Les perceptions des relations humains-animaux et leurs impacts sur l’éthique animale et l’éthique environnementale
Cédric SUEUR (IPHC - CNRS / UnisStra, Strasbourg) et Marie PELÉ (Anthropolab, Université catholique de Lille
Frédéric DENHEZ : […] Merci, Jane LECOMTE. Cela oblige à voir le type de relations que nous avons avec les non-humains, les autres animaux, autres que nous, et comment l’on perçoit ses relations. On va voir cela avec vous, Cédric SUEUR et Marie PELÉ. Je ne vous ai pas eus au téléphone, donc je ne sais pas ce que vous allez nous dire, tant mieux, je vais découvrir ça en même temps que vous, mesdames messieurs qui nous regardaient.
« La perception des relations humains-animaux et leur impact sur l’éthique animale et l’éthique environnementale », on vous écoute.
Cédric SUEUR : Bonjour, merci beaucoup. Vous voyez bien mon écran, et vous m’entendez bien ?
Frédéric DENHEZ : On vous entend bien et on vous voit parfaitement !
Cédric SUEUR : Parfaite ! Je vais aborder le réensauvagement, pas d’un point de vue écologique mais plus d’un point de vue social et éthologique justement. […]
Je vais parler d’Anthropocène, et avant tout, je vais aborder le mot anthropause. Ce mot a été inventé durant les premiers confinements, puisqu’on a pu voir, avec l’arrêt soudain des activités humaines, que les animaux repeuplaient certaines zones qu’ils avaient dépeuplées, et réoccupaient certains territoires. Il y a eu un moment où les ces animaux récupéraient leurs territoires animaux.
Cette notion de territoire animaux - territoires humains, ce n’est pas moi qui l’ai inventée, elle a été abordée bien avant. En fonction du chevauchement qui va y avoir entre ces territoires animaux et ces territoires humain, on va pouvoir décomposer différentes catégories d’animaux, qui vont aller du sauvage, où il n’y a peu de chevauchements, au liminaires, ce sont des animaux qui vont évoluer entre les deux milieux sauvages et urbains, et puis les domestiques, les animaux qui sont souvent avec l’humain. Vous voyez, ici, l’inclusion dans la société, en en fonction de cette inclusion on va aussi avoir des relations avec ces animaux.
Ces relations vont être plus ou moins positives ou négatives. Un exemple parfait, qui rapproche vraiment une espèce, dont on a parlé auparavant, et qui a évolué en deux sous-espèces, c’est le loup et le chien. D’un côté, vous avez le loup, qui est sauvage et avec qui, en ce moment, on n’a pas de très bonnes relations, et puis le chien, l’animal domestique qui est souvent avec nous, et avec qui nous avons de très bonnes relations.
De ces territoires, il va y avoir aussi des perceptions. Des perceptions humaines et des perceptions animales, que nous pouvons étudier. Un exemple parfait, cette photo, on peut dire que ce n’est pas l’animal qui traverse la route, c’est la route qui traverse son territoire. Ça, c’est intéressant, puisque justement c’est une phrase qui peut en choquer certains, puisque c’est l’homme qui s’approprie cette route et qui se pose parfois la question de pourquoi l’animal va traverser cette route, alors que pour lui, cette route fait entièrement partie de son territoire. Donc, c’est une question de perception et on peut essayer d’étudier comment cette perception va être influencée par la culture.
Un exemple, purement éthologique mais qui parle bien de l’influence de la culture sur le comportement, c’est la perception de soi. En éthologie, on utilise le test du miroir, où on va mettre une tâche sur un animal et l’animal va se regarder dans un miroir, s’il se reconnaît, il va toucher la tâche directement sur lui. Là, vous avez un macaque de Tonkean, qui est en train de s’observer dans le reflet d’une caméra, on va voir que son comportement va changer au fur et à mesure, puisqu’il va se dire que c’est pas un autre macaque qui est présent dans ce reflet, c’est bien peut-être lui.
