Fabrique de sens
 
Accueil > Oreille attentive > Charles de Foucauld

Charles de Foucauld

Transcription, par Taos AÏT SI SLIMANE, de l’émission La Foi prise au Mot du 23 octobre du 2016. Je compte sur vous, en vous remerciant par avance, de bien vouloir me signaler (à l’adresse : tinhinane[arobasegmail[point]com) les coquilles que vous relèverez en parcourant cette transcription, afin que je les corrige et offrir ainsi aux lecteurs qui vous succéderont un texte d’une meilleure qualité.

Édito de l’émission : Charles de Foucauld Le premier décembre de cette année, nous fêtons le centenaire de la disparition de Charles de FOUCAULD. Militaire, converti, mystique, apôtre de la pauvreté, ami de l´islam et de la culture des Touaregs, son itinéraire complexe et parfois tourmenté le rend d´une surprenante actualité. Qui fut Charles de FOUCAULD et comment peut-il nous parler aujourd’hui ? Redécouvrons donc cette figure à la lumière de notre présent en compagnie de Pierre SOURISSEAU, archiviste de la cause de canonisation de Charles de FOUCAULD et auteur d´une biographie (Cerf), François SUREAU, auteur de « Je ne pense plus voyager : la mort de Charles de FOUCAULD » (Gallimard), Xavier GUFFLET, Petit Frère de l´Évangile, et une intervention de Monseigneur RAULT, Père Blanc et évêque de Laghouat-Ghardaïa en Algérie.

Régis BURNET : Bonjour et merci de nous retrouver, dimanche après dimanche, dans la Foi prise au mot. Cette semaine un numéro de la collection figure, celle de Charles de FOUCAULD. Nous avions, il y a déjà quatre ans, parlé de Charles de FOUCAULD ; et ceux d’entre vous qui aiment à nous regarder sur internet peuvent aller consulter cette émission

Aujourd’hui, je vous propose de revenir sur Charles de FOUCAULD pour deux raisons : la première est que nous fêtons un anniversaire, celui du centenaire de sa mort mystérieuse, le 1er décembre 1916. La seconde c’est l’extraordinaire actualité que prend sa figure de converti, d’apôtre de la pauvreté, et surtout d’ami de l’Islam et de l’Afrique du nord.

Redécouvrons donc Charles de FOUCAULD à la lumière de notre présent, en compagnie de mes trois invités : Pierre SOURISSEAU, Bonjour.

Pierre SOURISSEAU : Bonjour.

Régis BURNET : Vous êtes le biographe de Charles de FOUCAULD et vous venez de faire paraître un Charles de FOUCAULD, évidemment, une biographie aux éditions Salvator.

François SUREAU, bonjour !

François SUREAU : Bonjour.

Régis BURNET : Vous êtes écrivain et vous venez aussi de faire paraître, Je ne pense plus voyager, c’est dans la collection de la NRF chez Gallimard.

Et puis, Xavier GUFFLET, bonjour.

Xavier GUFFLET : Bonjour.

Régis BURNET : Vous avez fait paraître plusieurs livres, on va en parler à la fin de l’émission, et vous vous êtes Petit Frère de l´Évangile. J’ai envie de vous poser une première question, c’est quoi un Petit Frère de l´Évangile ?

Xavier GUFFLET : C’est une communauté, qui est a été fondée en 1956 dans la famille de Charles de FOUCAULD, au niveau famille spirituelle, et nous avons des communautés dispersées dans le monde. Moi, je suis dans cette communauté depuis 1965.

Régis BURNET : Et pour vous, Charles de FOUCAULD, cela va nous permettre de rentrer dans l’émission, c’est qui ? C’est le père fondateur ? C’est l’icône indépassable et sur lequel il ne faut absolument rien dire de mal ? C’est un Saint ? C’est …

Xavier GUFFLET : Il n’est pas fondateur de notre congrégation …

Régis BURNET : C’est plus simple …

Xavier GUFFLET : … absolument pas, notre fondateur, c’est René VOILLAUME, qui nous a laissé comme héritage cette référence à Charles de FOUCAULD ; mais, il ne nous a jamais dit : « Charles de FOUCAULD est notre fondateur ». C’est le père VOILLAUME qui est notre fondateur. Pour nous, Charles de FOUCAULD, c’est celui qui nous montre Jésus, qui nous apprend à vivre l’Évangile, ce n’est pas du tout celui qui est un modèle à suivre. Il est inclassable et nous ne cherchons pas à le suivre, mais il a une radicalité évangélique qui nous inspire et qui nous aide à vivre dans le concret de nos vies, dans le monde entier où nous sommes, dans les différentes communautés.

Régis BURNET : François SUREAU, je vous avais reçu il y a quelques années, vous aviez fait un Inigo à propos d’Ignace de LOYOLA, là vous vous lancez dans Charles de FOUCAULD, c’est qui pour vous Charles de FOUCAULD ?

François SUREAU : D’abord, c’est quelqu’un qui m’a beaucoup frappé parce qu’il a traversé, de manière plus approfondie, plus sérieuse et plus permanente, des endroits et des choses qui m’ont frappé dans ma vie personnelle. C’est comme ça que je me suis intéressé à lui. J’étais un médiocre officier de cavalerie, il m’est arrivé de servir la Légion étrangère. J’ai beaucoup aimé le désert. J’ai beaucoup aimé le Sahara. Et, j’ai beaucoup aimé la fin du siècle, qui est son tuf nourricier, l’endroit dans lequel il était plongé. Donc, assez vite, cette vie, depuis très longtemps, m’a frappé. En même temps, c’est ainsi que cela se passe chaque fois que j’écris un livre sur un saint, la même chose pour Ignace, de manière absolument parallèle, cette vie me rebutait par son langage. Je n’aime pas le style de Charles de FOUCAULD, pas plus que je n’aime le style d’Ignace de LOYOLA. Je trouve qu’il y a un côté fin siècle qui est très souvent, absolument insoutenable ; et d’une certaine manière, le côté absolument chaotique ; et pour finir, l’échec apparent de son existence me posait des questions. Et c’est en rentrant dans ces questions que je me suis efforcé de sentir peut-être certaines choses, comme il les avait senties, dans l’idée d’essayer de tirer le maximum de vérité ontologique de son expérience. C’est ce que j’ai essayé de faire. À la fin, je me suis peut-être rendu compte - il y a quarante mille manières de voir Charles de FOUCAULD - que ce qu’il y avait de plus essentiel chez lui, à mes yeux, c’était l’insistance sur la vie de Nazareth, au moment de la naissance de la modernité technique et industrielle, c’est-à-dire son exact contraire, et l’insistance au fond sur la pertinence de l’échec - comme un grain pourri en terre - dans un monde entièrement vouée à la compétition et aux succès individuels. C’est par là que Charles de FOUCAULD continue de me toucher.

