Fabrique de sens
 
Accueil > Médiation scientifique > Virus et biodiversité, par Serge MORAND

Virus et biodiversité, par Serge MORAND

Transcription intégrale, par Taos AÏT SI SLIMANE, de la conférence de Serge MORAND, présentée, à distance, en juillet 2020, pour le 1er Science Camp en ligne X-Science Camp@Home.

La conservation du style oral pour les transcriptions de ce site est un choix méthodologique, cela permet de rester au plus près des dits des locuteurs, de ne risquer aucune interprétation. Évitez les copier-coller, vous aurez ainsi plus de chance de profiter d’un document de meilleure qualité en faisant un lien, car j’apporte des corrections à chaque lecture ou sur propositions d’autres lecteurs. De même si les intervenants apportent des corrections, pour préciser un dit, je les intègre bien évidemment quand bien même il y a de petits écarts par rapport à l’enregistrement sonore, mais du coup cela bonifie le texte.

Vous pouvez m’adresser vos commentaires à cette adresse : tinhinane[arobase]gmail[point]com

Virus et biodiversité, par Serge MORAND

Serge MORAND : […] l’état de l’émergence d’un tas de maladies infectieuses. On va en rediscuter, on en trouvera quelques-unes, notamment du virus Nipah (NiV), qui est hébergé chez des chauves-souris.

Tout cela, on peut le regarder dans l’espace, mais on peut le regarder dans le temps, et on s’aperçoit qu’on a une grande accélération des épidémies.

Cela augmente. On a de plus en plus d’épidémies, de plus en plus d’émergences. Si on regarde les données collectées, on s’aperçoit là - avec ce petit graphique, qui est au-dessus - que le nombre d’épidémies, de maladies infectieuses humaines, depuis les années 1940, augmente jusqu’à l’année dernière.

Si on regarde les maladies infectieuses qui touchent uniquement le monde animal, là on remonte un peu moins loin dans le temps, parce qu’on a que de données disponibles à partir de 2005, mais on voit cette tendance à l’augmentation.

On peut se poser la question : est-ce que tout ça, n’est pas lié à la globalisation, à la mondialisation en cours ? Parce que quand on regarde le nombre de passagers de frets aériens : en 1970, il y avait 500 millions de personnes qui prenaient l’avion en une année, et en 2019, l’année dernière, on était presque à 4,5 milliards de personnes, une augmentation de 1300 %, quelque chose de colossales. C’est pareil pour le fret de bateau, c’est 1300 % d’augmentation. C’est colossal ! Si on met ces choses-là ensemble, on peut peut-être se poser des questions.

Mais, c’est aussi la grande accélération de l’élevage, notamment l’élevage de bétail de bovins, porcins, poulets, chèvres. Prenons les poulets. En 1960, on élevait 5 milliards de poulets, sans compter les poules pondeuses. En 2015, on est arrivé à plus de 22 milliards, là on est à 25 milliards de poulets qui sont élevés, auxquels il faut rajouter les poules pondeuses. Les bovins, c’était moins d’un milliard en 1960, presque un milliard sept maintenant. C’est la même chose pour les porcins. Il y avait cinq cents millions, maintenant il y a plus d’un milliard cinq. Donc, une grande augmentation.

Une tellement grande augmentation de l’élevage et d’animaux domestiques que si l’on regarde maintenant le poids, la masse des animaux sur terre, ce n’est pas la faune sauvage, c’est d’abord les vaches. Le poids des vaches est plus important sur la terre, à tous moments, que le poids des humains, qui est plus important que le poids des cochons, le poids des moutons. Ça, c’est ce qui reste uniquement en poids les animaux sauvages terrestres. Et tout le reste, ce sont des animaux sauvages domestiques ou commençons. On voit que la faune sauvage est pratiquement réduite à la portion congrue, parce qu’il faut élever et nourrir tous ces animaux domestiques.

Si on garde en termes de distribution, celle des vaches et des cochons, n’est pas si aléatoire sur la planète. Les cochons, on en a beaucoup en Europe, notamment Bretagne, mais aussi autour de la Catalogne, en Hollande, et la Chine, le premier producteur mondial de cochon. Les vaches, c’est l’Inde, mais c’est aussi l’Argentine, le Brésil, qui sont aussi les grands fournisseurs de bovins pour le monde entier.

Finalement, une planète qui est vraiment dans la bouse, parce qu’il faut imaginer la quantité de fèces produite par les humains et tous les animaux domestiques, c’est 26 milliards de tonnes de fèces qui sont produits par année, la majeure partie, 85%, est due à nos animaux domestiques. Ça, cela a des conséquences terribles, parce que si on regard une carte, il y a plein de parasites qui sont aussi hébergés dans le tube digestif des animaux domestiques, notamment des Cryptosporidium. Sur une carte de répartition de ces cryptosporidies qui rejoignent le sol, parce qu’ils sont excrétés dans les fèces, dans la manure des animaux domestiques, sur une carte, absolument terrible, qui montre qu’on a cette dispersion avec des milliards et des milliards d’oocystes.

Il faut savoir que le Cryptosporidium crée toujours fortement des diarrhées, fréquemment. On a des diarrhées dues à des contaminations d’eau potable. C’est arrivé récemment, notamment aux États-Unis avec des épidémies de cryptosporidies.

Ça, finalement, cela va être aussi le futur. Si tout continue comme ça, si on continue cette globalisation, si on continue d’avoir beaucoup d’animaux domestiques, si on mange de plus en plus de viande, on va continuer à avoir une perte de biodiversité, de territoire agricole, de forêts, plus de plus en plus de biocides, qui ont été produits.

Tout cela, ça se remet dans cette grande accélération, pas mal de choses qu’on a vues, mais aussi de perte de la biodiversité.

Parce qu’on parallèle de cette augmentation de l’impact humain, surtout des animaux domestiques, on s’aperçoit que la pression organisée par les humains se traduit par : on accapare de plus en plus de la productivité primaire - ceux qui ont fait les cours de biologie la connaissent : la productivité primaire nette, c’est celle qui est due à l’eau, le soleil, les nutriments. Cette productivité primaire on l’accapare pour nous, ou pour nos animaux domestiques, au détriment de la biodiversité, ce qui veut dire que la biodiversité diminue et passe au-dessus du seuil vraiment critique. Si on perd les pollinisateurs, cela est dû aussi à l’utilisation des pesticides, on voit bien que les insectes pollinisateurs sont en baisse, on perd aussi curieusement, paradoxalement, toutes les races animales et végétales, et on dira pourquoi on est en train de perdre ces races ?

