la parole qu’il nous adresse mais c’est la réponse que l’homme fait à cette parole. Il y a ce jeu de mots allemand, wort, la parole, antwort la réponse - en français, ça marche pas très bien - c’est pour ça que dans la Bible il y a beaucoup de textes qui ne sont pas des « Paroles de Dieu », entre guillemets, ce n’est pas Dieu qui parle, c’est plutôt l’homme, je pense aux psaumes évidemment et aux sages. Les sages, il n’y a pas un mot sur Dieu dans le Cantique des cantiques, où Qohelet, ce sont des expériences humaines, or cela fait partie de la Parole de Dieu et BONHOEFFER à cette conclusion de dire : « La Parole de Dieu ce n’est pas simplement la Parole qu’il nous adresse, c’est la réponse de l’homme et la bible » et la Bible contient à la fois la Parole adressée à l’homme et la réponse que l’homme fait à Dieu à cette Parole, c’est pour cela que moi j’aime beaucoup les sapientiaux et les psaumes bien entendu, c’est cela que je travaille le plus souvent, et on se pose beaucoup de question de savoir ce que cela fait dans la Bible, « Le Cantique des Cantiques » ; Qohelet, …
Régis BURNET : … ou pire, les proverbes, ce sont des proverbes que je pourrais dire du « café-du-commerce », …
Jacques TRUBLET : C’est vraiment, entre guillemets, « profane », or, justement, ce qu’il y a plus basique, de plus profane, est sacrée. Justement, la Bible a su intégrer des choses extrêmement profanes de l’expérience humaine : le travail, l’amour, l’éros, … cela fait partie des expériences humaines, donc cela peut être intégré comme réponse à cette Parole que Dieu dresse à l’homme. Moi, j’aime beaucoup l’articulation des deux.
Régis BURNET : Est-ce que vous êtes d’accord, Monsieur le Pasteur ? Vous n’allez pas contredire le pasteur BONHOEFFER !
Gilles BOUCOMONT : Difficilement , j’aime bien cette idée que c’est le même Esprit Saint qui aide le lecteur et qui a inspiré le rédacteur. Donc, c’est le même Esprit Saint qui œuvre au moment où je lis et qui a déjà œuvré au moment où l’auteur a écrit, cela s’incarne dans nos liturgies, dans le monde protestant, par le fait d’avoir vraiment une prière qui est très importante, avant la lecture de la Bible, qui est une forme d’Épiclèse, où on appelle l’Esprit Saint afin que justement l’Écriture qui pourrait demeurer lettre morte, pour employer un vocabulaire paulinien, devienne vraiment Parole vivante. Donc, sans cette condition de l’intervention de l’Esprit Saint, l’Écriture pourrait être tout simplement, comme c’est le nom d’une des expositions de l’Alliance biblique, un patrimoine de l’humanité. Mais, elle est plus que ça et il faut quand même cette intervention l’Esprit Saint pour que l’Écriture redeviennent Parole. On dit souvent de la Bible, en particulier dans le monde protestant que c’est la Parole de Dieu la Bible ne peut devenir la Parole de Dieu qu’à condition qu’il y ait cette nouvelle intervention de ce même Esprit Saint.
Jacques TRUBLET : Moi, je vois bondirai bien là-dessus, parce qu’il y a un texte médiéval, qu’on appelle « La Lettre aux frères du Mont-Dieu », où l’auteur dit, on retrouvera cela chez les pères de l’église, ou chez les médiévaux : « de même que l’Esprit Saint a été à l’œuvre dans la mise par écrit de « la Parole de Dieu », entre guillemets, de même il doit être à l’œuvre pour le lire, sinon je vais lire cela comme un textes profane, si ce n’est pas Esprit qui me fait lire l’écriture », c’est-à-dire que l’on va aboutir, ça, c’est un gros problème de l’exégèse biblique, très souvent, on a l’impression que c’est comme si c’était Platon ou les textes égyptiens, il n’y a rien pour la nourriture spirituelle. Comme disait François DREYFUS, mon prof de l’école biblique : « On peut utiliser un tournevis comme cure dent mais ce n’est pas sa première fonction », et quelquefois on a l’impression en lisant certains commentaires d’exégètes qu’ils n’ont rien à faire que ce texte-là vient de l’Esprit et je dois me l’approprier dans l’Esprit Saint, pour en faire quelque chose d’autre. Tout ce travail-là n’est qu’un travail préliminaire pour aboutir à la réappropriation et surtout à la mise en pratique de ce qu’il raconte, je veux dire qu’il y a tout un aspect topologique, comme on dit techniquement. Si la Parole de Dieu, n’est qu’un bouquin parmi d’autres, moi cela ne m’intéresse pas, ce qui m’intéresse c’est dans quelle mesure elle transforme l’humanité, l’Église et le lecteur.