Régis BURNET : On va y revenir. Ce que je vous propose, c’est qu’on parte autour de trois grandes points d’actualité, puisque le but dans cette émission est de découvrir l’actualité de Charles de FOUCAULD : le convertit ; la spiritualité, donc cette fameuse spiritualité de Nazareth ; et puis bien entendu le rapport à l’Afrique du Nord. Pierre SOURISSEAU, pour commencer : le converti. On connaît l’histoire, la famille, la jeunesse, la conversion avec l’abbé HUVELIN, c’est devenu presque un saint de vitrail, Charles de FOUCAULD, est-ce que pour vous, c’est un converti ?

Pierre SOURISSEAU : Il y a une longue histoire avant la rencontre avec l’abbé HUVELIN. Le moment de la conversion n’est pas seulement cette rencontre, fin octobre 1886, à Saint-Augustin. Pour moi, Charles de FOUCAULD manifeste qu’il change de vie quand il est dans la campagne contre Bouâmama, à la frontière du Maroc, dans le Sud-Oranais, en 1881-82, et lui-même le dit, lui-même dit qu’il a beaucoup, beaucoup changé pendant ces huit mois de campagne. Il va ensuite donner sa démission à l’armée parce qu’il a senti que la vie de garnison ne lui convenait pas, autant il a aimé la campagne dans le désert autant il détestait la vie de garnison. Il va plutôt se consacrer au voyage, à l’exploration, et pendant toute sa préparation du voyage au Maroc, pendant son voyage au Maroc, et après son retour, il fait mûrir en lui beaucoup, beaucoup de réponses à ces problèmes existentiels, qu’il se posait depuis longtemps, jusqu’au jour où il demande un éclaircissement à un prêtre, à l’abbé HUVELIN.

Régis BURNET : C’est très intéressant ce que vous dites, parce que souvent quand on fait la biographie, encore une fois saint de vitrail, où on oppose une vie de nobles, un peu facile, militaire, les joies de la vie militaire, gloire et servitude de la vie militaire, à une sorte de conversion, quasiment dans une sorte de monachisme. En réalité lorsque Charles de FOUCAULD se convertit, comme vous dites en 1886, il reste militaire mais c’est surtout un explorateur.

Pierre SOURISSEAU : C’est un explorateur, c’est quelqu’un qui cherche la vérité, et il cherche à trouver un sens à son existence. Il a aimé la vie militaire, bien que l’on dise de lui qu’il était un mauvais militaire, mais en fait il s’est trouvé tout à fait à son aise avec ses camarades, avec le don de soi même, le don de lui-même, mais ça ne le satisfait pas, il veut aller encore plus loin, et son voyage d’exploration au Maroc lui fait découvrir d’autres ressources cachées, qu’il avait en lui, jusqu’au jour où il cherche à aller encore plus avant, parce qu’il se sent appelé à plus.

François SUREAU : La question de la vie militaire est très intéressante, personnellement je pense que c’est un militaire absolument raté. C’est un militaire raté pour une raison très simple, c’est qu’à l’armée on est un raté quand la hiérarchie vous dit que vous êtes un raté, peu importe ce que vous y trouvez, vous-même. FOUCAULD était un élève officier médiocre, sortie dans les derniers de Saint-Cyr et de Saumur, particulièrement mal noté et conduit à quitter l’armée dans des conditions infamantes. C’est donc un militaire absolument raté. Il n’a rien de commun sous ce rapport avec Ignace de LOYOLA, qui par exemple n’était pas militaire, a réussi à prendre le commandement d’un ensemble d’unités militaires au moment de Pampelune et dont tout indique que s’il n’était pas devenu un Saint, s’il n’était pas devenu un fondateur d’ordre, il aurait peut-être été premier ministre du roi d’Espagne. FOUCAULD rien de tel. FOUCAULD, c’est en réalité une vie militaire absolument faible, d’une grande médiocrité jusqu’au moment où il découvre, en réalité sa vocation avant la vocation religieuse, et là vous avez tout à fait raison, dans l’exploration. En revanche, son travail ethnographique est un travail qui, encore aujourd’hui, est considéré comme sérieux, y compris Reconnaissance au Maroc, et surtout le travail ethnographique, qu’ensuite il va mener, parallèlement à sa vocation religieuse, auprès des Touarègues du Hoggar. Il m’est arrivé de rencontrer des ethnologues qui citaient FOUCAULD, en ignorant, à peu de choses près, quelle avait été sa destinée spirituelle, parce qu’il a été le premier à collationner les poésies touarègues et à donner ce dictionnaire extraordinaire. Et même Reconnaissance au Maroc, on voit dans la manière dont le livre est écrit, dans la manière incroyable dont les dessins et la topographie sont faits et arrangés, en suivant d’ailleurs les canons des cours topo qu’on apprenait aux officiers d’artillerie à l’époque, on voit un sérieux absolument incroyable. En effet, c’est là où ça bascule, probablement en au cours de la campagne contre Bouâmama, au moment où il devient un explorateur, c’est là où sa vie bascule dans le sérieux, alors qu’avant je ne suis pas absolument sûr qu’elle l’ait été. Un deuxième élément sur la conversion, qu’il faut dire aussi, l’inconvénient de penser la conversion de FOUCAULD, c’est que le retour à la foi, c’est quand même le retour à une foi contestable. La foi de ce milieu très particulier, qui faisait au fond du Christ le serviteur des riches et des puissants, car une très large partie de la foi de la fin du XIXe. C’est la foi qui conduit, par exemple, le père du LAC, jésuite, lorsqu’il prononce l’oraison funèbre des morts du Bazar de la charité, à dire : « Vraiment les apparences sont contre Dieu » Pourquoi ? Parce que Dieu n’aurait jamais dû faire brûler ces braves femmes ,qui se dévouaient à autrui …