Si on regarde les cartes, là, cette relation perte de biodiversité et épidémies, c’est assez curieux encore une fois. Premièrement, on va regarder cette première carte et ce premier graphique. Ici, c’est la carte de la richesse de la biodiversité en espèces de mammifères au niveau mondial, plus c’est foncé, plus c’est riche. Ça, c’est intéressant parce qu’on voit aussi les points-chauds de la biodiversité, qui étaient aussi les points-chauds des maladies infectieuses, les points-chauds aussi des animaux domestiques. Et si on regarde la relation qui existe entre cette richesse en mammifères, en oiseaux, un par pays, avec le nombre de maladies infectieuses et parasitaires qui ont été décrites chez les humains, dans ce pays, tout au long de l’histoire, on marque qu’on a une très bonne corrélation. Cela veut dire qu’une forte biodiversité, veut dire aussi une forte diversité potentielle des maladies infectieuses et parasitaires. Ça, c’est normal, parce que les maladies infectieuses et parasitaires ce sont des microbes, des virus, des protistes, helminthes, des vers parasites, puces, des tiques, etc., et tout ça, c’est de la diversité, et tout cela finalement nécessite beaucoup d’hôtes, et tout cela ça finalement contribue ou potentiel fardeau parasitaire. Alors, là, on peut se dire que c’est fantastique, c’est simple, si on veut éliminer nos problèmes de maladies infectieuses, tuons tous les animaux, on va être tranquille. C’est ce qui est des fois proposé, de tuer la faune sauvage pour se protéger. On a entendu cela notamment contre les chauves-souris. Malheureusement, c’est ce qui est en train de se passer, parce que sous les pressions humaines, nous sommes en train de perdre de la biodiversité.

Ça, c’est une carte faite en 2008, des espèces, des hotspots du nombre d’espèces en danger d’extinction, dans les pays au niveau mondial. En 2008, il n’y avait qu’un seul hot-spot, l’Asie du Sud-Est. C’est une des raisons pour laquelle j’y étais d’ailleurs, pour comprendre ce qui se passait. Si on regarde la baisse de biodiversité, le nombre d’espèces qui sont en danger, est ce que ce nombre d’espèces en danger relatif à la biodiversité locale est associé aux épidémies, le premier graphique que je vous ai montré, cette augmentation d’épidémies ? Et ben, oui. Finalement, on s’aperçoit que la perte de la biodiversité, c’est ce graphique, est lié à une augmentation des épidémies. C’est paradoxal. Cela veut dire que ces épidémies qui circulent, qui sont riches dans ces pays-là, qui circulent à bas bruit, finalement cette perte de la biodiversité, cette altération de la biodiversité, qu’il faut que l’on analyse plus profondément, semble provoquer des épidémies. Et ces épidémies, ces émergences, qui sont de plus en plus nombreuses, et qui commencent à devenir de plus en plus globales.

Comment l’expliquer ? Je viens juste de reprendre une grosse base de données pour essayer de comprendre un peu mieux ce qui se passait. Je vous montre un peu en avant-première ces résultats. L’explication, c’est le détail. C’est les animaux domestiques, les animaux d’élevage. Cette croissance des animaux d’élevage explique directement, ici, les épidémies chez les humains. Elle explique aussi directement la perte de biodiversité. Ça, ce n’est pas tout à fait nouveau, plusieurs chercheurs commençaient à le suspecter, à le montrer. C’est à dire qu’on augmente l’élevage, on augmente les pressions sur les écosystèmes, on a besoin de places, de nourrir nos animaux domestiques, par exemple on déforeste l’Amazonie pour faire du soja, pour pouvoir nourrir nos animaux domestiques ici qu’on va réexporter ailleurs, et ça finalement, c’est une perte de la biodiversité. Et cette perte de biodiversité contribue aussi aux épidémies chez les humains.

Finalement, ces nouvelles ne sont pas très, très rassurantes. Mais comment expliquer cette relation entre les animaux domestiques et ces animaux sauvages ? C’est là une science qu’on est quelques-uns à travailler, en écologie de la santé, pas assez nombreux, il en faut plus, qu’on appelle l’écologie de la transmission. Voyons comment ça se passe au concret.

On va prendre un exemple, parce que je ne peux pas vous parler à l’heure actuelle de la Covid 19, cette nouvelle émergence d’un coronavirus issu des chauves-souris en Chine, parce qu’on est toujours en train de rechercher comment cela s’est passé. On suspecte que c’est une chauve-souris, on sait où, mais est-ce qu’il y a eu un hôte intermédiaire ? Commençait cet hôte intermédiaire a pu qu’un virus évolue ? Comment ce virus est passé aux humains et a fait les premières chaînes de transmission pour se retrouver à Wuhan et dans le monde entier.

On va prendre un autre exemple, toujours en Asie, où là on a parfaitement décortiqué ce qui s’est passé. Et, on va prendre encore l’exemple d’un virus de chauves-souris, c’est le virus Nipah. À l’époque on ne connaissait pas ce virus Nipah, on ne savait pas que ces chauves-souris pouvaient l’héberger. Tout débute fin 1998, début 1999, dans des élevages de cochons en Malaisie péninsulaire, au ici Nord là c’est Kuala Lumpur, dans un pays, il faut le rappeler, qui ne mange pratiquement pas de cochon, c’est un pays musulman, mais en fait ils démarraient des élevages de cochon, surtout pour le marché chinois. Ces cochons commencent à mourir, gravement d’ailleurs, avec des fièvres hémorragiques, fortes, on ne comprend pas ce qui se passe, on s’alerte et des humains commencent à tomber malades et à mourir. C’étaient des humains qui étaient dans des abattoirs en Singapour. Ils recevaient des cochons de Malaisie et commencent à mourir. C’est le grand branle-combat, on se pose la question de ce qui se passe, on arrête tout, on arrête les frontières, on abat un million de cochons, l’épidémie est contrôlée, et on essaye de comprendre, comme pour le Covid19, qu’est-ce qui s’est passé ? On trouve finalement que c’est une chauves-souris, qui hébergeait un virus, Nipah, qu’on décrit, et que ce virus est arrivé chez des cochons et des humains. 105 personnes décédées sur 265 infectées. Mais, comment une chauve-souris a pu rencontrer un cochon ? C’est là qu’on explique tout ce qui s’est passé, la chaîne.

