Frédéric DENHEZ : Mesdames, Messieurs, la petite pause était nécessaire à tous points de vue. Merci d’être encore là. Nous retrouvons : Thomas CUCCI, Ludovic ORLANDO, Charles STÉPANOFF, Jean-Denis VIGNE. Nous a rejoints : Rose Marie ARBOGAST et Stéphanie THIÉBAULT.
Bonjour à Tous et à toutes !
Rose Marie ARBOGAST, vous êtes la dernière arrivée, on ne vous a pas entendue jusqu’à présent, vous aurez donc l’épreuve de nous dire ce que vous avez pensé. Quelles réflexions ont nourri les interventions de vos prédécesseurs ?
Rose Marie ARBOGAST : Bonjour à tous. Merci beaucoup pour cette invitation, et surtout pour ce partage très intéressant de ce matin.
Frédéric DENHEZ : Vous travaillez sur les premières sociétés agropastorales du Nord-Est de l’Europe, c’est ça ?
Rose Marie ARBOGAST : Tout à fait.
Moi, il y a une question qui me taraude depuis toujours, cela a été évoquée, abordée, par différents intervenants ce matin, notamment tout ce qui concerne la perception du début de la domestication, que cela soit dans les foyers originaux, comme dans les foyers où la domestication s’est diffusée par la suite. Il y a une notion, qui peut être retenue comme particulièrement intéressante, éclairante, je ne sais plus qui l’a évoquée, peut-être est-ce Charles STÉPANOFF, quand il parle de la culture partagée, où les animaux sont introduits dans l’espace, sont acceptés, je pense qu’il a même utilisé ce terme, dans l’environnement immédiat des humains. Sur les sites archéologiques du Moyen-Orient, étudié par Jean-Denis VIGNE, on constate que les animaux domestiques côtoient à partir d’un certain moment d’autres espèces que les hommes avaient jusqu’à présent l’habitude d’exploiter, mais ne jouent pas un rôle économique important, ne sont pas considérés comme des ressources, dont le rôle utilitaire n’est pas du tout apparent. C’est à ce moment-là, je pense, que se joue l’idée – ce que nous on met derrière – de la domestication. C’est cela qui marque vraiment le changement, même si d’un point de vue matériel, rien ne semble vraiment changer. La culture partagée, cela concerne – dans mon idée - la vie quotidienne, mais cela concerne aussi le fait que les animaux sont acceptés dans la vie idéelles des hommes, dans la vie sociale, bien sûr, dans les échanges, dans la circulation des biens, mais peut-être principalement d’abord dans la vie idéelle. Cette introduction des humains dans l’espace des humains, elle n’est pas pour les humains. Elle sert de médiateur, de médium, entre les hommes et, on va dire, les êtres supra-naturels.
Frédéric DENHEZ : D’accord. Les Dieux ?
Rose Marie ARBOGAST : Les Dieux, les pouvoirs qui sont au-dessus des hommes.
Frédéric DENHEZ : L’hypothèse que la domestication des animaux aurait pu aussi arriver par le besoin d’avoir des sacrifices à faire ? J’ai lu cela quelque part.
Rose Marie ARBOGAST : Tout à fait. En fait, je pense que l’on ne peut pas suivre la trajectoire de cette domestication, si on ne prend en compte cette modification-là. A un moment donné, les animaux jouent ce rôle d’appui auprès des hommes, de médiums entre les hommes et les Dieux, entre les hommes et la nature, qui conduisent progressivement à cette modification où l’homme change sa propre perception de sa place dans le système naturel, dans l’écosystème.
Frédéric DENHEZ : Charles STÉPANOFF, c’est pour vous, ça. Est-ce qu’on a des traces culturelles de cela ?
Charles STÉPANOFF : Oui. Je trouve cela très intéressant comme approche, parce qu’on voit des formes d’intensification de la relation aux animaux sauvages, qui ne vont pas jusqu’à la domestication mais qui s’en rapprochent. Par exemple en Amazonie, chez les Indiens, ou en Amérique du Nord, mais aussi en Sibérie, avec énormément d’espèces qui sont apprivoisées. La notion d’apprivoisement est importante, qui va s’appliquer à un animal ou deux. En Amazonie, c’est des pécaris, des singes, des perroquets, … En Sibérie, cela a été de petits loups, des renards, des aigles, … Énormément d’espèces qui peuplent les environnements humains, et qui amènent une diversité incroyable. La question est : qu’est-ce que les gens vont en faire ? Est-ce qu’ils vont vouloir avoir une reproduction sur plusieurs générations ou pas ? C’est ce qu’a montré Philippe DESCOLA, une forme d’interdit chez les Amazoniens, on va avoir une relation avec un individu, mais pas sur plusieurs générations. Et c’est complémentaire de l’activité de prédation, de chasse, une sorte de don et contre-don. On reçoit de la nourriture des animaux qu’on chasse et en contre-don, on récupère quelquefois des petits que l’on va nourrir et avec lesquels on va avoir une relation de familiarité. C’est tout le rapport au cosmos, aux esprits donneurs de gibiers, qu’évoquait Rose-Marie, qui est impliqué là-dedans. Mais cela peut exister encore chez nous récemment, on a eu tout un continuum de relation au vivant. J’ai travaillé dans le Perche, chez des éleveurs-chasseurs, il y a quelques décennies, on avait le droit d’avoir des animaux apprivoisés, c’est ce qu’ils ont beaucoup fait, ce que fait Tomas, ils récupéraient, après avoir tué une laie par exemple, s’ils découvrent qu’elle a des marcassins, les gens les prenaient dans leurs fermes et les élevaient avec les cochons. Quand ils grandissaient et que la laie était en chaleur, ils servaient d’appelants pour attirer les sangliers. Cette histoire de l’appelant, c’est vraiment important comme hypothèse de domestication. On imagine aussi que sûrement, pour le renne, il y a eu quelques animaux, rennes sauvages, qui ont pu être apprivoisés et utilisés comme appelants à la chasse, pour attirer des rennes sauvages.