Régis BURNET : … des femmes de qualité …

François SUREAU : Opinion tout à fait contraire à celle de Léon BLOY, qui pensait au contraire qu’il était normal que le feu du ciel se déclenche sur un machin qui accolait les mots de bazar et de charité. Ce sont quand même deux choses absolument incompatibles. Dans le retour de FOUCAULD à la foi, ce qui est assez fascinant, c’est qu’il emprunte ces chemins-là, les chemins de la piété aristocratique classique, ceux de la famille MOITESSIER, Madame de BONDY, ceux même de l’abbé HUVELIN, qui a des côtés normaliens mondains éclairés de l’époque. Il emprunte ce chemin là et il s’en sépare radicalement, il va au-delà de ça, au-delà de cette religion de l’époque. Et ça, c’est très, très intéressant, parce qu’il a probablement été très frappé par l’Islam, parce que l’Islam lui présentait une vision de Dieu radicalement étrangère, extérieure à la piété mondaine, d’une très grande violence et quand il est revenu à ce qu’il considère être la vraie foi, parce qu’on disait tout à l’heure, « c’est un ami de l’Islam », pardon de le dire, mais Charles de FOUCAULD tout indique qu’il pensait que l’Islam n’était pas dans la vérité, il l’a dit de manière claire, assez radicale. Il n’était pas au sens propre un ami de l’Islam, il pouvait être un ami des Musulmans, individuellement considéré, mais ce n’était pas un ami de l’Islam. Donc, à partir du moment où il décide de revenir à ce Dieu qu’il a confusément empoigné, il se projette très au-delà de cette espèce de piété de son milieu, qui pourtant avait été pour lui également un chemin de conversion, c’est très intéressant.

Xavier GUFFLET : J’aimerais revenir sur la conversion, au niveau de son chemin chronologiquement. Avant d’entrer dans le confessionnal de l’abbé HUVELIN, à l’église Saint-Augustin à Paris, il y a tout un cheminement avec sa famille et dans la relecture qu’il fait plus tard, la manière dont il voit sa conversion, il insiste beaucoup sur la manière dont sa famille l’a reçu comme l’enfant prodigue. Or, ça, cela se situe bien avant. Donc, cette expérience, on peut presque dire parabolique, puisqu’il a vécu presque matériellement l’expérience du retour de l’enfant prodigue dans la famille, et la famille il a reçu comme l’enfant prodigue, et ça, ça l’a beaucoup marqué, il dit : « On n’en a pas tenu compte, on a oublié disons les bêtises ». Donc, je pense que cela a été très important pour Charles, cette influence de la famille. De toute façon, toute sa vie ça va être l’influence des gens qui sont autour de lui. Il n’est pas directement branché Dieu, ou branché au Saint-Esprit, ça passe toujours par les hommes.

Régis BURNET : En même temps, comme dit François SUREAU, il est capable aussi de sortir un peu de son milieu justement, un milieu, je vais pas dire qui n’aime pas les pauvres, mais qui n’est pas forcément très sensible à la pauvreté.

Xavier GUFFLET : En particulier, pour reprendre cette dimension-là, il a un grand ami, avec lequel il a vécu le Sud Oranais, l’expérience contre Bouâmama, c’est un monsieur qui s’appelle BALTHAZAR, un médecin militaire, avec lequel il va garder toute sa vie un lien très fort. Avec ce médecin militaire, qui n’a rien à voir avec sa famille, va développer toute une recherche très intéressante. Par exemple, pour aller au Maroc, il va lui demander une liste de différents médicaments, il dit : « Je vais me présenter comme médecin, mais je ne veux pas tuer les gens, fais-moi un liste », et BALTHAZAR lui fait un liste que McCarthy va trouver très bonne pour la partager avec d’autres explorateurs, puisque que McCarthy a aidé Charles de FOUCAULD à préparer son voyage au Maroc.

Pierre SOURISSEAU : On parle beaucoup maintenant des recommençants. Il avait dans son enfance et dans sa jeunesse une pratique religieuse. Il faisait ses Pâques, on pense même qu’il les a faites après la mort de son grand-père, selon la tradition qui vient de sa sœur, qu’il revoyait à Paris, mais c’était une foi tout à fait sociologique ; une foi comme beaucoup de l’époque, les jeunes gens et les hommes vivaient cette foi sociologique. Par contre, sa conversion, c’est un amour, comme dira un jour l’abbé HUVELIN, il fait de la religion un amour, et c’est ce passage d’une foi sociologique à une foi amoureuse, et une foi de contemplation de Jésus, qui est pour moi la grâce qu’il a reçu le jour où il s’est confessé à l’abbé HUVELIN, où il a communié, et à partir de là, c’était un autre homme, c’était un recommencement.

Régis BURNET : On va arriver maintenant au deuxième élément d’actualité, qui est la spiritualité justement. Je vous propose qu’on entende un texte extrêmement célèbre, c’est la fameuse prière d’abandon à Dieu, qui date de 1896-1897, on écoute cette prière de Charles de FOUCAULD.

Mon père, je me remets entre vos mains ; mon père je me confie à vous, mon père, je m’abandonne à vous ; mon père faites de moi ce qu’il vous plaira ; quoi que vous fassiez de moi, je vous remercie ; merci de tout, je suis prêt à tout : j’accepte tout ; je vous remercie de tout ; pourvu que votre volonté se fasse en moi, mon Dieu, pourvu que votre volonté se fasse en toutes vos créatures, en tous vos enfants, en tout ce que votre cœur aime, je ne désire rien d’autre mon Dieu ; je remets mon âme entre vos mains ; je vous la donne, mon Dieu, avec tout l’amour de mon cœur, parce que je vous aime, et que ce m’est un besoin d’amour de me donner, de me remettre en vos mains sans mesure ; je me remets entre vos mains, avec une infinie confiance, car vous êtes mon père.

Charles de FOUCAULD, Prière d’abandon à Dieu, 1896-1897

Régis BURNET : François SUREAU, vous avez parlé de la vie à Nazareth, comme vraiment quelque chose d’important. De fait, Charles de FOUCAULD va partir à Nazareth, pour vivre selon la vie de la Sainte famille, mais c’est pas que cela qui vous intéresse ?

