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La tête au carré, OGM, trisomie 21 et inceste

La tête au carré / Débat autour de l’actualité scientifique, par Mathieu Vidard, émission du vendredi 5 octobre 2012 transcrite par Taos Aït Si Slimane

Vous pouvez me communiquer vos corrections, observations et suggestions à l’adresse suivante : tinhinane[@]gmail[.]com

Mathieu Vidard : Bonjour à toutes et à tous. C’est le retour des Grosses têtes au carré. Une heure pour commenter l’actualité scientifique, avec aujourd’hui autour du micro : Claude Halmos, Sandrine Cabut, Jean-Didier Vincent, Pierre Henri Gouyon et Jean-Marie Le Méné. Bonjour à tous.

On découvre tout de suite les sujets dont vous allez nous parler, avec un premier tour de table : Sandrine Cabut, vous êtes journaliste au cahier « Science & Techno » du Monde, qui est partenaire de La tête au carré. Quel est le sujet que vous avez choisi cette semaine pour nous ?

Sandrine Cabut : Les nouveaux tests de la trisomie 21 dont on entend beaucoup parler en ce moment. Je vais essayer de faire le point. S’agit-il de tests ou de dépistage ? À quoi est-ce qu’ils peuvent servir ? Pourquoi on ne les a pas encore en France ? Qu’est-ce qu’ils vont changer ?

Mathieu Vidard : Justement nous avons invité aujourd’hui Jean-Marie Le Méné. Bonjour.

Jean-Marie Le Méné : Bonjour.

Mathieu Vidard : Vous êtes le président de la fondation Jérôme Lejeune, votre fondation a alerté les autorités françaises sur ces nouveaux tests de la trisomie 21, en dénonçant même une dérive eugénique, on vous entendra dans la seconde partie de l’émission. Jean-Didier Vincent, bonjour.

Jean-Didier Vincent : Bonjour.

Mathieu Vidard : Neurobiologiste, de retour dans ces Grosses têtes au carré, qu’est-ce qui vous a interpellé dans l’actualité de ces derniers jour ?

Jean-Didier Vincent : Ce qui m’a interpellé, c’est de voir la place donnée à un travail d’épidémiologie mal fait, bricolé, et qui a tout de suite été saisi par les médias et je dirais les teneurs d’une certaine idéologie politiquement correcte apparemment à leurs yeux.

Mathieu Vidard : Quelle est l’étude dont vous parlez, Jean-Didier Vincent, je ne vois pas du tout ?

Jean-Didier Vincent : Je ne sais pas, c’est d’un professeur de Caen, j’ai complètement oblitéré son nom car j’ai une mémoire sélective mais j’ai pu lire l’article, c’est vraiment indéfendable.

Mathieu Vidard : Gilles-Éric Séralini, sur les OGM.

Jean-Didier Vincent : Voilà.

Mathieu Vidard : Sujet polémique, qui n’en fini plus de rebondir, avec hier l’autorité européenne de sécurité des aliments qui a jugé la qualité scientifique de l’étude insuffisante. Pierre-Henri Gouyon, vous êtes en ligne avec nous. Bonjour.

Pierre Henri Gouyon : Bonjour.

Mathieu Vidard : Depuis Lausanne, vous êtes biologiste et vous soutenez le travail qu’a réalisé Gilles-Éric Séralini, avec lequel d’ailleurs vous avez fondé le Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique, en 1999. on vous entendra dans quelques minutes.

Pierre Henri Gouyon : Ça tombe bien, je suis à Lausanne à un colloque organisé par ETHOS, qui est la Plateforme interdisciplinaire d’éthique dans laquelle nous parlons de l’attitude parfois vraiment étonnante des scientifiques dans ce genre de débat.

Mathieu Vidard : On aura beaucoup de choses à se dire sur cette affaire de l’OGM MK603. Claude Halmos, vous êtes psychanalyste et c’est d’un livre dont vous allez nous parler tout à l’heure.

Claude Halmos : Je voudrais parler du livre de Christine Angot Une semaine de vacances, non pas d’un point de vue littéraire puisque je ne suis pas critique littéraire, comme chacun le sait, mais parce qu’il y a eu des réactions positives mais aussi négatives à ce livre, et ces réactions négatives me semblent extrêmement représentatives de la position majoritaire dans notre société concernant l’inceste et la façon dont on ne veut pas voir et savoir ce qu’il en est.

Mathieu Vidard : Voilà donc pour les thèmes de ces Grosses têtes au carré. Violaine Ballet-Gouriou réalise l’émission, bien sûr vous nous rejoignez dès maintenant avec vos questions, vos témoignages et vos réactions sur le site de l’émission France Inter point fr

[Annonces et chanson]

Mathieu Vidard : Jean-Didier Vincent, on commence avec vous. Le décor était planté dès le sommaire. Vous vouliez réagir à l’étude du biologiste Gilles-Éric Séralini sur l’OGM du maïs MK603 et sur l’onde de choc médiatique, qui continue d’ailleurs de se répandre un peu partout dans le monde.

Jean-Didier Vincent : Je voudrais d’abord saluer mon ami Pierre-Henri Gouyon, qui est un très vieil ami mais malheureusement nous n’étions pas d’accord sur ce problème des OGM. Aussi bien qu’il y a quelques années déjà nous nous sommes retrouvés devant le tribunal où Bové, qui est le fils d’un de mes vieux amis aussi, c’était une situation pratiquement cornélienne, puisque sa mère était dans la salle, je suis venu, au nom du CNRS et l’autre organisme qui avait été attaqué par les faucheurs, défendre la position des organismes de recherche face à Pierre-Henri, qui témoignait d’une indulgence coupable pour eux, à mon avis. La question était : est-ce qu’on a le droit de, comme les fanatiques de l’Apocalypse du Moyen-âge brûlaient les églises, brûlaient des laboratoires, de les détruire. La violence qu’on oppose dans un cadre idéologique à des chercheurs qui font leur travail le plus honnêtement, je peux en témoigner, dans le cas des expériences en cause, me paraît être répréhensible.

Mathieu Vidard : On revient sur ce fameux maïs.

Jean-Didier Vincent : Avant de savoir où ça nous menait et quels seraient les retentissements qui n’étaient pas inattendus mais ont été attendus, notamment par les auteurs de cet article, je trouve qu’il est extrêmement mal fait, peu documenté et je m’étonne qu’un journal scientifique sérieux ait accepté de le publier. Le nombre de cas est effectivement assez limité mais quelquefois quand ils sont bien choisis on peut faire des conclusions valables…

Mathieu Vidard : C’est-à-dire le nombre de rats choisis, 200 rats en l’occurrence.

Jean-Didier Vincent : 200 rats pour faire la pharmacologie ou de la toxicologie c’est en général un chiffre qui est assez convenable, quelquefois peut-être insuffisant malgré tout, parce que les études en toxicologie ne sont pas toujours en dessous de tout soupçon quand il s’agit d’industrie pharmaceutique par exemple. Mais ce qui était répréhensible à mon avis, c’est le choix des sujets. Moi je suis neuroendocrinologiste, j’ai travaillé sur des Sprague Dawley…

Mathieu Vidard : Sur les quoi ?

