La Villette, le temps des mutations
Avec Serge GOLDBERG, François BARRÉ et Adrien FAINSILBER.
Bruno JAMMES : Le 15 mars 1974 le dernier bœuf était tué aux abattoirs de la Villette. Douze ans plus tard, et quasiment jour pour jour, le 13 mars 1986 la Cité des sciences ouvrait ses portes aux publics. Ces douze années, ça va être l’objet de nos deux séances de ce soir et de la semaine prochaine. Nous allons essayer de vous les raconter, d’en discuter avec vous, après avoir, la semaine dernière, évoqué l’histoire qui a précédé celle des abattoirs.
Comment on a réparti nos deux séances, de ce soir et de la semaine prochaine ? Ce soir nous allons parler des mutations, des transformations. Transformer un bâtiment construit pour être la salle des ventes de la viande en un musée des sciences et des techniques, et puis transformer cinquante hectares, entre la Porte de Pantin et la Porte de la Villette, friche dans lequel étaient installés les abattoirs, en un Parc. Cela va être la séance d’aujourd’hui.
La semaine prochaine, nous parlerons plus particulièrement de la Cité des sciences, de ses contenus, de la manière dont ils ont été construits, imaginés, les idées fortes, etc.
Ce soir, je voudrais d’abord vous présenter nos intervenants : à ma droite, François BARRÉ, qui a été responsable de la Mission du parc, entre 1981 et 1990. Il a également été le directeur et le président de la Grande Halle. C’est lui qui nous parlera évidemment de la transformation et de la création du Parc de la Villette, la transformation de cet espace.
À sa droite, Serge GOLDBERG, qui a été directeur de l’Établissement public du parc de la Villette, l’établissement qui a servi à la constitution de tout ce qui se passe dans le parc de la Villette. Il en a été le directeur, aux côtés de Paul DELOUVRIER, qui en était le président, et il a ensuite, au moment où Paul DELOUVRIER a pris sa retraite, assuré la présidence. Après, il a été directeur de l’établissement public constructeur de la bibliothèque nationale de France avant d’autres activités par la suite.
À sa droite Adrien FAINSILBER, l’architecte du bâtiment dans lequel nous sommes. C’est lui qui a donc transformé le marché national de la viande, les salles de vente, en un musée des sciences et des techniques. Adrien FAINSILBER est un architecte qui a construit de nombreux bâtiments publics, plusieurs universités, comme l’Université de technologie de Compiègne. Il a également construit des équipements, le Palais de justice, des équipements hospitaliers. Il est l’architecte de la Cité des sciences et de la Géode.
Je voudrais dire que pour la séance de ce soir, on va beaucoup parler de Paul DELOUVRIER.
Paul DELOUVRIER était un inspecteur général des finances. Il a été président d’EDF avant de devenir président de l’établissement public du parc de la Villette. Il a été aussi un grand commis de l’État. Il faut rappeler qu’en 1958, après l’arrivée au pouvoir du Général de GAULLE, il a été Délégué général du gouvernement en Algérie de 1958 à 1961. Et, il a été par la suite le Délégué à l’aménagement, en quelque sorte, de la région parisienne. Il a été le premier préfet de région de la région parisienne et c’est lui qui avait construit véritablement tout le schéma directeur qui a présidé à l’aménagement de l’ensemble de la région Île-de-France. C’est un personnage dont la plupart des orateurs, qui vont intervenir ici, évoqueront la mémoire, l’importance, l’enthousiasme, la culture, la connaissance des réseaux et des milieux politiques, des milieux économiques et industriels, c’est probablement quelqu’un sans qui jamais tout ceci n’aurait véritablement existé.
Donc, c’est une sorte d’hommage que nous voudrions rendre aujourd’hui à Paul DELOUVRIER.
Alors, pour démarrer cette séance, nous allons d’abord vous présenter quelques images, pour vous vous montrer un petit peu les premières images de l’aménagement de l’ensemble de cet espace. Nous commençons par ça, puis, nous passerons la parole à nos différents intervenants.
Pour démarrer cette séance, je passe la parole à Serge GOLDBERG, qui va donc nous parler de cette période de décisions politiques, entre 1974 et 1979, et le démarrage du projet.
Serge GOLDBERG : Le 6 août 1970 le premier ministre Jacques CHABAN-DEMAS fait connaître publiquement sa décision de poursuivre l’exploitation du complexe d’abattage de la Villette, sans exclure la réhabilitation des installations inutilisés. C’est en fait une manière diplomatique d’admettre la fermeture, dès lors vont se succéder les projets de réutilisation du site. La fin des activités d’abattage ne sera complète qu’en mars 1974 et les terrains de la Villette seront acquis par l’État, après une longue tractation entre le nouveau président de la République, Valéry GISCARD d’ESTAING, et le nouveau maire de Paris, Jacques CHIRAC. Dès lors l’avenir du site devient une affaire présidentielle, et le restera avec l’arrivée de François MITTERRAND.
Cette succession de décideurs politiques, et dans une moindre mesure, des responsables de l’aménagement du site aurait pu conduire à des réalisations peu cohérentes. Il y eu en effet tout un cortège de concours d’idées, de concours d’architecture, accompagnés, comme toujours, de tensions et d’aigreurs. Mais, finalement les projets qui ont progressivement investi, ce qui est devenu le Parc de la Villette, révèlent une remarquable continuité.
Au fil du temps, des idées esquissées dès les premières réflexions ont été reprises, précisées, amplifiées. Même les équipements qui semblent le fruit du hasard, il y en eu plusieurs, ont puisé leur justification dans la logique des lieux, où ont survécu parce qu’ils s’y inscrivaient. Enfin, comme il advient dans toute grande œuvre d’urbanisme, l’usage qu’en fait le public libère, parfois, les projets des objectifs de leurs concepteurs, et devient en ce sens un facteur d’unité.
À la fin de 1970, Jean SÉRIGNAN, directeur général de la SEMVI (Société d’économie mixte de la Villette). Il venait du ministère des finances et sa mission première était évidemment de tenter de réduire la dette, et si possible de l’amortir sur le long terme. Il s’y employa avec la plus grande rigueur. Il avait aussi une expérience de l’aménagement urbain. Ses choix concernant la destination des bâtiments, les orientations qu’il a données à l’utilisation du site ont durablement fixé l’avenir de la Villette. C’est lui qui l’a ouvert au public en faisant abattre les grilles qui en interdisaient l’entrée, qui a fait construire au nord du canal le dragon, aujourd’hui encore l’un des lieux préférés des enfants. Il fut le premier à pressentir la vocation culturelle du lieu. Le Théâtre Présent, renommé aujourd’hui et Théâtraux de Paris Villette, ouvrit en décembre 1972, dans le pavillon de la bourse. La halle aux moutons accueillit des concerts, très prisés de la jeunesse, et le cirque Jean RICHARD fut installé non loin de la Fontaine aux lions.
Une analyse minutieuse des constructions existantes a aussi conduit Jean SÉRIGNAN à faire démolir les deux halles, de part et d’autre de la halle aux bœufs, la Grande Halle aujourd’hui, qu’il destinait à des expositions et des grandes manifestations. Il y organise une foire à la ferraille en 1974. Il préserva les deux pavillons à l’entrée sud du Parc, la Rotonde des vétérinaires, qui devint la maison de la ville, et la halle aux cuirs, située au-delà du boulevard Serrurier. Des bâtiments construits avant la débâcle financière, il ne conserva que la salle des ventes, « une ruine moderne » dit-il dans une interview, où il projetait de faire un centre culturel pluriculturel, accueillant un palais des sports, un centre de formation technologique et des salles d’exposition.
Ses orientations furent la base d’un projet de consultation élaboré en 1975, ensuite largement repris dans le programme du concours d’idées lancé en 1976, par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur). Son auteur était François GRETHER, qui avait un temps collaboré aux activités de la SEMVI. L’idée du parc était affirmée mais sur quinze hectares seulement.
Aux éléments que j’ai déjà mentionnés, était adjoint un important programme de logements, justifié par le souci de rentabilité, autant que par les orientations du moment.
Les projets furent exposés. Je me souviens d’avoir remarqué un projet exubérant de l’architecte cubain Ricardo PORRO. Je crois même me souvenir que c’était à peu près le seul qui présentait un grand intérêt.
Le concours n’eut pas de suite, le président GISCARD d’ESTAING s’opposa catégoriquement à la construction de logements sur le site de la Villette. Par convictions personnelles, semble-t-il, mais aussi sans doute en raison d’une compagne de presse défavorable à ce programme, à laquelle participa Roger TAILLIBERT, architecte conservateur du Grand Palais.
C’est à cet architecte que fut ensuite confiée une mission générale de réflexion sur le devenir du site, et notamment de la salle des ventes, qu’il avait convaincu le président de préserver.