La chaîne, c’est quoi ? Premièrement, c’est la conversion des forêts tropicales en plantations de palmiers à huile Bornéo. Palmiers à huile qui démarrent vraiment fortement dans les années précédentes mais qui continuent pour faire aussi les agro-diesels. On fait ça, en plus dans un événement de variabilité climatique importante, qu’on appelle à El Niño / La Niña, très sec, des feux de forêt, feux entretenus par les humains pour pouvoir acquérir encore plus de forêts et les transformer en palmiers à huile, plus de nourritures pour les chauves-souris, plus ces fumées terribles, donc ces chauves-souris, qui sont des (manque un mot) se déplacent à la recherche d’autres nourritures, elles les trouvent où ? Elles les trouvent sur des vergers, qui sont en fait au-dessus de cochons, qui sont faits pour le marché singapourien. Ces chauves-souris mangent les fruits, défèquent sur les cochons, les fruits qui nourrissent les cochons, et voilà la transmission est fait. Finalement, ce sont des événements hautement improbables, liés à la globalisation, à la mondialisation du marché, aux agro-industries, pour les palmiers à huile, aux marché du cochon, pour le marché singapourien, qui sont à l’origine de cette épidémie. C’est finalement la biodiversité qui répond aux dérangements causés par les activités humaines.

Quelle a été la réponse ? C’est là aussi qu’on se pose des questions, c’est une réponse tout à fait bio-sécuritaire. Voyant ça, qu’est-ce qu’a décidé Singapour ? Il a dit que la Malaisie et tout cela, c’est un endroit qui va nous permettre d’avoir une sécurité forte pour nos élevages et la sécurité des Singapouriens, donc nous allons faire, au large des îles et sur des îles qui appartiennent à l’Indonésie, des joint-ventures avec des sociétés indonésiennes, on va enlever tout le monde et on va créer des îles transformées complétement en élevage de cochons industriels, totalement sécurisés. Maintenant on a développé l’élevage sécurisé.

Maintenant, j’ai pu observer de ces dernières années, après la baisse de production de cochons en Malaisie, elle s’est remise à faire du cochon aussi mais en élevage aussi ultra sécurisé, avec des fermes issues de technologies hollandaise. Donc, on répond par la biosécurité, mais est-ce que c’est toujours la bonne réponse ?

Pas forcément, parce que qu’est-ce qui souffrent le plus là-dedans, dans ces crises sanitaires ? C’est les animaux sauvages, on vient de le voir, c’est les animaux domestiques, c’est les petits fermiers. Tout ça souffre énormément. On a l’exemple avec la grippe aviaire, qui avait émergé en 2004, un peu plus tard, en Thaïlande, issue d’un virus de peste grippale, qui qui circulait chez les oiseaux et sur les oiseaux domestiques, on a battu à l’époque des millions de poulets, et on interdit de re-stocker avec les races locales, et on a aussi interdit, plus difficilement, les coqs de combat. Mais qu’est ce qui s’est passé ? Les résultats c’est une perte de diversité des races locales. Finalement, les races locales diversifiées de l’Asie du Sud-Est, qui sont finalement le point de domestication du poulet, c’est là que le poulet a été domestication, c’est là qu’il y a encore des poulets sauvages, pas trop loin d’ici d’ailleurs, à 50 km de là où je suis, au Parc de de Pomelo, j’ai déjà vu des poulets sauvages, des jungle fowl, qui vivent jusque-là. Finalement, ces races de poulets, certaines ont disparu, pas à cause du virus mais à cause des politiques sanitaires, qui ont été mises en place et ça c’est une catastrophe.

Et ça, c’est parce qu’au même moment, la FAO nous dit que nous sommes en train de perdre là une grande partie des ressources génétiques liées à la domestication animal. 35% des races de cochons sans en voie de disparition, 37% des races de poulets. Finalement, nos réponses par rapport aux crises sanitaires ne font que créer aussi une perte de la biodiversité, mais cette fois-ci de la biodiversité qu’on appelle cultivée, ou la biodiversité culturelle. C’est un souci. C’est un souci, et cela explique ces histoires de virus qui passent entre la faune sauvage et les humains et le rôle de l’animal domestique.

Là, je reprends-là ce graphique qui a été fait proposée par Pierre FORMENTY, qui a beaucoup travaillé pour Ebola, à l’OMS, qui nous a proposé ce graphique, que je trouve assez bon, pour dire que nous avons dit virus qui circulent dans la faune sauvage, comme par exemple Ebola ou le SARS, qui circule sur les chauves-souris, mais on peut en avoir d’autres qui circulent notamment le HIV, à l’origine du Sida, qui est cité chez les singes ou d’autres. Finalement, la plupart du temps, ces virus ne passent pas directement chez les humains. Ils ont besoin de quoi ? Ils ont besoin d’animaux qui vont faire l’amplification. C’est quoi ? C’est d’abord l’animal domestique, et on le comprend. Vous avez vu cette masse de cochons, de vaches, qu’on a partout, qui sont là ? Donc, s’ils sont en contact avec un virus, si le virus passe chez eux, c’est banco !, ça augmente, ça s’amplifie et c’est la même chose, cela va utiliser des vecteurs comme les puces, les moustiques, ou les tiques. Il faut voir par exemple que les émergences récentes, qui datent du milieu du siècle dernier, pour Zika, Chikungunya, un peu plus avant pour la dengue, tous ces virus étaient hébergés dans des primates non-humains africains, ils ont émergé grâce aux moustiques, ça les a fait passer sur les humains. Mais ces moustiques, on les a déplacé à l’échelle mondiale, ce qui fait que maintenant, on a notamment le moustique tigre qui est maintenant très bien installé dans le Sud de la France, et qui remonte. Finalement, toutes les conditions sont prêtes pour avoir la dengue, chikungunya ou Zika en Europe.

Et, ça, on a pu le montrer avec une autre grosse base de données, faite avec mes collègues anglais de Liverpool. On a pris tous les virus qui ont été décrits chez les animaux, chez les humains. Il y a différents types de virus, on a des virus à ADN, des virus à ARN, et des virus qui sont capables de faire les deux, et on regarde un peu par qui ils sont hébergés, et avec qui ils sont partagés, avec qui ils font les liens. Nous, on est avec les primates, on s’aperçoit que les primates sont essentiels pour le partage des virus : Zika, chikungunya, dengue, la fièvre jaune, le virus de Sida, etc.

Importants aussi les rongeurs, on les oublies. Les rongeurs qui nous donnent énormément de virus. Quand il y a eu Ebola, en Afrique de l’Ouest, à la même période, dans les mêmes années, 2013-2014, on avait des épidémies de la fièvre de Lassa, qui causait autant de morts sur toute l’Afrique de l’Ouest, mais on n’en parlait pas beaucoup.

Les carnivores, les animaux domestiques, sont aussi essentiels dans ce partage des virus, que l’on pense au virus de la rage, qui est aussi hébergé par une chauve-souris, mais quel est l’animal qui peut nous transmettre ce virus de la rage ? Ce n’est pas la chauve-souris mais des carnivores, c’est d’abord le chien et le chat.