Jean-Didier Vincent : La race de rat qui est utilisée le plus souvent dans les laboratoires, qui sont des rats blancs, très fragiles, c’est des constructions pratiquement artificielles pour faire de recherches en laboratoire. Nous observons que les femelles au bout de 16 mois, 15 mois meurent toutes de tumeurs, d’un adénome de l’hypophyse.

Mathieu Vidard : Quelles que soient les expériences qui ont été menées sur ces rats ?

Jean-Didier Vincent : Quelles que soient les expériences, la façon de mourir des rates de cette race c’est d’avoir des tumeurs qui sont envahissantes, notamment au niveau de l’hypophyse, mais aussi au niveau d’autres glandes. C’est des rats qui présentent une susceptibilité à la formation de tumeurs qui est connue des tous les expérimentateurs. Donc, il y a un premier biais scientifique qui est posé-là. Ensuite l’interprétation, il n’y a pas suffisamment de témoins, disons que c’est des déductions qui sont trop rapides pour les conséquences qu’on va en tirer. La deuxième chose que je réprouve, c’est l’attitude médiatique des scientifiques qui introduisent une ambiance paranoïaque : nous faisons ça sous le secret, on nous empêche de parler, etc., etc. D’emblée ils posent la victimisation : ceux qui possèdent la vérité et qu’on ne veut pas laisser s’exprimer, et d’emblée on entre sur le terrain de la victime, c’est-à-dire celui qui dit la vérité doit être exécuté comme dit la chanson. En réalité, je pense que c’est mal fondé. La presse s’en est emparée car c’est vrai que c’est un domaine sensible. Moi, je défends un autre point de vue, c’est qu’actuellement l’agriculture est arrivée à un niveau de saturation qui fait qu’on ne peut plus avancer sur la conquête des terrains cultivables, cela serait diminuer gravement l’équilibre de la biodiversité, le respect des biotopes. Si l’on veut forcer la productivité des cultures on va tomber sur le problème de l’eau. On est dans une sorte d’impasse totale dont il faut sortir.

Mathieu Vidard : Cela veut dire quoi ce que vous nous dites ? Cela veut dire qu’il faut utiliser le OGM ou pas ?

Jean-Didier Vincent : Bien sûr qu’il faut utiliser les OGM ! Il y a un maïs maintenant qui permettrait de planter dans des terrains sans eau, qui est retenu depuis treize ans par les instances administratives. Ce qui bloque les OGM, c’est qu’il y a de telles péripéties administratives qu’avant de mettre un OGM, qui a été pourtant bien étudié dans un laboratoire, sur le marché, les obstacles administratifs sont énormes, énormes, énormes ! Il y a des conglomérats, des trucs comme Monsanto, ils ont les moyens de pression, ils ont les moyens au niveau des gouvernements de franchir ces barrières, total ils font quelquefois du travail qui est cochonné et bien entendu on s’en prend à Monsanto, ce qui est le plus facile. Mais il faut aller plutôt voir du côté des normes administratives qui restreignent, mettent dans un carcan la science qui ne demande qu’à créer des OGM, qui sont les OGM propres, des OGM qui vont pouvoir servir l’agriculture et nourrir le monde. En dehors de ça, je crois qu’il n’y a pas d’autres solutions.

Mathieu Vidard : Alors, Pierre-Henri Gouyon, au téléphone de Lausanne. Là, vous avez de la matière pour nous parler pendant une demi-heure.

Pierre-Henri Gouyon : Non, non, je ne vais pas le faire.

Mathieu Vidard : Par quel bout on commence ?

Pierre-Henri Gouyon : On peut commencer par l’aspect victime. Je trouve très curieux que Jean-Didier Vincent nous dise que Séralini se présente comme une victime. Or, j’entends Jean-Didier Vincent se présenter comme une victime et les pauvres laboratoires comme ceux à qui on a mis le feu. On n’a jamais mis le feu à un laboratoire, rassurez vous, on a juste arraché trois plants de riz qui ne servaient à rien, du riz de Camargue résistant à un herbicide, que personne ne voulait mettre en Camargue. C’était un projet de recherche idiot qui a d’ailleurs été arrêté et qui était prévu d’être arrêté de toute façon.

Mathieu Vidard : Il y a eu quelques vignes arrachées aussi.

Pierre-Henri Gouyon : Ça, c’est autre chose. Je parle du procès où on s’était retrouvé, Jean-Didier Vincent et moi.

Mathieu Vidard : Oui, pardon.

Pierre-Henri Gouyon : Il disait qu’on était de vieux amis, on était de chaque côté de la barre sur ce coup-là. Je suis très content que Jean-Didier s’intéresse au protocole de toxicologie dans ce genre de cas, j’espère qu’il aura à cœur du coup d’aller regarder les protocoles qui sont actuellement utilisés pour autoriser les OGM et qui sont encore beaucoup moins bien que celui Gilles-Éric Séralini, et qu’il mettra la même verve à critiquer ces protocoles qui servent actuellement à autoriser les OGM, qui ne sont pas du tout du maïs qui permettent de vivre dans des terrains salés ou secs, mais seulement des OGM qui permettent de vendre du Roundup.

Mathieu Vidard : Pierre-Henri Gouyon, pourquoi ces rats utilisés alors que, Jean-Didier Vincent n’est pas le seul à le dire, ce sont des souches de rats qui développent assez facilement des tumeurs et autres maladies.

Pierre-Henri Gouyon : Si Jean-Didier les connaît c’est parce que justement ce sont des rats de laboratoire tout à fait classiques. La deuxième raison, l’ennui est que je n’ai pas le temps de vous faire un cours de statistique ici, à La tête au carré, quand on fait un test, on a deux risques opposés : l’un c’est de ne rien voir alors qu’il y avait quelque chose, et l’autre c’est de voir quelque chose alors qu’il n’y avait rien. Ça va, c’est clair ?

Mathieu Vidard : À peu près, on va essayer de vous suivre.