Un dernier point, les traces archéologiques de cela. On ne va pas avoir de traces de différences biologiques, entre ces animaux apprivoisés et les autres. Par contre, des collègues qui travaillent sur la domestication des rennes dans l’Arctique, montrent que là il y a des outils, des espèce de peignes en os, qui sont utilisés contre le cou du renne, pour le diriger à distance. Ça, on voit que cela a été utilisé pour des rennes apprivoisés, utilisés comme appelants. Cela peut être comme les premières formes d’intensification d’une relation qui peut mener ensuite à la domestication. On avoir ici des traces dans des objets, qui sont des témoignages d’une culture partagée, d’une coopération entre l’homme et l’animal, avant que ne puissent être notés des signes biologiques. Encore que les travaux de Thomas montrent qu’on va peut-être avoir des signes morphologiques qu’on ignorait avant.
Frédéric DENHEZ : Et moi qui pensait qu’il n’y avait d’appelants que parmi des oiseaux en Baie de Somme, finalement il y a des appelants en Sibérie, dans le Perche avec les sangliers. Thomas CUCCHI, est-ce que cette hypothèse peut avoir entraîné la sélection de certains phénotypes permettant justement une relation plus favorable avec les Dieux, avec les esprits, des sacrifices plus nombreux et efficaces, ou est-ce qu’on ne peut absolument pas du tout étayer cette hypothèse par la morphologie ?
Thomas CUCCHI : Je pense que cela va être effectivement très dur, mais les travaux que je vous ai un peu présentés donnent un petit d’espoir, parce qu’effectivement, le fait que l’on a pu un petit montrer, ne serait-ce que de vivre la différemment du mode de vie sauvage parce que l’animal est capté par la domos, on voit quand même qu’il y a des changements morphologiques, on devrait être en mesure d’observer ces phénomènes d’apprivoisement en contexte archéologique. C’est un peu l’espoir qui m’a poussé à faire cette expérimentation un peu folle.
Frédéric DENHEZ : Jean-Denis VIGNE, on a beaucoup sacrifié au premier temps la domestication ?
Jean-Denis VIGNE : Je pense qu’on a toujours sacrifié parce que ce qui a été évoqué, cette difficulté de consommer son semble, parce que c’est ça finalement, dans le contexte que l’on a retracé ce matin, particulièrement bien décrit par Charles, il y a une question de semblable chez les mammifères. Il ne faut pas oublier que les animaux c’est plus vaste que ce dont on a parlé, on ne parle pas tellement des blattes, le mot est paru quand même, on ne parle pas beaucoup des collemboles du sol, etc., là on est véritablement sur les mammifères, qui présentent une capacité de communiquer avec l’homme, et qui sont donc très facilement considérés comme ses sembles. Je pense que se nourrir d’animaux, de tous temps, pour l’homme, dès qu’il a été homme, c’est passer nécessairement par une ritualisation, pour essayer de déculpabiliser cet acte de consommation. Au-delà de ça, au début du Néolithique, de ce que j’en connais moi dans l’aire où je travaille, il y a quand même des choses qui sont troublantes et qui renvoient à cette idée de médiation qu’évoquait Rose Marie […]
Il y a au moins deux choses que je voudrais évoquer à ce sujet : une première chose qui est apparue durant ces 16-20 dernières années, dans ces sites du début du Néolithique, ou même courant du Néolithique, il y a des accumulations d’ossements qui sont extrêmement troublantes. Elles sont énormes. Elles témoignèrent de la consommation en un temps extrêmement court de plusieurs tonnes de viande, cela ne peut pas être la consommation de villageois, c’est forcément la consommation d’une vaste communauté, et d’un tissu villageois beaucoup plus large. Il n’y avait de veille, je le rappelle à cette époque. Et ça, cela veut dire que la consommation, ou un des aspects de la cette consommation, avait une valeur sociale nécessairement ritualisée à l’échelle d’un grand groupe. Ces festins, parce qu’on peut parler de festin, n’étaient pas là pour se nourrir mais pour nourrir la relation entre les hommes, à travers cette médiation animale. Moi, j’ai été extrêmement surpris de trouver des traces de tels festins, sur les sites que j’étudie avec François BRIOIS et Jean GUILAINE à Chypre, où l’on a cette manifestation, dès la transition entre le premier et le deuxième Néolithique, où on a ces accumulations d’ossements gigantesques, aux alentours de 9 500 et 7 500 avant aujourd’hui. C’est très, très tôt, cela rentre en jeu très tôt dans le processus. D’ailleurs, cela pose la question de savoir si tous les animaux qui sont là ont bien vécus là où on les a mangés. Mais, c’est un autre sujet.
Il y a un deuxième point que je voulais que je voulais évoquer comme emblème, c’est toutes ses représentations animales que l’on trouve au début du Néolithique dans de grands sites, comme (manque le nom, incompris), que l’on trouve aussi dans le Paléolithique avec les représentations pariétales, et que l’on trouve aussi dans des dépôts animaux qui ont été, je crois, un peu négligés, parce que c’est difficile de les décrypter. Mais, dans les fouilles archéologiques, en particuliers dans les bâtiments en terre crue que nous fouillons à Chypre, on trouve à la base des murs, donc au moment où l’on a commencé à construire, des ossements animaux qui témoignent de la mise en scène de quelque chose, qui signifie peut-être une renouvellement parce qu’on construit peut-être une nouvelle maison, je ne sais pas ce que cela signifie, mais il y a une mise en scène avec des agencements d’ossements qui ne sont pas des agencements naturels, figés dans la terre crue, cachés immédiatement à tous les regards, mais qui ont joué sans doute un rôle de médiation, dans un acte fort, qui est celui de reconstruire une maison. Donc, un acte à retentissement social, bien entendu, et générationnel, peut-être même.
