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Voir la Terre comme vous ne l’avez jamais vue, par Jean-Pierre Goux

Transcription, par Taos AÏT SI SLIMANE, de la conférence TEDX Vaugirad Road, du 13 juin 2016.

Présentation sur le site :

Voir la Terre comme vous ne l’avez jamais vue

Jean-Pierre GOUX

Nous connaissons tous LA photo où nous voyons la Terre complètement éclairée : « Blue Marble ».

C’est la photo la plus reproduite au monde et la seule photo que nous ayons de la Terre totalement visible. Jusqu’à l’année dernière…

Jean-Pierre Goux est un ancien chercheur en mathématiques à la Northwestern University et au Argonne National Laboratory à Chicago. Le sommet de Rio de 1992 le sensibilise et le fait s’engager dans l’écologie. Rentré en France, il travaille principalement dans le domaine de l’énergie et de l’environnement.

En 2002, il obtient le prix SIAM Optimization pour ses travaux en mathématiques. En 2010, il publie « Siècle bleu » qui propose un récit alternatif du XXIe siècle. Il s’inspire aussi bien des sciences que de la spiritualité des Navajos. En 2012, il fait paraître « Ombres et lumières ».

Transcription de la conférence

La terre. Vous avez, tous, déjà vu cette photographie au moins sur la couverture de vos livres d’histoire géo et certainement bien ailleurs, parce que cette photo c’est la photo la plus reproduites de l’histoire de l’humanité. Pourquoi ? C’est la seule qu’on est. Elle est unique. C’est le seul portrait que l’on ait de la terre tout éclairé. Ça, c’était jusqu’à l’année dernière. L’histoire de cette photo est moins connue. Elle s’appelle « The Blue Marble ». Elle a été prise le 7 décembre 1972, par les astronautes de la mission Apollo 17. Cette mission Apollo 17 était la dernière des missions Apollo. Dans toutes les missions précédentes, la terre n’était jamais complètement éclairée, donc c’était la première photo de la terre qu’on ait reçue, mais aussi la dernière. Cette photo, quand on l’a reçue, elle a tout changée. Pour la première fois l’humanité voyait sa maison, elle découvrait que la terre était ronde. On le savait, on nous l’avait dit, on en avait la preuve ! Cette photo nous a aussi fait comprendre que notre planète était magnifique mais qu’elle était aussi fragile, perdue dans une étendue noire et lugubre. Elle nous a donné envie de nous la protéger. Cette photo a démarré un mouvement qu’on appelle « La conscience planétaire ». Elle est intervenue en 1972, exactement quand les problèmes environnementaux devenaient globaux. Elle a aidé le développement des mouvements écologistes. Malheureusement, l’effet de cette photo s’est estompée avec les décennies.

Mon histoire avec la terre démarre il y a exactement 20 ans, en 1996. Un ami d’école d’ingénieurs, qui faisait son stage à l’aérospatiale, m’offre un livre qui a changé ma vie. Je n’imaginais pas du tout à l’époque à quel point il allait m’emmener aussi loin, ce livre. Il s’appelle « Clairs de terre ». Il a été édité, par l’Association des explorateurs de l’espace, c’est un nom un peu pompeux, qui en gros désignait l’amicale des anciens astronautes. Ce livre, je les feuilleté et j’ai vu des photos, à couper le souffle, de la terre prises depuis l’espace. Mais, ce n’est pas tellement cela qui m’a intrigué. C’étaient les textes qui étaient à côté de ces photos, c’étaient des citations d’astronautes, d’une poésie extraordinaire, qui semblaient avoir été touchés par la grâce, mais surtout d’un amour que je n’avais jamais vu pour la terre. Je me disais qu’il y avait là peut-être quelque chose à exploiter pour changer les choses et rendre le monde meilleur. Eugène CERNAN, qui était le dernier homme à marcher sur la lune, a, par exemple écrit dans ce livre : « Nous étions partis pour découvrir la lune, nous avons découvert la terre ». Le sultan Al SAOUD, qui fait partie de la famille royale d’Arabie-Saoudite, qui a séjourné à bord de la station spatiale internationale, a eu, lui aussi, ces mots magnifiques « Le premier jour nous montrions notre pays, au troisième jour, notre continent, à partir du cinquième jour, nous ne faisons plus attention qu’à la seule terre. » Et ce livre pendant des dizaines et des dizaines de citations, où on voit des astronautes, des hommes, des femmes, de tous les âges, de toutes les nationalités, avec cet amour incommensurable pour la terre, quelque chose semble les avoir touchés. Cet effet a été étudié, il porte le nom de « overview effect ». Il a été montré scientifiquement que l’effet combiné de la pesanteur, de la peur, du silence et de l’exposition grand large à la terre vue depuis l’espace, qui tourne avec un rythme lancinant, créé toutes les conditions pour une expérience mystique, extatique, qui les a marqués à vie. Ces astronautes étaient persuadés que la terre était un être vivant, interconnecté et qu’il fallait absolument la préserver. Le seul problème, est qu’il y avait que 500 personnes qui avaient vécu cette transformation, il fallait généraliser çà.