Pierre-Henri Gouyon : Les tests qui sont autorisés aujourd’hui sur les OGM, c’est des tests qui ont un risque énorme de ne rien voir alors qu’il y a quelque chose. On prend beaucoup moins de rats que Séralini, donc je m’étonne que Jean-Didier râle alors que d’habitude c’est une trentaine, on ne les regarde que sur trois mois, et après on dit : ah, on n’a rien vu sur ces rats de labo cela veut dire qu’il n’y a rien. Aujourd’hui, l’expérience de Séralini a l’avantage d’avoir plus de rats, évidemment elle a pris une souche relativement fragile ce qui permet de voir dès qu’il se passe quelque chose. Ce qui est intéressant c’est que statistiquement il y a plus de rats malades parmi ceux qui ont mangé l’OGM que ceux qui n’en ont pas mangé. Ce n’est pas le fait qu’ils aient des tumeurs le point important, c’est le fait que le traitement du fait de leur faire manger du Roundup ou de l’OGM leur donne des tumeurs en plus. À partir de ce moment-là ça pose le problème de la validité des tests tels qu’ils sont faits actuellement, d’autant que des souches sensibles chez les rats il y en a mais des humains sensibles il y en a aussi. Voilà ! Je pense qu’on a fait le test qui essayait au maximum de ne pas rater un effet même si cet effet n’était pas extrêmement fort. Et ces tests montrent simplement que les tests qui sont faits habituellement ne sont pas sérieux. Ils ne sont pas sérieux pour une raison très simple, c’est les organises eux-mêmes qui les font. Ça, c’est un problème, je ne sais pas si Jean-Didier veut réagir à ça. Je pense qu’il est absolument anormal que ce soit Monsanto qui fassent lui-même les tests de leur propre maïs, ça doit être un organisme d’État. Évidemment, l’État ne peut pas payer à chaque fois que Monsanto veut faire un maïs…

Mathieu Vidard : Justement il y a cette critique de l’étude de Gilles-Éric Séralini sur le financement même de l’étude, puisque là on voit bien que ceux qui ont financé l’étude ce sont des groupes comme Auchan, par exemple, qui ont un label « Garantie sans OGM », et sur l’indépendance même d’ailleurs de cette étude, il y a beaucoup de critiques sur le fait que le service public aurait dû payer une telle étude.

Pierre-Henri Gouyon : Non, le service public n’aurait pas dû payer. Le service public aurait dû réaliser cette étude mais cette étude aurait dû être payée par Monsanto bien sûr ! Lorsqu’un organisme comme Monsanto veut commercialiser un maïs, il devrait exister en France une agence d’État chargée de faire les manips qui seraient financées par les industriels qui veulent commercialiser ces produits, cela fait quinze ans qu’on demande ça.

Jean-Didier Vincent : Mais elle existe, c’est l’INRA.

Pierre-Henri Gouyon : Non, l’INRA n’est pas agence d’État, ça n’a rien à voir, c’est un organisme de recherche.

Jean-Didier Vincent : C’est un organisme d’État.

Pierre-Henri Gouyon : L’INRA est un organisme de recherche et les chercheurs de l’INRA ont des intérêts dans le fait que les OGM se fassent puisqu’ils ont des brevets sur les OGM. Il faut des gens qui n’aient pas d’intérêts dans ces affaires. Vous savez, il est très difficile à l’heure actuelle une grande partie des laboratoires de biologie sont financés par les entreprise des biotechnologies. Donc, ce n’est certainement pas ces laboratoires-là qui doivent faire les expertises, il faut une agence d’État indépendante.

Mathieu Vidard : Là, précisément il y a des intérêts dans cette affaire ?

Pierre-Henri Gouyon : Tout à fait, il y a des intérêts dans tous les sens et la seule solution serait de faire une agence, alimentée financièrement par les entreprises, qui fasse les tests reconnus par les spécialistes de la toxicologie, des tests bien plus sérieux que ceux qui ont été faits jusqu’à maintenant.

Mathieu Vidard : Sandrine Cabut, vous souhaitiez intervenir.

Sandrine Cabut : Si j’ai bien compris, de toute façon l’évaluation de l’étude de Monsieur Séralini n’est pas encore finie puisqu’il y a d’autres instances assez sérieuses qui doivent se prononcer. J’ai l’impression que tout le monde veut aller vite mais peut-être qu’effectivement il faut prendre son temps. Et si ce protocole n’est pas parfait, comme ceux de la commercialisation, il faut peut-être en prévoir un qui soit plus complet.

Pierre-Henri Gouyon : Absolument ! C’est tout ce qu’on demande, et ce que le CRIIGEN a demandé depuis longtemps. On a demandé, dans le silence général, des informations précises sur les tests effectués officiellement sur ces OGM, on ne les a pas eus. Donc, Jean-Didier, il ne faut pas dire qu’on fait juste de la parano, on nous a refusé ces données quand on a voulu les avoir. J’en suis témoin, on nous a refusé ces données. Tout ce qu’on demande, c’est que ces tests soient refaits sérieusement, et je pense que personne ne peut ne pas être d’accord avec ça. Comment aurait-on obtenu ça si jamais on n’avait pas fait le battage médiatique en question ? Depuis quinze ans on dit tout cela, on ne nous écoute pas. Enfin il y a cette manip, enfin il y a ce battage médiatique, peut-être qu’on peut regretter le battage médiatique, c’est vrai que tout le monde aurait préféré que cela se passe autrement, qu’on n’en ait pas besoin, mais le résultat c’est que grâce à ce battage médiatique on va peut-être enfin avoir des tests sérieux sur la toxicologie des OGM. 

Mathieu Vidard : Sauf que, Pierre-Henri Gouyon, sur le rendu du Nouvel Obs, par exemple, avec cette couverture titrant : les OGM, alors qu’il s’agit d’un OGM, là on est quand même dans un mensonge scientifique ?

Pierre-Henri Gouyon : Non, on n’est pas dans un mensonge parce que tous les OGM sont testés avec ces tests pas sérieux. Je n’ai aucune certitude sur aucun OGM à l’heure actuelle.

Jean-Didier Vincent : Écoute, ce n’est pas sérieux ça ! Les OGM, tu le sais comme, c’est la seule solution biologique…

Pierre-Henri Gouyon : Non, en plus je suis désolé, Jean-Didier, je suis agronome, je comprends que tu ne connaisses pas bien l’agriculture mais les maïs qui fonctionnent sans eau, je suis désolé mais ils n’existent pas, à mon avis ils n’existeront pas.

Jean-Didier Vincent : C’est toi qui dis qu’ils n’existent pas.

Pierre-Henri Gouyon : Oui, je dis qu’ils n’existent pas.

Jean-Didier Vincent : Tu dis que Dieu existe, par exemple, moi je ne suis pas d’accord avec toi.

Pierre-Henri Gouyon : Mais je ne dis pas ça !

Mathieu Vidard : Non, il ne dit pas ça, ne lui faite pas dire ça parce qu’alors-là on n’en fini plus ! Ce courriel de Pauline : que répondre à l’argument consistant à dire que la même souche de rats est utilisée par Monsanto pour ces études et comment expliquer, demande Pauline, que ces rats même s’ils sont connus pour développer des tumeurs en développent beaucoup plus quand ils mangent des OGM et des pesticides ?

Pierre-Henri Gouyon : Elle a tout à fait raison. C’est ça le vrai problème.

Jean-Didier Vincent : C’est le vrai problème ça serait des pesticides ou autres choses mais ces rats il suffit d’un rien pour déclencher des tumeurs, vous comprenez, c’est un stress comme un autre. Ce n’est pas très sérieux tous ces tests, qu’on laisse les gens faire des OGM et qu’on ne diabolise pas globalement les OGM alors qu’on sait très bien que ça a quand même rendu de grands services à l’agriculture.

Pierre-Henri Gouyon : Ça n’a rendu aucun service à l’agriculture.