Frédéric DENHEZ : Toutes ces pratiques perdurent d’une façon ou d’une autre dans les religions monothéistes. Finalement, manger un plat de viande ensemble, sur une table, qui symbolise l’autel, cette eucharistie du repas en commun, est-ce que cela ne procède des mêmes choses ?
Jean-Denis VIGNE : Si, sans doute, mais je vois que Rose-Marie veut intervenir.
Rose-Marie ARBOGAST : Je voulais intervenir sur le fait qu’il existe encore aujourd’hui des sociétés dans le cadre desquelles il n’y a pas de consommation de viande sans sacrifice, et où il y a une forme d’élevage exclusivement dédié au sacrifice, cela veut dire qu’ils maîtrisent l’élevage des animaux, ils ne les utilisent pas de manière intensive, il n’y a pas d’exploitation du lait, les animaux ne sont pas utilisés pour la traction, … Ils sont simplement là pour honorer les besoins du sacrifice, et aucune consommation de viande ne peut avoir lieu en dehors de ça. Bien sûr, il y a beaucoup d’occasions pour créer des contextes où il est permis de manger de la viande, ou il est permis de sacrifier, mais il y a forme d’élevage, de relations hommes-animaux domestiques, qui passe par le rituel, par la consécration des animaux à une valeur plus importante que juste celle qui est économique.
Frédéric DENHEZ : C’est la consécration des animaux ou la consécration la puissance de l’homme sur le vivant ?
Rose-Marie ARBOGAST : C’est une manière de s’accaparer la maîtrise vivant, bien sûr, et d’avoir toujours à disposition des animaux pour les besoins. L’excuse, est qu’on sacrifie non pas pour les besoins des hommes mais pour ceux des Dieux.
Frédéric DENHEZ : Stéphanie THIÉBAULT, vous avez levé doigt, c’est bien
Rose-Marie ARBOGAST : Je voulais intervenir sur le fait qu’il existe encore aujourd’hui des sociétés dans le cadre desquelles il n’y a pas de consommation de viande sans sacrifice, et où il y a une forme d’élevage exclusivement dédié au sacrifice, cela veut dire qu’ils maîtrisent l’élevage des animaux, ils ne les utilisent pas de manière intensive, il n’y a pas d’exploitation du lait, les animaux ne sont pas utilisés pour la traction, … Ils sont simplement là pour honorer les besoins du sacrifice, et aucune consommation de viande ne peut avoir lieu en dehors de ça. Bien sûr, il y a beaucoup d’occasions pour créer des contextes où il est permis de manger de la viande, ou il est permis de sacrifier, mais il y a forme d’élevage, de relations hommes-animaux domestiques, qui passe par le rituel, par la consécration des animaux à une valeur plus importante que juste celle qui est économique.
Frédéric DENHEZ : C’est la consécration des animaux ou la consécration la puissance de l’homme sur le vivant ?
Rose-Marie ARBOGAST : C’est une manière de s’accaparer la maîtrise vivant, bien sûr, et d’avoir toujours à disposition des animaux pour les besoins. L’excuse, est qu’on sacrifie non pas pour les besoins des hommes mais pour ceux des Dieux.
Frédéric DENHEZ : Stéphanie THIÉBAULT, vous avez levé doigt, c’est bien
Stéphanie THIÉBAULT : C’est pour aller dans le même sens que Rose-Marie. Je pense que plus que de consommation, etc., c’est un signe extérieur de richesse, aussi. Dans ces populations, on peut avoir des troupeaux énormes alors qu’on ne consomme ni lait ni viande. C’est comme les gens qui accumulent les Rolls ou les Porches, on est à peu près au même niveau, et de temps en temps on se réuni, non pas pour manger un bon plat de viande mais pour exprimer justement la richesse qu’on a pu accumuler. Je pense que cela c’est quelque chose qui date, je ne dirais pas qu’il y a très, très longtemps. Moi, je suis aussi sur le Paléolithique. Les relations entre l’homme et l’animal au Paléolithique, on mange de de l’animal et des plats d’animaux et on les représente. En plus de ça, si on reprend les travaux de LEROI-GOURHAN, il ne faut pas oublier aussi cette dualité du monde entre l’homme et la femme, le bison et le cheval, etc., dans une vision finalement très darwinienne, qu’il ne faut jamais oublier, qui date quand-même depuis trente millénaires.
Frédéric DENHEZ : Ludovic ORLANDO, vous aussi, vous avez levé le petit doigt, je vois tout
Ludovic ORLANDO : Oui, j’étais en train de déprimer d’une certaine manière.
Frédéric DENHEZ : Pourquoi ?
