Régis BURNET : Bonjour !
Merci de nous retrouver pour La Foi prise au mot, votre rendez-vous de formation chrétienne.
Nous voilà bientôt à Pâques, à la fin du Carême, à la fin de notre série sur les péchés capitaux. Le dernier de la liste, vous le connaissez, c’est l’orgueil. Certains moralistes en ont fait le pire de tous les péchés, celui d’Adam, celui qui entraîne tous les autres.
Qu’en est-il ? Pour répondre à cette question, deux invités : le père David MACAIRE, bonjour !
David Macaire : Bonjour !
Régis BURNET : Vous êtes dominicain, recteur du sanctuaire de la Sainte-Baume, sanctuaire de Marie-Madeleine, et également prieur des dominicains de la Sainte-Baume, c’est vous le chef
David MACAIRE : Après elle, après elle
Régis BURNET : Père François POTEZ, je suis très heureux de vous retrouver pour la dernière fois, hélas, dans cette série. Vous êtes toujours curé de Notre-Dame du travail à Paris. Vous nous avez accompagnés tout au long de ce Carême…
Père François POTEZ : Pour tous les péchés...
Régis BURNET : ..., ce dont je vous remercie. On arrive à la fin de la série, avec l’orgueil.
Pour commencer, une définition simple, qu’est-ce que c’est que l’orgueil ?
David MACAIRE : Je vais prendre Saint Thomas. Je vais jouer mon dominicain. Il donne plusieurs définitions. On a plusieurs choses à dire sur l’orgueil : prétendre volontairement, de façon désordonnée, c’est-à-dire sans raison, à ce qui nous dépasse, à ce qui est trop grand pour nous. On veut être - le terme latin employé est la superbe, l’orgueil c’est un dérivé qui arrivera beaucoup plus tard dans les siècles - la superbe, prétendre à ce qui me dépasse. C’est beaucoup de choses. Cela sera ma propre vie, est-ce que j’ai la main dessus, mes propres qualités, mais aussi par rapport aux autres, se croire supérieur aux autres. On dit aussi un appétit désordonné de sa propre excellence.
Régis BURNET : C’est beau !
David MACAIRE : …cela pose quelques problèmes, on aura le temps d’en voir. Un appétit : je me trouve pas mal, ce qui est quelquefois fois vrai malheureusement, c’est un péché qui touche parfois des gens qui sont pas mal. Marie Madeleine ne pouvait pas prétendre à l’orgueil, peut-être physiquement. Zachée, non plus. Le publicain dans le temple non plus. Par contre, le pharisien, oui, et c’est vrai qu’il n’est pas mal. Donc, l’orgueil va toucher cette excellence que j’ai. Vous disiez que c’était le dernier, effectivement c’est le dernier, mais c’est aussi le premier, parce que c’est celui qui me touche au moment où j’ai vaincu tous les autres. J’ai bien regardé vos émissions, j’ai réussi à vaincre tous les autres péchés, et me voilà face à un machin, que je n’arrive même pas à voir tout à fait moi-même, à distinguer, et qui sera de l’orgueil.
Père François POTEZ : Moi, il y a une définition dans l’écriture que je trouve admirable : « moi, moi, et rien que moi », voilà l’orgueil. C’est : « Je suis ! » C’est le nom de Dieu : Je suis qui je suis, et l’orgueilleux dit : Je suis !. Il prend la place. Il est la référence. C’est lui qui est la référence, dans quel domaine, dans quelle échelle, ça on le verra, mais c’est moi la référence, les choses tournent autour de moi. Pour moi, l’orgueil, c’est vraiment ça : « Je suis au centre, je juge, je regarde et je voudrais qu’on m’écoute et qu’on me regarde. »
Régis BURNET : Est-ce que vous faites une différence entre l’orgueil et par exemple la vanité, ou entre orgueil et égoïsme ?
Père François POTEZ : L’orgueil est très intellectuel. L’orgueilleux se moque complètement de ce qu’on pense de lui. L’orgueilleux est dans son monde, mais parce que je suis la référence, il faut que les autres le sachent, le voient, du coup, je deviens vaniteux : il faut qu’on m’admire, qu’on m’écoute, qu’on me regarde. Ça, c’est tout le paraître, la façade. L’orgueilleux, il faut déjà être un peu intelligent. Le vaniteux, c’est vraiment donné à tout le monde. La vanité, c’est très facile, c’est un péché beaucoup plus visible, qui cache l’orgueil qui nous touche tous, d’une manière ou d’une autre. Mais, à mon avis, il y a une grosse différence, on passe de ce qui est invisible à ce qui est visible, le paraitre : il faut que les autres admettnte que c’est moi la référence, donc, je vais faire ce qu’il faut pour, quitte à éliminer les rivaux.