Jean-Didier Vincent : Mais si bien entendu ! Ça a permis d’augmenter la productivité.

Pierre-Henri Gouyon : Tu es neurobiologiste, tu ne connais rien à l’agriculture. Je ne comprends pas pourquoi tu dis cela.

Jean-Didier Vincent : C’est un procès d’intention que tu fais. Si je devais multiplier les choses sur lesquelles tu ne connais pas, on n’en sortirait pas. Si on est obligé de connaître et d’être un spécialiste pour porter un jugement sur des choses et qu’en même temps on prenne la foule, la démocratie, le peuple à témoin, il y a un biais là ! Si un homme qui est quand même un peu un scientifique reconnu comme un sérieux ne peut pas donner son avis sur quelque chose dont il n’est pas spécialiste, allez basta les socialistes !

[Les échanges qui ont suivi le lapsus, se sont faits dans une totale bonne humeur, avec humour et cordialité bienveillante.]

Mathieu Vidard : Quel lapsus !

Jean-Didier Vincent : Ma carrière est terminée, je suis chassé de tous les organismes !

Mathieu Vidard : Vous vous êtes trahi !

Jean-Didier Vincent : C’est de ta faute…

Jean-Didier Vincent : Je suis désolé.

Jean-Didier Vincent : Tu me mets dans des états pas possibles, Pierre-Henri !

Mathieu Vidard : Allez, sans rancunes !

Sandrine Cabut : Avant de produire à tout va, s’il y a un doute sur une question de santé publique, qui soit importante, c’est quand même bien d’essayer de répondre au lieu de dire développons, tout va bien.

Mathieu Vidard : Un courriel de Florian qui me dit ceci : bientôt on va nous dire que les OGM servent le développement durable, merci Monsieur Vincent ! Juste pour vous dire, dit Florian, aujourd’hui les OGM permettent juste de mieux polluer les sols et l’eau, ils servent à détruire le métier de paysan.

Jean-Didier Vincent : Voilà quelqu’un qui est content, c’est bien !

Mathieu Vidard : Jean-Marie Le Méné, vous souhaitiez intervenir.

Jean-Marie Le Méné : Je voulais revenir à l’étape antérieure où monsieur Vincent a dit que les OGM seraient nécessaires pour alimenter une population mondiale qui ne cesse de s’accroître. Là, c’est un peu un discours où la fin justifie les moyens. Ce n’est pas parce que la population mondiale augmente qu’il faut leur donner à bouffer n’importe quoi.

Jean-Didier Vincent : N’importe quoi ! Écoutez on n’est pas des rats de toute façon, cela se saurait si les OGM détruisaient des populations.

Jean-Marie Le Méné : Ça se saurait, oui, justement il faut le savoir.

Mathieu Vidard : Un mot de José Bové, dans Libération, suite à cette controverse, il affirme que c’est salutaire qu’il y ait cette controverse parce qu’elle nécessite une réponse urgente avec la mise en place de nouvelles études sur la toxicité des OGM, sur deux ans, financées par des fonds publics, associant des scientifiques pro et anti OGM.

Pierre-Henri Gouyon : Je voudrais intervenir sur la nourriture de la planète. Les OGM n’augmentent pas la productivité agricole par hectare, ils diminuent le temps de travail. Or, le temps de travail au niveau de l’humanité aujourd’hui ce n’est plus du tout ce qui manque, on a largement assez de monde pour faire du travail. En revanche, ce qui serait important, ça serait d’augmenter la productivité à l’hectare, les OGM ne font pas ça. Donc, il faudrait arrêter de répéter ce slogan qui a été lancé par une boîte de com. anglaise en 1998, on se souvient très bien du moment où cette boîte de com. a trouvé ce slogan.

Mathieu Vidard : Michel nous dit, par courriel : ce n’est pas la première fois que Séralini publie des articles dont le contenu est discutable sur le plan scientifique, pourquoi les médias font-ils une place aussi grande à cette personne ? La vérité est que Séralini est un opposant des OGM tels qu’ils soient.

Jean-Didier Vincent : Je voudrais ajouter quelque chose et m’en prendre non pas aux populations ni aux scientifiques mais aux rats. Je suis l’auteur anonyme d’un ouvrage qui s’appelle Petit traité de neuropharmacologie à l’usage des rats, c’est vrai que la plupart des tranquillisants, la plupart des médicaments qu’on met sur le marché de la santé mentale a été testé sur des rats, uniquement sur des rats, on a inventé des tests absolument extraordinaires. Il faut faire très attention au rat comme modèle expérimental, il est l’introducteur de beaucoup de biais dans les recherches qui sont faites sur 200, 300 ou 400 rats qu’on sépare par la queue, pour décider si c’est un neuroleptique, un tranquillisant ou au contraire un thymoanaleptique. Il faut faire très attention à ça. Donc, basta pour le rat ! Excusez-moi pour les socialistes tout à l’heure. Revenons à des études sérieuses, des études humaines…

Pierre-Henri Gouyon : On est d’accord.

Jean-Didier Vincent : Une analyse épidémiologique sérieuse pour savoir si les gens qui absorbent des OGM depuis dix ans se trouvent plus mal que les autres.

Mathieu Vidard : Pierre-Henri Gouyon, ce maïs MK 603 est utilisé pour nourrir du bétail ?

Pierre-Henri Gouyon : Oui.

Mathieu Vidard : Est-ce que les éleveurs ont observé des tumeurs particulières chez les animaux qui mangeaient quotidiennement, pour le coup c’est une bonne expérience scientifique si on les étudie de près ? Est-ce que ces animaux développent des maladies particulières liées à leur nourriture ?

Pierre-Henri Gouyon : Je ne crois pas qu’il y ait une étude épidémiologique qui ait été tentée.

Mathieu Vidard : Mais cela serait très intéressant, vous ne croyez pas ?

Pierre-Henri Gouyon : Bien sûr ! Croyez-moi, j’ai essayé de faire des études sur les OGM au Canada, je me suis retrouvé en face d’un refus obstiné de tous mes collègues des laboratoires en question qui pouvaient m’aider à faire sur place, je ne pouvais pas, moi, le faire de la France, et qui sont tous plus ou moins subventionnés par Monsanto. Donc, déjà ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air. Deuxièmement les animaux d’élevage qui mangent ces maïs sont des animaux qui sont tués très jeunes, en général une vache à cinq ans, c’est terminé.

Mathieu Vidard : Donc, elle n’aura pas le temps de développer les mêmes tumeurs que les rats ?

Pierre-Henri Gouyon : Donc, j’attends. Je suis tout à fait d’accord avec Jean-Didier, un point sur lequel on est d’accord, il faut faire des bonnes manips. Là où je ne suis pas d’accord avec lui c’est quand il dit laissons faire les OGM et on verra après pour la toxicité. Non, il faut faire les études avant !

Mathieu Vidard : Et les payer tant qu’à faire par le service public quand même.

Pierre-Henri Gouyon : Non ! Les faire réaliser par le service public et payer par les producteurs.