Régis BURNET : Vous êtes d’accord ?
Éric MORIN : Bien sûr, je suis d’accord. D’abord, je pense que vraiment ce texte du Concile est au cœur de l’attention conciliaire, permet à tous baptisés de faire cette expérience de la conversation avec Dieu. Et peut-être pour en rendre le compte, là encore c’est un texte dont on a parlé tout à l’heure, Ézéchiel, Dieu lui dit : « Mange le rouleau », cela paraît toujours étonnant « manger de rouleau », sauf qu’on a tous pendant nos vacances dévoré un bon bouquin et finalement la Bible cela commence comme ça, on dévore un texte, peut-être pas le Lévitique, d’accord, mais il y a certes cette appétence qui tout d’un coup … Puis, la Parole de Dieu, c’est intelligent comme les pieds. Les pieds, c’est très intelligent, quand ils sont en bonne santé ils nous conduisent où on leur demande, et bien la Parole de Dieu cela va être pareil. Au départ, vous en faisiez l’allusion avec le Psaume 22-23, on va avoir une dé-contextualisation, qu’est-ce que c’est qu’un berger ? Puis, comment est-ce que cela va nous parler ? Donc, cela va nécessiter d’être dévoré, mâché, d’y revenir, d’être lu, relu, et c’est comme ça que petit à petit se met en place cette conversation avec Dieu, et que tout le travail alors scientifique ou simplement personnel de d’appropriation du texte en s’appuyant sur l’exégèse scientifique, tout ce travail-là effectivement cela met à plat, ça fatigue, mais la lettre tue, il faut que la lettre nous ait mis un peu à plat, qu’on ait mis à distance nos questions et nous réponses, pour que l’Esprit puissent venir vivifier, renouvelé et nous faire participer à des temps nouveaux. Donc, il ne faut pas que les téléspectateurs se disent : « J’ai lu un texte, ça ne m’a rien dit », relisez-le. Nous avons tous fait l’expérience, sinon on ne serait pas là, d’avoir lu un texte, d’avoir peut-être compris quelque chose et puis de l’avoir posé, puis de l’avoir lu six mois plus tard, et : « Ah, je n’avais pas vu ça ! », c’est que c’est une conversation, Dieu laisse dans le cœur de celui avec qui il parle ce qu’il veut, quand il veut. C’est lui qui commande.
Gilles BOUCOMONT : Il y a une expérience basique, qui est tellement intéressante, qui est de relire un même texte dans une autre version tout simplement, une autre traduction, en français on a cette chance incroyable d’avoir beaucoup, beaucoup de traductions du même texte biblique, parce qu’il ne faut jamais oublier quand on lit la Bible que c’est un texte qui est souvent une traduction d’une traduction, il y a quand même eu beaucoup, beaucoup, beaucoup de médiation dans tout ça, et comme on dit en italien la traduction, c’est la trahison aussi, à chaque fois il y a forcément un peu de pertes, mais c’est très intéressant pour nous, si on n’a pas du tout accès aux langues bibliques, de pouvoir simplement se réjouir de la diversité des traductions.