David MACAIRE : Thomas d’Aquin, fait un lien entre les deux choses - j’ai relu ma leçon avant de venir - en disant : l’orgueilleux, c’est celui qui se croit supérieur et le vaniteux, c’est celui qui veut le montrer, de fait un petit lien entre les deux. Au départ, dans les premières listes de péchés capitaux, il n’y en avait pas sept mais huit. Evagre le Pontique, au IVème siècle, et c’est Saint Grégoire qui va en mettre sept, en éliminant l’orgueil, qui ne faisait pas tout à fait partie de la liste, parce que l’orgueil, il l’appelle la reine ou la mère de tous les péchés. Il va mettre la vanité, ou la veine gloire – on n’a pas parlé de l’égoïsme, il faudra qu’on y revienne - comme septième péché capital, et il met l’orgueil un cran au-dessus, comme étant le roi ou la reine - la superbe en latin – de tous les autres péchés. Après on va les distinguer et la tradition va remettre l’orgueil et associer les deux, de fait il y a un lien, ce dont on parlait tout à l’heure, mais c’est vrai, cela ne s’exprime pas du tout de la même façon. Je crois que l’orgueilleux ne se rend pas forcément compte qu’il est dans le péché, alors que le vaniteux au bout d’un moment il se rend compte que ça ne va pas. D’ailleurs, les gens quand ils se confessent, ils confessent plutôt la vanité que l’orgueil. L’orgueil est quelque chose de très subtile, de très caché, qui se cache là où on n’y pense absolument pas.
Régis BURNET : Orgueil et égoïsme : est-ce que l’orgueil, c’est de l’égoïsme ?
David MACAIRE : Je crois que la racine profonde de ce péché, du Péché, ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle la reine ou le roi des péchés, parce que finalement cela me demande de renoncer à quelque chose qui est moi-même, de fait je crois que c’est surnaturel. Je ne dis pas que l’orgueil est naturel, le péché ne fait pas partie de notre nature, mais à un moment donné, dans l’orgueil, je dois renoncer à un bien, surtout pour une créature spirituelle, les anges, les hommes, de renoncer à ma propre excellence pour entrer dans quelque chose de supérieur, mais il faut quand même renoncer. Ce qui est en cause, c’est moi, il y a donc forcément une dimension d’égoïsme profond dans l’orgueil, parce que, comme vous disiez moi, moi, rien que moi, il y a un instinct de survie, c’est normal que je sois un peu content d’être pas mal, d’avoir réussi telle chose, physiquement, spirituellement ou moralement, - moralement, c’est le pire des orgueil, celui des pharisiens -, j’ai quand même réussi : je jeûne deux fois par semaine, je donne 10% de mon salaire aux pauvres,… C’est moi, quoi ! Je suis content, et cela fait partie de ma nature d’être un peu content de moi. Il faut quand même que je m’aime un petit peu, aimer son prochain comme soi-même, donc il faut que je m’aime. Alors là, il y a quelque chose qui vient se glisser, parce qu’à un moment donné, - c’est pour ça que le mot désordonné qu’emploi Saint Thomas est très intéressant – cela ne se fait pas dans l’ordre. Je dois m’aimer, mais dans quel ordre ? Et l’ordre, c’est après Dieu. Là, nous sommes au cœur même des trois commandements, de ce qu’on appelle l’ordo caritatis, de la charité : Premièrement Dieu, ensuite moi-même, ensuite le prochain. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. Tu aimeras ton prochain de tout ton cœur comme toi-même L’orgueil vient faire un tout petit déplacement dans cet ordre, où je me mets un petit peu au-dessus de Dieu, quand même, soit au même niveau, mais pas en-dessous. Or, il faut que je sois en-dessous. Il faut que j’aime ma propre excellence dans l’ordre, c’est cela qui est raisonnable, parce que c’est complètement irrationnel de me placer au-dessus de Dieu. Et là, on a l’image de notre monde, l’image du monde actuel, qui place la raison, l’homme, au-dessus de tout, et c’est là qu’on tombe dans quelque chose de totalement irrationnel.