Heureusement un homme a eu un rêve. Cet homme, c’est le vice-président Al Gore. En février 1998, il se demandait comment associer les gens autour du défi sur le dérèglement climatique. C’était deux mois après les négociations du protocole de Kyoto, où il s’était beaucoup investi en tant que Vice-président des États-Unis. Une nuit, inspiré par « blue marble », et ce qu’elle avait changé quand il était plus jeune, il eut le rêve d’envoyer une sonde dans l’espace pour filmer en temps réel et diffusée sur internet, qui venait de naître, ces images pour tous les gens, pour qu’ils puissent toujours voir le village le visage éclairé de Gaïa.

L’avantagent, quand on est Vice-président des États-Unis, c’est qu’on peut lancer un challenge à la NASA. Donc après en avoir parlé avec quelques spécialistes, pour s’assurer que ce n’était pas complètement idiot, le bureau du Vice-président, par un communiqué de presse, a lancé, le défi à la NASA : envoyer un satellite dans l’espace pour amener ces images, et si possible avant la fin de l’année 2000, au début du troisième millénaire. Donc, en gros ils avaient deux ans. Le problème c’est que pour avoir ces images c’est très compliqué, parce que si vous voulez avoir en temps réel toujours des images de la terre complètement éclairé il faut être situé sur l’axé terre soleil puisque, c’est le seul axe où la terre est toujours éclairée. Si vous êtes trop près du soleil la force d’attraction du soleil vous attire, si vous êtes trop près de la terre c’est celle de la terre qui vous attire. Il n’y a qu’un seul point entre les deux, qui s’appelle le point de Lagrange L1, ou les deux forces s’annulent, manque de pot il est à 1.5 million de kilomètres de la terre ! La NASA a relevé le défi, en un temps record, ils ont bâti ce satellite qui s’appelle Triana, qui était fin prêt pour regagner ce point L1 avant la fin du millénaire.

Triana, c’était le nom d’un des compatriotes de Christophe Colomb, qui était au bord de la Pinta, en haut du mât, et qui a été le premier à voir le nouveau monde. Al GORE avait donné lui-même le nom de ce satellite, il l’avait appelé Triana.

À l’époque, j’étais chercheur en mathématiques aux États-Unis. J’étais tellement fascinée par ce projet que j’étais prêt à lâcher mon boulot et à travailler à la NASA pour la promotion de ces images, parce que je me disais qu’il y avait là quelque chose d’extraordinaire. Mais les choses se sont gâtées, quand Al GORE a eu la mauvaise idée de vouloir occuper La Maison-Blanche face à George BUSH. Déjà avant sa défaite, les Républicains qui tenaient le Congrès ont tout fait pour limiter, ralentir cette mission, pour qu’elle ne puisse pas partir avant l’année 2000. Ça, ce n’était pas le plus grave. Une des premières décisions prise par George Bush et Dick CHENEY, après leur investiture en 2001, fut d’arrêter complètement la mission Triana. C’était unique dans l’histoire de la NASA, la mission était construite, prête à partir, et juste pour faire payer Al GORE à la fois le fait d’avoir été un très bon opposant à leur candidature mais aussi le protocole de Kyoto, sur lequel il s’était investi.