On en a d’autres : les vaches, les cochons, avec les grippes porcines par exemple. Les chauve-souris finalement ne sont pas si importantes que cela dans les virus, évidemment, ils sont nouveaux, c’est cela qui est peut-être un peu plus surprenant, ou un peu plus nouveaux. Les virus de chauves-souris ont commencé à émerger à la fin du siècle dernier jusqu’à maintenant, c’est tout nouveau, et c’est vraiment lié à cette biodiversité, ou maintenant les chauves-souris commencent à être proches de nous, de plus en plus proches de nous, proches des animaux, leur territoire diminue, ce qui fait qu’on favorite de plus en plus ces passages de virus qui y sont hébergés vers le cochon ou vers l’humain.

Je vous ferrais juste un petit signale là-dessus, pourquoi je bosse en Asie du Sud-Est ? J’y travaille depuis longtemps, parce que, vous l’avez compris, c’est vraiment ce que j’appelle un théâtre social-écologique de la perte de la biodiversité et de l’augmentation de ces maladies infectieuses.

Comme je vous l’ai montré, c’est un point chaud de ces maladies infectieuses, pour y travailler et comprendre ce qui se passe, avant que ce soit déjà émergé et cela se répartisse sur toute la planète.

C’est un toujours un point chaud de perte de biodiversité. Si on regarde maintenant un papier, qui est sorti l’année dernière, par mes collègues Américains, qui montre très clairement que l’Asie du Sud-Est et l’Asie du Sud, c’est cette terre de perte de biodiversité mais ça va commencer à venir notamment en Afrique et on peut craindre que l’Afrique soit dans quelques années la nouvelle terre d’émergence de maladies infectieuses.

Ça, je l’avais déjà fait depuis quelques années où j’avais pu montrer cette relation entre ces épidémies, ces émergences et les pertes de biodiversité en Asie du Sud-Est, avec les couvertures forestière.

Puis, on a travaillé depuis maintenant douze ans sur des tas de terrains. Je vous présente uniquement : Thaïlande, Laos, Cambodge, mais aussi Vietnam, les Philippines où on travaille avec les communautés locales mais aussi avec les dispensaires, avec la santé animale, on travaille sur les rongeurs, mais pas que, on regarde quels sont ces changements d’usages des terres, comment se passe la déforestation, l’urbanisation et comment se font potentiellement les émergences et les épidémies de maladies infectieuses avec toutes les données.

Je vous présenterai un seul des exemples. Finalement, on démontre bien cette déforestation locale ou cette transformation vers l’extension agricole ou l’urbanisation est liée avec des risques accrus d’émergences, ou des crises accrues de transmission de spillover de maladies infectieuses, soit liées au virus, comme les hantavirus et d’autres, soit liées aux bactéries, comme les leptospira ou d’autres.

Finalement, cela va être important, parce que c’est vous maintenant qui êtes concernés. C’est quel futur que nous voulons ? Quel futur nous vous laissons à préparer ? Ma génération, malheureusement, la génération des Trente Glorieuses, qui malheureusement a fait que toute la planète à sac et celle qui laisse la planète avec de grands défis à résoudre. Je n’ai pas parlé des impacts du changement climatique.

Ça, c’est finalement à vous de prendre le pouvoir, sachant qu’on a quelques messages clés que j’essaye de reprendre : on a une grande accélération d’épidémies, de pertes des diversités, d’augmentation animaux d’élevage, des échanges internationaux. Il va falloir repenser ça. On a une grande mobilité, tous bougent trop. Quand j’étais jeune, les animaux étaient mobiles par eux-mêmes, dans le pré, dans la basse-cour. Maintenant, les animaux sont confinés dans des élevages, des méga-fermes, ils n’ont pas le droit de bouger, par contre, on les trimballe dans toute la planète. C’est un renversement complétement de la mobilité. L’élevage, c’est une perte totale de biodiversité, c’est l’augmentation des risques sanitaires et des maladies infectieuses. De plus, l’alimentation carnée, de plus en plus forte, a des impacts négatifs aussi sur notre santé, avec l’augmentation de pas mal de maladies, liées à une mauvaise nutrition. Donc, il faut repenser notre globalité, notre mobilité et il faut aussi travailler localement. Repenser notre localement, retravailler nos territoires. Il faut mettre en pratique tout cela.

Il y a des concepts, beaucoup de concepts qui travaillent là-dessus : des concepts de biodiversité de santé, de de santé, d’ecohealth, de santé planétaire, mais je voudrais dire que tout cela nous pose finalement des questions importantes, qui ont été bien résumées par le Lancet, cette grande revue médicale, et la fondation Rockefeller, très connue, puisque c’est elle qui a mis au point le vaccin contre le virus de la fièvre jaune.

[Interruption de l’enregistrement, pour des problèmes techniques]

[…] pour vous dire que les agriculteurs sont en mauvaise santé, les animaux sont en mauvaise santé, tout le monde est malheureux, les consommateurs sont en mauvaise santé, il est temps de repenser tout ça. Il est temps de repenser une agriculture pour mettre l’agriculteur au centre du territoire, pour repenser notre agriculture, repenser notre lien aux animaux et à la biodiversité.

Mais tout cela, c’est une interrogation forte, que finalement Lancet et la fondation Rockefeller nous adressent aussi à nous les scientifiques, à nous aussi les politiques, et cela a été le cas quand on écoute la gouvernance de l’Europe. Le système actuel de la gouvernance et d’organisation des connaissances humaines sont encore insuffisants pour faire face aux menaces qui concernent la santé planétaire, et nous avons encore beaucoup de travail à faire. Mais, nous pouvons y arriver. Voilà.

Je vous remercie.

L’animateur : Merci Beaucoup.

Vous avez quelques questions. La première de Simon, qui vous dit : « Les chauve-souris semblent véhiculer un grand nombre de maladies visiblement, y-a-t-il une raisons pour laquelle les chauves-souris sont de grands vecteurs de maladies ? »

Serge MORAND : C’est une très bonne question, et c’est une question qui nous intéresse, qui intéresse beaucoup de mes collègues scientifiques, y compris moi. Ça, c’est une question à laquelle je peux répondre, parce que, comme je disais au début, je me suis intéressé à pourquoi il y a tant de parasites et pourquoi des animaux ont plus de parasites que d’autres ? C’est l’exemple des chauves-souris. Finalement, quand on regarde une chauve-souris, son poids est pratiquement le même que celui d’un rongeur, même s’il y a des rongeurs beaucoup plus gros seins, avec des pois beaucoup plus importants que les chauves-souris. Pourtant, la diversité des virus chez les rongeurs est beaucoup plus faible. Alors, comment s’explique ça ?