Jacques TRUBLET : Il y a un lieu intéressant de la conversation avec Dieu, c’est quand même la prière. Or, la prière d’une certaine façon les gens disent : moi, je sais ce que j’ai envie de dire à Dieu, donc ils inventent leurs prières où ils reprennent des prières dans lesquelles ils se reconnaissent. Moi, je dis : vous savez dans la Bible, il y a un livre qui n’est qu’un livre de prières, pas en totalité mais en grande partie, le psautier. Prenez le psautier, cela va peut-être vous donner des mots pour dire ce que vous avez envie de dire à Dieu. Une des difficultés que l’on a quelquefois dans la lecture des psaumes, est de dire : je n’y comprends rien, ou cela ne correspond pas à mon expérience ; ah, peut-être qu’il faut se poser la question : est-ce que ma prière n’est pas une espèce de monologue que j’ai avec Dieu, et le psautier va déplacer un peu la question en disant : priez n’est pas tout à fait ce que je pensais, c’est-à-dire que tout d’un coup, en faisant l’expérience de buter sur le texte, eh bien je découvre que la prière n’est pas simplement d’exprimer mes sentiments, etc., c’est extérieur à moi ; il y a quelque chose qui se fait en moi par l’Esprit, il y a une adéquation qui finit par faire que je comprends ce que je lis dans mon texte. Il y a des livres que l’on peut lire et ne rien y comprendre, parce qu’on n’en a pas fait l’expérience.
Régis BURNET : Ça, c’est tout à fait exact.
Jacques TRUBLET : Faire lire « Les liaisons dangereuses » un gamin de 12 ans, il ne va rien comprendre. Il faut avoir un minimum d’expérience pour comprendre ce qu’il y a dans le texte, en même temps le texte vous fait dépasser l’expérience dans laquelle vous êtes.
Régis BURNET : On arrive à toute fin de l’émission, le père TRUBLET a déjà commencé à répondre à la question que j’allais vous poser, qu’est-ce que vous conseillez aux gens pour justement faire l’expérience de la Bible ? Vous, vous dites prenez le psautier, qu’est-ce que vous diriez ?
Gilles BOUCOMONT : Un protestant aurait tendance à dire la même chose, prenez le psautier ou …
Régis BURNET : Comment faire ?
Gilles BOUCOMONT : … ou un Évangile, parce que c’est quand même ce qui est très accessible et c’est ce qu’il nous donne la conscience de ce que Jésus est venu faire. Pour le psautier, il faut peut-être trouver des choix de psaumes. Il y a un certain nombre de listes qui disent : dans telle situation de vie, nous vous conseillons de lire tel psaume, ou tel psaume, et peut-être que ces psaumes-là auront une résonance plus forte avec ce qu’on vit, peut-être choisir aussi une un type de traduction, avec une forme de fluidité, peut-être un petit peu moins littéraire que des traductions qui sont faites pour l’étude, … Je crois qu’il ne faut pas hésiter, aujourd’hui c’est très facile avec internet, à se ruer dans le texte biblique et à essayer soit de dévorer, si on peut directement, soit de goûter, en tout cas.
Régis BURNET : On peut recommander le site de l’Alliance biblique, où il y a plusieurs versions possibles, et c’est facile de trouver la traduction œcuménique de la Bible mais aussi la Bible en français courant, qui peut être plus facile.
Qu’est-ce que vous conseillez, vous ?
Éric MORIN : Comme tout le monde, et j’ajouterai l’idée d’une certaine régularité, non pas pour faire tout bien mais pour que chacun d’entre nous nous puissions nous donner un rendez-vous : Voilà, aujourd’hui Seigneur je prends un temps pour parler avec toi en lisant la Bible. Il y a d’autres manières de le faire mais celle-là est quand même, je crois, à cultiver particulièrement, ça a l’air tout bête de simplement se dire le matin ou le soir, je prends ce temps- là ; le fait de se donner rendez-vous cela veut dire qu’on va parler avec un autre, donc on va se mettre dans la disposition de faire jouer cette articulation : je suis en train de lire l’Évangile selon Matthieu, en fait c’est Dieu qui me parle aujourd’hui. Ça, je crois, cette espèce de rendez-vous, de régularité peut y contribuer.
Régis BURNET : Merci, merci beaucoup de nous avoir aidés à répondre à cette fameuse question : « la Bible est-elle écrite par Dieu ? »
Merci de nous avoir suivis, vous avez vous pouvez retrouver cette émission sur le site internet de la chaîne www.ktotv.com, et la regarder autant de fois que vous le voulez, puisque c’est gratuit !
Bon anniversaire à KTO, c’est en effet les 20 ans de KTO. On se retrouve la semaine prochaine.