Quand j’ai vu, ça pour moi un rêve s’était brisé. Je ne comprenais pas qu’on pouvait avoir une vision aussi cynique du monde, et je suis passé par un peu tous les états. Premières état, la tristesse. Deuxième état, la rage. Puis, je suis revenu à cette notion d’émerveillement et je me disais : ce n’est pas possible, il faut que ces images existent ! Comme je n’étais pas vice-président des États-Unis, je n’avais pas de capacité pour lancer contre mission, j’étais mathématicien, et je me suis dit, je vais, dans le cadre d’un roman, faire ressentir à mes lecteurs ce qu’est l’« overview effect ». Ça m’a pris dix ans. J’ai écrit deux romans qui racontent le changement de conscience et la révolution qui s’opérerait si ces images existaient. Le rêve continuait au moins dans ma tête et dans celles de mes lecteurs.

En 2013 miracle ! J’étais en train d’écrire un article sur lover « overview effect » quand, en faisant des recherches, j’ai découvert que l’administration Obama avait secrètement décidé de relancer la mission d’Al GORE. Ils avaient pris des précautions énormes. Première chose, ils ont changé le nom de la mission. Elle ne s’appelait plus Triana mais DSCOVR. Deuxième chose, ils ont changé l’objet de la mission. Ce n’était plus de filmer la terre mais de filmer le soleil, qui est très bien visible aussi du point LI, dans le but de prévenir la terre en cas d’éruptions solaires qui peuvent détruire nos équipements électromagnétiques. Autour de ce projet, ils ont embarqué d’autres agences. Il y avait la NASA, l’U.S. Air Force, qui a beaucoup d’équipements en orbite, est aussi la NOAA, l’institut météorologique américain. Pour un peu rajouter du piment à tout ça, la NASA a décidé de confier le lancement à une firme privée, une jeune start-up, la SpaceX d’Elon Musk. Mais j’avais confiance dans le visionnaire Elon Musk pour mener cette mission à bout. Ça, c’était en 2013.

Pendant deux ans, je n’ai encore pas dormi en attendant que cette mission parte. Le lancement a été reporté trois fois, mais en février 2015, elle est partie elle est partie. Elle a pris son envol vers ce point L1, à 1.5 million de kilomètres, c’est à peu près quatre fois la distance terre-lune. Il, le satellite, est arrivé là-bas au mois de juin de l’année dernière, juin 2015. J’attendais ces premières photos, surtout ces images qu’Al GORE nous avait promis et qui déclencheraient chez tout le monde le « overview effect ». Il a fallu encore attendre un mois et, le 21 juillet 2015, le second portrait de Gaïa nous a été révélé par la NASA, le voici.

Vous voyez que ce n’est pas la même photo de la terre, puisque vous n’avez plus l’Afrique au premier plan comme on le voit toujours sur cette photo « The Blue Marble », la Terre vue par l’équipage d’Apollo 17, Ici c’est centré évidemment sur les États-Unis. Dans le communiqué de la NASA, je m’attendais à trouver le lien vers la fameuse vidéo temps réel, aucun lien vers la fameuse vidéo temps réel, mais ils promettaient un site web au mois de septembre. Donc, à nouveau deux mois d’attente. Septembre 2015 la NASA respecte ses engagements, elle publie son fameux site web dans lequel il n’y avait pas de vidéo mais uniquement des photos, entre 10 et 20 photos par jour, prises sous différents angles de la terre quand elle tournait.