Ludovic ORLANDO : Pour une généticien, comme moi, cela veut dire que le début du phénomène qui m’intéresse est à tout jamais perdu. En réalité, ce que vient de dire Stéphanie m’a fait penser le contraire, cela m’a ramené de ma dépression vers le monde du vivant. Je me dis que si c’est un pouvoir symbolique, qui a été la motivation de départ, à ce moment-là cela nous invite, nous généticiens, à travailler d’autant plus la main dans la main avec les archéologues, parce que cela va être le décryptage fort au sein des mêmes sites, des déviations à la moyenne qui vont nous indiquer qu’on n’est pas dans une situation naturelle. Ce que je veux dire par là, c’est qu’imaginons, quand vous prenez l’exemple d’une Rolls, Stéphanie, peut-être qu’ils aiment bien les Rolls qui sont d’une couleur particulière, ou peut-être qu’ils aimeraient bien les Rolls avec tels chevaux dans le moteur, si je puis dire. Donc, en regardant dans d’autres contextes - le monde sauvage est une moyenne à définir, de certains caractères - que spatialement, dans un site archéologique, on déploie plutôt tel type de Rolls à tel endroit mais plutôt tel type de Rolls à tel autre endroit, c’est peut-être les seuls signes finalement très fugaces, qui vont nous donner des indices que notre relation à l’animal était déjà en train de changer, avant même qu’on voit des traces sur le registre squelettique, celui de Thomas, ou dans ce qui est le mien, sur la marque épigénétique ou génétique qu’on laisse dans le génome.
Frédéric DENHEZ : Est-ce que, justement, on voit des traces épigénétiques ou génétiques des relations très diffuses entre les rênes et les éleveurs de Sibérie, Ludovic ORLANDO ? Est-ce possible ou impossible, parce qu’il n’y en a pas ?
Ludovic ORLANDO : Je connais très peu le cas des rennes, simplement pour dire qu’il ressemble de très près à celui du début des chevaux …
Frédéric DENHEZ : C’est pour cela que je vous pose la question.
Ludovic ORLANDO : … en réalité bien c’est assez proche, une sorte d’hybride entre chasse qui se transforme en une relation beaucoup plus intime, etc. Cela étant, il y a quelques travaux génétiques sur les rennes, qui ne sont pas les miens, qui montrent qu’il n’y a pas une distinction très farouche entre ce qui est volontiers appelé domestique et ce qui est volontiers appelé cheval. Là aussi on est dans une sorte de flou, de passerelle communicante entre les deux vases, si je puis dire.
Frédéric DENHEZ : Vous êtes vraiment sur un sujet particulier, sur le cheval d’un point de vue génétique et d’un point de vue culturel cela a été le symbole de la virilité, de la puissance de la chevalerie, aujourd’hui c’est plutôt le symbole de la féminité, il y a eu une bascule culturelle complète depuis la fin de la Première Guerre mondiale … En fait je n’avais pas de question, c’était juste une guerre mondiale à orphelin pas de questions c’était juste c’était juste une remarque.
Ludovic ORLANDO : Je salue l’acte de saluer la féminité qui est en moi.
Frédéric DENHEZ : Vous savez, j’ai un prénom androgyne
Oui, Jean-Denis VIGNE ?
Jean-Denis VIGNE Je voulais juste rebondir sur ce qu’a dit Stéphanie, richesse, oui, mais prestige aussi, c’est aussi une chose à laquelle il faut qu’on pense. Peut-être est-ce une démarche plus intuitive que scientifique mais « posséder », entre guillemets un auroch, ou un bovin domestique, parce qu’il a la même taille et la même puissance que l’auroch, ce n’est forcément pas déconnecté d’une certaine marque de prestige. On peut se demander pourquoi, dans les pourcentages d’ossements de bovins, que l’on a sur ces premiers sites néolithiques, sont toujours faibles. Ce n’est qu’à partir d’un moment que l’on commence à avoir de grandes quantités. Je pense qu’il faut essayer d’explorer, autant qu’on puisse le faire, cette hypothèse, qui doit être prise en compte pour expliquer, sinon les tous débuts de la domestication, en tout cas un renforcement de cette activité dans les premières populations au Néolithique. Ce prestige est vraiment, quand on parle du cheval c’est particulièrement vrai, mais je pense qu’on peut aussi, quand on voit l’importance accordée aux cornes des moutons et des chèvres, etc., Ça, c’est une chose que l’on a du mal à appréhender mais peut-être un jour - Thomas nous montre des pistes nouvelles - on pourra aborder cette question-là.
Frédéric DENHEZ : Justement, j’y viens. Vous parlez des cornes et du phénotype, est-il vrai, je n’ai jamais eu de confirmation, que le A de l’alphabet vient des cornes de l’Auroch en Mésopotamie ? Symbole de puissance par excellence.
Jean-Denis VIGNE Je ne sais pas. Je ne sais pas s’il y a quelqu’un de plus …
Ludovic ORLANDO : Je crois que le B vient des chèvres en fait…
Jean-Denis VIGNE Ce que j’ai vu, comme vous tous, c’est qu’effectivement le A de l’alphabet est issu de la représentation schématique d’un animal à corne. Je ne sais si quelqu’un ici a les compétences pour répondre cette question.
Frédéric DENHEZ : Ludovic ORLANDO a une compétence en chèvre apparemment.
Ludovic ORLANDO : Je ne sais pas pour le A, mais je disais que le B venait soit des chèvres soit des moutons et le M des vaches vraisemblablement.
Frédéric DENHEZ : D’accord, d’où notre imprégnation culturelle Charles STÉPANOFF ?
Charles STÉPANOFF : Sur la question du prestige, c’est important d’un point de vue de l’anthropologie sociale. Il y a ce lien avec un animal sauvage, quasi sauvage qu’on arrive à apprivoiser, qui est très prestigieux. J’ai été chez les Kazakhs en Mongolie, qui apprivoisent des aigles, c’était très notable effectivement, cela fait partie du prestige de quelqu’un qui réussit à capturer un aigle. C’est d’autant plus prestigieux d’ailleurs qu’il a été capturé tard, pas seulement de petits aiglons pris dans un nid, mais capturé adulte parce que c’est le fait d’avoir réussi à surmonter la difficulté. Puis, il y a le prestige dans les échanges matrimoniaux, lorsqu’on voit dans le cas du renne, l’avènement du pastoralisme, pourquoi est-ce que les gens se sont mis à avoir gros troupeaux dans l’Arctique ? C’est récent, c’est st XVII-XVIIIe siècle. On a de très bonnes informations historiques là-dessus, ce n’était pas pour les manger, il y a vraiment un interdit, ils mangeaient de la viande de venaison, sauvage, c’était pour des échanges matrimoniaux, pour payer le prix de la fiancée, comme dans énormément de société, cela peut-être en coquillages, en esclaves, et quelquefois c’est en bétail. Le seul intérêt pour le gens d’avoir du bétail, c’était pour ainsi pouvoir faire des échanges et de payer des vendettas aussi. Si votre frère a tué quelqu’un, normalement il doit se faire tuer dans un vendetta, vous allez payer en donnant du bétails. Ça, c’est une motivation très forte, et certainement très répandue pour acquérir du bétails.