Ce qui est intéressant, c’est que ce test va fonctionner chez certaines espèces, mais va échouer pour d’autres, parce qu’il va y avoir un aspect biologique de l’espèce, avec la perception visuelle, chez les primates elle est visuelle. On utilise beaucoup la communication visuelle, on se reconnaît à travers le visage. Mais, il y a d’autres espèces, comme le chien, où la perception n’est pas visuelle mais olfactive. Le test du miroir n’est donc pas adapté pour tester la reconnaissance de soi chez le chien, au même titre que chez le gibbon, par exemple, où il va y avoir une reconnaissance auditive et pas du tout une reconnaissance visuelle. Donc, ça, c’est l’aspect biologique de l’espèce animale que l’on va tester.
Ce test a aussi été effectué chez les humains. Les enfants Fidjiens ont échoué à ce test. Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas que les enfants Fidjiens ne savent pas se reconnaître, ne sont pas conscients d’eux-mêmes, c’est juste qu’ils ont une approche de soi, de la reconnaissance de soi dans le miroir, qui est différente de l’aspect que nous en tant qu’Occidentaux on va avoir. Vous voyez bien ici, comment la culture peut influencer un test et donner des résultats qui sont complétement différents, en fonction de de populations différentes.
Donc, la perception qu’on va avoir de l’animal va sous-entendre son usage. On a bien différents usages de l’animal, il va y avoir le bien matériel, c’est celui qu’on reconnaît le plus souvent à travers l’élevage, l’alimentation. Il y a aussi le lien social avec l’animal de compagnie, l’animal de médiation, l’aide sociale, que l’animal peut apporter, mais il y a aussi le soutien culturel, qui va être l’aide aux savoirs ou à la cohésion, l’aide aux savoirs scientifiques, par exemple. Je pense que tout cela on va l’aborder demain. Puis l’aide à la cohésion, avec par exemple les fêtes paysannes, les signes religieux ou païens, l’animal qui va être utilisé dans des sacrifices ou les rituels.
Donc, la culture va influencer la perception que l’homme va avoir de l’animal, qui va influencer l’usage de l’animal. Mais, ce que l’on va voir aussi, c’est que l’usage de l’animal peut influencer la culture, dans le sens où parfois une perception va être plus importante qu’une autre. Dans notre culture occidentale, le chien est devenu un animal de compagnie, de ce fait, pour nous, il est impensable qu’on puisse le manger. Pourtant, dans d’autres sociétés, le chien est une espèce que l’on mange. Ici, en fait, c’est cette approche culturelle qui empêche que l’on mange le chien, alors qu’on mange du porc, qui est tout à fait aussi intelligent, qui a des capacités cognitives aussi fortes, hautes, que le chien.
L’étude des facteurs qui va influencer cette perception est importante et va permettre de comprendre pourquoi on discrimine, pourquoi on fait du spécisme, et comment cela va pouvoir impacter le principe de conservation ou de réensauvagement.
Parmi ces facteurs qu’on peut étudier, il y a les ontologies animales. L’ontologie, c’est l’étude de l’être ou de la perception du vivant. On peut le voir ici en fonction de quatre grandes cultures, qui ont été décrites par DESCOLA, et qui ont été abordées ce matin. Vous avez : le naturalisme, l’animisme, le totémisme et l’analogisme. Le naturalisme, c’est le fait que les humains et les non-humains ont une même physiologie, par exemple, on a des membres, un cerveau qui sert à penser à décider, un intestin qui sert à digérer, des poumons qui servent à respirer, mais qu’on va avoir une intériorité différente, une conscience différente, ou le fait qu’on ait une âme ou pas d’âme. Dans nos sociétés, par exemple, l’homme a une âme mais les animaux, le plus souvent, sont considérés comme n’ayant pas d’âme. L’animisme, au contraire, on va avoir la même intériorité, c’est-à-dire qu’on a tous la même conscience, on a tous la même âme, mais on a un corps différent, et c’est ce corps différent, qui va amener à avoir une perception et une interaction entre l’homme et l’animal qui va être différente. DESCOLA, en plus de bien parler de ces quatre ontologies, dit aussi que la nature n’existe pas, au sens où pour lui, c’est une abstraction qui oppose l’homme au reste du monde, et qui est aussi quelque chose de culturel. c’est-à-dire qu’on a décidé à un moment donné, dans certaines sociétés, de s’opposer et de se soustraire à la nature. Et ça, cela va être important dans notre lien à la nature et aux composants de cette dernière.