Premièrement, parce que les chauves-souris, pour la plupart, vivent longtemps, ce qui n’est pas le cas des rongeurs. Des chauves-souris peuvent vivre jusqu’à 25 années. Donc, plus on vit longtemps, plus on a des chances d’accumuler au cours de sa vie des pathogènes, des parasites. Ça, on le démontre.

Le deuxième côté qui important chez les chauves-souris, pour la plupart, et surtout pour ces chauves-souris qui sont liées à la transmission, ce sont des animaux coloniaux, qui vivent en très grandes colonies, avec une très grande socialité, et ça, la socialité, la proximité cela favorise les transferts et les partages des virus. On l’a bien vu avec la Covid 19, on nous a dit : « Attention, distanciation sociale », finalement cela explique bien cette transmission virale, et c’est le cas chez les chauves-souris.

Puis, le troisième point, c’est quelque chose de particulier chez les chauves-souris, à cause de longévité, de leur capacité aussi de faire de l’hibernation, et aussi de l’estivation, c’est-à-dire qu’elles doivent contrôler énormément leurs dépenses énergétiques, elles doivent vraiment bien les contrôler, et économiser cette dépense énergétique, et la solution qu’elles ont trouvé, et bien c’est de diminuer leurs investissements dans l’immunité. Ça, c’est bizarre, on dit pourquoi finalement ça va favoriser ? Ce qui se passe, c’est que cela va favoriser leur tolérance vis-à-vis des virus, de ne pas rentrer dans une course aux armements avec les virus. Finalement, elles vont héberger des virus et elles vont les tolérer, et les virus vont évoluer non pas en augmentant leur virulence mais en diminuant leur virulence.

Donc, finalement, elles vont héberger des virus en grand nombre, souvent de faible prévalence, mais qui sont très peu virulents chez eux. Il n’y a pas de mortalité forte occasionnée par les virus chez les chauves-souris. Les grandes épidémies que l’on a pour les chauves-souris, elles sont liées à des champignons, par exemple, des bactéries. Elles ne sont pas liées à des virus. C’est cette longue coexistence qui explique cette richesse, cette diversité des virus chez les chauves-souris.

L’animateur : Merci beaucoup pour votre réponse. On a une autre question de Séverine, un peu plus longue, qui demande : « Si le virus du coup n’affecte pas seulement les humains, puisqu’il y a eu des cas de chiens et de chats qui se sont manifestés, mais seulement quand les propriétaires avaient eux aussi le virus, donc il y aurait peut-être une transmission d’hommes vers les animaux domestiques. Elle poursuit en disant qu’il y a une expérience qui montre que les chatons se transmettent entre eux plus facilement et que les chiens sont moins réceptifs aux virus, pour quelles raisons ? »

Serge MORAND : Ça, c’est encore une très bonne question. Bravo aussi pour faire très bien cette recherche des articles, qui sont tellement nombreux. Alors, c’est une très bonne question surtout que cela intéresse vraiment mes collègues virologues, cette compréhension du passage d’un coronavirus hébergé chez les chauves-souris vers les humains. Le virus hébergé chez les chauves-souris n’a pas les propriétés génétiques, notamment certaines parties du génome, leur permettant d’infecter les cellules humaines. Ils vont acquérir cette partie de leur génome on se recombinant avec des virus qui sont hébergés chez d’autres animaux, notamment des animaux domestiques. Le premier SARS Cove est passé par une civette, un carnivore. C’est pour cela que mes collègues, nous on a eu cette histoire du pangolin, eux, ils sont toujours là pour dire : « N’oublions pas les carnivores, parce qu’ils peuvent aussi avoir un rôle important » et là, on a, non pas des preuves, mais des indications pour ne pas oublier les carnivores, parce qu’effectivement, le SARS Cove qui est issu de de cette recombinaison virale est peut-être une première adaptation aussi chez les humains, on n’en sait trop rien, est effectivement capable d’affecter des carnivores. Vous avez bien cité le cas des chats et des chiens, il y a aussi les cas des félins. Il y a eu des lions qui ont été infectés dans le zoo du Bronx, par des humains, par contre il n’y a pas eu de passage vers les humains. Et puis, il y a eu des cas sur des visons. Des élevages de visons, qui ont été infectés par des humains, aussi bien en Hollande, et plus récemment en Catalogne, je ne sais plus, en Espagne, ce qui montre bien que ce virus est capable de passer. On suspecte aussi, c’est pour cela qu’on a abattu les visions, que potentiellement chez les bisons, ce qui pourrait être aussi le cas chez les furets, il pourrait repasser aussi chez les humains.

L’animateur : Merci beaucoup. La question suivante, on a eu plusieurs fois la question qui traite de la même thématique : « Comment est-ce qu’on peut éviter ces épidémies-là ? », et celle-ci vous demande tout simplement : « Comment éviter ces épidémies liées aux animaux tout en préservant notre biodiversité ? »

Serge MORAND : C’est une très bonne question, une question difficile. Pour l’instant, malheureusement, on va de crise sanitaire en crise sanitaire, et tout ce qu’on met en place, c’est de la biosécurité, la bio-surveillance. On a montré sur le cas du Nipah, les cochons, on fait un confinement, la quarantaine, l’abattage, biosécurité, bio-surveillance. Pour la Covid chez les humains on a un peu la même séquence qui mise en place. On n’a pas l’abatage mais quand on voit l’inégalité face au Covid 19, en terme de mortalité, on peut se poser des questions quand même. Il est temps finalement d’aller aux causes et de ne pas traiter que les conséquences. Alors, les causes, c’est quoi ? Certains nous diront, c’est le cas des programmes américains : « On va aller chercher tous les virus potentiels », c’est ce qu’on appelle le « Global Virome Project ». Donc, on cherche tous les virus. J’avoue que j’y participe un peu avec les virus de rongeurs, mais finalement c’est un inventaire. Qu’est-ce que cela va nous apprendre ? Faire un inventaire de la biodiversité, ok, mais cela ne nous explique pas comment lutter contre la perte de la diversité, c’est un exemple. On doit travailler sur deux choses : travailler sur ces premiers contacts, comment se passent les premiers contacts ? Comment se fait-il qu’un virus qui est hébergé aussi bien chez des animaux domestiques que chez de la faune sauvage commence à faire des transmissions et va passer sur des humains ? Ça, c’est le premier aspect : quels endroits ? Ou dans quels contexte ? Pour moi, c’est très clair, c’est plutôt dans des relations de mise en fermes et de perte de biodiversité. C’est là qu’on a certainement les points chauds, et c’est là qu’il faut travailler pour comprend, éviter, atténuer. Le deuxième côté qui importe, c’est cette mobilité. Quand commencent à démarrer les épidémies, c’est de réduire le risque de pandémie globale, et ça, c’est travailler sur la réduction de la mobilité. Sur le premier point, pour moi c’est clair, il faut réduire notre impact sur la biodiversité. Réduire comment ? Réduire fortement l’élevage industriel des animaux. Alors, cela ne veut pas dire être végétariens ou végans, la preuve, je défends aussi la diversité des races, il faut aussi remettre les animaux en pâture, mais il faut vraiment réduire ces animaux. Il faut travailler aussi sur une réduction de la part de la protéine animale dans l’alimentation humaine, il faut remettre de la protéine végétale dans l’alimentation humaine. Il va falloir recréer du territoire de la vie. Il faut se reconnecter au vivant, paradoxalement c’est en se reconnectant au vivant que l’on va finalement apprendre à vivre et apprendre à mieux éviter ces pandémies.

