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Une fondation controversée sur la Guerre d’Algérie / France Info

Transcription par Taos Aït Si Slimane d’une séquence d’information sur les ondes de France Info, du jeudi 21 octobre 2010, « Une fondation controversée sur la Guerre d’Algérie ». Pour en savoir plus sur cette question, entre autres, je vous invite à fréquenter régulièrement le site de la section LDH de Toulon, Cf. par exemple cette page

Présentation sur le site de l’émission : La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, voulue par Nicolas Sarkozy, a été installée cette semaine aux Invalides, à Paris. Son objectif est de « réconcilier » les mémoires de cette guerre si longtemps niée. Mais à peine née, elle suscite la controverse. Issue de la loi de 2005 sur l’apport des rapatriés d’Algérie, elle est boudée par les historiens et par les Algériens. Ils la soupçonnent de vouloir promouvoir une histoire orientée.

La première tâche de la fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie sera sans doute de prouver sa propre légitimité. Elle a été installée ce mardi aux Invalides, à Paris, par le secrétaire d’État aux Anciens combattants, Hubert Falco. Et elle provoque déjà une levée de boucliers.

Texte de Grégoire Lecalot sur le site de l’émission : Le pêché originel, celui qui provoque la méfiance des historiens et de certains des acteurs de la guerre d’Algérie, c’est qu’elle est née de la loi 23 février 2005, « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés ». Le texte avait lui-même fait flamber une polémique des deux côtés de la Méditerranée en recommandant aux enseignants d’insister sur « les aspects positifs de la colonisation » auprès de leurs élèves. L’article avait finalement été abrogé.

L’idée de la fondation avait elle aussi été abandonnée. Mais elle a été relancée par Nicolas Sarkozy en décembre 2007. Le président estimait qu’elle contribuera à la réconciliation des mémoires.

Cette tâche originelle, dans l’esprit de ses opposants, est encore rehaussée par la composition du conseil d’administration, qui décide du financement. Le budget du nouvel organisme s’élève en effet à 7,2 millions d’euros. L’État en apporte trois. Le reste provient de trois associations d’anciens combattants : la Fédération nationale André Maginot, les « Gueules cassées » et Le Souvenir français. Certains dirigeants de ces associations ont signé le manifeste des généraux, au début des années 2000. Il minimise et justifie l’utilisation de la torture par l’armée pendant le conflit. D’où le scepticisme des historiens spécialisés les plus reconnus, comme Benjamin Stora, Jean-Pierre Rioux ou Jean-Charles Jauffret. Ils ont refusé d’entrer au conseil scientifique, jugeant que le travail de la fondation risquait d’être orienté et de favoriser une vision de l’Algérie et de la guerre conforme à celle de l’armée et des nostalgiques de la période coloniale. Ils dénoncent une opération électoraliste, destinée à flatter un lobby encore actif et s’inquiètent des conditions dans lesquelles des archives privées pourraient être collectées.
Présentation sur le site de l’émission : Autre grande absente, la FNACA, principale association d’anciens combattants d’Algérie avec 350.000 adhérents. Elle dénonce une sélection par l’argent : les associations qui n’ont pas versé leur écot sont exclues du conseil d’administration.

Manquent aussi à l’appel les Algériens. Pas le moindre représentant de l’Algérie à l’inauguration de la fondation. Un choix unilatéral curieux pour un organisme destiné à « soigner les plaies » encore vives de cette histoire, qui pèse encore sur les relations franco-algériennes.

Hubert Falco et Claude Bébéar, le président de la fondation, ont assuré qu’elle serait « un lieu ouvert où on s’efforce de réconcilier les mémoires sur ce conflit qui a déclenché tant de passions », promet le secrétaire d’État. Réconcilier les mémoires n’est pas la question pour les historiens : il s’agit d’abord d’écrire une histoire dépassionnée. Si c’est possible.

A peine installée, la Fondation sur la mémoire de la guerre d’Algérie provoque une polémique.

Grégoire Lecalot : Inaugurée dans le pavillon du nord des Invalides, sous deux immenses tableaux de généraux bardés de dorures en train de conquérir l’Algérie, au XIXème siècle, la Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie doit avoir pour but de réconcilier les mémoires des anciens ennemis, c’est ce qu’a assuré Nicolas Sarkozy, c’est ce que répète Hubert Falco, le secrétaire d’État aux anciens combattants.

Hubert Falco : Les généraux, les harkis, les hommes de troupes, les soldats, les Français, les Algériens, chacun a une part de vérité.

Grégoire Lecalot : Il n’y aura pas de tabous ?

Hubert Falco : Aucun tabou, aucune vérité ne sera épargnée.