Si on reprend la graduation du sauvage au domestique, KYMLICKA et DONALDSON, qui ont écrit le livre de Zoopolis, ont repris ce qui va opposer la nature, ou le sauvage, et la société avec urbain, et ils ont classé les animaux en trois catégories, que je vous ai présentées, qui sont : le domestique, le liminaire et le sauvage. Ce qui est intéressant, c’est qu’à chacune de ces catégories ils vont attribuer des droits différents. Les animaux domestiques seraient des citoyens, comme nous, à part entière, appartenant aux sociétés, et ils auraient des droits dans les villes dans lesquelles ils vivent. Les animaux liminaire, qui sont des animaux avec qui on n’interagit plus mais qui vivent dans nos villes, auraient un statut de résident. Et les animaux sauvages, avec qui on interagi très, très peu, auraient la souveraineté de leur milieu, ils pourraient vivre comme ils le souhaitent. Ça, à première vue, on se dit c’est une théorie et des droits qui pourraient être très intéressants, mais cette classification est influencée par notre approche naturaliste, notre vision de la nature et des animaux, qui est elle-même inspirée ou liée à nos sociétés occidentales. Les travaux que je vous ai montrés sur les enfants Fidjiens, Joe HENRICH, l’auteur principal de ces travaux, parle de nos sociétés comme des sociétés « WEIRD », j’aime beaucoup le mot qui ressemble au mot bizarre en anglais, et qui veut dire : Western Educated Industrialized Rich Democratic. Il faut savoir que ces sociétés auxquelles on appartient en tant qu’Européens, Occidentaux, représentent à peu près à 30% des sociétés humaines au niveau de la terre. Le problème qui va y avoir avec le fait de se classer les animaux de cette manière, et d’en donner ces droits, c’est que ces droits vont descendre directement d’un passé colonial et que notre perception va être influencée par ce passé. Ce n’est pas moi non plus qui l’ai inventé, ce sont des travaux qui existent. Ce qui veut dire que notre façon de percevoir les animaux, la nature, le sauvage, la conservation est empreinte de contraintes historiques, et que nous avons une certaine gestion colonialiste de la nature dont il faudrait se soustraire.
Ça, vraiment notre vision de la nature, ce sont des biais, des contraintes historiques. La façon dont nous voyons les animaux est aussi influencée par d’autres contraintes, telle que la phylogénie. Ça, un article qui a été écrit, entre autres, par guillaume LECOINTRE, du Muséum national d’histoire naturelle. Dans cette étude, ils ont proposé et montré différentes espèces animales. Les gens ont regardé deux photos, et ils devaient faire un choix parmi les animaux qui étaient montrés, avec une première question : « Lequel, parmi ces deux animaux je comprendrais le mieux les émotions ou les sentiments ? », ça, c’était la question empathique, et la question sur la compassion : « Si je devais sauver un de ces animaux lequel je sauverais ? ». Cela a permis d’obtenir des points et de classer ces animaux.
Ce qu’on peut observer, c’est qu’en fait la capacité d’empathie et la capacité de compassion de l’homme envers les espèces animales, diminue avec la distance phylogénétique qu’on a avec ces espèces. Vous voyez ici des primates au mammifères, au vertébrés, etc. Cela veut dire qu’en fonction des animaux qu’on va pouvoir observer, et avec lesquels on va interagir, on ne va pas avoir la même sentiment d’empathie ou de compassion, avec des critères tels que la symétrie bilatérale, la fourrure, les gros yeux du petit chiot, etc.