Dans son étude de 1978, il proposa non seulement d’en faire un musée scientifique mais d’y regrouper les archives de l’Académie des sciences et les collections du Palais de la découverte, et du Musée des techniques du Conservatoire national des arts et métiers. Sa proposition était assortie d’esquisses, dans lesquelles on remarque notamment, je vous la montrerai tout à l’heure, un bâtiment sphérique, sensiblement à l’emplacement qu’occupe aujourd’hui la Géode. Mais je me hâte de dire que ces esquisses ne semblent pas avoir été publiées avant la parution, en 1999, du livre d’Alain ORLANDINI, « La Villette 1971-1995 : Histoires de projets » ; y figurent également un grand auditorium en remplacement de celui envisagé aux Halles.
Ses orientations acceptées par le président de la République, l’histoire de la Villette va s’accélérer. Paul DELOUVRIER reçoit en août 1978 mission de préparer le programme d’un concours pour l’aménagement du site et le statut d’un établissement public en vue de sa réalisation. Parallèlement, Maurice LÉVY est chargé de réunir une commission scientifique, pour préparer les grandes lignes du programme du musée des sciences.
J’ai eu l’occasion de lire la lettre de mission adressée à Paul DELOUVRIER. Elle est précise, en ce qui concerne la destination de la salle des ventes, et beaucoup moins sur le reste. Sont mentionnés : un Parc, sans ordre de superficie, la Grande Halle, un auditorium et un équipement pour la danse. La Cité de la musique n’a pas encore émergé.
Le rapport de Maurice LÉVY est approuvé à l’issue d’un conseil restreint à l’Élysée en décembre 1979. Entre temps, la halle aux bœufs est inscrite à l’inventaire des sites, en mars 1970, et Paul DELOUVRIER achève de rédiger les statuts de l’EPPV, l’Établissement public du parc de la Villette, en juillet 1979. C’est ensuite, au cours d’un voyage aux États-Unis, en septembre de la même année, que sur une suggestion de Maurice LÉVY, Goéry DELACÔTE, lui fait découvrir la salle Omnimax de Minneapolis. Il est enthousiasmé et œuvre énergiquement à faire ajouter cet équipement au programme de la Villette.
Le concours est lancé en février 1980 et, en septembre, le président de la République choisit Adrien FAINSILBER pour la réhabilitation de la salle des ventes et son aménagement en musée des sciences, sans d’ailleurs que le maître d’ouvrage pris aucun engagement quant à la maîtrise d’œuvre des autres équipements.
Puisqu’il est avec nous aujourd’hui, je laisserai à Adrien FAINSILBER le soin de parler de son travail à la Villette.
Mais je voudrais maintenant évoquer le rôle central de Paul DELOUVRIER dans la création de ce dont nous jouissons aujourd’hui. Non qu’il eut pris une part active dans la conception et réalisation de tous les équipements présents sur le site, ayant abandonné la présidence de l’Établissement public en novembre 1984, il n’a plus durablement participé à l’élaboration du parc, ni à celle de la cité de la musique, et, s’il a suivi avec un extrême intérêt les développements muséographiques de la Cité sciences, il a bien évidemment laissé l’initiative à Maurice LÉVY, qu’il a pu appeler à la direction de la Mission musée à l’automne 1983, après une période de latence qu’il vaut mieux oublier. Son action fondatrice a été l’organisation statutaire de l’EPPV. Il fallait toute son expérience des finances de l’État et son intime connaissance de la forteresse Louvre, avant qu’elle ne fût à Bercy, pour qu’il obtint le rattachement du budget d’établissement aux charges communes de l’État. Ceci signifiait que les investissements et les budgets annuels, inévitablement négociés avec le ministère des finances, étaient à l’abri des pressions de ceux que l’on appelle les ministères dépensiers : culture recherche éducation, entre autres, de telle sorte que la Villette a pu se développer sans trop d’à-coups.
La Géode, je l’ai dit, doit une bonne part de son existence à Paul DELOUVRIER. Elle lui doit aussi sa survie. Lorsque le président la République choisit Adrien FAINSILBER, comme maître d’œuvre du musée, ce fut à la condition qu’on aménagea la salle hémisphérique dans le bâtiment du musée. Il est piquant de noter que Roger TAILLIBERT, dont l’esquisse de 1978 comportait un bâtiment sphérique assez semblable, exprime, dans le livre que j’ai déjà mentionné, la même critique que le président, inspirateur ou commentateur du prince ? Paul DELOUVRIER obéit et ordonna que l’étude de définition, à laquelle FAINSILBER travaillait, fut conforme au désir présidentiel, mais en fonctionnaire rompu aux pratiques du pouvoir, il temporisa. Et, dès l’été 1981, il se hâta de faire confirmer le projet initial par le nouveau président François MITTERRAND. On sait la fortune de ce bâtiment aux reflets magiques, Paul DELOUVRIER fut certainement plus attaché qu’aucun autre. Plusieurs d’entre vous se souviennent sans doute de la pause du dernier boulon au sommet de l’armature de la sphère, je n’ai pas oublié la jubilation de monsieur DELOUVRIER lorsqu’il vit Gérard CHAMAYOU, vous le verrez tout à l’heure, revêtu d’un survêtement argenté, descendre du dessus de la sphère, dans une nacelle suspendue à un hélicoptère et prendre un boulon, d’argent comme il se doit, qu’une fort belle personne lui tendait sur un coussin de velours. C’est aussi à la Géode que Paul DELOUVRIER fit sa dernière apparition publique, en décembre 1994, peu de temps avant sa mort, à l’occasion du 10ème anniversaire, quelque peu anticipé, de la salle. On lui doit aussi le maintien du hall d’entrée du musée aux dimensions prévu par l’architecte. Manquant de place l’équipe chargée des installations muséographiques voulait le réduire. Entre parenthèses, c’est aussi monsieur DELOUVRIER qui fit réserver la quatrième travée, à l’Est du musée, pour les collections du palais de la découverte, on retrouve là une des idées de Roger TAILLIBERT.
Les destinées du Parc n’étaient pas la priorité du président GISCARD d’ESTAING, elles ne furent pas davantage pour Paul DELOUVRIER, ou plutôt le temps lui a manqué pour qu’elles le deviennent. C’est à François BARRÉ qu’échue cette tâche, et puisqu’il est présent, il lui revient aujourd’hui celle de l’évoquer.
Je voudrais néanmoins retracer l’aventure des Zénith pour y avoir été associé, avant même de rejoindre l’équipe de la Villette, et plus encore parce qu’elle illustre à merveille les jeux de l’histoire et du hasard. La SEMVI avait installé dans le Parc une salle de spectacle, le Pavillon de Paris, qui était très fréquentée par la jeunesse. Il fallait la démolir pour les besoins du nouveau projet. Jack LANG, déjà ministre de la culture, y consenti dans la perspective de disposer, dans un délai d’une année, de la grande salle rock, projetée à la porte de Bagnolet. Je fus chargé de piloter ce projet, mais après un rapide examen des contraintes, je dus avertir le ministre que le projet demanderait trois à quatre ans avant de voir le jour, et coûterait environ dix fois le montant annoncé, et j’étais sans doute optimiste. Monsieur LANG exigeant qu’on imagina une nouvelle salle provisoire démontable, cependant que continueraient les études de la salle de Bagnolet. Ce fut donc le Zénith, avec Daniel COLLING et Daniel de (nom incompris), encore fallait-il lui trouver un lieu, la Villette paru le meilleur choix. Mais doutant, à bon escient, que cette salle fut provisoire, le président et les directeurs de la Mission du Parc de la Villette n’en voulurent pas, et le ministre dut leur imposer son choix. Le Zénith fut conçu et bâti entre février 1983 et janvier 1984. L’originalité du projet des architectes, CHAIX et MOREL, et le succès du lieu, conquirent vite François BARRÉ, et monsieur DELOUVRIER, que j’avais rejoint, ne me tint pas rigueur de lui avoir forcé la main.
D’autres projets, de moindre envergure, ont aussi convoqué le hasard autant que la logique des lieux. Ainsi, l’Argonaute, installé en conjonction avec une des Folies du parc, le Théâtre international de langue française, aménagé dans le pavillon du charolais, tout exprès pour y accueillir Gabriel GARRAN.
Un an après l’inauguration du Zénith eu lieu celle de la Grande Halle, brillamment rénovée par les architectes ROBERT et REICHEN. Ce fut la dernière que Paul DELOUVRIER présida, néanmoins il intervient encore une fois de manière déterminante, cette fois sur l’organisation spatiale de la Cité de la musique. À l’issue du concours organisé au printemps 1984, le jury distinguant un projet qui regroupait tous les équipements de première phase à l’Ouest de la place de la Fontaine aux lions, laissant à l’est la future grande salle de concert, monsieur DELOUVRIER ne voulut pas d’un projet qui déséquilibrait pour longtemps l’entrée du site. Il décida donc de reprendre les études sans trop se soucier des règles. Il y eu des remous, mais le président avait raison, vingt-deux ans après la salle de concert est toujours en projet et la qualité de l’ensemble construit a valu à Christian de PORTZAMPARC le Prix Pritzker.