L’animateur : Merci beaucoup pour votre réponse. On a deux personnes qui ont posé la même question, qui vous demandent si la réduction de notre consommation, de viande animale notamment, pourrait diminuer les risques épidémiologiques.

Serge MORAND : C’est clair, c’est même certain. Je reprendrais encore deux exemples. L’épidémie qu’on a eu en 2008, pour ceux qui s’en rappellent, de grippe porcine est venue d’où ? C’est un virus grippale H1N1, qui est sorti d’une méga-ferme nord-américaine, américaine. Au départ on a dit mexicaine, c’est peut-être étasunienne. Une méga-ferme, un élevage soi-disant de haute-sécurité. Mais, dès que quelque chose entre dans un truc de haute-sécurité, on crée un incubateur à virus, ça démarre. En plus, l’élevage industriel utilise plein de biocides, et tous ces biocides (antibiotiques) nous créent aussi des problèmes de l’anti-bio-résistance et affectent notre santé. Encore une fois, juste en ce moment, toujours en Chine, il y a maintenant trois semaines, les Chinois viennent de publier un papier dans un dans le « Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States », pour nous dire que ce même virus grippal H1N1, une nouvelle variante, circule dont les fermes porcines en Chine, et en fait infecte les humains. Pour l’instant il n’est pas virulent, mais il infecte les éleveurs. Il en train de circuler, ils nous conviennent : « Attention, potentiellement on a notre prochaine épidémie là ! ». Encore une fois l’élevage. Cela veut dire qu’il faut vraiment prendre cela à bras-le-corps. L’exemple aussi typique, parce que je suis pratiquement sûr que finalement d’où ça vient ? Même si cela vient du pangolin, cela vient aussi de la mise en élevage de la faune sauvage. On met des civettes en élevage pour la nourriture, mais pour faire aussi ce qu’on appelle le café-civette. On met des pangolins en élevage pour faire aussi bien de la nourriture que de la médecine traditionnelle. On met des rongeurs. On met tout en élevage. On est en train de créer des élevages supplémentaires. Je pense que là, il faut vraiment prendre conscience qu’il faut diminuer tout ça.

L’animateur : Merci beaucoup. On avait également une autre question, plus personnelle, qui demandait quelles étaient les études que vous avez faites pour travailler dans n’importe quel pays, comme les USA, le Canada, en particulier.

Serge MORAND : Merci. En fait, j’ai eu de la chance. J’ai fait un bac mathématiques et techniques à l’époque, mais la biologie me manquait énormément, je voulais pas faire d’école d’ingénieurs, donc j’ai repris mes études directement en biologie, à l’époque c’était à Paris VI. J’ai fait une licence de biologie. Je me suis très tôt intéressé aux parasites et à la biodiversité, puis j’ai eu la chance de pouvoir rentrer au CNRS, avec un peu de galère. Et comme j’ai dit, j’ai commencé à travailler sur les parasites de poissons. Finalement, j’ai travaillé dans les îles océaniques, dans le Pacifique. J’ai travaillé aussi en Méditerranée sur ces paradis de poisson, et en Europe. Puis, après, j’ai bougé sur les rongeurs, j’ai travaillé aussi en Europe et un peu en Amérique du Sud. J’ai bossé un petit peu aussi avec le CIRAD, sur la faune sauvage, les buffles, en Afrique. Finalement, j’ai choisi de travailler en Asie du Sud-Est. Je vais peut-être y rester, mais je peux arrêter et bouger, on m’a déjà proposé d’aller travailler en Afrique. J’ai quelques projets avec des collègues au Zimbabwe en Afrique du Sud. Oui, j’ai de la chance rare effectivement, parce qu’en étant fonctionnaire, chercheur au CNRS, d’avoir un poste national, d’être relativement indépendant de l’université. J’ai une grande chance par rapport à mes collègues enseignants. J’enseigne un peu mais pas comme eux, j’ai une plus grande possibilité de mobilité, à partie du moment où l’on trouve des finances, quand même, pour payer cette mobilité et que je trouve les collègues avec qui travailler et sur quoi. Donc, oui, j’ai une chance unique, j’ai eu beaucoup de chance, et je continue à avoir beaucoup de chance dans ma vie.

L’animateur : Merci beaucoup. On a encore quelques questions. On vous demande : « Si un programme de brassage génétique été mis en place au niveau des producteurs locaux ? » ; « Est-ce que le flux génique est respecté dans les élevages ? »

Serge MORAND : Ça aussi, c’est une très bonne question. L’usage traditionnel, j’avais suivi cela, de loin parce que j’encadrait une doctorante du CIRAD, qui travaillait sur les élevages de cochons et les grippes porcines qui circulaient au Vietnam. C’est là que j’ai découvert l’élevage traditionnel, semi-intensif en en Asie, on utilise des hydrides, parce que les races locales, il y a le cochon sauvage, parlons-en, et on a domestiqué, c’est un des centres de domestication du cochon, il y en a eu plusieurs. Finalement, il y a une grande diversité de races locales. On utilise peu les races locales, mis à part dans les petits villages, les montagnes. Par contre, dans les élevages, je dirais, attentifs à semi-intensifs, on utilise ces hybrides, qui sont relativement résistants, ils souffrent beaucoup moins, mis à part à la peste porcine africaine qui vient d’arriver. Par contre, l’élevage industriel, il n’y a que les races industrielles qui doivent supporter le confinement, ce sont des races européennes ou américaines, qu’on a utilisées, qui peuvent supporter le confinement, l’engraissage et la rapidité de production. Et là, on perd énormément la diversité génétique. Mais, localement, les gens utilisaient traditionnellement le cochon sauvage avec le cochon domestique, régulièrement pour maintenir une diversité génétique, la diversité de leurs stocks. Comme le poulet d’ailleurs. Là aussi, il y a quelques poulets de race locale qui ressemblent énormément à des poulets sauvage, du coq sauvage. Régulièrement, les gens ont besoin de remettre des gènes du monde sauvage dans leurs élevages.