Grégoire Lecalot : Cette fondation est née de la loi de 2005 sur la contribution des rapatriés d’Algérie, mais l’idée a été abandonnée suite au tollé que le texte a provoqué puis reprise par Nicolas Sarkozy, fin 2007, une naissance qui la rend suspecte aux yeux des historiens spécialisés sur la période, comme Tramor Quemeneur.

Tramor Quemeneur : Cette loi de 2005, portait, dans son article 4, la reconnaissance des aspects positifs de la colonisation. Cet aspect là en fait a finalement été supprimé. Cette fondation est toujours liée à cette histoire officielle, en plus avec un aspect idéologique très important qui présidait au vote de cette loi de 2005. Donc, les ambigüités ne sont pas levées par rapport aux financements de la fondation, tous ces aspects-là posent des questions très importantes chez les historiens, qui font qu’il y a une réticence.

Grégoire Lecalot : Le conseil d’administration fait également tiquer. L’une des associations d’anciens combattants qui le compose, avec des représentants de l’État, était favorable, au début des années 2000, à un Manifeste qui minimise et justifie la torture pendant la guerre. Des critiques que réfute le président de la fondation, le grand patron Claude Bébéar, lui-même ancien appelé d’Algérie.

Claude Bébéar : Oublions les polémiques plus ou moins orientées sur la constitution de cette fondation. La fondation, il faut qu’elle fournisse des éléments qui sont des éléments impartiaux. Et à partir de ces éléments objectifs, chacun puisera ce qu’il veut et en fera ce qu’il veut.

Grégoire Lecalot : Pour l’instant, les historiens spécialisés refusent d’entrer au conseil scientifique. La principale association d’anciens combattants française, la Fnaca est absente et il n’y a aucun Algérien. Nombreux sont en tout ceux qui seront attentifs à l’emploi de son budget de 7 millions d’euros.

L’historien Tramor Quemeneur revient sur les raisons pour lesquelles la communauté des historiens se méfie de cette fondation. Pour lui, l’histoire de la guerre d’Algérie restera marquée par son côté passionnel.

Tramor Quemeneur : C’est une fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie. Il aurait plutôt fallu une fondation pour l’histoire de la Guerre d’Algérie. Il y a actuellement un trop plein de mémoire par rapport à la Guerre d’Algérie et des mémoires qui sont antagonistes les unes par rapport aux autres. Au contraire, on a un énorme déficit d’histoire de la Guerre d’Algérie et aujourd’hui, c’est plutôt l’histoire de la Guerre d’Algérie qu’il faut écrire de façon dépassionnée, malheureusement il existe encore un rapport passionnel de ces mémoires concernant cette Guerre d’Algérie.

Grégoire Lecalot : Pourquoi cette fondation ne pourrait-elle pas y parvenir ?

Tramor Quemeneur : Le problème fondamental, initial je dirais, de cette fondation, est d’être liée à la loi de 2005. Cette loi 2005 portait dans son article 4, la reconnaissance des aspects positifs de la colonisation. Cet aspect-là a finalement été supprimé étant donné la levée de boucliers qu’il y avait eu dans la communauté historienne et également du côté algérien. On n’imprime pas une manière de travailler, on ne dit pas aux historiens ce qu’ils doivent dire, dans ce cas là on est dans le cadre d’une mémoire officielle et non pas d’une histoire scientifique. Cette fondation est toujours liée à cette histoire officielle, en plus avec un aspect idéologique très important, qui présidait au vote de cette loi de 2005. Aujourd’hui, les ambigüités ne sont pas levées par rapport aux financements de la fondation, par rapport à la composition du comité d’administration de cette fondation. Donc, tous ces aspects-là posent des questions très importantes chez les historiens qui font qu’il y a une réticence à y participer.

Grégoire Lecalot : Quel est le problème avec le financement ?

Tramor Quemeneur : En fait trois associations président au financement, l’une d’entre elle en particulier, qui recouvre à peu près le tiers du financement de la fondation, une association qui a signé un livre, au début des années 2000, qui était très marqué idéologiquement, à droite et pour une certaine partie à l’extrême droite. Ce livre-là faisait partie d’une pétition qui avait été signée par plus de 561 généraux, et qui avait une vision très partiale de l’histoire, aux antipodes d’une histoire scientifique. Donc, le fait que cette association participe amène beaucoup de réticences, parce que c’est une vision particulière, On sait évidemment que la personne qui finance imprime une vision donnée et un sens du travail, automatiquement les historiens qui vont participer à cette fondation là vont avoir une démarche à suivre par rapport aux sens de la mémoire qui devra être traitée, collectée dans le cadre de cette fondation.

Grégoire Lecalot : Ils disent qu’ils ont fait des démarches en direction de plusieurs historiens pour qu’ils fassent partie du comité scientifique, est-ce que là ça n’aurait pas été une garantie justement de faire contrepoids ? Et dans le fond, pourquoi ne pas y aller en disant : essayons de voir de l’intérieur ?