Nous, nous avons réalisé une étude, qui vient paraître, sur les facteurs sociodémographiques qui pouvaient influencer notre perception par rapport à l’animal. Dans cette étude nous avons présenté trois vidéos. En premier, vous aviez un individu inanimé et un congénère qui s’approchait de cet individu inanimé, effectuait des comportements, et au bout d’un certain temps on pouvait voir que l’animal inanimé redevenait conscient. Puis, une quatrième vidéo, avec un homme qui frappait un robot, qui avait l’aspect d’un chien, mais on ne pas en parler. On va surtout parler de ces trois vidéos, pour lesquelles on a posé les questions suivantes : « Pensez-vous que le congénère, par exemple d’un moineau inanimé, avait l’intention de le sauver, en réalisant ses comportements ? » ; « Pensez-vous que le congénères du moineau inanimé était conscient du danger imminent de mort de ce dernier ? », et « Pensez-vous que cette espèce d’oiseau, ici le moineau, le macaque rhésus, ou l’éléphant, soit conscient de ce qu’est la mort ? »
On a pu classer les scores obtenus, les réponses des participants en fonction d’un score d’anthropomorphisme qui va de la mentaphobie, c’est-à-dire que l’on ne va attribuer aucune capacité cognitive aux animaux qu’on va observer à un anthropomorphisme plein, c’est-à-dire que on va attribuer les capacités cognitives aux animaux telles qu’elles le sont chez l’homme, et on a comparé ça avec les capacités cognitives des animaux. Ce que l’on a pu observer, c’est qu’il a très peu de personnes qui étaient mentophobiques, et peu de personnes qui montraient un anthropomorphisme qui reflétait les capacités réelles des animaux. Par contre, on avait un ensemble d’anthropomorphisme qui allait d’un anthropomorphisme automatique ou naïf, c’est-à-dire qu’on ne connaissait pas l’animal mais on attribuait quand même des intentions, à un anthropomorphisme qui montrait qu’il y avait une certaine réflexion, une certaine connaissance des individus derrière. Mais ce qui a été intéressant avec ce questionnaire qui a été testé chez des Français, c’est qu’on a pu voir que les hommes et les personnes qui étaient plus âgées faisaient moins d’anthropomorphisme que les femmes et les individus plus jeunes, que les personnes qui travaillaient avec les animaux, ou qui avaient un animal domestique, faisaient moins d’anthropomorphisme, probablement parce qu’ils avaient observé leur animal et qu’ils connaissaient leur animal, et que les membres d’Associations de protection animale faisaient justement plus anthropomorphisme, probablement parce qu’à l’origine ils seraient peut-être plus empathiques, et que c’est cette empathie qui les mène à se soucier beaucoup plus de l’éthique animale, ou et de l’éthique environnementale.
Donc, on a bien des biais cognitifs qui nous posent des problèmes dans notre relation avec la nature, et ça c’est justement un une autre étude qui a été faite par Franck COURCHAMP en partie, qui montre que les espèces sauvages les plus populaires et les plus présentes dans le commerce où les médias sont fortement menacées d’extinction, ce que le public semble ignorer, parce qu’ils y voient justement trop à la télé. En voyant trop ces animaux (gorilles, pandas, ...) que ce soit dans les dessins animés ou les reportages animaliers à la télé, pour lui c’est ces espèces ne sont pas danger alors que c’est le cas. Donc là, on a notre souci, c’est que les médias peuvent déformer notre perception de la réalité.
Alors, qu’est-ce qu’on doit faire de ces biais ? On a vu qu’il y avait des biais culturels, sociodémographiques qui existaient, il faut qu’on arrive à utiliser ses biais dans nos réflexions éthiques, notre façon de travailler, et qu’on puisse utiliser les émotions que les animaux soulèvent pour mieux les protéger par exemple, ou pour mieux conserver les espèces.