L’Animateur : Merci beaucoup pour votre réponse. On a encore cinq questions. Monsieur, Morand, est-ce que cela vous dérange si l’on déborde un peu ?

Serge MORAND : Pas de soucis, les questions sont vraiment passionnantes, très bien, cela me fait plaisir de continuer.

L’Animateur : La prochaine question : « Est-ce que la déforestation a un lien direct avec le corona virus ? »

Serge MORAND : C’est encore une bonne question, parce que j’ai eu cette question sur la déforestation, ce qui m’a finalement poussé à retravailler sur cette déforestation. Et là, en avant-première pour vous, le papier, qui n’est pas encore fini, il n’est pas encore accepté, mais j’ai repris les données à l’échelle mondiale, depuis les années 90, on a des données sur la couverture forestière, jusqu’aux années 2007 et sur les épidémies, de zoonoses et de maladies vectorielles. Et là, je peux vous dire oui, il y a une très bonne corrélation avec l’augmentation des épidémies et la déforestation, dans tous les pays qui ont une forte couverture forestière, et aussi dans des pays qui ont une faible couverture forestière et qui se reforeste. Et là, cela va nous poser encore quelques soucis, parce que, finalement, c’est quoi quand on reforeste ? Je reprendrais l’exemple de la Chine. La Chine s’était très déforestée, mais la Chine comme le Vietnam sont en train de se reforester, mais ils ne se reforestent pas avec de la forêt primaire. Ils se reforestent avec des plantations, des fois, comme en Chine, avec des arbres OGM, comme des peupliers d’ailleurs. Et tout cela, finalement, n’est pas très bon pour la biodiversité, mais n’est pas très bon non plus pour bien gérer les biodiversités, les maladies infectieuses. C’est souvent de bons foyers pour augmenter les épidémies de maladies infectieuses, plus vectorielles. Pour le coronavirus, on peut pas dire, et je pense qu’on est loin de pouvoir le dire, ce qui s’est passé. Ces chauves-souris, si on comprend bien lesquelles sont ces chauves-souris, elles vivent essentiellement dans des grottes, mais elles doivent quand même être fortement affectés par la déforestation, parce que elles ont besoin de manger des insectes, pour avoir ces insectes, il faut une biodiversité, il faut des arbres, pour avoir cette diversité d’insectes. Donc, finalement, on peut peut-être imaginer que ces baisses de biodiversité affecte les populations de chauves-souris et affecte les transmissions virale. Mais, le lien n’est pas forcément direct. Pour l’instant, ce que je suis en train de dire, c’est simplement des hypothèses, qu’il faudrait qu’on teste.

L’Animateur : La prochaine question : « On a parlé des pangolins au début de la crise, qu’on est-il aujourd’hui ? »

Serge MORAND : Alors, les pangolins sont toujours là, on ne sait toujours pas ce qui s’est passé. On a trouvé des séquences virales, les plus proches du SARS-CoV-2, sur des pangolins, ce qui fait dire que l’hôte intermédiaire était pangolin. Mais ça, cela ne nous explique pas comment le pangolin a été affecté, par qui, comment, pourquoi. Ces pangolins ont été trouvé là dans le cadre, comment dire, d’échanges commerciaux, de trafic de pangolins. C’est possible, on ne sait toujours pas. Ce qu’il va falloir quand même qu’on comprenne, c’est comment une chauve-souris rencontre un pangolin pour qu’un virus puisse passer. Les pangolins mangent des fourmis, cela ne vit pas tout à fait pareil, ça fait des terriers, ça peut monter dans les arbres quand même, on peut donc trouver des liens, mais il va falloir qu’on comprenne le lien entre les chauve-souris et le pangolin. Je suis comme tous mes collègues virologistes, excepté si c’est des élevages de pangolins. Alors, là, si on a de élevages de pangolins, ils ne sont pas de haute-sécurité, ils sont dans des petites fermes, ils viennent de la faune sauvage, et ils sont élevés avec d’autres choses, ils peuvent ne pas être forcément à l’abri des chauves-souris, ça c’est possible.

L’Animateur : Merci beaucoup. « D’où vient le fait qu’un virus peut n’avoir aucun effet chez une espèce animale et être très dangereux chez une autre espèce ? »

Serge MORAND : C’est encore une bonne question, parce que cela sépare ce qu’on nomme l’affectivité et la virulence. L’affectivité, c’est une propriété d’un virus qui lui permet de pouvoir pénétrer dans une cellule, quelle qu’elle soit, une bactérie, une cellule végétale, une cellule animale, une cellule humaine, et de pouvoir se répliquer. La virulence, c’est à la fois ce taux de réplication, mais c’est la pathologie induite, par ce taux de réplication. Ça, c’est plusieurs choses. C’est la susceptibilité à l’infection d’un individu, c’est la réponse immunitaire, la capacité d’un individu à combattre la virémie, à combattre la reproduction du virus, et c’est aussi la capacité d’un individu à pouvoir combattre les dégâts occasionnés par un virus. Donc, là on parle par exemple, de temps en temps, - c’est encore controversé, mais vous l’avez certainement lu – pour certains cas, des personnes qui souffraient le plus de l’effet du virus, avec des symptômes graves, on parlait de d’orage de cytokines, on voit une réponse immunitaire tous azimuts, c’est la grosse défense qui est allumée, généralement, ça cela occasionne des pathologies très fortes. On a cela pour plein d’exemples. Et cette virulence peut changer, on peut favoriser une augmentation des violences et de la pathologie, et on peut la diminuer. C’est l’exemple, les vaccins. On est capables de faire des vaccins en atténuant la virulence, en atténuant finalement la pathologie d’un virus. C’est l’exemple typique du vaccin de la rage lorsqu’il a été fait, on l’atténuait en faisant passer sur des animaux, pour qu’il puisse induire une réaction immunitaire avant qu’il ne se propage pour tuer le virus, la progression du virus. Donc, là, on a vraiment à le lien qui lie vraiment, je dirais, la physiologie avec la virologie.