Jean-Didier Vincent : Monsanto, toujours Monsanto !

Pierre-Henri Gouyon : On ne peut pas demander aux citoyens de payer des études de toxicologie à chaque fois qu’une entreprise de biotechnologie invente un nouveau truc !

Mathieu Vidard : On peut le voir aussi effectivement sous cet angle-là.

Pierre-Henri Gouyon : Une agence indépendante mais il faut que l’agent soit apporté par les entreprises, bien sûr.

Mathieu Vidard : On ferme le chapitre sur les OGM, merci beaucoup Pierre-Henri Gouyon et à très bientôt sur ces Grosses têtes au carré.

Pierre-Henri Gouyon : Merci à vous.

[Chanson et annonces]

Mathieu Vidard : Sandrine Cabut, vous consacrez un article dans le cahier « Science & Techno » du Monde, qui va sortir cette après-midi, consacré à la trisomie 21 et aux tests sanguins commercialisés à l’étranger. Pour l’instant ils ne sont pas arrivés en France mais…

Sandrine Cabut : Mais ils vont sans doute arriver. Avant de vous parler de ces nouveaux tests qui sont déjà disponibles aux États-Unis depuis quasiment un an, et en Suisse et quelques pays d’Europe depuis semaines, je pense qu’il faut faire un rappel de ce qu’est aujourd’hui le dépistage de la trisomie 21, qui est un sujet pas simple mais ce n’est que si on le connaît qu’on peut voir pourquoi arrivent ces nouveaux tests. Aujourd’hui en France il y a une loi qui organise un dépistage national de la trisomie 21, ce dépistage est proposé à toutes les femmes enceintes, ses modalités ont évolué au cours du temps, aujourd’hui on sait qu’à peu près 4/5 femmes enceintes pratiquent les tests. Aujourd’hui on le fait au premier trimestre, il y a d’une part une échographie, qui recherchent des anomalies spécifiques, ou en tout cas évocatrice de la trisomie 21, et bien d’autres choses évidemment sur la grossesse, puis il y a deux marqueurs sanguins. Une fois que les médecins ont ces deux tests-là, qu’ils disposent aussi de l’âge de la mère, on met tout cela dans un ordinateur, il y a un logiciel qui calcul le risque que cette femme soit enceinte d’un enfant trisomique. Si le risque paraît élevé, il y a une borne qui a été émise de 1/250, on propose un examen pour en être certain ou quasiment certain, qui est soit une amniocentèse, soit une biopsie de trophoblastes. En fait il s’agit d’examiner un prélèvement fœtal, de faire un caryotype, c’est-à-dire d’étudier les chromosomes et voir si au niveau du chromosome 21 il y en a trois ou il y en a deux. Ces examens permettent d’avoir la certitude que la femme est enceinte ou pas d’un enfant trisomique et de prendre après la décision de poursuivre ou non sa grossesse. L’inconvénient de ces tests c’est que de 0,5 à 1/100, ils peuvent générer des fausses couches. Aujourd’hui, beaucoup de femmes font cette amniocentèse, il y a à peu près 95% qui sont rassurées, un peu moins de 4% chez qui on trouve une trisomie mais il y a 300 à 500 avortements. Depuis une dizaine d’années on cherche à améliorer ces tests et une des méthodes est d’aller chercher des fragments d’ADN du fœtus qui circule dans le sang maternel. Maintenant qu’on dispose de séquenceurs à très haut débit, etc., cela devient de plus en plus facile parce qu’évidemment ils sont en quantité infime. Ces tests ont débuté il y a une dizaine d’années, ils ont été validés chez des femmes à haut risques de trisomie, et on s’aperçoit qu’en fait ils semblent presque aussi fiables que l’amniocentèse sauf qu’il s’agit d’une prise de sang et non pas d’un prélèvement. Potentiellement leur avantage est de pouvoir éviter de fausses couches.

Mathieu Vidard : Plusieurs pays ont adopté ces tests.

Sandrine Cabut : Ça a commencé aux États-Unis. Il y a quand même une guerre féroce parce que ce sont des boîtes de biotechnologie, il y a évidemment aussi des enjeux commerciaux là-dessus. Aux États-Unis il y a eu un monopole et ces tests commencent à arriver en Europe sous licence, ils ont été pour l’instant accepté dans trois pays, en Suisse, en Autriche et en Allemagne.

Mathieu Vidard : Donc pas d’autorisation pour le marché français pour l’instant.

Sandrine Cabut : En France, où en est-on pour l’instant ? Il y a deux équipes qui travaillent là-dessus : une équipe de Necker, qui a été la première, qui a testé avec le laboratoire du Genoscope, puisqu’il faut faire ces tests, ils ont examiné à peu près 350 prélèvements, chez des femmes à risque, pour l’instant il n’est pas du tout question de proposer ce test à tout le monde. Effectivement, les 35 cas où ça a été positif, ça a été vérifié après avec amniocentèse, le fœtus était atteint de trisomie. Par ailleurs il y a une autre équipe, du laboratoire CERBA, qui elle aussi fait des tests de son côté, et après il y aura bien sûr comme pour n’importe quel médicament un processus de validation des autorités.

Mathieu Vidard : Jean-Marie Le Méné, vous président de la fondation Jérôme Lejeune, fondation reconnue d’utilité publique pour vaincre les maladies génétiques de l’intelligence et vous êtes le premier financeur de la recherche sur la trisomie 21 en France. Quelle est la position de la fondation sur ce test prénatal du diagnostique de la trisomie 21 puisque vous avez alerté visiblement beaucoup d’organismes sur l’idée même de ces tests ?

Jean-Marie Le Méné : En fait, on s’est permis de poser un certain nombre de questions au pouvoir public à ceux qui vont prendre des décisions en la matière, puisque cette décision n’est pas encore prise même s’il y a de fortes chances pour qu’elle le soit dans les mois ou les années qui viennent. En fait on n’est pas très éloigné du sujet précédent, c’est toujours le lien entre la science, la médecine et l’argent, éventuellement comment sont prise les décisions publiques à cet égard. S’agissant de ce test, il y a d’abord une confusion un peu rapide et qu’il faut peut-être lever entre une amélioration technique, un progrès technique, on ne peut pas nier le fait que retrouver des traces du génome de l’enfant dans le sang de sa mère c’est quand même extrêmement intéressant, on pourrait faire des quantités de choses, amis tout dépend de l’usage que l’on fait de cette amélioration technique. Pour prendre une comparaison un petit peu grossière, je dirais qu’affûter la lame de l’échafaud, c’est un progrès technique, est-ce que c’est un progrès ? Tout dépend de l’usage que l’on a envie de faire de cet échafaud. Ceux qui sont pour la peine de mort trouvent que c’est un bon progrès.

Sandrine Cabut : Excusez-moi, le dépistage il existe de fait.

Jean-Marie Le Méné : Oui.

Sandrine Cabut : En fait pour les femmes la seule chose que ça peut potentiellement changer c’est qu’il y a beaucoup moins qui auront des amniocentèses, qui est un examen aussi traumatisant sur le plan psychologique…

Jean-Marie Le Méné : Bien sûr.