François SUREAU : Non. Mais avant, la vie à Nazareth, je voudrais en dire un mot. En réécoutant cette prière, elle devrait nous inciter à réfléchir. En réalité, il faut prendre ces mots pour ce qu’ils disent, et quand on les écoutes, ils sont à proprement parler inaudibles, « Mon père, je remets ma vie entre vos mains », pour un esprit contemporain, tout ceci est marqué du sceau de la plus profonde dinguerie, de quoi parle-t-on !? Ce n’est pas simple, ce n’est pas une chose facile, je veux dire qu’on ne peut comprendre une destinée de sainteté sans s’interroger sur ce qui est dit, au sens propre, sur les mots qui sont prononcés, je crois que quelqu’un ne peut pas prononcer cette parole : « Mon père, je remets ma vie entre vos mains », qui à peu près la parole du calvaire en réalité, il ne peut pas prononcer naturellement cette parole, sauf dans plusieurs hypothèses, il faut bien que FOUCAULD ait connue de ces hypothèses : soit il a fait l’objet d’une vision, une sorte de chemin de Damas, le voile de l’illusion s’est déchiré : nous avons un père, il nous aime, il règle chacun des moments de notre vie et nous dispose au Salut. Enfin, il faut en avoir pris conscience. Ou bien, cette vie misérable, qui m’a heurté, qui m’a frappé, comme elle nous frappe tous, en réalité elle a une issue, elle a une raison, et cette raison doit être trouvée dans l’amour de Dieu, parce que de fait cette raison et dans l’amour de Dieu. Et tout ceci, doit être, comment dire, vu au travers d’une expérience existentielle. C’est ce que j’essaye de faire d’ailleurs dans mon livre, j’essaie d’imaginer le type d’expérience existentielle qui à la fin avait amené FOUCAULD à penser ça, à exprimer ça. On entend cette prière comme s’il s’agissait de quelque chose de sulpiciens, c’est quelque chose, quand je dis de délirant, je le dis avec affection, d’absolument révolutionnaire, il faut entendre ces mots pour ceux qui le disent, qui sont l’exact contraire sur quoi le monde vit, le monde espère, que le monde attend, c’est le contraire radical, c’est quand même extraordinaire ! Et FOUCAULD est d’une certaine manière un homme du contraire, c’est pour cela que j’ai pensé à Brou de Nazareth. L’époque de FOUCAULD est quand même une époque effarante, c’est une époque industrielle, ce qui est étonnant par ailleurs, c’est que pour FOUCAULD la vie de Nazareth où la vie de pauvreté n’était pas incompatible avec les à méditer du monde moderne, ce n’est pas du tout un type qui pense qu’il faut se réfugier dans le Moyen Âge, il est très soucieux d des choses de son temps, des choses qui permettent d’améliorer la situation des gens, ce n’est pas du tout un salafiste catholique. C’est très, très intéressant. La vie de Nazareth pour lui, c’est quand même une rupture, avec en effet le monde de l’intérêt, de l’égoïsme, de l’argent, de la technique, de la réussite visible, et c’est aussi une vie cachée qui ne prêche pas. La ville de Nazareth est une ville dans laquelle le Christ ne prêche pas par hypothèse ; Il travaille de ses mains en famille, si je peux le dire, et il ne prêche pas. Il y a quelque chose de très mystérieux parce que ça, c’est une vie qui est donc aux antipodes des deux grandes tentations du monde moderne technique qui est en train de naître, le monde d’une part de de la compétition et de l’efficacité et d’autre part le monde d’un prêche permanent, manifesté par l’idéologie, et qui encore aujourd’hui nous assourdi les oreilles ; depuis que personne ne va plus à l’église, on est sermonné en réalité en permanence par tout le monde, toute la journée. Donc, la vie de Nazareth et à la fois une vie non compétitive et une vie silencieuse ; et c’est le plus grand antidote au caractère étrangement déviant du monde. Je crois que c’est une des raisons pour lesquelles FOUCAULD peut encore frapper nos contemporains.

Régis BURNET : Xavier GUFFLET, est-ce que vous vous pensez que c’est quelque chose de complétement délirant ce : « Je mets entre vos mains - justement pas mon esprit - ma vie » ?

Xavier GUFFLET : Ce n’est pas tout à fait mon opinion.

Régis BURNET : Pourquoi ?

Xavier GUFFLET : D’abord, je trouve important de situer cette prière à l’intérieur même des méditations de Charles de FOUCAULD. Cette prière qu’aujourd’hui nous appelons la prière de Charles de FOUCAULD, c’est tout à fait inexact. L’important est de voir que c’est une méditation, tout à fait en accord avec ce qu’on vient de dire, c’est Luc, chapitre 23, 46, le texte que Charles reprend qui est : « Mon père, je remets mon esprit entre vos mains », c’est le texte même de l’Évangile. Donc, il commence exactement avec ce même texte : « Mon père, je remets mon esprit entre vos » et il dit : « Je me remets entre vos mains », il y a eu tout un travail avec des ciseaux, la méditation a été coupée, c’est pour cela que petit à petit on l’a transformée en prière d’abandon, parce que le « je m’abandonne » a été déplacé. C’est en 1923, quand BAZIN a publié les « Écrits spirituels de Charles de FAOUCAULD », curieusement, est-ce que c’est …

Régis BURNET : René BAZIN, le grand écrivain de l’entre-deux-guerres, qui avait fait une biographie de Charles de FAOUCAULD.

Xavier GUFFLET : Exactement. On a pris l’habitude d’appeler cette prière, la prière d’abandon. Personnellement, j’utilise beaucoup, entre guillemets, cette prière, en particulier quand j’accompagne les mourants, cela correspond exactement à la méditation, puisque la méditation c’est Jésus en croix qui dit cette parole. Donc, on aide, grâce à cette prière à vivre avec le mourant cet abandon, mais c’est une dimension de cette prière, ce n’est pas plus. Personnellement, j’ai vécu cela avec plusieurs frères, cet accompagnement, grâce à cette prière, nous évite de faire beaucoup de discours sur la mort, et c’est déjà pas mal, parce que quand on est là pendant une semaine, quinze jours ou plus longtemps, à accompagner quelqu’un, c’est beau de pouvoir, à travers une prière, dire je suis d’accord, je t’accompagne, je marche avec toi, toi aussi tu vas faire le passage.