On sait que ce projet a failli être interrompu en 1986, sous l’inspiration d’un rapport que Pierre BOULEZ a, très justement, qualifié d’une imbécillité totale ! Ainsi, la construction de trois des équipements qui ont le plus fait pour la notoriété de la Villette : La Géode, le Zénith et la Cité de la musique, se sont trouvés menacés dans des circonstances diverses. Tels sont les hasards de l’histoire.
Enfin, je voudrais observer que le succès de la Villette est pour une large part dû à sa convivialité, via une atmosphère détendue et une certaine absence de crainte. Là encore, le hasard et DELOUVRIER ont concouru à la création de l’APSV, c’est-à-dire l’Association de prévention du site de la Villette, dont l’action qui associe de façon originale surveillance, prévention, éducation, est déterminante. Hasard, parce que je connaissais les activités du docteur Christian BRULÉ pour l’avoir rencontré en ville nouvelle et que je le savais disponible ; DELOUVRIER parce qu’il lui a suffi d’un ou de deux entretiens avec le docteur pour qu’il perçoive l’intérêt d’appliquer ses idées dans un site, dont la situation, l’ouverture et la configuration ne favorisaient pas a priori l’absence de risque.
Ce raccourci de l’histoire du site donne peut-être trop de poids à l’imprévu et prête assurément le flanc aux critiques de ceux qui rêvent de tout planifier à l’avance, mais c’est ainsi que marchent les affaires humaines, et je pourrai dans mes souvenirs de la Villette recenser autant d’échecs parmi les entreprises trop bien prévues que dans les rattrapages de lacunes ou d’erreurs. L’important c’est que l’ensemble de la Villette soit devenu un des grands lieux de sociabilité, dirais-je, de la capitale et que sa notoriété soit internationale.
[Applaudissements]
Alors voilà quelques vues. La première vue, c’est donc une des esquisses de Roger TAILLIBERT. Vous voyez donc un bâtiment rond, qui ressemble assez, en plus petit certes, à la Géode. Bien entendu, ces esquisses n’ont pas été publiées, en tout cas certainement pas avant le concours de 1980, pour une raison bien simple, c’est que monsieur TAILLIBERT espérait bien soit directement avoir le projet, soit participer au concours, donc il n’avait aucun intérêt à publier ses esquisses auparavant. La vue suivant, le sommet de la Géode, encore à l’état d’ossature, avec cette nacelle qui descendait d’un hélicoptère, et on aperçoit monsieur CHAMAYOU, la dame se voit sans doute moins. La vue suivant, c’est simplement monsieur DELOUVRIER, avec monsieur CHAMAYOU juste après la pause de ce boulon. Et pour terminer, monsieur DELOUVRIER, lors de l’anniversaire de la Géode, en conversation avec monsieur LÉVY, après qu’il ait prononcé son dernier discours.
Bruno JAMMES : Merci !
Deuxième intervention, celle d’Adrien FAINSILBER. Je voudrais juste avant rappeler ce que d’ailleurs a souligné Serge GOLDBERG à l’instant dans son intervention, c’est le fait que le rapport de Maurice LÉVY, dont on parlera la semaine prochaine, faisait partie du cahier des charges du concours d’architecture. L’intention de contenu était déjà exprimée dans ce cadre-là.
Monsieur, Adrien FAINSILBER, c’est à vous.
Adrien FAINSILBER : Je vais vous décrire, très brièvement, la genèse du projet tel que je l’ai vécu. Heureusement, 26 années presque jour pour jour, depuis les résultats du concours ont effacé de ma mémoire de nombreuses péripéties.
Deux circonstances exceptionnelles ont permis la réussite du projet. Au stade du concours le dialogue avec le programme de Maurice LÉVY, qui était une clarté exemplaire, quant aux objectifs et à la vocation du musée. Au stade de la réalisation, sans la volonté indéfectible et le soutien de Paul DELOUVRIER, profondément attaché à la réussite du projet, la Cité des sciences ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. La qualité de l’espace monumental du hall d’accueil, à l’échelle de l’ensemble, n’aurait pas pu être sauvegardés sans l’intérêt que Paul DELOUVRIER portait à l’architecture du projet. Il en était de même pour les démolitions des appendices est et ouest de la grande structure que les responsables du musée voulaient conserver par crainte de manquer de surface, alors qu’on réalisait le plus grand musée scientifique du monde et que la 4eme travée est restée inutilisée jusqu’à ce jour.
Paul DELOUVRIER m’a souvent demandé de le solliciter pour m’aider à résoudre ces faux problèmes créés de toutes pièces. La réussite d’un projet, c’est une évidence pour tout le monde, dépend étroitement du climat de confiance entre le maître d’ouvrage l’architecte et d’une volonté commune de réussir. C’est Paul DELOUVRIER, comme l’a souligné Serge GOLDBERG, qui après avoir voulu intégrer au programme la salle de cinéma Omnimax, qui a donné naissance à la Géode, a convaincu François MITTERRAND de l’implanter où je l’avais prévue initialement alors que Valéry GISCARD d’ESTAING, lorsqu’il a retenu notre projet ne voulait pas qu’elle soit visible à l’extérieur du musée.
C’est aussi Paul DELOUVRIER qui a souhaité, dès l’origine du projet, que le musée soit accessible à toute personne handicapée. La Cité des sciences et de l’industrie a obtenu le prix de la communauté européenne pour son accessibilité aux personnes handicapées.
Pour revenir au programme initial, j’avais le sentiment au stade du concours, de traduire les idées fondamentales, plus particulièrement les grands thèmes qui sont devenus les actes fondateurs du projet architectural. Premier thème, l’eau. Thème charnière entre l’univers et la vie, la Villette est un véritable réservoir d’eau, trois canaux se croisent sur le site, l’eau est devenue l’une des composantes essentielles du projet. Par le jeu de la réflexion de l’édifice sur les plans d’eau qui l’entourent, et par le creusement jusqu’aux fondations à 13 mètres sous le niveau du sol naturel, j’ai donné à la structure initiale des proportions monumentales qu’elle n’avait pas à l’origine. D’autre part, cette disposition a permis à la lumière naturelle d’éclairer les niveaux d’infrastructures qui devenaient ainsi de véritables espaces muséographiques. C’est d’ailleurs dans les niveaux initialement souterrains qu’est implantée aujourd’hui la très grande médiathèque.
Deuxième thème, la lumière source d’énergie du monde vivant, reprend textuellement ce qui a été écrit par Maurice LÉVY. La lumière source d’énergie du monde vivant éclaire les grands espaces en façade sur le parc. Le hall d’accueil, lui, est couronné par deux coupoles de dix-sept mètres de diamètre, à l’origine rotatives, pour suivre la course du soleil, et équipées de miroirs pour pouvoir diffuser la lumière dans toutes les directions dans l’espace central.
Troisième thème, la complémentarité entre la science et la nature. Initialement nous avions la chance de concevoir ensemble le musée et le parc. De cette notion de complémentarité est née la grande façade vitrée en vis-à-vis du parc, comprenant les trois serres bioclimatiques, trait d’union entre le parc et le musée. Ces éléments que je voulais plus légers et transparents, grâce à notre travail avec Peter RICE, nous avons réussi à les rendre quasiment immatériels, par la mise en œuvre d’une technique innovante, rejoignant en ce sens l’un des objectifs de la Cité des sciences et de l’industrie. Cette invention d’ailleurs s’est répandue depuis dans le monde entier.
Initialement la Géode jouait un rôle important dans la composition générale du site. Elle devait créer un signal fort, perceptible depuis le boulevard Jean Jaurès, et fermer la perspective vers le musée, depuis la Porte de Pantin. Par la suite, l’absence d’une réflexion globale à l’échelle des 55 hectares du site, et d’un plan directeur qui en auraient découlé, a laissé échapper une chance exceptionnelle pour Paris. Il s’agissait du plus grand terrain d’un seul tenant appartenant à l’État, la cause de cet échec est peut-être l’influence des modes de l’époque sur la fragmentation et le chaos.
Aujourd’hui le Parc et la CSI en particulier ne sont plus perceptibles depuis les grandes voies d’accès qui bordent le site. La meilleure illustration des conséquences de cette fragmentation est le parvis de la Cité, sacrifié au profit d’une opération immobilière, qui coupe la Cité des sciences de la ville, et crée des zones d’insécurité. Qui aurait eu l’idée de construire sur l’Esplanade des Invalides ? !
Pour revenir à l’architecture proprement dite, bien qu’indissociable de l’urbanisme, pour moi c’est souvent l’urbanisme qui m’a apporté la clé de la solution architecturale, un facteur déterminant dans la conception du projet était la présence de la structure laissée inachevée. La réussite du projet est très liée au respect de la discipline imposée par la structure existante. Celle-ci présentait des caractéristiques très intéressantes, bien que peu homogènes, et mise en œuvre de façon peu rigoureuse.