J’ai pris un exemple, il y en a plein mais j’ai pris l’exemple de l’alimentation animale. Quand on regarde l’alimentation animale, le fait de manger de la viande il y a des problématiques qui tournent autour de l’éthique animale. Le fait de se poser la question sur la mise à mort des animaux, sur le mal-être durant l’élevage, mais on a aussi des questions d’éthique environnementale. Quand vous mangez en particulier des bovins, il y a des problèmes de déboisement, de pollution, de perte de biodiversité, qui entraînent des changements climatiques. Vous avez aussi des problèmes d’éthique humaine, avec les maladies émergentes, par exemple avec la Covid, le fait que cela puisse entraîner des cancers, ou des problèmes sociétaux, qui sont plus des problèmes de points deux points de vue. Par rapport à cela, on peut on peut attribuer des solutions, qui sont …
Frédéric DENHEZ : Il ne vous reste plus que deux minutes.
Cédric SUEUR : D’accord, je vais passer assez vite là-dessus.
Quand on décide de travailler sur l’éthique humaine, l’éthique animale et l’éthique environnementale, c’est ce qu’on appelle le concept de one-health, une seule santé, il faut qu’on arrive à travailler en interconnecté, comprendre que la santé de l’humain est liée à la santé de l’environnement et la santé des animaux.
Et ça, c’est intéressant, on peut le voir justement avec la Covid 19. On dépense des millions pour essayer de trouver un vaccin, ou de trouver des systèmes qui nous empêchent de répandre ou que la maladie se propage, alors qu’on pourrait essayer de plus prévenir que guérir, c’est-à-dire agir en amont, essayer de travailler en amont sur ce problème.
Par exemple, les solutions préventives qui pourraient exister pour lutter contre la Covid19 ou d’autres maladies émergentes, c’est travailler sur la santé animale, avec le fait diminuer l’espace ou le contact des animaux en cage, travailler sur la santé environnementale, avec le fait d’améliorer la stabilité des écosystèmes ou de diminuer le trafic des animaux, ou encore travailler sur la santé humaine, essayer de comprendre l’alimentation.
Là encore, également pour la biodiversité et le réensauvagement, il faut qu’on arrive à appliquer ce système de one-health et qu’on puisse réunir l’ensemble des acteurs pour trouver des solutions, et ça, cela veut dire réussir à se coordonner collaborer et communiquer.
Alors ça, avec les aspects culturels et sociétaux, vous avez le cas du hamster d’Alsace, qui est assez intéressant, puisqu’il était considéré comme nuisible dans les années 90 et aujourd’hui c’est une espèce protégée, une espèce drapeau, et la France dépensent des millions pour essayer de la protéger. Et, il y a des difficultés avec des changements des pratiques agricoles puisque le gouvernement, depuis des dizaines d’années, a voulu renforcer la monoculture et le fait d’avoir des grandes terres. Il y a aussi des difficultés d’interaction entre les différents niveaux, puisque vous devez partir du citoyenne agriculteur, travailler avec la mairie, avec d’autres départements, avec l’État, avec le chercheur.
De l’autre côté, vous avez un article paru justement sur la conservation des espèces en République démocratique du Congo. Ils ont essayé de vérifier l’impact des programmes d’éducation à la conservation. Ils ont pu voir que la prise en compte qu’on devait prendre en compte les problèmes sociétaux et les besoins de la population. À ce propos, il y a un livre qui vient juste de paraître, qui est « L’invention du colonialisme vert », qui reprend justement ce que je viens de vous dire, c’est-à-dire que tant qu’on continue à avoir une approche colonialiste de la conservation, on ne peut qu’aller dans le mur.
Frédéric DENHEZ : Il faudrait conclure, Cédric.
Cédric SUEUR : Oui.
Pour conclure, il faut arrêter de voir l’animal comme un capital matériel, c’est-à-dire de le voir que comme une alimentation, ou un comme utile pour les vêtements, il faudrait le voir également comme étant un capital social, un capital naturel, et également un capital culturel, source de savoir. Voilà !
