Laurent Terzieff : « Je remercie profondément la profession, en particulier ceux que j’ai toujours senti près de moi, même et surtout dans les moments difficiles, dans ma recherche d’un théâtre qui se force de refuser à la fois l’imposture intellectuelle et la facilité comme une tentative de trouver un espace entre le divertissement pur et l’élitisme où l’homme puisse s’interroger à la fois sur lui-même et la société dans laquelle il vit. »
Emmanuel Khérad : Bonsoir à tous et bienvenue dans cette nouvelle « Escale estivale », en ce samedi 3 juillet. C’est un immense comédien et metteur en scène qui vient de nous quitter. On se souvient de lui en avril dernier lors de la nuit des Molières au cours de laquelle toute la profession lui avait rendu hommage. Nous allons revenir en détail sur sa carrière et sur son parcours extraordinaires, avec Olivier Py et Paul Rondin, qui ont accueilli sa dernière pièce, Mickael Lonsdale, qui est en plateau avec nous, Robert Hossein aussi, qui l’a bien connu professionnellement et personnellement, le metteur en scène Christian Schiaretti, qui a mis en scène sa dernière pièce Philoctète, et la comédienne Anne Consigny, comédienne pour le cinéma et le théâtre, qui participe à cette émission « Hommage ». Anne Consigny est également parmi nous pour un film qui est sorti dans les salles mercredi, « Un ange à la mer », signé Frédéric Dumont. Un film extrêmement poignant sur la folie et la transmission entre un père et son fils, nous en parlerons bien sûr tout à l’heure. [Annonces + chanson, en acoustique et en direct du studio 72 de France Inter, du troisième album, « Tendresse des fous », de Da Silva, intitulée « Les plumes belles lettres ». Entretien avec Da Silva. Coup de projecteur sur le film « Un ange à la mer » avec Anne Sonsigny.)]
Hommage à Laurent Terzieff.
Emmanuel Khérad : Laurent Terzieff qui vient de nous quitter à l’âge de 75 ans. On va l’écouter parler de son engagement artistique, de sa conviction sincère et sans détours pour le théâtre, il était vraiment exemplaire pour cela. C’était en 1988, lors de la remise du Molière du meilleur metteur en scène pour la pièce Ce que voit Fox, écoutez.
Laurent Terzieff : « Comme vous le savez, mon travail porte essentiellement sur le théâtre contemporain. Nous voudrions qu’il soit le reflet le plus immédiat de la vie des hommes, un miroir tendu à notre époque et cela par les moyens spécifiques du théâtre : le texte d’abord ! »
Emmanuel Khérad : Anne Consigny, le théâtre contemporain, vous êtes d’accord avec cela ? C’est un miroir pour l’humanité ?
Anne Consigny : Vous avez entendu comment il dit ce mot : « Le texte d’abord ! », c’est tellement lui ça !
Emmanuel Khérad : Tout le temps, oui. Dans tous ses discours, il appuyait comme ça sur le texte.
Anne Consigny : Ses discours, sa vie entière, sa respiration n’était faite que par le texte et pour le texte.
Emmanuel Khérad : Miroir, donc ?
Anne Consigny : Miroir ?
Emmanuel Khérad : Le théâtre contemporain, pour notre humanité, dans son ensemble. Vous êtes d’accord avec ce qu’il disait ?
Anne Consigny : Je ne peux pas ne pas être d’accord avec ce qu’il disait, c’était, c’est encore puisqu’il était encore là hier, un dieu vivant pour nous. C’est comme une icône, on ne peut que se prosterner devant lui, sa manière d’avoir mené sa vie artistique, son intégrité, sa grandeur. Il le portait sur son visage, sur son corps. Il avait une telle élégance ! Mon grand frère était fou amoureux de lui. On a crée un festival de poésie, quand on avait 20 ans, et la première personne à qui il a demandé de venir dans le Haut Allier, c’était Laurent Terzieff. Il n’y avait rien, cela n’existait pas et Laurent est venu. Après la venue de Laurent, évidemment tous les autres comédiens se sont pressés derrière lui. J’imagine qu’il a fait toute sa vie comme ça. Il a senti un vrai amoureux de la poésie, mon frère, et il est tombé amoureux de mon frère parce qu’il y avait une pureté là-dedans, une vérité.