La leçon que l’on peut tirer de la réhabilitation est la nécessité absolue d’une démarche libre de toute idée préconçue, de tout a priori de style, au profit de l’analyse de l’existant et de son environnement. Les problèmes de la réhabilitation d’une structure inachevée, non prévue pour recevoir du public, étaient liés essentiellement à la sécurité. Grâce à des contacts très en amont avec les services compétents, nous avons intégré, dès le démarrage des études, de nombreuses dispositions originales, adaptées à la morphologie du bâtiment. Les pompiers, dès le départ, savaient qu’aucune règle de sécurité ne s’appliquait à un bâtiment de cette taille et d’une telle complexité. Je me souviens tout particulièrement que les pompiers ont fait preuve d’une sensibilité peu commune en l’espace architectural. À titre d’exemple, je vais proposer, dès la première réunion, deux routes intérieures, que nous avions déjà prévues lors du concours, pour que les véhicules des sapeurs-pompiers puissent traverser le bâtiment d’est en ouest et à mi-hauteur. Cette disposition qui paraissait très fantaisiste, voire farfelue pour certains, a été adoptée, avec enthousiasme, le dès la première réunion, par les pompiers, car elle permettait d’éviter le classement de la Cité dans la catégorie des immeubles de grande hauteur, qui aurait entraîné un compartimentage incompatible avec la flexibilité nécessaire aux expositions.
Voici un raccourci de l’histoire de la réalisation de la Cité, qui mériterait d’être plus amplement détaillée. Il n’existe en effet peu, ou pas d’ouvrages, sur le sujet, et Paul DELOUVRIER m’a reproché de ne pas relater les péripéties de cette grande aventure ou jour le jour. L’essentiel est la réussite de l’œuvre et surtout son succès auprès des visiteurs. La Géode est devenue non seulement un symbole mais un nouveau monument pour Paris.
Je vais vous illustrer… Sur cette image, vous voyez l’un des documents qui nous avait été remis au concours. C’était l’état du site en 1980. Nous avons pris le parti de ne garder que l’espace compris entre les vingt piles porteuses, ce qui est un euphémisme, puisqu’il s’agit, comme on l’a dit tout à l’heure, de quatre hectares, à peu près la surface de la Place de la Concorde. Et voilà les bâtiments qui ont été démolis jusqu’aux fondations des piles, c’est à dire à treize mètres en contre-bas par rapport au terrain naturel.
Voilà le bâtiment qui était à peine perceptible. Il était englouti par un tas de constructions annexes, où l’on distingue à peine les quatre poutres couvertes de bandages. Voilà, pour l’anecdote, une machine qu’on a, je crois, si ma mémoire est bonne, amené d’Allemagne, pour broyer le béton et les résidus ont servi à la construction des routes et des aéroports.
Voilà le projet du concours. L’objectif que l’on s’était fixé était de composer les trois grands équipements, c’est à dire la Cité des sciences, la Cité de la musique et la Grande Halle au milieu d’un parc, qui auraient été perçue de toutes parts, par les routes qui l’entourent. Vous voyez la position clé qu’occupait la Géode, pour fermer une perspective depuis la Porte de Pantin, et créer un premier plan devant le musée.
Ça, c’est l’unique respectives que l’on a fournie au concours, avec un arraché sur le site et le creusement des douves qui entourent la Cité des sciences. Les serres étaient déjà dessinées. Elles étaient très fines et très légères, elles le sont encore plus dans la réalité, grâce beaucoup à Peter RICE.
Cette image que j’ai trouvée dans les archives de la Villette date de la construction, elle m’a beaucoup convaincu quant au parti-pris de mettre en valeur la structure primaire du musée, c’est-à-dire, les grandes piles porteuses et les poutres. C’est vraiment une mégastructure, puisque la poutre c’est 65 mètre ou 63 mètres de portée, 8 mètres de hauteur. Vous voyez un ouvrier ici, qui vous donne un peu l’échelle du bâtiment. C’était un des aspects les plus intéressants de l’étude, travailler à une échelle vraiment fantastique, presque l’échelle urbaine.
Voilà, comme je vous le disais, les voies pompiers, qui traversent l’étage technique, qui passent d’ailleurs le long du hall d’accueil, avec quatre gares qui permettaient aux pompiers de stationner, puis les pompiers accédaient, par les escaliers des tours, qui leur étaient dédiées. Ils pouvaient accéder vers le bas ou vers le haut. Les pompiers ont tout de suite compris qu’ils ne pouvaient jamais attaquer un feu au centre du bâtiment qui fait 110 mètres de largeur. Et cette disposition a, je crois, beaucoup apporté aux parties d’organisation de la Cité, parce que là la réglementation IGH est quelque chose de très draconien.
Voilà une photo qui montre la construction, c’est un échafaudage, une construction à l’intérieur de la construction. C’était la construction du hall d’accueil, avec des échafaudages qui supportent le platelage pour la réalisation des coupoles.
Voilà les serres et cette invention formidable, qui, comme je l’ai dit l’heure s’est répandue partout dans le monde depuis ce jour-là. Outre l’ossature qui est créée par des tubes en acier inox centrifugés, le principe est de suspendre quatre éléments de verre, de deux mètres par deux mètres, à ce petit ressort que vous voyez. Toutes les pièces d’assemblage sont absolument miniaturisées. Et ces deux câbles reprennent les efforts du vent, les efforts de pression et de dépression. Et, c’est tout ! Peter a eu l’idée justement de placer ces contreventements horizontalement et non pas verticalement, comme beaucoup le font, parce qu’à hauteur d’œil rien ne s’interpose à la vue de la Géode et du Parc.
Voilà donc les nouvelles proportions de la Cité, grâce à la réflexion. Ce bâtiment qui faisait 250 mètres de long était extrêmement plat à l’origine. Il est devenu quasiment vertical.
Cette image se passe de commentaires. Voyez les nuages qui semblent dessiner les continents sur la sphère, et leur défilement sur la sphère peut évoquer ce que notre monde a de fragile.
Voilà la seule serre qui a été végétalisée qui marque le trait d’union entre le Parc et le la Cité des sciences, la complémentarité entre la science et la nature.
Voilà une photo que je trouve magnifique. Paul DELOUVRIER a voulu inaugurer la Géode un an avant le musée. Elle semble tomber du ciel au milieu du chantier puisque vous voyez l’image ici du musée en construction, la façade n’est pas encore faite.
Voilà le principe de construction de la Géode. C’est une forme simple, mais les formes simples sont les plus difficiles à réaliser. Elle est constituée de deux structures complètement indépendantes : une structure en béton armé, arborescente, qui repose sur un pilier central et qui supporte les gradins, et l’enveloppe géodésique, parfaitement sphérique, qui repose sur le bassin. Le hall d’accueil et toutes les installations techniques sont situées sous terre de manière à ce qu’il n’y ait aucune pénétration visible dans la sphère. Vous voyez ici la finition du dôme et les différentes couches. Ici, c’est l’étanchéité, avec en-dessous l’isolation acoustique, et les supports des triangles en acier inoxydable, poli miroir.
Ça, c’est notre arrivée sur le site, j’avais acheté cette péniche à Anvers et je l’avais aménagée pour qu’elle nous serve de bureaux. Pendant six ans, elle était amarrée sur l’un des canaux de la Villette.
[Applaudissements]
Bruno JAMMES : Nous avons respecté un certain ordre chronologique, puisque comme vous avez vu la conception même de la Cité a été un peu antérieure à celle du Parc, c’est la raison pour laquelle on a suivi cet ordre-là, qui peut peut-être paraître un peu étrange mais cela va nous permettre maintenant d’aborder la question de l’aménagement du Parc de la Villette, la transformation de ces cinquante hectares en un Parc urbain.
Je passe la parole à François BARRÉ.
François BARRÉ : Comme il a été dit et par Serge GOLDBERG et par Adrien FAINSILBER, en effet il y a une chronologie, mais c’est la réalité de l’histoire. Serge GOLDBERG a beaucoup parlé de la manière dont les hasards font parfois bien les choses et les volontés les défont. Donc le Parc, qui aurait dû être l’enveloppe d’une certaine manière, concernant la totalité du territoire, est venu dans un second temps, non pas faute que le lauréat du concours, en l’occurrence Adrien FAINSILBER, n’ait pas présenté un projet qui voulait embrasser l’ensemble, mais parce que, comme l’a dit Serge GOLDBERG, la lettre de mission de Valéry GISCARD d’ESTAING à Paul DELOUVRIER n’impliquait pas la réalisation d’un programme. Et si elle n’appliquait pas la réalisation d’un programme complet, c’est bien évidemment parce qu’il n’était pas défini, et les moyens de le réaliser n’étaient pas à ce moment-là pourvus.