Je vous remercie de votre attention.
Frédéric DENHEZ : Merci, c’est passionnant ce que vous avez dit sur notamment l’anthropomorphisme, entre naïf et réflexion, lié plus ou moins au sexe, à l’âge, à la possession, je n’aime pas employer ce mot, d’un animal domestique. Et puis, vous l’avez cité, le rôle des médias, j’en suis. Effectivement, c’est toute la difficulté, le paradoxe, de faire de magnifiques documentaires sur la fin de la planète, la destruction la biodiversité, avec une voix off désespérante mais plaquée sur des images magnifiques. Que croire ? Qui croire ? Une forme de rousseauisme dépressif. Oui, oui, c’est comme cela que je l’appelle, le rousseauisme dépressif, qui fait que le bon citoyen, qui n’a pas plus de sensibilité naturaliste que ça, il ne sait pas quoi faire. Effectivement, les animaux, on nous dit qu’ils sont menacés et en même temps ils sont tellement beaux qu’on arrive encore à les filmer. Il se pose alors la question de s’il ne vaut pas mieux montrer la biodiversité commune, mais je crois que la réponse est et dans les exposés que vous avez fait.
Denis COUVET, vous êtes encore là ?
Denis COUVET : Je suis là.
Frédéric DENHEZ : Il y a une question via internet sur les criquets, un doute d’un des internautes qui nous regarde, qui se formule de la façon suivante : « Oui, on ne peut pas parler d’inventivité, c’est juste une adaptation à des stress environnementaux ». Qu’est-ce que vous lui répondez ?
Denis COUVET : Je lui répondrai que les récentes aides technologiques chez les humains sont souvent des adaptations au stress environnementaux, donc de ce point de vue-là, j’ai du mal à vraiment faire la différence entre les criquets et les humains, même si on sait qu’effectivement notre anthropomorphisme nous induit à penser que nous sommes d’une nature complétement différente, mais en tant qu’écologue, j’ai du mal à faire la différence entre les deux.
Frédéric DENHEZ : Eh ben, voilà. Jane LECOMTE, une question, je pense pour vous : Comment faire en sorte de préserver, comment dirais-je, les processus évolutifs, la nature dans sa complexité, est-ce que les différents conservatoires de (manque un mot incompris) qui existent en France, il y en a un à Saint-Arnoult-en-Yvelines, près d’ici, un sur l’île d’Ouessant, est-ce que c’est de bons exemples de ce vers quoi il faudrait aller ?
Jane LECOMTE : Je ne sais pas si ce sont de bons exemples, mais ce qu’il faut, c’est éviter les pressions de sélections qui seraient directionnelles à toute échelle, éviter des extinctions qui seraient ciblées sur des espèces, voire même sur des communautés, justement pour essayer de réduire l’impact qu’on pourrait avoir sur les trajectoires évolutives. J’ai envie de dire les conservatoires, les espaces protégés, c’est évidemment un lieu qui est privilégié, vu que l’objectif est de limiter les extinctions possibles. Ça, c’est une voie, mais comme je le disais, ces espaces sont des espaces de lieu de préservation des trajectoires évolutive, voire de libre évolution, mais il faut voir aussi cette préservation au sein des espaces, qui seraient un peu plus anthropisés. C’est vraiment une vision globale qu’il faut avoir pour ce respect des trajectoires évolutives du vivant. Voilà.
Frédéric DENHEZ : Denis COUVET, est-ce qu’il y a des niveaux de stress que l’homme exerce sur l’environnement, qui font qu’on ne pourra jamais revenir en arrière, qu’il y a des écosystèmes qui resteront détruits ou réduits à la portion congrue ? Ou est-ce qu’on peut ré-ensauvager, re-fauner de toute façon ?
Denis COUVET : C’est variable, dans les aires bétonnées, très clairement la re-faunation n’aura pas lieu tout de suite, mais tous les lecteurs du « Le domaine des deux » s’aperçoivent qu’effectivement à l’échelle des siècles, mêmes les aires bétonnées seront en fait re-faunées à un moment ou un autre.