Emmanuel Khérad : C’est ça. Çà, c’est le militantisme culturel.
Anne Consigny : Il aurait pu être une star internationale, il aurait pu être tout.
Emmanuel Khérad : Il aurait pu être inaccessible.
Anne Consigny : Oui.
Emmanuel Khérad : Mais il est resté accessible.
Anne Consigny : Il est resté accessible tant que l’on était amoureux de la même pureté que lui. Non ? Mickael ?
Mickael Lonsdale : Oui.
Emmanuel Khérad : Bonsoir, Mickael Lonsdale.
Mickael Lonsdale : Bonsoir.
Emmanuel Khérad : Merci beaucoup d’être parmi nous ce soir. Vous connaissiez très bien Laurent Terzieff, c’est un ami pour vous. Vous aviez d’ailleurs des points communs : le théâtre vous l’avez un peu connu grâce à Roger Blin, tous les deux…
Mickael Lonsdale : Oui, c’est vrai.
Emmanuel Khérad : Vous aviez ces choses en communs, que vous partagiez. L’humanité représentée par le théâtre, évidemment cela vous parle, le texte aussi parce que vous également vous appuyer sur les mots…
Mickael Lonsdale : Ah, bon ! Moi qui essaye toujours d’être fluide !
Anne Consigny : Mickael, vous appuyez sur les mots, il va falloir arrêter ça.
Emmanuel Khérad : Ça n’empêche pas d’être fluide, on l’a vu avec Laurent Terzieff…
Anne Consigny : Ce n’est pas un truc agréable à entendre, pour un comédien, vous appuyez sur les mots.
Emmanuel Khérad : Ah, bon ! D’accord.
Mickael Lonsdale : Oui, cela veut dire qu’on martèle les mots, alors ça, je n’aime pas. J’ai vécu les débuts de Laurent en tant que metteur en scène de théâtre. J’ai joué dans ses premières mises en scène, au Théâtre de Lutèce : La pensée d’Andreiev, Zoo story, Le rêve de l’Amérique d’Édouard Albee. Zoo story surtout que nous avons crée, joué en tournée et tout ça. Laurent pour moi est à assimilé à cette famille de Dulin, Pitoëff, etc. Cette famille qui savait prendre le texte et faire ce que Tania Balachova, notre professeur - Laurent avait été chez elle, pas très longtemps – nous avait appris : ne jamais jouer les mots mais ce qu’il y a derrière les mots.
Emmanuel Khérad : On va rejoindre tout de suite Olivier Py, directeur du théâtre de l’Odéon, qui nous attend. Il est en ligne avec nous. Bonsoir Olivier.
Olivier Py : Bonsoir.
Emmanuel Khérad : Vous aviez accueilli sa pièce, Philoctète. Comment ça s’est passé Olivier ? Quels souvenirs en gardez-vous ? C’est la dernière pièce de Laurent Terzieff.
Olivier Py : Je l’avais rencontré, je crois, deux ans plus tôt, au Printemps de la poésie, sur le plateau de l’Odéon. En discutant avec lui, il m’a dit : je ne suis pas revenu à l’Odéon depuis ce Tête d’or mythique avec Alain Cuny. Alors, immédiatement, je lui ai dit : tout ce que vous voulez, quand vous voulez. Pour moi, il était, oui, une sorte de patrimoine national. Quand Christian Schiaretti m’a proposé de faire ce Philoctète avec Laurent Terzieff, j’ai immédiatement dit oui. Je voudrais dire que quand un homme comme ça disparaît, c’est une qualité d’être qui disparaît avec lui. Je ne sais pas, pour les gens de théâtre, l’équivalent, cela serait comme si Picasso en mourant faisait disparaître tous ses tableaux. La perte est incommensurable parce que l’on sait que l’on ne retrouvera plus jamais nulle part ce rapport à la langue. Il y aura encore de grands comédiens, mais il n’y aura jamais ce rapport-là à la langue, cette façon de ralentir le temps, de faire entrer la pensée dans les mots. Malheureusement, aucun enregistrement ne peut témoigner de ce choc, de ce rapport à l’acteur et à la langue qui fait croire que la poésie peut tout.