Frédéric DENHEZ : D’accord, c’est un outil diplomatique. Un outil de fluidification des relations sociales.
Charles STÉPANOFF : Les gens se sont laissés piégés là-dedans, parce qu’ils vivaient de gibiers mais ils ont des troupeaux tellement grands qu’il y a eu une compétition entre les troupeaux et le gibier. Il n’y plus de gibier, ils sont sur le point de mourir de faim et à leur corps défendant, ils se mettent à manger leurs propres animaux. Mis, ce n’était pas le but, du tout, au départ.
Frédéric DENHEZ : Ce qui relève du crime vis-à-vis des Dieux et quasiment du cannibalisme vu la relation que certains ont avec leurs animaux. En vous écoutant, je me dis que la définition classique de la domestication mérite d’être revue. C’est finalement assez flou la domestication. On ne peut pas la définir de façon simple, normée. Est-ce qu’on ne peut pas plutôt parler de processus de domestication ? Et comment on pourrait le caractériser ce processus d’un point de vue génotypique, phénotypique, comportemental, culturel ? Je pose la question à tous et à toutes ?
Qui lève la main pour la parole ? C’est aussi simple que ça. Personne ?
Ludovic ORLANDO : Jean-Denis a défini précisément cette question. Donc, c’est à lui de commencer, je pense.
Jean-Denis VIGNE : C’est gentil, Ludovic. Il y a eu, à une époque, des débats sur cette question entre les sciences sociales et l’archéologie. Les sciences sociales voyaient le mot de la domestication, ou le concept de domestication, comme un système domesticatoire qui s’enracine dans tout ce que l’on a évoqué, la complexité sociale, etc., etc. Et nous, archéologues, ont été plus dans l’idée d’un processus. Moi, je continue, parce que c’est là-dessus que je travaille, à considérer que c’est un processus, qui s’enracine très loin, dans la relation entre humains et autres animaux durant toute la longueur du temps des chasseurs-cueilleurs paléolithiques, et peut-être même avant sait-on jamais. Mais, c’est processus qui connaît, comme tous les processus, des effets d’accélération, des effets de seuil, et c’est cela qui est intéressant pour nous, arriver à avoir suffisamment d’informations diverses et interdisciplinaires pour essayer de qualifier ces accélérations, ces effets de seuil. C’est clair que le début du Néolithique en est un, mais en même temps, c’est un processus tellement étendu, on est sur des siècles, on s’en rend compte. On est en train de dire : les sangliers deviennent des cochons, mais cela se déroule sur dix siècles, voire plus. En même temps, en adressant cette question, d’effets de seuil, d’accélération, etc., on est en plein dans la question qu’a posé Christophe BONNEUIL en introduction. Parce que finalement, l’Anthropocène, avec ses effets de seuil, ses accélérations. Voilà pourquoi la question de savoir quand cela commence est à la fois intéressante sur le plan épistémique, mais elle n’est pas une fin en soi, parce qu’on sait très bien qu’on est dans un processus.
Frédéric DENHEZ : Un Anthropocène qui a été revu par vous complétement, Ludovic, c’est le cheval. Il y a un avant et un après le cheval.
Ludovic ORLANDO : Disons que je suis un peu biaisé sur la question. Cela étant, je voudrais rebondir sur ce que vient dire Jean-Denis, ce que je peux me permettre d’ajouter, c’est qu’au-delà d’un processus, en réalité des processus, une des grandes surprises, pour certains, qu’il y a eu ces dernières années, c’est vraiment de montrer que c’était plastique, multiple, que ce n’était absolument pas univoque, d’une part, et d’autre part, c’est aussi, je sais pas comment le définir, parce que c’est tellement protéiforme, mais je sais comment il ne faut pas le définir, et Charles l’a très bien montré ce matin, c’est certainement pas par opposition au sauvage. Parce qu’il n’y a pas de frontières entre ces deux mondes la plupart du temps. Dès qu’on regarde les flux, qu’ils soient culturels, génétiques, il y en a des deux côtés, à différents moments de l’histoire, on a certains changements qu’ils soient culturels, sociaux ou environnementaux, que sais-je encore. Autant on avait une définition pratique, nous-mêmes généticiens, pendant des années, une notion qu’on utilisait volontiers pendant des décennies l’INRA, je pense, l’amélioration du processus ver le progrès animal, d’une certaine manière, autant on en revient beaucoup ces dernières années, on voit bien que les processus en eux-mêmes ont été d’une créativité immense, ne se sont jamais interdit le mélange, le retour en arrière, etc. Et ça, je ne crois pas que ce soit un phénomène propre à la domestication en réalité. Je pense que simplement un phénomène qu’on voit tout le temps. Chez l’homme, par exemple, les brassages entre populations, leur adaptation, certains des gènes que l’on portent nous viennent de Neandertal, qui nous donnent plus ou moins de maladies, ... En fait l’unicité de la domestication, c’est ce que Darwin avait vu, c’est un catalyseur, ça va plus vite, même si cela prend dix siècles, ça va infiniment plus vite que ce qu’on voit dans le registre géologique la plupart du temps, qui s’égrène en centaines, voire en milliers d’années.