Donc, on est dans cet anachronisme et finalement ce n’est qu’un épisode, qui fait qu’à un moment donné se chevauchent, d’une certaine manière, deux projets, un projet présenté par Adrien, que vous venez de voir, devant ce très beau bâtiment qu’il a réalisé, et puis, quand je suis arrivé, un travail qui a été fait sous l’autorité de Paul DELOUVRIER et pour lequel il y avait déjà tout un programme, qui avait été établi par le Parc, qui s’appelait « Propositions pour le contenu du parc de la Villette ». C’était le département des études de l’Établissement public qui avait fait cela. C’était notamment Sylvie BAROT (orthographe incertaine) qui l’avait élaboré. Et ce programme essayait de définir d’une part une prise en compte du projet qu’avait élaboré Adrien FAINSILBER, notamment avec le grand canal qui traversait du Nord au Sud le terrain, mais également essayait - c’était l’une des orientations qui avaient été données par la présidence à Sylvie BAROT - de faire en sorte que ce Parc se différencie de la Cité des sciences et de l’industrie ,on disait le musée cette époque, et apparaisse comme desservant la totalité du territoire, donc jouant de l’interrelation de ce qui deviendrait par la suite les équipements musicaux, qui n’étaient que de danse au moment du concours.
Alors, je vais essayer de raconter la genèse. Moi, je suis arrivé quand les choses étaient déjà lancées. J’ai pu, grâce à DELOUVRIER, continuer et reprendre le programme, tel qu’il avait été ébauché, et ceci a abouti, en décembre 1981, à un rapport d’objectifs qui se voulait un peu la charte de ce que devraient être les orientations de contenu du futur Parc. Un certain nombre d’éléments prioritaires étaient mis en avant : d’abord la volonté d’un rééquilibrage du développement parisien vers l’Est, mais ça c’est le point fondamental de tout le projet, l’affirmation que le Parc était un parc du 21e siècle, c’est-à-dire qu’il n’était pas dans la continuité de ce qu’avaient fait HAUSSMANN et ALPHAND, qui considéraient que les parcs étaient des poumons, des lieux de respiration, d’oxygénation dans le tissu parisien, nous ne voulions pas faire un poumon mais un cœur et créé. Pour arriver à avoir une fréquentation suffisante, atteindre une masse critique, étant donné le caractère excentré du site, faire en sorte qu’il y ait un certain nombre d’équipements, divers, multiples, qui puissent faire venir des publics différenciés, je vais en dire deux mots. On avait trois orientations, qui pour nous étaient essentielles : faire un parc actif, un parc permanent et à parc pluraliste. Un parc actif, c’était le résultat d’une étude que nous avions faite sur la fréquentation des parcs parisiens, il apparaissait qu’ils étaient, pour plus du tiers, fréquentés par des enfants de moins de douze ans et les personnes les accompagnants, pour un autre pourcentage important, fréquentés par des personnes du troisième-âge, et qu’au fond la population qui était la plus absente de ces parcs, étaient la population active, au premier rang de laquelle il y avaient les adolescents, bien qu’ils ne fassent pas toujours partie de la population active, considérés comme trop bruyants, par les enfants et par le public du troisième-âge. Donc, la première affirmation était de dire que : les activités de ce parc, l’hospitalité de ce parc, devaient prendre en charge la totalité des curiosités et des capacités d’attraction relevant de l’ensemble du public, c’est-à-dire de la totalité de la population.
Le deuxième grand axe, c’était celui d’un parc permanent. Là aussi, si on regarde la manière dont fonctionnent les parcs, on s’aperçoit qu’ils ont une activité qui est évidemment fonction des saisons, il y a donc une sorte d’hibernation, qui peut être très longue, et qu’il y a une activité de jour et de nuit, qui est fort différente. Dans la plupart des cas, l’activité de nuit n’existe pas. L’idée était donc à la fois d’être actif, c’est-à-dire de faire venir le maximum de population, et de le faire d’une façon permanente, c’est-à-dire d’abolir les coupures de temporalités, que je viens de dire.
Puis, troisième élément, il s’agissait de créer un parc pluraliste, c’était la conséquence des analyses précédentes, c’était à la fois un parc des deux portes, donc qu’ils voulaient d’une certaine manière s’inscrire dans une continuité parisienne, je vais en reparler, mais c’était d’abord un parc des deux cultures. Donc, dans notre esprit - quand je dis dans notre esprit c’était sous l’égide de Paul DELOUVRIER - il y avait la volonté de faire en sorte qu’on ait dans ce parc, dans ce site de la Villette plus exactement, la mise en relation d’un pôle de culture scientifique et technique et d’un pôle de création artistique, qu’ il n’y ait plus cette sorte de d’éloignement, de distance, liés à notre tradition des humanités et pas du tout à celle du siècle des Lumières qui, au contraire, rejoignait les arts et métiers. On voulait, sur ce site, essayer de faire en sorte qu’il y ait avec la Cité des sciences, avec la Cité de la musique, qui allaient advenir, et le Parc au centre, avec la Grande Halle, une sorte de flux constant d’échanges, de coproductions, de mélange de publics et de curiosité. Comme on l’a dit, il y a beaucoup de bonnes intentions qui pavent l’enfer, la Villette était devenue un paradis mais ces bonnes intentions ne se sont cependant pas réalisées.
Il y avait également des éléments qui nous paraissaient importants pour affirmer la réalité de ce Parc, c’est qu’il fut un morceau de ville, non pas un espace vert, quelque chose qui relèverait d’une sorte de vision mesquine d’un morceau de nature pauvre rapporté en ville, et il ait un caractère d’urbanité, qu’il joue sur leur relation entre l’homme et la ville ,qu’on y trouve du plaisir, d’une manière un peu utopique l’allusion a été faite à l’abbaye de Thélème et à sa devise d’entrée : « Fais ce que tu voudras », et que ce soit un lieu d’expérimentation. Donc tout ça agissant avec des collages : ville-banlieue, ville-nature, esprit et corps.
Dans l’urbanité, il y avait la volonté - je vais passer - de ne pas éradiquer la mémoire, donc de garder un certain nombre de bâtiments qui marquent l’histoire de la Villette. On avait une admirable l’historienne, Élisabeth PHILIPPE, que vous connaissez tous, qui a fait une conférence tout à fait remarquable, il y a une semaine, qui nous instruisait et sur l’histoire du lieu. Il y avait aussi, c’était le terme que nous avions utilisé à l’époque, une volonté d’écologie urbaine, et puis un certain nombre de propositions qui ne se sont pas réalisées. On voulait qu’il y ait un marché de quartier qui se situe à cet endroit-là. Dans le plaisir, on voulait qu’il y ait des thermes, qui ne sont pas arrivés. Puis, lieu d’expérimentation avec un travail avec les associations avec l’idée de production. Un lieu où il y ait à la fois le savoir, la transmission du savoir et puis le faire. L’idée que grâce à la culture scientifique et technique, grâce à un lieu de loisirs où il y a une utilité possible du temps disponible pour se cultiver le corps et l’esprit, comme on dit, eh bien il y ait pas mal d’ateliers de production, de bricolage, de nouvelles technologies, etc.
Le parti-pris, c’était de créer un Parc du 20ème siècle, avec une exigence de créations contemporaines. On s’est aperçu que la plupart des parcs étaient des parcs et qui relevaient encore d’une vision ancienne, je dis bien dans le monde entier, il y a eu un voyage d’étude, qui a été fait, notamment par Paul DELOUVRIER avec une partie des équipes de la Villette, et il est apparu que les parcs très contemporains, on peut encore en parler aujourd’hui, ils sont très rares. À Paris, on a le Parc Citroën, le Parc de la Villette, on a du mal à en citer beaucoup dans le monde, qui relèveraient d’une volonté de création de figures et de formes, relevant d’un vocabulaire du 20ème siècle.
Il s’agissait de faire ni un espace servant, c’est ce que j’ai dit par rapport à la Cité des sciences, ni un espace autonome, il s’agissait bien évidemment de faire liaison, d’être dans la bande dans la relation. Faire liaison aussi dans la relations nord-sud. On est dans une partie de la ville où la relations nord-sud n’existait plus depuis la rue de Crimée, donc il s’agit d’essayer de faire en sorte qu’on trouve un moyen d’une circulation parallèle et d’une nouvelle liaison nord-sud.
Il y avait aussi la volonté, je l’ai dit, de travailler sur les portes, sur l’idée de seuil, et puis l’idée également de faire en sorte qu’il y a un grand axe, qui irait de la Bastille à Sevran, qui serait un axe des canaux.
Il y avait également l’idée, qui ne s’est pas non plus tout à fait réalisée, d’une coulée verte qui rattrapait, d’une certaine manière, ce qui avait existé autrefois, entre le Parc des Buttes-Chaumont et le Parc de la Villette.
Alors à partir de là, on a décidé de lancer un concours, fondé sur l’idée qu’il désignerait un maître d’œuvre général, un architecte en chef, si vous voulez, ou un urbaniste et architecte, qui serait choisi en fonction du parti général qu’il proposerait, qui serait maître d’œuvre d’une partie essentielle des bâtiments à construire et des espaces à réaliser, mais qui ferait venir auprès de lui, en jouant le rôle d’ailleurs d’AMO, c’est-à-dire d’assistant maître d’ouvrage, auprès de la maîtrise d’ouvrage, qui ferait venir un certain nombre d’architectes pour être des maîtres d’œuvre particuliers qui se situeraient dans la conjonction du projet qu’il proposerait.