Emmanuel Khérad : Effectivement, la philosophie et la poésie étaient très importantes pour Laurent Terzieff. Olivier Py, vous partagiez également ce goût. Il disait : « Pour moi, la poésie n’est pas un moyen, c’est une fin. Le théâtre est poétique, là où il y a théâtre, il y a poésie. »
Olivier Py : Ah, oui, c’est très juste. On voit bien le parcours d’un homme qui a fait de l’aventure théâtrale une sorte de mystique. Il a finalement tourné le dos à un destin facile de star de cinéma pour se consacrer entièrement à sa passion. Il s’était petit à petit éloigné du théâtre public. Je le croisais quelquefois dans le 6ème arrondissement, chez Lippe ou ailleurs, il mangeait d’ailleurs en général très, très peu, il était un grand jeuneur devant l’Eternel. Je lui disais : quand est-ce que vous revenez jouer le Roi Lear dans le théâtre public. Alors, il faisait un petit geste désabusé. On ne savait pas si le théâtre public était devenu trop petit pour lui où s’il était définitivement trop grand pour ce théâtre-là. Dès que je suis arrivé à l’Odéon, j’ai rêvé de lui réouvrir cette grande salle. J’en suis fier, c’est au moins une chose de bien que j’ai faite.
Emmanuel Khérad : Vous restez avec nous, Olivier Py, évidemment, pour cet hommage à Laurent Terzieff. Mickael Lonsdale, on connaît l’homme de théâtre engagé, évidemment, on en a parlé, il a participé aussi à des films populaires, un peu comme vous mais il reste quand même dans le choix du théâtre au lieu d’aller comme le disait Olivier, vers une grande carrière d’acteur au cinéma, il préfère quand même son engagement de départ.
Mickael Lonsdale : Oui, je crois que Laurent préféré créer lui-même les mises en scène de ses pièces. Ce n’était pas tellement un acteur qui obéissait aux metteurs en scène, il n’aimait pas tellement, il avait une forte envie personnelle de faire les choses d’une certaine façon. Il s’est dit que la meilleure façon de le faire, c’est de monter moi-même mes spectacles. Donc, là-dedans, il a fait tout un cheminement d’une délicatesse, d’une beauté et d’une fraternité magnifique. On a fait des tournées absolument inoubliables. En Italie, on a vécu des moments intenses de pur bonheur de théâtre. Quand on a arrêté de jouer la pensée d’Andreiev, on a tous pleuré parce qu’on avait l’impression que l’on quittait quelque chose qui ne se ferait pas de sitôt.
Emmanuel Khérad : Nous rendons hommage à Laurent Terzieff ce soir avec Mickael Lonsdale, Christian Schiaretti, qui va nous rejoindre dans un instant, Robert Hossein aussi et Anne Consigny. Laurent Terzieff nous a quitté hier soir. Voici la bande originale du film Germinal de Claude Berri, un film auquel Laurent Terzieff avait participé en tant qu’acteur. Vous écoutez « Escale estivale » sur France Inter.
C’est dans le ciel qu’il faut chercher les héroïnes.C’est sur les eaux que souffle la brise marine.Terre trop sèche, où sont tes dons pour nos regards ?Où sont les dons que tu offrais à nos retards ?Ce soir encore il nous faudra encore mordre nos lèvresAttendre encore en gémissant le jour qui lèveArbres trop noirs au bois trop dur pour se ployerFleuves trop froids et trop amers pour se noyerHiver ! Hiver ! Mon âme attend, si rabougrie,Si desséchée au fond de moi et si aigrieLongue est la route aux durs silex blessant les piedsLourde est la nuit où tous nos gestes sont épiésAdolescents au doux visage empli de larmesVieillards muets serrant leurs maigres poings sans armeFemmes sans fin, passives, au sourire durFoules sans cris au masque fermé comme un murVous le guettez ce vent qui se lève à son heure ?Déçus toujours car la moindre brise est un leurreMais cramponnés dans la patience et le temps.