Frédéric DENHEZ : Rose-Marie ARBOGAST, les premières sociétés agropastorales que vous étudiez, avaient toutes des relations fortes avec les animaux ? Étaient avaient déjà engagées dans une relation de dépendance mutuelle, de compagnonnage, voire de domestication ? Les deux sont liés ou est-ce des phénomènes complétement différents : la sédentarisation, la formation des villages à la domestication ?
Rose-Marie ARBOGAST : Je pense que ce compagnie existe, peut connaître diverses formes. Dans un village du sixième millénaire avant Jésus-Christ, en Alsace, élever des troupeaux de chèvres, arriver à déterminer que ces chèvres sont exploitées pour leur lait, par exemple, ce qu’on a pu montrer dernièrement, cela montre bien qu’il y a une familiarité de ces éleveurs du sixième millénaire avant Jésus-Christ avec leurs animaux. Je pense qu’il n’y pas lieu de voir de différence, c’est une socialisation très importante entre les humains et les animaux, et cela veut dire une intégration des animaux dans toutes les sphères de vie des hommes, dans leur vie matérielle et dans leur vie immatérielle, le chien est déposé au pied de ce son maître. On a un exemple au Néolithique, comme on a des exemples dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs. On sait bien que les bovins, pour ne parler que d’eux, jouent un rôle extrêmement important, économique bien sûr, mais pas seulement, les bucranes sont déposées dans les fosses à proximité des maisons, une forme de valorisation des bucranes de moutons et des chèvres dans les enceintes cultuelles, … Tous les indices convergent pour souligner cette proximité très importante entre les hommes et les animaux.
Jean-Denis VIGNE : Du coup, c’est Rose-Marie qui m’y fait penser, cette proximité physique suggère aussi tout un pan de cette relation, au début de la domestication, qu’on n’arrive pas bien à saisir, c’est tout ce qui concerne les zoonoses. Là, ce n’est pas simplement pour rendre hommage à un des organisateurs de colloque, ou à l’actualité d’ailleurs, mais c’est aussi un élément extrêmement important, qui a dû avoir son importance matériellement, sur la démographie humaine. On connaît très mal ces maladies portées par les animaux domestiques et qui se transmettent à l’homme. Là aussi, il y a un échange et une « culture », entre guillemets commune. Dernier point, il y a un autre pan, dont on n’a pas beaucoup parlé, et qui me semble très important, c’est celui de la médiation que provoque la traite, l’exploitation laitière, dont parlait Rose-Marie, …
Frédéric DENHEZ : C’est-à-dire ?
Jean-Denis VIGNE : Cela nous en dit long sur les raisons qui ont amené un certain nombre de populations à domestiquer des ruminants, des chevaux ou des chalcidés ( ?), mais cela nous amène aussi à d’autres chose, parce qu’en fait traire un animal c’est entrer dans une culture commune. Même si l’on n’a pas de témoins objectifs en archéologie de cette culture commune, là on en a vraiment un, parce que cette traite elle signifie ça. Le fait que l’on ait beaucoup travaillé durant ces dernières années, avec plusieurs groupes internationaux - pratiquement tous vous étiez partenaires - sur cette histoire de début de cette l’exploitation laitière, ce n’est pas tant pour démolir l’idée reçue que c’est quelque chose de tardive dans le Néolithique, mais c’est pour essayer de comprendre à quel moment justement cela pu jouer un rôle, et comment bien sûr cela a pu jouer ce rôle.
Frédéric DENHEZ : C’est intéressant ce que vous dites sur les zoonoses, cela m’amène une réflexion très naïve, compte tenu de la mortalité qu’ont pu engendrer des parasites de tel ou tel animal domestique, comment se fait-il que la domestication ait galopé partout dans le monde ? Il y avait quand même de sérieux désavantages à l’avoir, est-ce qu’il y a des exemples de peuples qui aient renoncé à la domestication, à cause des maladies que la domestication occasionnait ? Oh, là, cela vous laisse pantois ma question !
Jean-Denis VIGNE : L’homme ne renonce jamais à (manque un mot, compris), même quand cela lui est fatal, ou partiellement, ou à quelques membres ses cà-semblables. Je pense que dans l’histoire des grandes famines, des grandes mortalités, qu’on connaît bien maintenant, en occident en particulier, sur les deux derniers millénaires, montre bien que ce n’est parce qu’il y a des milliers, voire des millions de gens qui sont morts en quelques années, au cours des événements dramatiques, que le résultat de ces famines qui se sont multipliées en Europe tous les trente-cinquante ans, c’est l’Occident qui a colonisé le monde au bout du compte. Je parle en général, mais je ne pense pas qu’une quelconque société humaine puisse abandonner l’élevage pour des raisons de zoonoses, excepté si cette zoonose l’a complétement éradiquée de la surface du globe.
Rose-Marie ARBOGAST : Je suis assez d’accord avec la vision de Jean-Denis, derrière la relation avec les animaux, avec les plantes domestiques aussi, il y a autre chose aussi qui se joue. Il y a la relation de l’homme avec la nature, avec la vie, d’une manière générale, et une fois que c’est entamé, ça ne s’arrête pas.
Frédéric DENHEZ : Il y a plus d’avantages que d’inconvénients, c’est tout bête, c’est le rapport coût-bénéfice finalement. J’ai une question bien intéressante, posée par François BONHOMME, qui me perturbe beaucoup, j’espère qu’elle va perturber : « Personne n’a évoqué la fourrure, y-aurait-il eu un Paléolithique en régions froides sont les peaux d’animaux ? » Voilà une question intéressante, qui veut la apprendre ? Aurait-on pu survivre sans avoir décharné quelques animaux ? Madame Stéphanie THIÉBAULT, vous avez un point de vue là-dessus ?