Sandrine Cabut : Et que l’examen sera aussi fiable. C’est vrai qu’une prise de sans contre un examen avec un risque, ça ne change rien sur le plan éthique.

Jean-Marie Le Méné : Qu’est-ce qui peut changer sur le plan éthique ?

Mathieu Vidard : Justement, qu’est-ce qui vous gêne dans ce test, Jean-Marie Le Méné ?

Jean-Marie Le Méné : Dans cet eugénisme à l’égard de la trisomie 21 qui est reconnu pas seulement au sein de la fondation il y a des quantités de gens à commencer par…

Mathieu Vidard : Ça, c’est vraiment votre premier argument.

Jean-Marie Le Méné : On fait plus de dépistage, on argumente sur la fiabilité, sur la sécurité, etc., en fait c’est toujours sur le même chemin,…

Mathieu Vidard : Vous dénoncez le risque eugénique ?

Jean-Marie Le Méné : Le diagnostic, moi je ne suis pas contre, c’est très bien. Le problème est que normalement le diagnostic c’est thérapeutique, la médecine c’est les deux choses. Or, on ne mise que sur le diagnostic, moi je serai content qu’on mise aussi sur la thérapeutique dans des dimensions raisonnables aussi, ce qui n’est pas fait. Après ça, quand on dit ça rassure les femmes, c’est plus sûr, etc., je suis tout à fait d’accord. Sur le fait qu’il y a effectivement 500 ou 600 fausses couches induites par le geste iatrogène de l’amniocentèse, qui est un geste technique sur lequel je n’ai rien à dire, seulement il faut le réserver à certains cas, c’est un geste que l’on n’utilise pas comme ça. C’est beaucoup trop, 500 ou 600 fausses couches liées au geste de l’amniocentèse.

Sandrine Cabut : Sur 50 mille amniocentèses par an.

Jean-Marie Le Méné : C’est complètement délirant !

Sandrine Cabut : Ça a beaucoup baissé.

Mathieu Vidard : Jean-Didier Vincent, dans le micro s’il vous plait ?

Jean-Didier Vincent : Pour le dernier accouchement de ma femme, il a fallu faire deux fois l’amniocentèse parce que…

Jean-Marie Le Méné : Quand on dit que ça va rassurer, ça va rassurer les couples qui attendent des enfants normaux, ces amniocentèses elles détruisent en pratique, la plupart du temps, des enfants normaux. Le problème est qu’on améliore techniquement, je suis d’accord, un système qui s’inscrit dans une politique de dépistage sur laquelle il y a quand même des réserves à exprimer car cette politique de dépistage, car cette politique de dépistage aboutit à un chiffre brut qui est celui de l’élimination d’une population entière de trisomiques 21.

Jean-Didier Vincent : Vous faites un faux raisonnement, parce que cette technique elle va simplement supprimer les fausses couches, c’est-à-dire qu’elle va sauver cette population sacrifié…

Jean-Marie Le Méné : Pas simplement, on a déjà 96% des trisomiques dépistés qui sont avortés, à partir du moment où ce test va être encore plus fiable, plus facile, remboursé, etc., il est tout à fait…

Jean-Didier Vincent : On va augmenter le dépistage, donc l’élimination des trisomiques.

Jean-Marie Le Méné : Tout à fait, c’est ce que je voulais dire.

Jean-Didier Vincent : Ça, il faut le reconnaître.

Jean-Marie Le Méné : Il y a deux courbes parallèles qui sont très explicites, la courbe du dépistage depuis quinze ans et la courbe de l’élimination des trisomiques qui est exactement parallèle.

Jean-Didier Vincent : D’accord, mais allez au fond de votre idéologie, vous êtes contre la suppression, l’eugénisme qui élimine les trisomiques. C’est tout, c’est clair ! Ne biaisez pas là-dessus.

Jean-Marie Le Méné : Non, je ne biaise pas. Sélectionner une population sur le critère de son génome et éliminer quasiment complètement cette population sous bannière médicale, c’est-à-dire sous pavillon de complaisance de la médecine, cela pose quand même problème.

Jean-Didier Vincent : Allez-y, défendez ce point de vue.

Jean-Marie Le Méné : C’est ce que je dis.

Jean-Didier Vincent : Pourquoi faut-il conserver les trisomiques, qui sont quand même un poison dans une famille, il faut bien le dire !

Jean-Marie Le Méné : Ah, je trouve que c’est intéressant de le dire comme ça !

Jean-Didier Vincent : Eh, oui !

Jean-Marie Le Méné : C’est très clair !

Claude Halmos : J’ai trouvé que votre image de l’affûtage de la lame de l’échafaud fait assez froid dans le dos, et on est en plein milieu du problème quand même parce qu’effectivement Jean-Didier Vincent a raison, on ne va pas se cacher derrière des boîtes d’allumettes, il s’agit de faire que contre l’avis des parents des enfants trisomiques viennent quand même au monde. Alors autant je suis pour que des parents qui sont prêts à accueillir, parce que ça a du sens pour eux, un enfant trisomique l’accueillent, je suis absolument pour, ceux qui ne se sentent pas à même de le faire doivent pouvoir ne pas les accueillir, donc les femmes doivent pouvoir avorter. C’est essentiel pour eux, cela ne se fait jamais facilement et c’est essentiel pour l’enfant parce qu’un enfant qui n’a pas une vraie place ne peut pas vivre normalement. Encore une fois, ce dont il s’agit là, c’est seulement d’éviter à ces femmes, qui doivent faire une amniocentèse aujourd’hui, parce qu’il n’y a rien d’autres, cette angoisse épouvantable qu’elles vont peut-être perdre leur bébé. Eh bien moi qui écoute les femmes, si ce test est fiable et s’il est bien, bravo ! Vraiment bravo !

Jean-Didier Vincent : Vous avez raison. Je connais Madame Rethoré, ma consœur de l’Académie de médecine, je l’apprécie, ce qu’elle fait pour les trisomiques, pour l’éducation, pour leur prise en charge pour la prise en charge, la prise en charge de leurs familles est absolument admirable. Ça n’enlève rien à son œuvre que de dire que dans une famille la présence d’un trisomique qui n’a pas été voulu, vraiment voulu, qui est accepté par la famille, c’est imposer à des enfants qui ne sont pas responsables au même titre que les parents, si ce terme de responsabilité est adéquate, la présence d’un trisomique dans un foyer. C’est quelque chose qui mobilise toutes les énergies de la famille, d’une population entière…

Mathieu Vidard : Écoutez, ce n’est pas la question, vous avez parlé de poison tout à l’heure, le terme était…

Jean-Didier Vincent : Je le retire.

Jean-Marie Le Méné : Il a été entendu par des millions de Français, c’est formidable.

Jean-Didier Vincent : Je le retire.

Jean-Marie Le Méné : Cela fait deux choses que vous retirez dans l’émission.