Régis BURNET : Mais, est-ce que vous êtes d’accord avec le fait que c’est quand même une violente protestation contre le monde tel qu’il va, dans le sens où remettre sa destinée alors qu’on vous dit : « Soyez efficace » ; « soyez maître de votre destin », etc., ?

Xavier GUFFLET : C’est ce que Jésus a vécu lui-même. Pour moi, il y a deux images que je garde de Jésus, quand il y a un problème sérieux : ou bien il fuit, la fuite en Égypte, ou bien il accueille et c’est la croix. Je pense que dans notre société d’aujourd’hui, c’est quand même aussi ce qu’on fait. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de réfugiés. Pourquoi ? Parce que dans une situation intenable certains s’enfuient et d’autres restent et meurent. On n’est pas forcément tout à fait en dehors de l’actualité.

Régis BURNET : Pierre SOURISSEAU ?

Pierre SOURISSEAU : Je voulais ajouter que l’écriture de cette prière a été faite dans un contexte qui est un peu différent de ce qu’on vient d’évoquer là. Il est à ce moment-là dans un monastère en Syrie et il reçoit, comme responsabilité, de faire avancer deux petits jeunes de religion maronite, qui ont demandé à être reçus au monastère comme novices …

Régis BURNET : Pardon, les Maronites sont des Libanais, des catholiques ...

Pierre SOURISSEAU : L’un des deux jeunes était d’origine protestante, mais converti catholique au monastère. Donc, il est en train de les éduquer à la prière, et cette prière, emprunté à Luc 23, est la suite de beaucoup d’autres présentations sur la prière ; et le jour où il arrive à ce passage de l’Évangile Luc 23, il reprend tout simplement les mots : « père, je remets mon âme » et il ajoute : « C’est la dernière prière de notre maître … » il parle au pluriel parce qu’il est avec ses deux petits oblats, « C’est la dernière prière de notre maître puisse-t-elle être celles de tous nos instants et celle de nos derniers instants … », et il reprend la prière : « Père, je me remets entre vos mains, je me confie à vous, je m’abandonne à vous, j’accepte tout … », et j’ajoute quelque chose aussi sur l’historique même de ceux de cette rédaction, c’est qu’il n’est pas du tout influencé par quelqu’un, qui ensuite va être une révélation chez lui, c’est le livre du père de CAUSSADE, qui s’intitule « L’abordons la divine providence » ; à ce moment-là, Charles de FOUCAULD n’a pas lu le livre de CAUSSADE, qu’il découvrira un an plus tard à Nazareth, mais il a été influencé sans doute pour quelques chapitres de « l’imitation de Jésus-Christ », qui a deux chapitres au moins, qui sont dans la tonalité de cette prière. Donc, il est loin de la mentalité ambiante, industrielle de l’époque, il est géographiquement très loin et psychologiquement très loin.

Régis BURNET : Justement, c’est cela qui est très frappant, c’est, comme vous dites, extrêmement moderne, on le voit, tout au long du XXe siècle, il va avoir une influence décisive pour la spiritualité, en même temps, sa manière, son acte fondateur, partir dans ce monastère, Notre Dame des neiges en Syrie, à Nazareth, c’est vraiment quelque chose de complétement traditionnel, de très anciens, c’est très frappant, je trouve.

Pierre SOURISSEAU : Oui, aussi bien chez les trappistes qu’ensuite à Nazareth, quand il ermite, il n’est pas très satisfait de lui, c’est là où il a des pages qui montrent un peu, non pas de la tristesse mais une recherche un peu difficile de sa voie, de sa vocation personnelle. C’est pour dire qu’il faut bien situer l’évolution de Charles de FOUCAULD, avec le concret de ce qu’il vit et de son inspiration profonde, qui ne sera finalement apaisée que dans les périodes, les années du Sahara, où il retrouvera, avec les Touaregs, son milieu de vie.

Régis BURNET : Alors ça, c’est intéressant, c’est quelque chose que j’ai découvert dans votre livre, c’est vrai que dans la présentation, ce que j’appelle la présentation traditionnelle, il y a une sorte de conversion, comme si toute la spiritualité de Charles de FOUCAULD sortait tout armée du confessionnal de l’abbé HUVELIN, en fait il est en permanence en recherche, il n’y a pas une spiritualité de Charles de FOUCAULD, ou il y en a plusieurs. Pour vous, c’est quoi la vrai ?

Pierre SOURISSEAU : Pour moi, la vraie, c’est la découverte de Jésus à Nazareth.

François SUREAU : On est d’accord.

Pierre SOURISSEAU : On a fait allusion à cela tout à l’heure. Il découvre pendant son pèlerinage à Nazareth. Il avait découvert, un peu avant parce qu’il lisait beaucoup sur Jésus, que Dieu s’était incarné, et qu’il s’était incarné dans la vie d’un homme Juif du 1er siècle à Nazareth. Et ce qu’il découvre dans les ruelles de Nazareth, il dit : « Jésus a donc vécu comme cela ». En 1889, quand il est à Nazareth, c’est comme s’il était avec Jésus dans son atelier. Il insiste ensuite pour l’abjection, c’est-à-dire une vie de pauvreté, le travail manuel très important et la vie familiale, la Sainte Famille, avec Marie et Joseph, et les relations avec les voisins, avec tous ceux qu’il appelle les frères de Jésus.

Régis BURNET : Ce terme d’abjection ….

François SUREAU : C’est très intéressant, en réalité c’est un mot du vocabulaire, t c’est un mot qui vise en réalité l’aspiration à la pauvreté, de même que très souvent quand on parle d’humilité, c’est un peu la traduction de l’anouwt hébreu, on va très au-delà de ce que l’humilité véritable veut dire. En tout cas il est sûr que FOUCAULD, d’une certaine manière, adopte un peu la position assez misérabiliste de l’exégèse de son temps, de Jésus un pauvre parmi les pauvres. Et par abjection la vie de Nazareth, c’est vivre une sorte de vie de derelict, de clochard, d’un sans-abri. Ce n’est pas du tout le cas, la vie de Jésus à Nazareth, la famille de Joseph était, d’après au moins les études modernes, et compte tenu du métier qu’il exerçait, une famille honorable, d’artisans, bien considérés, ce n’était pas une vie de déréliction. Cela veut dire que Charles de FOUCAULD au moins refuse, c’est la participation à l’ordre visibles et glorieux du monde. Participation à laquelle il se refusera jusqu’au bout, alors même qu’il entretiendra des relations avec les représentants de l’autorité coloniale. Il ne veut pas être dans un mécanisme de pouvoir, il veut être à l’extérieur de ça, et ne veut pas non plus être dans la prédication mais dans une vie dont le secret garantit la sainteté, et ça, c’est tout à fait nouveau, assez paradoxal est assez extraordinaire.