Frédéric DENHEZ : Je pose la question parce que c’est le syndrome de la morue. La morue a décliné, comme vous le savez, à Terre-Neuve et malgré l’arrêt de la pêche, le moratoire, manifestement elle n’est jamais vraiment revenue, les femelles gravides n’ont jamais retrouvé leur bonne taille, certains disent que c’est irrémédiable, on ne reviendra jamais en arrière, parce que à la pression de la pêche s’est substituée la pression du climat. Vous en pensez quoi ?
Denis COUVET : Sur le plan écologique, ce sont deux choses différentes, mon exemple de l’aire bétonnée et celui la morue. Pour la morue, on est dans l’exemple de basculement, dont je vous ai parlé tout à l’heure. Les écosystèmes maintenant fonctionnent de manière différente, la morue actuellement n’a plus vraiment sa place dans l’écosystème, pour résumer les choses. C’est différent de l’exemple de l’aire étonnée ou là on a une dégradation très forte de l’ensemble des ressources, donc il faut attendre effectivement que je les ressources primaires, le sol, la végétation, puissent se recréer, réapparaître.
Frédéric DENHEZ : Vous avez abordé la réintroduction du loup, qui est revenu chez lui naturellement, mais la réintroduction de l’ours en France est-ce qu’elle a une valeur écologique ? Elle répond à quoi ?
Denis COUVET : Je parlerais sous le contrôle des spécialistes, mais le cas du loup et de l’ours sont assez différents sur le plan écologique. Le loup est une espèce qu’on dit clé de voûte en l’occurrence, c’est-à-dire qu’avec une faible abondance, une simple meute dans le cas du Yellowstone, et cela a un effet systémique, cela a un effet vraiment drastique sur les populations de wapitis, qu’il s’agit de préserver. Le cas de l’ours, qui est moins d’espèces clé de voûte à l’échelle des relations systémiques, dont a parlé notamment Jane, par contre, l’ours c’est, dans notre vocables, ce qu’on appelle une espèce parapluie, une espèce qui a des exigences écologiques très importantes, et derrière la préservation de l’ours dans les Pyrénées, en fait on préserve une certaine qualité d’habitat, au passage, précisons-le, pour les non-humains mais aussi pour les humains. Dans certaines vallées pyrénéennes, je dirais de manière schématique, est-ce qu’on veut plutôt des ours ou une autoroute qui produit de l’aluminium ? Je crois aussi que les humains qui habitent cette vallée, quelque part, leur futur est engagé.
Frédéric DENHEZ : Eh bien voilà, c’est fort bien résumé !
Cédric SUEUR, qu’est-ce que le discours le antispéciste aujourd’hui, le discours vegan, le discours sur le bien-être animal, nous dit d’un éventuel changement dans nos relations, au moins psychologique, avec le règne animal ? Est-ce que cela va dans le bon sens ? Est-ce que les choses sont en train de changer dans le sens que l’on a établi depuis ce matin ?
Cédric SUEUR : Je pense qu’il y a un changement de mentalité. Ce qui est aussi intéressant de voir, c’est que avant quand on parlait de problèmes de gestion animal, c’est souvent un problème d’éthique animal, et on opposait l’éthique animale à l’éthique environnementale, en fait on est en train de voir que l’homme est tellement en train de perturber son environnement et de l’exploiter que là l’éthique animale et l’éthique environnementale se rejoignent, et rejoignent aussi l’éthique humaine, ou la santé humaine, puisqu’on est tellement en train d’exploiter notre environnement qu’on est en train de créer quelque chose qui sera plus exploitable d’ici à quelques années. Donc, cela veut dire qu’il faut qu’on change totalement de paradigme et qu’on arrive à avoir une nouvelle notion de l’animal et de l’environnement en tout cas.
Frédéric DENHEZ : C’est justement ce qu’on va voir avec Simon JOLIVET.
Merci Madame, merci messieurs.