Alors, le concours est un concours qui a eu lieu sous le contrôle suivi continu de l’Élysée, de la présidence de la République, où il y avait un homme tout à fait formidable, Paul GUIMARD, qui était responsable des grands projets, qui s’entendait admirablement avec Paul DELOUVRIER. Donc, les deux pôles avaient, ensemble, essayé de cheminer pour avancer dans la réalisation de ce concours. Concours international, ouvert, avec un jury fort nombreux, où il y avait vingt-et-une personnes, des gens qui représentaient bien évidemment l’administration, les collectivités locales, des maîtres d’œuvre, PIANO, GREGOTTI, des artistes, comme Luigi NONO, le musicien, Gottfried HONEGGER, le plasticien, un président de jury, qui était sans doute le plus grand paysagiste de son temps, et peut-être du siècle, Roberto BURLE MARX, le grand paysagiste brésilien. Le jury a commencé à se réunir. Il y avait une commission technique de grands talents, présidée par Pierre RIBOULET, un architecte. Il y a eu 460 équipe, de 41 pays, qui ont répondu à l’appel à candidature.
Le jury a commencé à travailler et on s’est aperçu au bout d’un moment, à notre grand désarroi et à notre grande panique, que les paysagistes et les architectes avaient des modes d’interprétation et de rendu de projet très différents, des jeux d’échelle qui était aussi très différents, et une difficulté pour les membres du jury, certains d’entre eux étant des professionnels avérés, avaient une véritable difficulté à choisir, dans les délais qui nous étaient impartis, le bon lauréat, le bon projet. Donc, à un moment donné, je suis allé voir Paul DELOUVRIER pour lui dire que nous étions dans une impasse, que certes on pouvait respecter les règles que nous étions données à nous-mêmes et choisir, en forçant la main du jury, si nous y parvenions, pour choisir un projet et dire le lauréat, mais que le sentiment de l’ensemble des jurys était que devions prolonger l’examen des projets pour pouvoir faire un choix pertinent. Paul DELOUVRIER n’a pas hésité une seconde, il m’a demandé de prendre contact avec l’union internationale des architectes, qui était représentée dans le jury par François LOMBARD. L’Union internationale des architectes nous a dit que nous avions le droit de faire cette chose, un peu exceptionnelle, et nous avons décidé de prolonger l’examen. Il y a eu vingt projets, qui ont été mentionnés, neuf d’entre eux ont été déclarés premiers ex-æquo et onze d’entre eux ont été mentionnés. Nous avons demandé aux neuf architectes qui était premiers ex-æquo de prolonger leurs études et de nous représenter un projet approfondi, dans un certain délai.
Tout ceci a créé une polémique et des critiques abominables. Jack LANG avait voulu organiser une conférence de presse extraordinaire, en invitant, grâce aux capacités du ministère de la culture et de la Villette réunies, et à son savoir-faire pour réunir un maximum de journalistes. On avait installé une espèce de tente magnifique, et il y a eu une grande conférence de presse, au cours de laquelle Jack LANG a dû annoncer qu’il n’avait rien à annoncer et que on se reverrait dans un certain temps, ce qui l’a mis dans un état de fureur assez remarquable.
Autres difficulté que nous avons connue, c’est que, par un malentendu, un jour Paul GUIMARD a téléphoné à Paul DELOUVRIER et lui a dit : « Mon cher Paul, il faut que l’on fasse une petite réunion à l’Élysée parce que le président de la République voudra choisir le projet qui sera le lauréat » Paul DELOUVRIER été un peu gêné en entendant cela, dans la mesure où c’était un concours avec un jury souverain. Il a expliqué à l’autre cher Paul que malheureusement le président de la République ne prendrait aucune décision. Ce qui, là aussi, a mis le président de la République dans un état de colère assez remarquable.
Les architectes ont travaillé. On devait faire une exposition des projets au Centre Pompidou, mais nous ne voulions pas que les projets sur lesquels les architectes travaillaient fassent l’objet d’une sorte de sondage d’opinion publique, en étant exposé au Centre Pompidou. Donc, avec Paul DELOUVRIER nous sommes allés voir le président du Centre Pompidou, Monsieur Jean-Claude GROSHENS, qui lui aussi l’a très mal pris, et a commencé à expliquer à Paul DELOUVRIER que dans la vie il fallait avoir du courage. Là, il était mal tombé parce que Paul DELOUVRIER lui a fait une leçon sur ce qu’était la définition du courage et les situations où il fallait en avoir, j’ai assisté à ça, c’était assez remarquable.
Donc, l’exposition a bien ouvert mais sans les neuf projets en question, qui n’ont été présentés aux publics qu’à la fin de l’exposition parce qu’on a prolongé de huit jours pour que l’on puisse voir la totalité des projets, et notamment le projet lauréat. Entre-temps, mais ça nous ne l’avions pas prévu, comme il y avait dans le jury des membres des associations de quartier, un des représentants de ces associations, Bernard BOURGADE, a réussi, ce qui nous a échappé, à photographier ou à photocopier ou à garder des documents, qui étaient des documents du jury, il les a fait agrandir, le public du Centre Pompidou n’a pas pu voir les projets mais les gens allaient dans les marchés, sur le quartier, ont pu voir tous les projets et ils ont organisé un jury populaire, et coup de chance, le jury populaire a obtenu des résultats qui sont exactement ceux auxquels le jury dans la deuxième phase, qui n’était pas prévue, est parvenu, puisque c’est Bernard TSCHUMI qui a été désigné devant Rem KOOLHAAS.
Je voudrais dire deux mots de ce qu’étaient les projets. Il y avait une véritable différence de rendu et de propositions entre les architectes et des paysagistes. Une volonté des paysagistes de retrouver une sorte de vérité du terrain, du territoire, du paysage, considérant que le programme tel que nous l’avions proposé et le terrain, tel que nous le donnions, était d’une certaine manière un terrain aplani, qui ne rendait pas compte de la réalité d’une topographie plus ancienne. Il y avait notamment un projet de Bernard LASSUS qui essayait de montrer que le vrai paysage de la Villette c’était un paysage qui prolongeait les Buttes-Chaumont, le caractère vallonné des Buttes-Chaumont, et il proposait d’ailleurs qu’il y ait dans le parc paysagé et qu’il avait conçu une sorte de grande colline qui arrivait et était adossée à la Grande Halle.
Tous les paysagistes, VEXLARD, Alexandre CHEMETOFF, Michel CORAJOUD, qui était lui associé au philosophe Michel SERRES, ont considéré qu’il fallait recréer un paysage, réinventer un paysage, et retrouvée d’une certaine manière un état de nature que l’histoire des abattoirs avait occulté et avait aplani. Les architectes se sont pas du tout dirigés dans ce sens, les paysagistes les critiquant d’ailleurs postérieurement, en disant qu’ils ne comprenaient rien du paysage, et essayant davantage d’introduire dans leurs rendus, leurs projets, quelque chose qui relevait d’une réception, selon nous plus pertinente, du programme tel que nous l’avions formulé. Deux projets se sont très vite détachés, moi j’étais d’ailleurs persuadé qu’à l’issue du premier tour, qui aurait dû être le seul, que Rem KOOLHAAS serait le lauréat du concours. Rem KOOLHAAS avait essayé de créer une sorte de parc aléatoire, avec des lanières horizontales, qui avaient des destinations qui n’étaient pas forcément dédiées, qui pouvaient au fur et à mesure du temps, au fil du temps, évoluer et faire naître des événements et des programmes nouveaux. TSCHUMI était au contraire quelqu’un qui s’inscrivait dans une volonté de trame urbaine, très géométrique et d’une manière un peu sèche. Il était dans la définition de ses déplacements et de ses axes d’orientation, d’une certaine manière peu claire. Il se trouve qu’entre les deux tours, qui n’étaient pas prévus, chacun doit réfléchir à une stratégie qui sera la meilleure pour essayer de battre les concurrents, KOOLHAAS a dû penser qu’il avait rendu un projet trop intellectuel, trop abstrait, et il a pris un passager nouveau, qui n’étais pas dans son vaisseau lors du départ, Michel CARAJOUD, qui n’était pas retenu et qui associé à KOOLHAAS a fait apparaître beaucoup plus de paysages et de nature. L’absence de paysages et de nature, au sens où CARAJOUD l’avez ressentie, n’était pas du tout une critique adressée à KOOLHAAS, il a voulu aussi donner moins d’aléatoire et plus de rationalité, rassurer d’une certaine manière, et en rassurant il a perdu beaucoup de ses atouts. TSCHUMI au contraire, au contraire a prolongé sa trame urbaine, il avait auparavant, c’était un grand ami de Peter EISENMAN, donné une espèce de prolongation infinie, potentielle de la trame des folies sur l’ensemble de la ville, et il a surtout redéfini ses axes nord-sud et est-ouest avec la grande galerie nord-sud et finalement, à une majorité très confortable, c’est TSCHUMI qui a été nommé lauréat. KOOLHAAS est arrivé second, et loin derrière, sont arrivés ex-æquo Bernard LASSUS c’est Alexandre CHEMETOFF.