Régis BURNET : Je voudrais justement vous faire entendre un interview qui a été réalisée avec Mgr RAULT, l’évêque du Sahara algérien, qui est à Ghardaïa, qui dit à peu de chose près, quelque chose comme ce que vous venez de dire.

Je suis Père Blanc, Monseigneur d’un diocèse d’Afrique. Pour vivre dans ce contexte bien précis, finalement il y a plusieurs façons d’y vivre, si vous voulez, mais nous sommes quand même très guidés par une nécessité d’incarnation sur place, c’est-à-dire d’apprendre la langue de proximité des gens, de créer des liens d’amitié, qui nous sont bien rendus en général, et en cela nous rejoignons très fort les grandes intuitions de Charles de FOUCAULD, qui était finalement de de s’incarner, d’apprendre la langue et puis aussi d’être des hommes de prière. Je crois que c’est une spiritualité de plein vent, une spiritualité en mouvement, une spiritualité en marche. Lorsque j’étais au séminaire et que m’était ouvert sur mon désir de devenir missionnaire mon conseiller spirituel m’a dit : « Bien, mon cher, il va te falloir une spiritualité portative ». Je crois que c’est bien le cadre de la spiritualité de Charles de FOUCAULD, une spiritualité qui était la fois exigeante, parce que elle comporte une certaine rigueur par rapport à notre relation à Dieu et aux autres, mais en même temps une spiritualité qui s’adapte en fonction des étapes que l’on peut être amené à faire tout au long de sa vie. Je crois que c’est aussi une spiritualité tout à fait adaptée à notre temps, basée sur Nazareth qui exige une grande qualité d’incarnation, une grande qualité de proximité des autres et aussi de respect et d’entrer dans leur culture. Voilà, pour moi, c’est si c’est un peu ça, être incarné, proche des autres, et puis, à l’intérieur de cette proximité des choses importantes se passent dans nos relations avec les autres, avec l’autre musulman qui nous accueille.

Régis BURNET : Frère Xavier, la spiritualité portable, ça vous, comme … ?

Xavier GUFFLET : Il faut bien trouver des mots, je dirai que je rejoins Charles de FOUCAULD à la fin de sa vie, il insistait pour ne pas toujours parler de vie de Nazareth, vie de Nazareth mais quand même de la vie ordinaire. Donc, nous sommes appelés à cette vie ordinaire, des gens ordinaires, qui est la majorité des gens. C’est vrai que Charles venait d’un autre milieu, pas tout à fait ordinaire, et pas tout à fait comme tout le monde, ça, c’est vrai, mais c’était son milieu d’origine ; et il a découvert, à travers toute cette longue expérience en Algérie, ce que c’est que la vie ordinaire. Et, la première fois qu’il l’a expérimentée c’était pendant l’exploration Maroc, où il a été très marquée par l’accueil des gens qui étaient là, et lui, il a été très dépendant des gens. Donc, cette expérience de la dépendance du milieu des gens ordinaires c’est très important pour Charles.

Régis BURNET : Vous aussi, vous avez une vie ordinaire ?

Xavier GUFFLET : Je crois.

Régis BURNET : Vous avez fait beaucoup de choses, si j’ai bien compris. Vous êtes allé en Afrique, actuellement vous êtes en Belgique, à côté de la gare du Midi, cela dit beaucoup de choses aux Belges, pas toujours aux Français, ce n’est pas un quartier …

Xavier GUFFLET : Il y en a qui connaissent Molenbeek…

Régis BURNET : Voilà, Molenbeek on connaît assez bien … c’est ça la vie de Charles de FOUCAULD, c’est d’aller dans des endroits, un peu déshérités, on va dire ?

Xavier GUFFLET : Tout à fait, l’orientation qu’il a prise c’est de ne pas aller n’importe où mais d’aller où il estime que c’est le plus lointain, le plus loin, les gens les plus abandonnés, c’est son vocabulaire. C’est pour ça que sa première idée était d’être proche du Maroc pour pouvoir entrer au Maroc, quand il a vu que ce n’était pas possible et qu’on l’a invité chez les Touaregs, il est parti chez les Touaregs.

Régis BURNET : Père SOURISSEAU, pourquoi cela va se terminer à Tamanrasset ?

Pierre SOURISSEAU : D’abord, c’était un pied-à-terre. Il voulait un pied-à-terre chez les Touaregs tout en restant à Béni Abbès. Il devait passer six mois à un endroit et six mois à l’autre, finalement cela ne s’est pas passé comme ça, pour diverses raisons. Il est resté à Tamanrasset et il s’y est inséré d’une manière très forte, apprenant la langue ayant beaucoup de relations avec les Touaregs, aimant finalement être le découvreur d’un pays qu’on connaissait très peu. Il est le premier Français à avoir habité chez eux.

Régis BURNET : J’ai découvert cela récemment, le fameux dictionnaire touareg, qui déjà anciens, 1905, c’est fait avec sérieux. Quand on veut vivre chez des gens il faut se donner tous les moyens, y compris les moyens scientifiques pour les comprendre.

Pierre SOURISSEAU : Là, il a été aidé par LAPERRINE, qui voulait que …

Régis BURNET : C’était un militaire.

Pierre SOURISSEAU : LAPERRINE, c’était le commandant militaire du Sahara central. Il voulait que les officiers puissent parler aux gens, donc il fallait un lexique, des instruments pour parler aux gens ; et Charles de FOUCAULD, qui avait déjà fait des travaux de traduction, parce qu’arrivant dans ce pays où l’Évangile n’avait encore pas été annoncé, son premier travail était de mettre les quatre Évangiles en langue touarègue. C’est un travail dont il n’a jamais été satisfait, il l’a laissé pour plus tard mais cela ne sera jamais fait. Mais LAPERRINE lui dit : il faut faire un dictionnaire, un lexique pour qu’on puisse parler à ces gens-là, et Charles de FOUCAULD s’y est mis. Il a fait venir MOTYLINSKI, qui était un de ses amis du temps où il était militaire, pour faire des travaux sur ce dictionnaire. MOTYLINSKI lui a fait découvrir une approche de la langue, l’écoute des poésies, les conversations locales, ... et Charles de FOUCAULD est parti après sur une autre méthode, non pas traduire les Évangiles mais prendre les racines du vocabulaire, faire des fiches par racine, et lui a pris énormément de temps. Il se fait contrôler par deux informateurs locaux, et il mettra ça au propre, jusqu’à la fin de sa vie il travaillera sur ce chantier.