Emmanuel Khérad : « La patience », un poème de Vercors, Résistant lors de la Seconde Guerre mondiale. Un poème lu par Laurent Terzieff. Il faut savoir que ce personnage est très important pour lui car cet artiste, fils d’une plasticienne et d’un sculpteur russes ayant immigrés en France pendant la Première Guerre mondiale, a tout juste 9 ans en 1944 et à ce moment-là il est véritablement marqué par le spectacle des bombardements. Il s’en souviendra toute sa vie, Mickael Lonsdale.
Mickael Lonsdale : Oui, en effet. Il m’en a parlé souvent. Il habitait rue de Vaugirard et moi j’habite Place Vauban, il m’a dit : « Je venais beaucoup jouer dans le jardin de ton immeuble », en fait moi je suis arrivé un peu après. Oui, c’était un nostalgique de ces choses-là, Laurent. Il y avait une espèce de chose russe, plutôt ukrainienne que russe. Il avait été élevé dans ce milieu en entendant parler russe par son père. Il y a quelque chose de très russe en lui, oui. Et évidemment une présence animale presque sur scène, magnétique. Quand il était là, c’est arrivé un peu à des gens comme Yves Montand. Quand Montand montait sur un plateau, il y avait un silence dans la salle, absolument impressionnant. Le simple fait d’être là, il y avait une espèce vérité, quelque chose de très séduisant. !
Emmanuel Khérad : [rappel du contexte] Le metteur en scène Christian Schiaretti est avec nous depuis Aix-en-Provence. Bonsoir Christian.
Christian Schiaretti : Bonsoir.
Emmanuel Khérad : Vous avez mis en scène Philoctète, vous, d’après Sophocle. Vous l’avez accueilli à Villeurbanne, au TNP, dont vous êtes le directeur. C’est le dernier rôle de Terzieff. Vous partagez d’ailleurs cette expérience avec Olivier Py, qui est également avec nous. Vous l’aviez accueilli et à ce moment-là, c’était un moment très fort pour vous ?
Christian Schiaretti : La mise en scène de Philoctète et le désir de travailler avec Laurent n’est pas venue d’une idée de metteur en scène, qui s’est dit j’ai trouvé l’acteur qui peut porter Philoctète et je vais distribuer Laurent Terzieff cela ferait effet, il provient d’un amour commun pour la poésie. D’ailleurs tout l’être profond de Laurent était entièrement tendu vers l’acte poétique, vers le dire poétique. On s’est retrouvé sur Philoctète, au travers de la variation qu’a écrite Jean-Pierre Siméon, pour le dire. C’est parti de là. Contrairement à ce que disait Mickael Lonsdale tout à l’heure, je n’ai pas eu le sentiment, moi, d’être dans un rapport avec lui qui est un rapport de metteur en scène avec un acteur, je n’avais aucune difficulté. On était en réalité dans un scrupule aigu, tendu de la langue qu’on avait à porter. Cela a été de ce point de vue-là un voyage incroyable. Moi j’ai commencé à travailler avec Terzieff et j’ai fini avec Laurent. On avait des projets ensemble. On était dans le plein de nos projets. Laurent Terzieff est mort debout. C’était une sorte de miracle, ça je le dois à Olivier Py, c’est-à-dire le fait de le faire à l’Odéon en plus faisait que cette affaire de Philoctète était une métaphore complète, elle l’est encore plus aujourd’hui, du parcours de Laurent. Une jeunesse venait chercher sur le rivage d’un ethnos imaginaire qui était la scène de l’Odéon, le Terzieff de Tête d’or et arrivait le Terzieff de Philoctète, tout entier construit sur le refus, sur le non. Je pense que Laurent était quelqu’un de construit sur le non, il savait ce qu’il ne voulait pas mais sans entêtement, toujours avec élégance, c’était un aristocrate. Évidemment, le faire à l’Odéon avait une résonance incroyable. Ce que disait Mickael Lonsdale est juste, sur le plateau, arrivant de cette bouche muette, qui était le cadre de scène de l’Odéon, le silence était absolu, mais absolu !