Mathieu Vidard : Merci pour les familles qui ont des enfants trisomiques et qui à mon avis sont…

Jean-Didier Vincent : Qui sont extrêmement dévouées.

Mathieu Vidard : Oui, mais le terme de poison coûte cher…

Jean-Didier Vincent : C’est un terme malheureux, mais…

Jean-Marie Le Méné : C’est le deuxième, ça fait beaucoup….

Jean-Didier Vincent : Quel est le deuxième ?

Jean-Marie Le Méné : Les socialistes et je ne sais pas quoi…

Mathieu Vidard : Non, Monsieur Le Mené, vous répondez à Claude Halmos et à Jean-Didier Vincent ?

Jean-Marie Le Méné : Le chiffre brut de l’élimination d’une population quasiment entière, je ne discute pas de la liberté des gens ou des femmes, je dis simplement que ce chiffre brut de 96% de l’élimination des trisomiques n’est pas un marqueur de liberté. Quand une urne est remplie à 96% on annule l’élection. Comment se fait-il qu’une population entière disparaisse ? Il y a un problème que d’ailleurs les spécialistes du domaine de la natalogie posent aussi, je ne suis pas le seul à poser cette question d’eugénisme, je ne suis pas un Martien de ce point de vue-là. Et derrière il y a des intérêts financiers qui sont considérables parce que derrière il y a ceux qui se servent de la peur et on retrouve la question des OGM, etc. C’est très classique effectivement de faire peur et d’agiter le spectre de la trisomie 21 comme une monstruosité à 850 mille femmes enceintes chaque année parce que c’est un marché captif. Il n’y a qu’à lire effectivement tout ce qui a été écrit sur les aventures boursières de ces (manque un mot) aux États-Unis où ils se sont battus à Saint Diégo entre différentes entreprise, ils ont fait de la spéculation boursière complètement délirante parce que derrière, j’ai lu leur littérature, qui est clairement eugéniste mais on n’est pas étonné s’agissant des États-Unis, c’est quand même de vieux souvenirs, en fait ils voulaient, ils savent qu’en faisant peur à la moitié de la population, parce que cela concerne une personne sur deux sur la planète, eh bien on se remplir les poches.

Mathieu Vidard : Ce qu’il faut dire, c’est que ce sont aussi vous convictions religieuses qui parlent, Monsieur Le Mené.

Jean-Marie Le Méné : Pas du tout !

Mathieu Vidard : Il n’y a aucun fondement religieux là-dessous ?

Jean-Marie Le Méné : Aucun fondement religieux !

Mathieu Vidard : Il n’y a aucun fondement religieux là-dessous sous l’effet de laisser des enfants vivre même s’ils sont gravement handicapés ?

Jean-Marie Le Méné : Non, mais un enfant est-ce qu’il a droit à la vie ou pas, est-ce qu’il peut vivre ? Est-ce qu’il sera condamné parce qu’il sera malheureux ?

Mathieu Vidard : Vous vous opposez aussi à la recherche sur l’embryon.

Jean-Marie Le Méné : Je veux bien parler de la recherche sur l’embryon, c’est un autre sujet. Je veux bien aborder ces questions-là.

Mathieu Vidard : On est un peu dans le même cadre d’idées…

Jean-Marie Le Méné : Non.

Jean-Didier Vincent : Si c’est quand même un tout. À l’Académie pontificale nous sommes pour par exemple pour les cellules souches, mais l’Académie de la vie, qui est une académie qui a été fondée concurremment par Lejeune, récuse tous travaux sur l’embryon, « toute pas à mon embryon », c’était véritablement…

Jean-Marie Le Méné : Si on peut faire autrement.

Jean-Didier Vincent : Parce que la vie est sacrée, c’est des principes qui reposent su des fondements religieux quand même.

Jean-Marie Le Méné : Non, non, non. Écoutez, Moi je ne reproche pas à ceux qui n’ont pas mes convictions d’avoir des convictions maçonniques ou je ne sais quoi. On peut discréditer les gens en mettant une étiquette ou je ne sais quoi…

Jean-Didier Vincent : Maçonniques, c’est une extrapolation parce que les frères prêtent serment sur la Bible ou sur un livre sacré.

Jean-Marie Le Méné : C’est un exemple.

Sandrine Cabut : Est-ce que vous êtes opposé à toute forme de diagnostic prénatal ?

Jean-Marie Le Méné : Bien sûr que non !

Sandrine Cabut : Alors pourquoi vous dites qu’on élimine…

Jean-Marie Le Méné : Être président d’une fondation scientifique et médicale et être contre les diagnostics ça n’a pas de sens. Le diagnostic est une partie de l’art médical. Je ne suis pas contre le diagnostic, je suis contre une politique dite de santé publique qui a pour but aveuglement, et là je ne vise personne en particulier, je ne dis pas qu’il y a un méchant eugéniste à la tête de l’État ou à la sécurité sociale, qu’il soit de gauche ou de droite, je ne pense pas ça. Je ne pense pas non plus que la population soit eugéniste, que les gens soient eugénistes, que les médecins soient eugénistes, je dis simplement qu’on a accepté, sans faire attention, de mettre au point une espèce de système, dont on est complètement prisonnier et qui conduit en fait à ce qu’on fasse disparaître une population entière. Je ne pense pas que cela soit le souhait ni des médecins, ni des familles, ni de l’État, ni de l’assurance maladie ni de personne, en fait on est prisonnier d’un système.

Sandrine Cabut : Je trouve absolument terrible ce que vous dites. Si je pense aux femmes qui en ce moment nous écoutent, qui sont enceintes, et à qui vous êtes en train de dire que quand elles pensent qu’elles vont peut-être avorter, si elles ont un enfant trisomique, elles vont faire disparaître une partie d’une population.

Jean-Marie Le Méné : Ah, oui.

Sandrine Cabut : D’abord c’est une façon de prendre le débat qui effectivement évite le vrai problème et qui permet de ratifier vos positions, qui sont des positions idéologiques, que vous avez le droit d’avoir, mais il faut les présenter comme telles. C’est absolument terrible à entendre ! C’est culpabilisant ! C’est déjà terrible de devoir avorter de son bébé, personne ne fait ça facilement, mais s’entendre dire en plus qu’on participe de la disparition d’une population ça a des évocations dans l’histoire qui sont quand même un peu lourdes.

Jean-Marie Le Méné : J’espère. Est-ce que vous ne pensez pas que le besoin des parents est d’entendre un discours qui soit un discours d’accueil à l’égard de l’enfant quel que soit l’enfant qu’ils auront, un discours de bienvenu ?

Sandrine Cabut : Mais c’est beaucoup plus large, c’est de l’information dont les gens ont besoin pour un cas ou l’autre, une information complète mais pas uniquement une information d’un cas et d’une enfant.

Jean-Marie Le Méné : On sait que les femmes sont sous-informées, ça a été reconnu, il y a des études qui ont été faites, elles ne savent pas, ne comprennent pas forcément ce dont on est en train de discuter…

Sandrine Cabut : Là, je vous rejoins, il y a un vrai effort à faire là-dessus.