Régis BURNET : Vous vouliez dire, François SUREAU, excusez-moi je vous ai coupé ?

François SUREAU : C’est cela que je trouve extraordinaire dans la vie de FOUCAULD chez les Touaregs. C’est au fond l’amitié. Au fond, il faut réfléchir à tout ça, qui pose quand même un certains nombres de problèmes fondamentaux. Quand on va chez les Touarègues, on ne va chez les plus pauvres, on va chez des gens qui sont organisés comme ça depuis des siècles, qui vivent très bien, qui n’ont absolument pas besoin qu’un maboul catholique en robe blanche vienne les sermonner pour changer de religion. Ce n’est pas comme, si vous voulez, aller dans le square Villemin, à la Gare de l’Est ou sous les ponts à Paris, pour aider des gens qui objectivement ont besoin d’aide, et qui d’une certaine manière la demande, - encore que pas toujours d’ailleurs, parce que le choix de vivre dans la rue et aussi un choix pour certains d’entre eux – donc d’aller les aider et d’être d’une certaine manière un témoin de l’Évangile en disant : moi je vais porter témoignage, avec mes modestes moyens, de l’amour de Dieu pour les plus pauvres. Ce n’est pas ça, les Touarègues, ce n’est pas les plus pauvres, ils vivent très bien depuis des siècles, il y a des moments où ils ont faim, des moments où ils n’ont pas faim, mais après tout nous aussi, ils demandent pas à ce qu’on vienne les aider, ils ne demandent absolument pas. Et, ce qui est assez fascinant chez FOUCAULD, je vais dire ce qui me plaît beaucoup, plaire est un mot faible, c’est que il est sûr qu’il commence à y aller avec une vision très tridentine, en réalité il veut faire partager à tous ces gens la vraie foi …

Régis BURNET : Il veut convertir, en gros.

François SUREAU : Il appartient à une époque qui professe le dogme qu’en dehors de l’Église il n’y a pas de Salut. Nous sommes avant qu’on revienne sur cette idée, il est un homme animé par la foi du concile de Trente. Progressivement, il va découvrir quelque chose de beaucoup plus compliquée, qui est qu’il y a une espèce de circulation de l’amitié qui fait qu’on peut porter témoignage de l’Évangile alors même qu’on convertirait pas au sens formel du terme. Et c’est cela qui me paraît assez fascinant dans sa vie chez les Touarègues, qui ne sont ni les plus pauvres, ni pour finir des gens qu’il veut baptiser à tour de bras. Alors qu’est-ce que c’est ? Eh bien, il devient d’une certaine manière leur ami. Ils deviennent ensemble amis dans le Seigneur, comme disent les Jésuites, sans qu’on le sache toujours. Et ça, cette espèce d’amitié mystérieuse, qui est celle qu’on retrouve d’ailleurs dans les écrits de Christian de CHERGÉ. Cette amitié mystérieuse est pour moi une des choses les plus précieuses de la vie de Charles de FOUCAULD, parce que elle est à double sens. On présente sans arrêt Charles de FOUCAULD dans un grand élan de générosité, renonçant à tout allant s’établir chez les pauvres Touarègues. Non, comme dans toute amitié il y a deux pôles et sans doute les Touarègues ont autant apporté à sa vie que lui à la vie des Touarègues, et que tout cela s’est établi dans une proximité mystérieuse, qui le rend très, très sensible à notre temps, alors que la figure du saint coloniale, qui est encore celle qui est véhiculée par le détestable livre de René BAZIN, qui à mon avis devrait faire autant d’athées et que de catholiques à chaque page lue, est encore trop proche.

Régis BURNET : Justement, on va entendre deux lettres de Charles de FOUCAULD. J’ai un peu triché, d’habitude je fais une seule citation dans le même texte, là j’ai pris deux textes : la lettre à Marie de BONDY, les deux sont à Marie de BONDY, celle du 18 novembre 1907 et celle du 7 septembre 1915, en entend Charles de FOUCAULD, cela dit à peu près ce que vous dites.

Ma présence fait-elle quelques bien ici ? Si elle n’en fait pas, la présence du Très Saint Sacrement ont fait certainement beaucoup. Jésus ne peut être en un lieu sans rayonner. De plus le contact avec les indigènes fait disparaître peu à peu leurs préventions et préjugés. C’est bien lent, bien peu de choses ; priez pour que votre enfant fasse plus de bien, et que de meilleurs ouvriers que lui viennent défricher ce coin du champ du père de famille. Demain, dix ans que je dis la Sainte Messe dans l’ermitage de Tamanrasset ! et pas un seul converti ! Il faut prier, travailler et patienter.

Charles de FOUCAULD, Lettre à Marie de BONDY, 18 nov. 1907, 7 sep. 1015

Régis BURNET : Voilà, ces deux lettres disent à peu près ce mouvement, que vous venez de décrire, vous aussi cela vous semble très caractéristique de la pensée de Charles de FOUCAULD ? « C’est bien lent, » ; « Il y a bien peu de choses »

Pierre SOURISSEAU : Oui, dans cette lettre, il fait une mention du Très Saint Sacrement, et de la messe. Je voudrais revenir un peu sur la vie de Jésus à Nazareth, parce que pour Charles de FOUCAULD, c’est une évocation du passé, mais ce passé est actualisé dans le sacrement de l’eucharistie, c’est-à-dire que Jésus est là tout près de moi dans le tabernacle, il est là tout près de moi dans son mystère de Noël et du calvaire à la messe. L’eucharistie a été l’actualisation de sa méditation sur Jésus à Nazareth, cela marche ensemble, les deux foi de Charles de FOUCAULD : il croit en Jésus dans sa vie de pauvre à Nazareth, mais c’est aujourd’hui dans l’eucharistie qu’il le retrouve.