Ce que je voudrais dire, c’est qu’il y a toute une part des choses que nous devions faire dans le Parc de la Villette, qui ne se sont pas réalisées, notamment tous ceux qui étaient l’adjonction, mais on la voulait comme un métissage, comme une hybridation d’architectes, de maîtres d’œuvre particuliers, venant à côté des folies de TSCHUMI. Il y avait les folies maisons qui venaient à côté des folies de TSCHUMI, et qui était confiées à différents architectes : Cédric PRICE devait travailler sur une serre, Gaetano PESCE, sur une maison des enfants, Jean NOUVEL sur une maison de la technologie, je ne sais plus se elle s’appelait exactement comme ça, Henri GAUDIN sur une folie du jardinage, une maison du jardinage. Tous ces projets ont été réalisés au niveau des études, mais pour des raisons essentiellement budgétaires, tout cela n’est pas advenu.
Ce que je voudrais dire pour en terminer, c’est que le Parc de la Villette, n’a jamais été extraordinairement porté par les pouvoirs publics. Quand avec Paul DELOUVRIER on est allé présenter à François MITTERRAND le projet, il y avait plusieurs panneaux, qu’avaient préparés Bernard TSCHUMI, il y en avait un qui présentait l’histoire ancienne des parcs, depuis l’antiquité jusqu’aux parcs anglais, parcs à la française, etc., et en dessous, il y avait son projet. La seule chose qu’avait dit François MITTERRAND, en montrant les parcs anciens : « Ce n’était quand même pas la mal… » Donc, ce n’était pas extraordinairement encourageant. Chaque fois que LANG venait, il me demandait : « Alors François, il y aura bientôt des arbres ? » C’était sa plaisanterie favorite.
Je vais en terminer par-là. Moi, j’ai été nommé - j’étais directeur de la Mission du Parc, puis j’ai été nommé président de la Grande Halle - la Grande Halle elle a ouvert en 1985, elle nécessitait de s’en occuper et de lui donner vie, je crois que nous y avons réussi, grâce notamment à une astuce extraordinaire, à laquelle je n’ai rien compris mais qui était tout à fait fructueuse, de Paul DELOUVRIER, qui a instauré entre la Grande Halle et l’Établissement public, un contrat d’affermage, qui relève d’un juridisme ancien, mais tire l’occurrence était d’une subtilité tout à fait remarquable. Si je dis cela, c’est parce que je me suis beaucoup moins occupé de la maîtrise d’ouvrage du Parc que le président qui a succédé Paul DELOUVRIER, c’est à dire Serge GOLDBERG. Alors, je sais que Serge a horreur qu’on lui rende hommage, mais moi je sais que si Serge GOLDBERG n’avait pas été là, le Parc de la Villette ne se serait jamais réalisé. Il est un homme qui peut être brutal, et je crois que dans la relation entre maîtres d’ouvrage maîtres d’œuvre il y a toujours une forme de confrontation, qui est nécessaire à la réalisation d’un beau projet, d’un projet fort. Il a porté ce projet. Ce projet aujourd’hui quand on le regarde, il est assez conforme au projet qui a été couronné lors du concours de la Villette. Donc, si Serge savait faire preuve de cette autorité, parfois forte, il savait aussi faire preuve d’une sensibilité remarquable. Il a été président du salon de la jeune sculpture. C’est quelqu’un avec qui j’ai travaillé avec Pontus HULTÉN, Jean-Hubert MARTIN, Claude FAURE, qui est ici, pour essayer de faire en sorte qu’il y ait des artistes contemporains qui soient présents à la Villette, il y a notamment la magnifique bicyclette d’OLDENBURG, ... Pour terminer, je trouve que peut-être ce dont nous avions rêvé, c’est à dire la relation de la science et de la création artistique, notamment grâce à la Cité de la musique, la musique étant quand même la discipline qui travaille le plus avec des éléments scientifiques, la musique électro-acoustique, elle sert à ça, elle se nourrit de cela. Mais bon, ce n’est pas advenu, … Dans tous les cas, ce qui me paraît évident, c’est que on a donné lieu, et comme Serge l’a dit, il y a aujourd’hui une réalité qui nous importait, c’est à dire non pas faire revenir la périphérie au centre mais crée du centre à la périphérie. Voilà !
Merci !
[Applaudissements]
Bruno JAMMES : Nous avons donc du temps pour répondre aux différentes questions.
Monsieur ?
Un auditeur : La situation géographique donne une bonne relation entre Paris, la ville, et le site, le Parc, mais du fait justement du périphérique, du boulevard extérieur, la liaison banlieue, qui est aussi une ville en fin de compte, avec le Parc n’est pas du tout évidente. Est-ce qu’il y a moyen d’améliorer un petit peu cette relation ?
François BARRÉ : Dans les utopies du programme du Parc, il y avait l’abolition de la coupure entre le périphérique et les communes environnantes, qui sont de l’autre côté du périphérique, elles surplombaient la Villette. C’était quelque chose qui nécessitait sans doute des dépenses astronomiques, qui n’avait pas de réalisme. Dans le projet d’Alexandre CHEMTOFF, il y avait une volonté d’instaurer toutes une série d’activités au sud du Par et à l’est, en essayant de créer une sorte de d’attractivité par rapport à la périphérie, mais moi je crois que cette coupure-là elle est quelque chose qui relève d’un projet plus vaste. Serge GOLDBERG avait demandé, mais je vais lui laisser la parole, à Pierre RIBOULET de travailler sur les portes.
Serge GOLDBERG : Oui, c’est vrai. Il y a eu un essai de portes, si je puis dire, celui de Christian de PORTZAMPARC, qui a réalisé l’un l’hôtel qui se trouve juste en face, on a effectivement l’impression d’une porte. Mais je crois qu’il faut distinguer deux choses, il y a effectivement les intentions que peuvent avoir les planificateurs et puis il y a ce que font les gens. Ce que je sais, c’est qu’à la Villette, le pourcentage de gens qui viennent de la banlieue, apparemment la coupure que représente le périphérique, qui, elle, est malheureusement difficile, ne semblent pas les avoir découragés. Autrement dit, sur le plan du fonctionnement, la banlieue est très présente à la Villette.
François BARRÉ : Les statistiques de fréquentation le montrent.
Un auditeur : Est-ce que, par rapport aux réflexions que vous pouvez faire, par rapport à ce qui se construit à l’heure actuelle, je viens de lire un petit article fait par le pape, par exemple, est ce qu’on peut dire que dans l’expérience que vous avez de ces différentes mutations, vous pourriez en tirer indirectement des conclusions pour ce qui se construit à l’heure actuelle, qui, pour certaines choses, ne me paraissent quelquefois pas très logiques ?
Je prends par exemple le PAD, on a fait uniquement des bureaux, il y a très peu de constructions pour loger des gens, pour la Villette ce n’était pas le cas, mais il y a quand même des éléments, … Moi, j’ai vu construire Cergy-Saint-Christophe, j’ai vu construire bien des choses, on a évité quand même certaines erreurs, qui me paraissent manifestes, parce qu’on sait très bien qu’entre le moment où on dépose un projet et les premières utilisations, il faut compter trois à quatre ans. Je vous remercie de mes conclusions.
François BARRÉ : Je vais répondre à côté de la question, d’une manière qui peut ne pas apparaître totalement démocratique. L’une des réussites de la Villette, c’est que c’est un grand projet d’État. Aujourd’hui, on est dans une époque de démocratie participative, ou la création architecturale est mise en débat auprès des riverains. Il y a là quelque chose qui paraît juste, la proximité ce n’est pas quelque chose de négligeable ni de condamnable, mais on s’aperçoit que quand il s’agit de réaliser des pièces urbaines, des grands projets, si on doit faire des sondages d’opinion publique, on peut imaginer que si une telle méthode avait existé auparavant, beaucoup des grands monuments parisiens, la Tour-Eiffel, le Centre Pompidou, ne se seraient jamais réalisés. Donc, là il y avait cette volonté, cette capacité d’avoir un budget protégé, je crois que c’est quelque chose qui est important en matière d’urbanisme et d’architecture que d’arriver à concilier, c’est extraordinairement complexe, une nécessaire consultation des habitants et quelque chose qui relève d’un choix, qui peut paraître parfois peu démocratique, mais qui qui qui qui fait naître la création.