Emmanuel Khérad : Merci Christian, vous restez bien sûr avec nous puisqu’il y a Robert Hossein, qui nous a rejoint. On va le retrouver tout de suite. Bonsoir Robert Hossein.
Robert Hossein : Bonsoir.
Emmanuel Khérad : Vous avez déclaré aujourd’hui être bouleversé. Pour vous, homme de théâtre, que représentait Laurent Terzieff ?
Robert Hossein : L’homme et l’homme de théâtre, énormément l’homme, parce que ma mère est née à Kiev, en Ukraine et que moi-même je parle russe, Laurent parlait russe à chaque fois qu’on s’est rencontré. Je ne faisais pas du tout parti de son cénacle habituel avec tous ses amis, j’avais une immense admiration pour lui, pour le cœur, pour la présence, pour la sensibilité, ne faisant absolument aucune concession, dans une grande humilité, d’une immense sensibilité, d’un talent prodigieux. J’ai du mal à m’exprimer parce que, j’allais presque dire une chose terrible, j’allais dire en tant que compatriote, ma mère l’admirait beaucoup aussi, moi, évidemment. La dernière fois que je suis allé au théâtre voir L’habilleur, avec ma femme, à la fin on a pleuré ensemble, dans sa loge, parce que je le trouvais humainement étonnant, avec beaucoup de courage, avec beaucoup de conviction, avec surtout beaucoup d’humilité, et avec une présence, une force. C’est un être humain que j’estimais beaucoup et que j’admirais. J’admirais l’acteur.
Emmanuel Khérad : Merci beaucoup Robert Hossein, on est désolé pour la liaison qui est assez mauvaise malheureusement. Merci beaucoup d’avoir fait escale sur France Inter à l’occasion de cet hommage. Est-ce que vous êtes d’accord Mickael Lonsdale, pas de concession chez Laurent Terzieff ?
Mickael Lonsdale : Oui, c’était tellement naturel chez lui que l’on n’aurait jamais pensé à essayer de faire quelque chose qui fut, comment dire, comme les acteurs savent faire en scène, des choses plaisantes pour tirer un peu la couverture. Non, c’était autre chose avec Laurent. C’était surtout beaucoup d’amitié aussi, on ne discutait pas tellement dans les mises en scène, cela se faisait naturellement. Il laissait faire les comédiens et quand cela lui plaisait on gardait ça, d’autres fois il demandait une chose plus précise mais c’était vraiment une espèce d’échange amoureux entre nous. Ce n’était pas du tout un metteur en scène directif qui voulait avoir tel effet ou tel machin, non, non. Il était un peu comme Claude Régy laissant venir les choses, laissant dans les répétitions les comédiens travailler, inventer, être lire, ne pas imposer tout de suite une façon de faire, laisser le mystère apparaître doucement.
Emmanuel Khérad : Christian Schiaretti, ce mystère, cette sensibilité, aussi dont parlait à l’instant Robert Hossein, ce n’était pas facile de travailler avec lui, on l’a bien compris quand vous nous parliez de la mise en scène tout à l’heure, parce qu’il a un perfectionnisme omniprésent, mais comment faisait-il surgir cette sensibilité-là, lors des répétitions notamment ?
Christian Schiaretti : Laurent donnait. Il n’arrivait pas à (manque un mot), ce qu’on dit dans notre métier, c’est-à-dire qu’on dit le texte, on l’investi peu, on parcoure légèrement l’œuvre, Laurent ne savait pas le faire, il donnait. Très souvent, dans les raccords que l’on faisait en tournées, j’étais horrifié dans la dépense qu’il mettait dans le raccord de l’après-midi, qui souvent le frustrait de l’énergie du soir, c’est-à-dire qu’il était dans le moment, voilà ! Et dans une grande technicité, je tiens à le dire. Cela n’a pas été difficile de travailler avec lui, du tout. Je pense que nous étions d’abord fondés sur une amitié réciproque et puis j’étais à son école parce qu’il y a une maitrise, une capacité, en ce qui le concerne, du rapport au texte, qui est incroyable. D’une représentation à une autre, on était sur les mêmes variations et là, nous étions sur un texte métré, sur un texte poétique, construit, Laurent était bien obligé d’y appliquer son champ, et son champ était très travaillé. Ensuite, lorsque ce travail était accompli, il a appris le texte de Philoctète un an avant que l’on ne commence à travailler, on se voyait tous les deux, au plateau effectivement. Vous vous rendez compte de la précaution qui était la sienne ! Je me souviens, parce que je trouvais qu’il parlait un peu fort, je lui ai dit : Laurent, on peut descendre un petit peu, il m’a dit : il y a 30% de sourds dans la salle. Je lui ai dit : mais nous on travaille aussi pour les 70% autres, mais il était dans ce souci. Il y avait quelque chose en Laurent que j’aimais beaucoup, c’était directeur de compagnie, au sens noble.