Régis BURNET : Donc, c’est au-delà des apparences, parce qu’au-delà du fait qu’effectivement la grande évangélisation, la grande conversion, de ces pays-là il ne la réussit pas, mais il veut être là.

Pierre SOURISSEAU : Il veut que Jésus soit présent et rayonne à partir du tabernacle qu’il installe dans tel et tel lieu. Ceci est très important.

François SUREAU : Même de manière invisible parce que sans ça, je crois qu’il faut aborder frontalement les difficultés que FOUCAULD nous pose. Quand FOUCAULD dit, dans la lettre que vous venez de lire, « […] les préventions des indigènes disparaissent […] » - en dehors du ton insupportablement daté de cette lettre, mais il faut le prendre tel qu’il est – sous-entendu « toutes les idées qu’ont les indigènes sur nous relèvent du préjugé », alors que peut-être que non, peut-être que d’une certaine manière la présence de FOUCAULD a fait disparaître les préjugés que les indigènes, les Touarègues, avaient à l’égard des blancs, à tort, car peut-être qu’après FOUCAULD, ils ont été amenés à donner leur confiance à un officier prévaricateurs, ou à un gouverneur corrompu. C’est très dangereux cette activité et je pense que FOUCAULD lui-même on a eu conscience, puisqu’en même temps qu’il s’efforçait de faire disparaître les préventions des indigènes, lui-même se monterait à bien des égards extrêmement réticent quant aux formes de la colonisation française en Algérie, comme en témoignent un assez grand nombre de lettres. Je pense qu’il était très conscient du danger. En fait, je pense qu’il pensait que notre présence sur cette terre n’était pas justifiée par rien, en dehors de la présence du Saint Sacrement et que le reste, tout ce qui relevait de la politique, tout qui relevait de la colonisation, était quelque chose qui était probablement vouée soit à produire des cataclysmes soit la disparition, et que la seule chose de bien qu’on pouvait attendre c’était un échange amical, d’une part, et d’autre part de la mystérieuse présence réelle sur ces territoires, mais que le reste était dangereux. Je pense qu’il l’a senti.

Régis BURNET : Vous êtes d’accord, Xavier GUFFLET, c’est important ça ?

Xavier GUFFLET : Oui, c’est très important, mais ce que je voudrais dire, c’est que le mot important pour Charles autour de tout cela, c’est le rayonnement. Cela rayonne, la présence rayonne, la présence pour une personne, et c’est son expérience de toute sa vie, mais aussi la présence eucharistique. Et, ce rayonnement c’est mystérieux, ce n’est pas catalogué sur là où ça va nous mener, et Charles l’exprime très bien dans cette formule : « Mon Dieu, faites que tous les humains aillent au ciel. », ça dépasse la théologie. Il demande au Seigneur que tous les humains aillent au ciel. Mais d’où sort cette prière ? À mon avis, c’est l’Évangile. Quelquefois, la théologie a limité l’Évangile, parce qu’on a voulu organiser en trop moralisant les choses, alors que cette formule très belle, « Mon Dieu, faites que tous les humains aillent au ciel. ». Elle ouvre, on n’est pas en train de parler de conversion, de parler du Paradis. Cette orientation vers le Paradis de toute humanité est à mon avis assez ouverte et compréhensible par l’ensemble du monde.

Régis BURNET : Merci, on va s’arrêter là puisqu’il ne nous reste plus que deux minutes et j’aimerais avoir du temps pour montrer vos livres.

Je rappelle Pierre SOURISSEAU, votre biographie aux éditions Salvator, c’est assez simple, ça s’appelle « Charles de FOUCAULD », on retrouvera cela, d’un mot, avec les dates, 1858-1916, parce qu’on a quand même un peu de temps. En quoi elle est nouvelle, cette biographie ?

Pierre SOURISSEAU : Cette biographie vient après des recherches longues, faites par la postulation de la cause de Charles de FOUCAULD, des enquêtes faites dans des fonds d’archivés, des bibliothèques, des relations avec des familles de militaires. Peu à peur, on a creusé des points de la biographie de la vie de Charles de FOUCAULD. On a mieux daté des choses. Personnellement, j’ai eu à travailler sur les originaux de ces manuscrits et cela m’a fait progresser - j’ai été aidé par d’autres personnes - poussé à écrire, j’avais des matériaux pour faire un gros volume.

Régis BURNET : François SUREAU, « Je ne pense plus voyager », NRF Gallimard, ce n’est pas la même question, qu’est ce que vous aimeriez qu’on dise de ce livre ?

François SUREAU : Ce qu’on en dira ? Ce qu’on en voudra. Je ne sais pas, un livre comme ça, c’est banal de le dire, c’est un peu une bouteille à la mer, ce que ce que disait le frère, m’est vraiment allé droit au cœur, tout à l’heure. Au fond, ce type de livre, tout comme le parcours des saints, on nous disait autrefois « Seul Dieu est glorifié dans les saints », j’adore cette formule. Au fond, on s’en fiche de la vie des gens, de la nôtre, des biographies, et de tout ça, ce qu’il y a d’extraordinaire, la seule chose que j’aimerais, c’est que le passage de FOUCAULD sur cette terre soit l’occasion pour beaucoup de gens, y compris éloignés de la foi, de se rendre compte que l’amour de Dieu va très, très au-delà de nos catégories intellectuelles morales ou existentielles, et quand cela touche quelqu’un, quand ça frappe quelqu’un, dont on peut raconter la vie comme Ignace, comme FOUCAULD, alors c’est intéressant de faire partager notre étonnement devant une puissance de l’amour de Dieu, qui est incommensurable, avec nos propres limitations, y compris théologiques.

Régis BURNET : Frère Xavier GUFFLET, vous, vous êtes l’éditeur, c’est vous qui avez pris cette correspondance, qui l’avez publiée, c’est la « Correspondance avec les neveux et nièces de Charles de FOUCAULDT, 1893-1916 », c’est aux éditions Kartala. Vous nous avez amené aussi un autre livre « Charles de FOUCAULD mon frère », aux éditions Nouvelle cité.

Merci vraiment à tous les trois de nous avons fait découvrir cette figure de Charles de FOUCAULD.

Merci de nous avoir suivis, vous pouvez retrouver cette émission sur www.ktotv.com

À la semaine prochaine.

Un message, un commentaire ?

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.



Haut de pageMentions légalesContactRédactionSPIP