Tramor Quemeneur : Le problème, c’est toujours le même, c’est le problème du financement. Quel serait le poids réel de ces historiens dans la fondation ? On peut imaginer effectivement que des historiens désirent s’associer, participer à cette fondation, pour l’instant les garanties sont loin d’être satisfaisantes, ce qui fait qu’il y a des réticences des historiens à y participer, d’où la position de retrait qui a été choisie par de nombreux historiens : Benjamin Stora, Jean-Charles Jauffret, notamment. Cette position de retrait est due à la question du financement, au poids réel qu’auraient les historiens dans la fondation. Si une association décide de retirer l’argent de la fondation à cause de la participation de tel ou tel historien, ça peut poser des problèmes. Tout cela fait que les choses sont loin d’être garanties.

Grégoire Lecalot : Vous avez eu déjà des signaux comme ça de refus ou de réticence justement de ces associations par rapport à certains historiens ?

Tramor Quemeneur : À vrai dire, je devrais dire oui, notamment l’association précitée, qui finance le tiers de la fondation. La pétition qu’ils avaient signée était due notamment à tout le débat qu’il y avait eu autour de la torture au début des années 2000. Dans le débat sur la torture au début des années 2000, il y avait aussi le travail d’une historienne, Raphaëlle Branche, qui avait soutenu sa thèse sur « L’armée et la torture pendant la Guerre d’Algérie ». La pétition disait qu’au contraire l’armée avait lutté contre la torture et fait en sorte que la torture n’existe pas pendant la Guerre d’Algérie, ce qui est une énormité. La preuve en est que ce travail d’une historienne, un travail tout à fait important, à cette occasion-là Raphaëlle Branche avait été prise à partie, d’autres historiens avaient été également pris à partie, notamment dans ce livre des généraux et de l’armée française (« Le livre blanc de l’armée française en Algérie »), d’autres historiens ont été pris à partie régulièrement soi-disant pour leur manque d’objectivité mais on voit que derrière se dessine une volonté d’écrire une histoire qui serait dans le sens donné par les détracteurs, par des personnes qui vont porter plainte aussi par exemple, ces associations-là, notamment l’Association de soutien à l’armée française, vont porter plainte contre des manuels scolaires, contre des historiens éventuellement. Effectivement, la menace est présente. Tout cela dessine une volonté d’écrire une histoire qui serait propre à leur volonté. Donc, c’est un risque important et évident, sans compter les prises à partie régulières des historiens dans des colloques, des réunions, etc. Les menaces et prises à partie existent.

Grégoire Lecalot : C’est à se demander quand est-ce que cette histoire va pouvoir se faire ? On a quand même fini par faire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, y compris celle de Vichy finalement, même si c’est encore douloureux, ça l’est quand même moins que la Guerre d’Algérie, on l’a vu avec la sortie récente, là, de « Hors la loi ». Pourquoi la Guerre d’Algérie suscite de telles passions ? Est-ce que c’est resté connecté à des choses qui sont encore actuelle dans la société française ?

Tramor Quemeneur : Les résonances de la Guerre d’Algérie dans la société actuelle sont encore très présentes en terme de racisme, par exemple, notamment, en terme de personnes encore en vie, beaucoup de personnes, d’anciens d’Algérie, d’anciens de la Guerre d’Algérie, d’anciens Algériens de cette période-là vivent toujours, ont des pensées, des vues idéologiques, personnelles sur les choses qui font qu’effectivement il y a toujours une perception antagoniste en quelque part de cette guerre. Pour la Seconde Guerre mondiale, l’ennemi était clairement désigné, ce qui fait qu’il n’y avait aucun doute possible, excepté chez une très, très petite minorité, qui a rapidement été balayée, qui perdure, qui est toujours présente, qui fait toujours partie de l’extrême droite, mais autrement, dans la société, il était acquis que le régime nazi et le régime de Vichy ont été des énormités que personne ne remettait en cause. En ce qui concerne la Guerre d’Algérie, tous les camps, tous les groupes, toutes les familles, ont été traversés d’antagonismes et du coup, il est beaucoup plus difficile d’obtenir quelque chose qui est neutre, dépassionné en quelque sorte. On peut constater à certains moments néanmoins que les choses se calment un peu et sont moins violentes, me semble-t-il, qu’au début des années 2000, par exemple, qu’à d’autres moments historiques. Progressivement les choses se calment mais on a toujours des résistances et des réticences assez nettes dans certains groupes de population, ce qui est plutôt dommageable pour l’écriture de l’histoire. On peut se poser la question justement de savoir si finalement on parviendra un jour à avoir une histoire dépassionnée de la guerre d’Algérie, totalement dépassionnée. Je pense que Bon an, mal an les clivages perdureront.



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