Personne n’a parlé de ces photos, personne ne les a utilisées, aucun « overview effect » n’a été déclenché. Et un grand désarroi m’a habité : tout ça, pour ça ! Puis, j’ai eu un déclic, après les attentats de Paris, en novembre 2015, quand j’ai vu toute cette noirceur, je me suis dit : il y a vraiment besoin de poésie dans ce monde ! Je n’avais pas le courage ou le temps de m’occuper tout seul de ces images de la NASA, j’ai donc envoyé un message à mes lecteurs en disant : qui est-ce qui veut m’aider à faire quelque chose avec ces images ? Et, là, miracle ! Mon ami Michaël BOCCARA, qui est maintenant en Israël, qui est ici ce soir, m’a contacté et m’a dit : écoute - c’est lui qui m’avait passé ce livre « Clairs de terre » - je veux bien t’aider. On avait commencé cette histoire ensemble, on allait la finir ensemble.

On a passé nos nuits à essayer de voir ce qu’on pouvait faire avec ces images et puis un soir : Eurêka ! On s’est dit que si l’on disposait de plusieurs images de la terre, prises sous différents angles, et qu’on les projeter sur une sphère, en les interpolant, on devrait pouvoir recréer cette fameuse vidéo manquante. On a repassé un certain nombre de nuits, au malheur de nos femmes, toujours sur Internet entre la France et Israël, et un soir, on a vu la terre tournait pour la première fois devant nos yeux. Il était très tard, on s’est appelé, on était émerveillé, et ce soir vous allez, vous aussi, voir ces images.

Ces images ont été prises juste avant la préparation de la conférence. Ce sont donc les images du 29 mai 2016. Elles sont prises du point L1. Imaginez-vous dans ce point, à admirer la terre. Si c’est possible de l’éteindre complètement la lumière, et je vais vous laisser faire l’expérience de la terre.

[Vidéo a visionner sur le sire]

L’histoire ne s’arrête pas là. Après avoir réalisé cette première vidéo, on a décidé de tester un peu la réaction des gens, on l’a mise sur Internet, sur Instagram, et on a tagué la NASA. Quelques heures après, nous recevions un e-mail de la NASA, qui nous félicitait, qui se demandait comment on avait pu réaliser cette vidéo. Je crois que ça a été un des moments les plus forts, où on a été en communication avec le responsable de la mission DSCOVR, et plus particulièrement de la caméra qui filmait la terre. On lui a posé un milliard de questions, et lui aussi, pour comprendre comment on avait réussi ces images. Après cette conversation avec la NASA, on s’est dit : on a peut-être réalisé là quelque chose d’important, on va aller jusqu’au bout de notre rêve. Ce rêve : que ces images on se les approprient tous, pour vraiment avoir ce sentiment de ce bien commun collectif qu’on doit préserver. Et, pour pouvoir tous se l’approprier, il faut pouvoir les diffuser sur tout type d’écran, et des écrans il ne manque pas, on pourrait les projeter sur des gratte-ciels, mais aussi dans la paume de nos mains sur des téléphones portables. On a donc créé un projet qui s’appelle « blueturn », « le tournant bleu ». Sur le site : www.blueturn.earth, où vous retrouvez, gratuitement, toutes ces images, toutes ces vidéos, et on va rajouter, cet été, une appli qui vous permettra sur des tablettes ou sur des téléphones de pouvoir gratuitement consulter et de voir toujours les dernières images de la terre, donc de réaliser ce rêve d’Al Gore, qu’était devenu le nôtre. Avec ces images, on espère générer un nouvel enthousiasme autour de cette planète, et surtout des projets artistiques, méditatifs et éducatifs inédits. On espère que ces projets pourront plonger chacun de nous dans cette « overview effect » et nous amener au prochain niveau de conscience planétaire. Quand les astronautes d’Apollo 17 avaient pris cette photo ils ne savaient pas du tout ce qui allait se produire ; nous non plus, on sait pas du tout ce qui va se produire. Ces images sont les vôtres à vous de jouer.

Merci ! »

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