Un auditeur : J’aurais une question à vous poser pour ce qui concerne les concepts innovants, en termes d’architecture ou autres, à la Villette. C’est une Cité des sciences, moi je voudrais savoir s’il y a de nouveaux concepts qui ont été utilisés, qui n’avaient jamais été utilisés ailleurs. Ça, c’est ma première question. Je voulais poser une question également sur la forme du bâtiment. Une partie a été conservée, dans le bâtiment où l’on se trouve actuellement, je voudrais savoir l’esprit que l’architecte a voulu nous donner sur ce point sur ce bâtiment. Est-ce qu’il y a une relation avec l’esprit du lieu, les abattoirs qui étaient là auparavant. Je pense qu’il y a eu sur le site des projets alternatifs, je voudrais savoir quels étaient ces éventuels projets alternatifs. Je pense notamment, dans les années 80, il y avait des gens qui avaient encore l’idée d’éventuellement garder les abattoirs de la Villette, comme les Halles que certaines personnes voulaient garder. Est-ce que vous pouvez nous éclairer là-dessus ? Est-ce qu’il y a eu des projets soit alternatifs soit de garder les abattoirs et d’en faire un musée de la viande, des bovins ou autres ? Merci.
Adrien FAINSILBER : Comme je l’ai montré dans le projet, le système qui a été inventé pour la construction des serres est une innovation, qui a été, comme je l’ai dit tout à l’heure, reprise maintenant dans beaucoup de projets. C’était la première fois qu’on construisait un élément de cette taille, puisque les serres font 32 mètres de haut et 32 mètres de large, avec finalement si peu de matière pour obtenir le maximum de légèreté et de transparence. Il y a eu aussi ce qu’on appelle la toile d’araignée, pour suspendre, porter les coupoles qui couvrent le hall d’accueil. Là où l’on n’a peut-être pas assez innové, c’est sur la climatisation ou la non climatisation. Moi, je voulais la climatisation naturelle, le free-cooling, pour l’espace central, afin d’éviter des frais énormes des coûts d’exploitation. Ça n’a pas été malheureusement possible. Techniquement, c’était très faisable, mais il faut dire qu’en 1980, on était moins sensibilisé à la haute qualité environnementale par rapport à aujourd’hui. On pouvait très bien ouvrir la boîte la nuit et la refermer le matin, les couches chaudes stagnent dans la partie haute de la toiture, bien sûr cela ne pouvait être que partiel. On m’a répondu à ce moment-là que Pompidou était climatisé, que les musées américains étaient climatisés, donc il fallait climatiser la Villette. Ces gens-là ne se rendait pas compte de l’importance de l’espace, en volume, c’est cinq fois Pompidou ! Puis, l’innovation qu’on a fait à l’époque, c’était les serres bioclimatiques. On devait récupérer l’énergie solaire. Je pense que ça n’a pas été vraiment poursuivi, parce qu’on était beaucoup moins sensibilisé qu’on ne l’est maintenant aux problèmes d’économie d’énergie et d’écologie.
Bruno JAMMES : Monsieur GOLDBERG, vous pouvez peut-être répondre sur les projets alternatifs.
Serge GOLDBERG : Moi, je suis arrivé en 1983. Je n’ai pas souvenir de projets alternatifs dont on parlait à l’époque. Je pense tout de même que je l’aurais su. Par contre, dans les projets innovants, le Zénith était passablement innovant, il a d’ailleurs été passablement imité aussi.
François BARRÉ : Il y a eu des concours organisés sous l’égide de l’Apur et de la ville de Paris, on en a parlé. Il y a eu des projets présentés par Léon KRIER, Diana AGREST, … Je ne m’en souviens plus très bien. Ça rentrait aussi dans des stratégies qui étaient celles d’un établissement public, et celles de la ville, mais les projets utopiques ou alternatifs voulant garder, comme lieu de mémoire les bâtiments existants, je n’en ai pas connu.
Serge GOLDBERG : Il y a eu la Maison de la Villette.
François BARRÉ : La maison de la Villette, qui est d’ailleurs un des seuls exemples d’un architecte extérieur, mais ce n’était pas une folie, en partie peut-être oui. C’était LYON - Du BUSSET – MORITA, qui ont eu l’équerre de la Première œuvre, en 1987, grâce à cette maison.
Un auditeur : Sur le plan qui représente les folies de TSCHUMI, les petits carrés rouges, si on les compte bien, on s’aperçoit qu’en théorie il y en a un petit peu plus que ce qui a été effectivement réalisé.
François BARRÉ : Je vais laisser Serge en parler sur la réalité, mais dans le projet de TSCHUMI, c’est un projet de trame urbaine. TSCHUMI, après EISENMAN, qui avait fait un projet d’ailleurs assez semblable, on le comprend puisque de toute façon la trame urbaine orthogonale, c’est quelque chose qu’on connaît en Amérique-latine avec CERDÀ, etc., etc. L’idée de TSCHUMI, était de dire qu’il y a quelque chose qui est forcément arbitraire dans l’organisation d’un espace, si on est dans un espace urbain, dont le développement futur de cet espace et de l’environnement, est quelque chose qui n’est pas encore complètement figé, il est réaliste de proposer une trame. Son projet c’était : points-lignes-surfaces. Les surfaces, c’étaient les grandes pelouses, les points, c’étaient les folies, qui se prolongeaient dans Paris, notamment du côté de la Porte de la Villette. Dans le rendu du concours, il y avait de petits points rouges qui sortaient du site même de la Villette. Et les lignes, c’étaient les espaces de circulation, qui étaient d’abord une promenade sinueuse, dans un premier temps, puis ensuite il y a eu la galerie.
Serge GOLDBERG : Mais à l’intérieur du site, à peu près la totalité des Folies de TSCHUMI ont été réalisées. Les seules qui n’ont pas été réalisées sont celles qui sont le long du canal, dans le petit bout en cul-de-sac, la darse, pour la raison qu’il reste un élément de l’ancienne cité administrative, donc il n’y a pas eu de construction à cet endroit-là. Il doit en manquer une ou deux, toutes les autres ont été réalisées. Ceci dit, ça a pris du temps.
Une auditrice : Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur l’influence qu’a pu avoir l’ensemble de ces projets en terme d’urbanisme contemporain ou d’architecture monumental, dans le monde en général ?
François BARRÉ : De toute façon, le projet de TSCHUMI a cette caractéristique de trame urbaine, qui est un parti pris urbain, mais si on regarde l’architecture des Folies de TSCHUMI, on voulait d’ailleurs faire venir le pavillon de Melnikov de l’exposition des arts décoratifs de 1925, il s’inscrit dans une descendance des constructivistes, ou comme on le dit aujourd’hui mais on le disait déjà à l’époque, des déconstructivistes. Donc, on est là dans un mouvement qui a fait florès un certain moment, dont je ne sais pas dire qu’il ait des conséquences et des suites absolues, sauf qu’aujourd’hui on s’aperçoit que dans ces déconstructivistes, il y en a certains qui ont accentué ce type d’écriture. C’est le cas notamment de Zaha HADID, une architecte qui aujourd’hui construit dans le monde entier, qui est partie de cette volonté de déconstruire.
Serge GOLDBERG : Ce qu’on peut dire, c’est qu’un certain nombre de paysagistes qui ont travaillé sur la Villette, qui y ont fait un petit peu leurs premières armes, ont depuis pris beaucoup d’ampleur.
François BARRÉ : Dont TSCHUMI, bien sûr.
Une auditrice : Pouvez-vous nous rappeler comment sont arrivés les logements sur le site de la Villette, logements qui sont au nord, côté Porte de la Villette ? Comme ont-ils été rajoutés aux projets initiaux ?
Serge GOLDBERG : Ça a dû se passer dans les années 1982-83, lorsque le concours a été rendu, je devais être là. Vous savez, il y avait des raisons à cela. La première raison, c’est que l’esplanade dont parle Adrien FAINSILBER, c’est bien, mais le problème tout de même c’est que vu de Corentin Cariou, le site monte légèrement et ce qu’on voit du bâtiment, c’est le bâtiment ancien et c’est un bâtiment très plat. Et cette esplanade n’était pas extrêmement agréable à imaginer. Donc, l’idée est effectivement d’avoir un projet. Le fait d’y mettre quelques logements, effectivement il y avait aussi des raisons financières. En réalité, le projet a été confié à la Caisse des dépôts et consignations, qui a bien entendu voulu mettre quelques logements. Je ne peux pas dire très franchement qu’on n’aurait pas pu faire mieux. Il y avait des projets plus intéressants, qui certainement auraient mieux satisfait à la fois les demandes de la Caisse des dépôts et l’esthétique du site. Mais bon, les choix des jurys sont ce qu’ils sont, …
Bruno JAMMES : S’il n’y a pas d’autres questions, je voudrais remercier nos intervenants pour ce soir, et vous donner rendez-vous mercredi prochain, où nous parlerons des contenus de la Cité des sciences, des grandes idées qui ont marqué le projet lui-même, autour évidemment de Maurice LÉVY, que je salue d’ailleurs, qui est présent aujourd’hui, et qui viendra avec d’autres personnes, pour vous parler de la création de la Cité des sciences elle-même.
Merci !
[Applaudissements]