Mathieu Vidard : Ce qu’il faut dire pour terminer cette discussion, Sandrine, c’est que cette discussion du diagnostic prénatal dépasse le cadre même de la trisomie 21.

Sandrine Cabut : Tout à fait. Vous savez qu’on séquence aujourd’hui les génomes des plantes, des animaux, des êtres humains, et à tous les âges de la vie. On sait maintenant faire des génomes entiers des fœtus, des nouveau-nés, et effectivement là se pose la question, quand on a le génome entier d’un fœtus, si on le fait un jour, forcément on va avoir des choses, qu’est-ce qu’en on fait ? C’est vrai que ça pose des questions…

Jean-Didier Vincent : Surtout quand cela sera entre les mains des compagnies d’assurance !

Mathieu Vidard : On termine sur ce sujet, dossier à découvrir dans le cahier « Science & Techno » du Monde, cette après-midi, avec les dossiers du Monde de samedi.

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On termine avec vous, Claude Halmos, avec vos réactions, non pas de critique littéraire mais bien de psychanalyste sur le thème du dernier livre de livre de Christine Angot, Une semaine de vacances, il a été très commenté, il a même fait la Une de Libération il n’y a pas très longtemps. Pourquoi est-ce que vous aviez envie de nos parer de ce livre ?

Claude Halmos : Il y a eu des réactions très positives, dans Libé effectivement et dans beaucoup d’autres journaux, puis il y a eu des réactions négatives, ce qui est normal. Ce qui est intéressant c’est qu’il m’a semblé que dans ces réactions négatives au livre on retrouvait beaucoup de choses de ce que l’on trouve sur le terrain à propos de la façon dont notre société ne veut pas voir et pas savoir ce qu’il en est vraiment de l’inceste. Ce qui est important, je le dis tout de suite, ce n’est pas du tout une position sociologique mon truc, c’est que c’est important d’une part pour la prévention parce que si l’on ne veut pas savoir vraiment ce que c’est que c’est que l’inceste on ne pourra jamais protéger les enfants et les adolescents comme ils devraient l’être, à l’heure actuelle ils ne le sont pas. Et c’est important aussi, j’essayerai de dire pourquoi, pour la reconstruction des personnes qui ont vécus l’inceste. Je dis juste très rapidement, le livre de Christine Angot, c’est 170 pages, insupportables, j’ai crevé d’angoisse du début à la fin, qui raconte une semaine de vacances, comme le dit le titre, entre un père et sa fille. On comprend rapidement que c’est le père, la fille à 16 ans. Et, c’est écrit, c’est la force de ce livre, comme un bouquin porno. Je ne suis pas spécialiste des bouquins pornos mais je sais comment c’est fait, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune psychologie, il y a une série de faits, c’est ce qui fait que cela vous prend à la gorge. Simplement au lieu de provoquer de l’excitation comme les bouquins pornos, ça provoque de l’angoisse. Ce que j’ai trouvé, moi, extraordinaire dans ce livre, et extraordinaire par rapport à, j’écoute beaucoup de famille de femmes et d’hommes…

Mathieu Vidard : C’est un livre que beaucoup ont trouvé choquant…

Claude Halmos : Mais, c’est choquant et c’est bien que cela soit choquant parce que cela ne peut pas ne pas être choquant un récit qui raconte l’inceste, parce que ce choc les victimes le vivent. Il se trouve que je travaille beaucoup sur la question de la maltraitance avec les enfants et les adolescents et j’écoute aussi beaucoup d’adultes hommes et femmes, parce que l’inceste n’est pas réservé aux femmes, qui ont vécus des choses comme ça, et on retrouve vraiment, en ça que c’est admirable, ce que racontent ces gens dans leur travail analytique dans une douleur évidemment infernale. C’est-à-dire en gros cette espèce de huit clos de l’inceste, qui dure une semaine ou qui dure des années, souvent cela dure des années, une victime qui est transforme en robot, une série d’actes comme ça qui n’en finit pas, qu’on subit, mais un temps qui n’en fini pas de finir et des actes qu’on subit et puis de temps en temps une tentative qu’a eu cette espèce d’objet robotisé, qu’est devenu l’enfant ou l’adolescent, d’échapper. Dans le livre de Christine Angot, par moment elle regarde son sac, c’est la seule liberté, entre guillemets, qui lui ait laissée. C’est un document extraordinaire sur l’inceste et c’est un document sur la perversion, parce que le père est un pervers.

Mathieu Vidard : Le pervers est bien décrit, oui.

Claude Halmos : Tout à fait, la conscience, souvent les patients demandent : est-ce qu’il savait ce qu’il faisait mon père ? Oui, là on voit très bien qu’il savait ce qu’il faisait, et on voit ça à travers des actes, donc c’est absolument admirable. On voit cette volonté d’avilir l’autre au-delà des actes, qu’il y a toujours chez le pervers et aussi une façade de respectabilité qu’il y a toujours sur quoi bute la prévention, parce qu’il n’y a pas plus respectable qu’un monsieur qui fait des tracts pareils. Il fait des cours sur la prononciation du W, le père du bouquin d’Angot. Moi, j’en ai vu d’autres, c’est comme ça qu’on truande les juges, les services sociaux, etc. Je disais que c’est important pour la prévention parce que si l’on comprend l’horreur que c’est, et l’horreur on se la prend dans la figure, même moi qui ai l’habitude - ne prend jamais l’habitude – d’écouter ces femmes, je l’ai pris dans la figure, mais c’est important pour la reconstruction. Parce que quelqu’un qui vit un trauma comme ça il y a comme un blanc. C’est-à-dire à la fois la personne le vit et en même temps elle n’est pas là, c’est complètement déconnecté, décroché. Pour le travail de thérapie il faut que quelqu’un reconnaisse ce que cette personne a vécu, l’écoute d’une autre façon qu’on écoute les autres, pour que cela puisse lui être envoyé comme quelque chose que vraiment elle a vécu et dont elle va pouvoir faire quelque chose. Il y a par rapport à l’inceste un exemple à donner, qui est ce qui s’est passé pour les gens qui revenaient des camps ou pour tous ceux qui ont vécus des traumas, Robert Antelme le dit, comment est-ce qu’on pouvait parler de quelque chose que personne ne pouvait se représenter ?

Mathieu Vidard : Donc, vous nous conseillez de lire ce livre ?

Claude Halmos : Absolument !

Mathieu Vidard : Une semaine de vacances, Christine Angot, paru chez Flammarion. Merci beaucoup à tous les quatre autour de cette table. La fondation Lejeune est en lien sur La tête au Carré, Jean-Marie Le Méné, fondationlejuene.org, vous qui soutenait la trisomie 21. Sandrine Cabut, le cahier « Science & Techno » du Monde. Jean-Didier Vincent, Le cerveau sur mesure, c’est aux éditions Odile Jacob. Claude Halmos, toujours aux éditions Fayard, Dis-moi pourquoi : Parler à hauteur d’enfant. Bon week-end.



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