L’Animateur : Merci encore une fois pour votre réponse. Il nous reste, je crois, trois questions. « Comment remonte-t-on jusqu’au premier hôte d’un virus ? »

Serge MORAND : Ça aussi, c’est une bonne question. C’est un peu comme la médecine criminelle. Il faut remonter le coupable, remonter les échelles. La première chose, c’est, si je reprends le virus du Nipah, qu’est-ce qu’on fait ? Que font les collègues chinois ? Qu’est-ce que nous allons bientôt faire ici en Thaïlande ? On va regarder les chauves-souris, les animaux, généralement on peut les capturer, prendre un peu de sang et on les relâche, récupérer des fèces, l’urine, avec du coton-tige, comme pour les prélèvements chez les humains, et on va faire un inventaire de tout ce qu’il y a dessus. On va rechercher si l’agent pathogène, l’agent infectieux qu’on a trouvé chez l’humain on le retrouve chez un animal quelconque. En Chine, mes collègues chinois avec lesquels je travaille, m’ont dit que pour l’instant, ils n’ont pas trouvé. Ils ont fait les animaux, y compris des chats, des chiens, de la faune domestique, des cochons, des chauves-souris, des pangolins, des civettes, ils ne l’ont pas trouvé encore. Ça, évidemment, cela pose des questions, ce n’est peut-être pas en Chine que cela s’est passé, ils ont peut-être raisons, cela s’est peut-être passé en Asie du Sud-Est, dans un autre pays. Ça, c’est la première chose. Après, si l’on trouve, les acteurs savent faire cela, il faut voir quel est le réservoir, le virus, l’hôte intermédiaire, après il faut remonter sur comment s’est faite la transmission. Là, on essayer de remonter sur le lieu où cela s’est passé. Avec les virus, avec ce qu’on appelle les horloges moléculaires, avec les phylogenèse des virus, on essaye de remonter dans le temps, dans le lieu, ce qu’on appelle de la phylogéographie, puis on retracer les histoires. Avec le virus Nipah, c’était très bien, on avait localisé les cas, on savait tout. Pour le virus responsable de la Covid19, en l’état des connaissances que l’on a, en l’état des connaissances qu’on nous donne, on est encore loin de savoir ce qui s’est passé. On a encore beaucoup de travail. Pour le SARS CoV le premier, on ne sait toujours pas où cela s’est passé.

L’Animateur : Merci beaucoup. « Serait-il possible de remettre de la biodiversité en utilisant par exemple clonage en laboratoire par la création d’animaux génétiquement modifiés, pour qu’ils puissent survivre avec tout ce qui se passe de nos jours ? »

Serge MORAND : Ça, c’est Jurassic Park. En fait, ce que l’on appelle la recréation. Oui, il y a des programmes. Il y a des gens qui travaillent un peu sur ça, recréer des animaux, c’est ce qu’on appelle l’édition génétique. Il y a tout un ensemble de technologies qui sont faites. On peut recréer des mammouths, par exemple, refaire tout, re-cloner des éléphants actuels. Actuellement, l’auroch que l’on a fait est une recréation, on a remonté avec des espèces proches pour recréer, plus ou moins, l’auroch, plutôt avec de la génétique traditionnelle. On a recréé l’auroch européen comme ça. Certains disent que c’est pour cela qu’il faut faire des banques génétiques, des banques de spermes, des banques d’ovules de toute la biodiversité, parce que tout cela disparaît, donc on va on va mettre tout ça au congélateur et puis on va pouvoir les refaire. Si on en arrive là, je trouve un peu désolant. Je pense que l’on a peut-être des occasions encore pour protéger vraiment la biodiversité in situ. Qu’est ce qui est important ? Ce ne sont pas seulement les espèces, mais aussi les interactions. Ces espèces, ce ne sont pas simplement qu’une espèce, mais comme nous, c’est notre microbiote. Le poids et la diversité des bactéries que nous hébergeons est plus importante que nous-mêmes. Nous avons plus de bactéries que de cellules humaines sur nous et dans notre tube digestif, et ces bactéries, c’est cela qui nous permet de mettre en vie et qui fait notre relation. Et ça, on sait pas, on n’y arrivera jamais, c’est trop compliqué, c’est trop nouveau. La génétique de toutes ces bactéries est beaucoup plus important que la diversité nos gênes dans notre génome. Il faut de l’humilité de la science, il ne faut pas croire que la technologie va nous sauver. Il ne faut pas oublier la science des écologies, des interactions entre nous, humains, nos microbes et le reste de la biodiversité.

L’animateur : Merci, on arrive à la dernière question, si je ne me trompe pas. On vous demande quelle serait la première chose à faire pour parvenir à régler, en tout cas à atténuer, certains problèmes, comme la disparition des espèces, les maladies dues à l’élevage, etc.

Serge MORAND : C’est tout un programme. En Europe, on peut le faire, nous avons la politique agricole commune, il y a l’argent, il faut juste la volonté de dire : « Le modèle productiviste agricole va dans le mur, il nous coûte une fortune, il faut le repenser, désendetter les agriculteurs, arrêter les traités internationaux qui mettent nos élevages et nos éleveurs en dangers, avec des animaux qui viennent du Canada, du Brésil, de l’Argentine en France, du soja, etc., il faut refaire nos territoires. » Finalement, on a l’argent, on a tout. Je pense que si on fait un deal avec nos agriculteurs, en reconnaissant qu’ils sont essentiels, cela veut dire qu’on leur permette d’être maîtres de leur destin, qu’ils soient désendettés, que ce soit pas le Crédit agricole et les banques ou l’Europe, avec des subventions qui lui permettent de survivre aujourd’hui alors que cela doit être la reconnaissance de leur travail, leur contribution aux écosystèmes, à l’alimentation humaine, au bien-être animal qu’ils ont perdu, parce qu’ils ont perdu leurs liens même avec leurs animaux, à leur bien-être eux-mêmes, si déjà en Europe on fait ça, on aura fait 90% du chemin pour la planète.

L’Animateur : Merci beaucoup, je ne vois plus de questions. Je pense que l’on va pouvoir s’arrêter là, on a un peu dépassé, mais cela valait le coup, j’ai envie de dire. Merci Beaucoup, Monsieur MORAND, pour cette conférence.

Serge MORAND : Merci beaucoup. Merci pour l’invitation. Bravo à tous les auditeurs et auditrices pour vos questions, qui sont vraiment très bonnes. Maintenant, vous êtes cette nouvelle génération, ne vous laissez pas conter. Le futur, c’est vous, donc prenez-le en main. Au revoir.

L’Animateur : Merci beaucoup. On vous remercie également dans le tchat. Je vous souhaite à tous une bonne journée, et bon courage pour les ateliers, qui arrivent cet après-midi. Merci encore, Monsieur, MORAND.

Serge MORAND : Merci !

L’Animateur : Au revoir.

Serge MORAND : Au revoir !

Un message, un commentaire ?

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.



Haut de pageMentions légalesContactRédactionSPIP