Stéphanie THIÉBAULT : Je salue François BONHOMME et je vais lui répondre qu’a priori non.
Frédéric DENHEZ : Comment ça, non ? Il faut détailler un peu, madame THIÉBAULT.
Stéphanie THIÉBAULT : Au vu du climat, je pense qu’il parle du Paléolithique supérieur européen, au moment des glaciations, la relation aux animaux, aux forures et aux bisons, on a énormément de restes archéologiques, des décharnements de peaux de squelettes de bisons, où on voit qu’ils sont dus aux décharnements des peaux et le travail des peaux. On retrouve aussi des outils qui portent encore les traces du travail des peaux. Je sais pas, si j’ai bien répondu. Permettez-moi de raconter une anecdote intéressante. Un journal télévisé de France info, le mois dernier, nous a parlé du sauvetage et des problèmes des élevages de bisons, qui étaient élevées pour leur peau et qui risquaient effectivement d’être éradiquer. Ils avaient montré des bisons, alors qu’il s’agissait bien de visons, mais c’étaient quand-même fascinant de voir à la télévision française à onze heure du soir, un travail de dix minutes sur les peaux de bisons et des élevages de bisons. Je trouve que c’est bien marqué, voilà.
Frédéric DENHEZ : Oui, c’est vrai, c’est vrai. Remarquez depuis la mort de Valéry Giscard d’Estaing, personne n’a parlé dans les médias, chez mes confrères, des deux lois de 1976, pourtant fondamentales en matière d’environnement, mais bon, c’est un autre problème … Pour autant, il y a une chasse pour se couvrir de la peau des animaux qu’on chassait, mais ce n’est pas pour autant que cela aurait pu motiver ici et là la domestication. Monsieur VIGNE.
Jean-Denis VIGNE : Oui, je suis absolument d’accord, ce n’est probablement pas cela qui a motivé la domestication. Cela étant dit, cette histoire de peau, de poil, de tissu et de laine, elle se prolonge évidemment au Néolithique. En même temps que le chat est introduit sur l’île de Chypre, le renard est aussi introduit, un peu plus tard, est-ce que ce n’est pas plutôt pour disposer de ces peaux, d’autant qu’on retrouve des diadèmes composés de coquillages qui devaient se porter sur la tête, où on ne sait pas exactement où, et il y avait des queues de renards et de chats qui étaient accrochées à ces diadèmes. Dernier point pour préciser quelque chose qui a été dit précédemment, le poil du mouton a été peigné - c’était un poil raide, il n’y avait pas de laine au début de la domestication – pour récupérer ces poils et les tisser, dès le début du Néolithique, et pourquoi pas avant, c’est plus difficile quand l’animal est sauvage de lui courir après avec un peigne, mais Charles nous a montré que ce n’était pas aussi simple que ça. Je tenais à préciser que les moutons à laine c’est quelque chose d’assez tardif dans le processus du néolithique, probablement pas avant le Néolithique. Et là encore, je me tourne vers Ludovic, il y a plein de questions qu’on est en train de se poser qui devraient lui redonner le moral, aussi bien ces questions de zoonoses que des questions d’apparitions des poils à laine, etc., tout cela se sont des sujets que l’on va sans doute documenter dans les années à venir, pour le plus grand bonheur des archéologues.
Frédéric DENHEZ : Cela m’amène à une autre réflexion, dans la domestication du loup, pas du chien, est-ce qu’à un moment ou un autre, le loup n’a pas servi de couverture aux hommes ? est-ce que ça n’était pas pour la chaleur aussi ?
Rose-Marie ARBOGAST : Le chien a pu servir de couverture aussi.
Frédéric DENHEZ : Oui, sans doute.
Jean-Denis VIGNE : Dans une halte de bergers, que certains d’entre vous reconnaîtront, de Font Juvénal, on a trouvé des restes de peaux de cinq chiens et un loup. C’étaient probablement des gens de passages.
Frédéric DENHEZ : Monsieur CUCCHI, vous êtes bien silencieux. Je vais donner la parole à Thomas CUCCHI qu’on entend pas, je remédie à cette situation immédiatement. J’ai bien compris, en lisant vos travaux, que contrairement à nous qui lorsque nous ne faisons rien devenons obèses, le sanglier quand il ne fait rien devient robuste et prend plein de muscles, en même temps il y a une modification la face, est ce qu’on observe la même chose chez l’homme ? Autrement dit, est-ce que l’homme phénotypiquement, voire génotypiquement, voire culturellement, s’auto-domestique ? C’est vraiment une question bizarre je vous pose, et c’est pour vous, Thomas.
Thomas CUCCHI : Je ne suis pas en mesure de répondre. On n’a pas cette théorie de l’auto-domestication de l’homme, si on compare l’évolution des phénotypes squelettiques depuis les derniers chasseurs du dernier maximum glacière, on fait pâle figure. C’étaient des athlètes de haut niveau, à tous les âges, et tous les sexes. Si on compare à maintenant avec l’amélioration de l’hygiène et notre alimentation, on est censé être en meilleure santé, ce n’est vraiment pas le cas, on a vraiment perdu en qualité phénotypiques. Mais, ça, c’est lié à notre mode de vie beaucoup plus sédentaire.
Frédéric DENHEZ : Je pose la question parce que les observations que vous avez faites sur la mâchoire du sanguin, me rappellent les observations que font certains orthodontistes, disant qu’à cause des dents de sagesses on a moins de dents, on a moins d’espaces pour mastiquer, en plus on mastique de plus en plus mou, c’est de la blague ou on peut faire un parallèle ?