Emmanuel Khérad : Merci beaucoup, Christian Schiaretti, d’avoir participé à cette émission depuis Aix-en-Provence. Je sais que vous avez interrompu une conférence pour cet hommage et pour France Inter. Merci beaucoup Christian. On va écouter un nouveau témoignage de Laurent Terzieff, c’était dans l’émission Synergie sur France Inter, en juin 1998.
« Laurent Terzieff, juin 1998, émission Synergie sur de France Inter : Je suis attaché au théâtre parce que je suis attaché au fond à la vie. Lorsque la vie cessera de m’étonner je ne serai pas attaché au théâtre, parce que pour moi, le théâtre, c’est évidemment utiliser dans une finalité artistique l’instinct ludique qui existe chez chacun de nous, mais pour moi c’est se mettre à l’écoute du monde, en devenir la caisse de résonnance.
Jean-Luc Hess : Vous disiez : le théâtre que j’aime, c’est quand la pièce est finie, ce n’est pas fini…
Laurent Terzieff : Il y a une autre pièce qui commence, dans l’imaginaire du public. Oui, c’est ça.
Jean-Luc Hess : Vous disiez que c’est une façon de résister au poids du monde…
Laurent Terzieff : C’est un élargissement de la conscience surtout, par la représentation que l’on évoquait justement à propos du cerveau.
Jean-Luc Hess : Imaginons par exemple qu’une pièce soit désespérée. Il y a beaucoup de pièces désespérées.
Laurent Terzieff : Même quand le théâtre prend une forme désespérée et désespérante, le théâtre nous donne une dimension qui donne à notre conscience désespérée une certaine distance qui nous permet d’accepter le monde cruel. »
Emmanuel Khérad : Laurent Terzieff, au micro de Jean-Luc Hess. On accepte mieux la cruauté du monde grâce à la distance proposée par le théâtre, c’est ce qu’il disait en substance. Est-vous d’accord avec cela, Oliver Py ?
Olivier Py : Oui, tout à fait, absolument. Je voudrais dire que l’on fait un sale métier quand même, le métier d’acteur particulièrement. C’est quand même un sale boulot. Je ne sais pas ce que Mickael ou Anne pensent…
Anne Consigny : On n’est pas du tout d’accord, on fait la grimace tous les deux…
Emmanuel Khérad : Anne Consigny n’est pas d’accord, oui…
Olivier Py : Ce que je veux dire, c’est que c’est très dur, qu’on est souvent très seul et que dans les vicissitudes de la fortune on connaît des moments très difficiles. Je crois que le parcours de Laurent Terzieff est exemplaire, un homme qui a toujours trouvé son énergie dans l’amour et la dans la confiance du poème et du poète. Donc, cela indique quelque chose pour les jeunes acteurs. Cela indique qu’ils ne seront jamais perdus s’ils se donnent la possibilité d’incarner Saint-John Perse, Rimbaud ou que sais-je.
Emmanuel Khérad : Merci Olivier Py. Merci infiniment d’avoir participé à cette émission.
Olivier Py : Merci à vous.
Emmanuel Khérad : Merci Anne Consigny et Merci à Mickael Lonsdale d’être venu jusqu’à nous. On présente évidemment toutes nos pensées à sa famille et au monde du théâtre qui a perdu un grand, grand acteur et metteur en scène en l’occurrence avec Laurent Terzieff.