Thomas CUCCHI : Oui, je pense qu’on peut faire un parallèle, effectivement, le fait de mastiquer mou les produits issus de l’agriculture du blé, a entraîné tout un tas de pathologies au niveau de la mâchoire, et aussi, en partie, la réduction de la taille de la mâchoire, qui laisse peu de place pour les dents, qui elles n’ont pas trop changé de taille. Moi, j’en suis un exemple typique.
Frédéric DENHEZ : Comment ça ?
Thomas CUCCHI : Je ne vais pas vous montrer mes dents.
Frédéric DENHEZ : Si, si
Thomas CUCCHI : J’ai une mâchoire qui est beaucoup trop petite pour mes dents et du coup cela se chevauche.
Frédéric DENHEZ : Cela veut dire que vous ne pouvez pas manger une côte de bœuf crue
Thomas CUCCHI : Je dois la couper, prendre un couteau et une fourchette, c’est compliquer.
Frédéric DENHEZ : C’est difficile. Ils n’ont pas ces problèmes, Charles STÉPANOFF, en Sibérie
Charles STÉPANOFF : Il y a la consommation de la viande crue qui est importante, y compris sur les rennes sauvages ou domestiques, il faut manger le foie crue parce que cela compense le manque de vitamines, dû à la faible végétations. Je voulais revenir sur la définition de la domestication. Je me suis intéressé à leurs évolutions historiquement. Chaque fois qu’il y a une tentative d’identifier un critère essentiel, qui regrouperait tous les cas et en rendraient compte, on voit qu’il y a des contre-exemples, cela pousse à avoir une vision de la domestication comme un phénomène profondément hétérogène, par nature même. Par exemple, les sociologues, les anthropologues disaient à un moment que la domestication, c’est quand il y a un rapport d’appropriation, à partir du moment où les humains ont dit : cet animal, c’est mien, là, il est domestiqué. Or, on sait qu’historiquement, les rois s’appropriaient le gibier, les cerfs étaient gibier royal, à partir du Moyen Âge. Si c’est des critères biologiques, on l’a vu, nos amis biologistes l’ont montré, ils sont abandonnés les uns après les autres : la taille du cerveau réduit ou bien le syndrome de domestication en lui-même, ... Plus récemment, il y a eu la réduction de la crête neurale, qui n’apparaît pas forcément comme universelle, qui touche l’homme aussi, du coup on se pose la question, si cela touche l’homme n’y-at-il pas une auto-domestication également. L’intimité, on l’a évoqué, mais on peut avoir une intimité, chez les Indiens d’Amazonie, avec des animaux apprivoisés et pas vraiment domestiqués. Par ailleurs, il y a tous les animaux féralisés ou marronnés qui gardent les critères biologiques de la domestication mais non plus l’aspect social, … Du coup, il faut dire que certainement ce n’est pas un phénomène unique essentialisable mais un faisceau de convergence qui implique nécessairement des collaborations entre nous tous, ceux qui étudient les sciences sociales, les aspects idéologiques, juridiques, et génétiques, morphologiques et autres.
Frédéric DENHEZ : C’est presque une conclusion mais je la laisserais à Stéphanie THIÉBAULT. Thomas CUCCHI, ce que vous montrez finalement, c’est que la domestication n’appauvrit pas les animaux, bien au contraire. En tout cas pour les sangliers que vous avez étudiés, pour le cerveau du sanglier, on a plutôt tendance à croire que la domestication impose une réduction des capacités cognitives, pas du tout, alors peut-être que le cerveau augmente de volume à cause de l’augmentation de l’âge ou du poids de l’animal, mais c’est un peu contre-intuitif ce que vous montrez.
Thomas CUCCHI : On n’a pas encore vraiment regardé l’impact de la domestication sur la taille du cerveau, mais je pense qu’on en trouvera pas. C’est ce que je vous disais pendant la présentation, a priori, il n’y a pas de réduction. Même si on a considéré que c’était un signal global de domestication, quand on regarde précisément les données, la réduction de la tête du cerveau, c’est peut-être quelque chose qui apparaît avec les races actuelles et l’hyper-sélection, mais vraisemblablement, au début des domestications il n’y a pas de rupture en termes de perception environnementale si drastique que ça.
Frédéric DENHEZ : J’entends bien, en tout cas il y a eu deux domestications, les domestications depuis le début jusqu’à la deuxième génération formidable, avec l’industrialisation qui a tout changé, et qui se voit partout, à tout échelle. Madame THIÉBAULT, un petit mot de conclusion pour cette première table ronde.
Stéphanie THIÉBAULT : Merci beaucoup, je ne sais pas si on peut effectivement encore parler de domestication quand on parle d’industrialisation. Je pense justement que cela sera le sujet qui va être affiné au cours des discussions de cet après-midi et de demain. En tout cas, merci beaucoup. Je vous souhaite d’aller déguster un steak de cheval ou de sanglier, du chat ou du chien d’ailleurs, encore mieux, puisque je vous rappelle que pour les Chinois quand on leur dit qu’on domestique nos chiens, c’est comme si eux avaient comme animaux de compagnie des cochons. Tout est relatif aussi, le phénomène culturel est toujours très important. Je pense que l’intérêt aussi de cette discussion, c’est de montrer qu’on a encore énormément de choses à découvrir, sur lesquelles réfléchir. Donc, un grand merci. Je crois que nous retrouvons à quatorze heure.
Frédéric DENHEZ : Merci !
Vous pouvez retrouver une vie normale et vous alimenter.
Mercis mesdames, merci messieurs, à tout à l’heure.
Au revoir.