Père François POTEZ : Moi, j’aime beaucoup essayer de comprendre et de décrire - et on ne peut le faire qu’à la fin en parlant d’orgueil - ce que j’appelle la spirale de mort. Il y a vraiment un enchaînement du péché, et pour moi il y a trois étapes très nettes dans cet enchaînement. Premièrement, l’orgueil : je me situe comme référence. J’ai détrôné Dieu, je prends la place de Dieu en quelque sorte. Je me mets à la place de Dieu. J’ai coupé la verticale. J’ai supprimé la verticale. J’ai enlevé le fil à plomb. Du coup, je suis devant mes égaux, mes pairs et là, la vanité prend le dessus, parce qu’il faut que tout le monde reconnaisse que c’est moi la référence. Et la vanité va entraîner immédiatement la jalousie, parce que je vais voir des gens qui risquent d’être des rivaux, qui vont me faire de l’ombre, il faut que je les élimine. On a parlé de la vanité au moment où on avait parlé de l’envie et de la jalousie. Par le fait que je suis la référence, je vais me couper des autres peu à peu, par cette vanité et cette jalousie, et du coup je me retrouve tout seul. Et comme le sens de la vie, c’est la relation, l’amour et le don, je suis fait par l’amour et pour l’amour, je suis fait pour cette relation, et comme je suis coupé de Dieu et coupé des autres, je ne suis plus que sur moi-même. Et comme au fond mon corps, mon cœur, mon âme, je cherche la jouissance, je cherche la jouissance mais déconnectée de l’amour puisque je ne peux plus vivre de l’amour. Et là, je suis dans l’égoïsme et dans l’individualisme forcené, et je me coupe de moi-même parce que je perds le sens de ma vie, tout s’enchaîne dans une espèce de spirale qui aboutit au désespoir, à l’angoisse, parce que ma vie n’a plus de sens. Ça, c’est le gars qui boit pour oublier qu’il a soif, qui cherche la jouissance, et plus je jouis, pas forcément du sexe, on l’avait vu avec la luxure, cela peut être de la politique, du travail, du jeu, de toutes sortes de jouissances, et au fur et à mesure que j’en reçois, j’ai besoin de toujours d’avantage. C’est une espace de spirale, une vrille, un avion qui tombe en vrille, un siphon qui m’entraîne vers la mort et vers l’angoisse.
David MACAIRE : Le ressort est cassé, et du coup je suis livré à mes passions.
Père François POTEZ : Je suis livré à mes passions qui sont tyranniques, et puis cela descends, descends jusqu’au désespoir final d’une vie qui n’a plus de sens. Si j’ai encore de l’argent pour croire que je peux vivre dans la jouissance tant que cela marche, ça marche, mais un jour ou l’autre cela peut s’arrêter et là, il y a le suicide au bout…
David MACAIRE : Saint Augustin a défini le péché comme : je me converti aux créatures et j’ai une aversion de Dieu, et l’orgueil, c’est la pure aversion de Dieu. Je suis fait pour qu’il y ait quelque chose dans mon âme, il faut être motivé pour quelque chose, donc il vaut mieux que je trouve quelque chose, donc c’est moi, c’est les créatures, les choses et me voilà effectivement livré à mes passions.
Régis BURNET : Je vous propose de faire une première pause, avec le texte - dont on dit qu’il est celui qui parle le plus d’orgueil - de la Genèse, Adam et Eve et l’histoire du fruit. Un texte qui ne parle pas d’orgueil justement, donc, on va essayer de savoir pourquoi ce texte parle bien d’orgueil. C’est donc troisième chapitre du livre de la genèse
Or le serpent était la plus astucieuse de toutes les bêtes des champs que le SEIGNEUR DIEU avait faites.
Il dit à la femme : « Vraiment ! Dieu vous a dit : « Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin »…
La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : « Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas afin de ne pas mourir. »
Le serpent dit à la femme : « Non, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. »
La femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. Elle en prit un fruit dont elle mangea, elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il en mangea.
Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des pagnes.
Or ils entendirent la voix du SEIGNEUR Dieu qui se promenait dans le jardin au souffle du jour. L’homme et la femme se cachèrent devant le SEIGNEUR Dieu au milieu des arbres du jardin.
Le SEIGNEUR Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu ? »
Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur car j’étais nu, et je me suis caché. »
« Qui t’a révélé, dit-il, que tu étais nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais prescrit de ne pas manger ? »
Régis BURNET : Voilà donc le fameux texte de la Genèse. Est-ce que ce texte parle de l’orgueil ?
David MACAIRE : Complètement ! Pour moi, ce n’est que ça.
Régis BURNET : Il n’y a pas le mot.
David MACAIRE : Il n’y a pas le mot, mais on a la définition de tout à l’heure : prétendre de façon irrationnelle, déraisonnable, désordonnée, à ce qui me dépasse. Elle veut, ils veulent, manger du fruit pour être comme des Dieux. Ça, il n’y a pas photo, c’est ça ! Quand on se regarde un petit peu, on sait qu’on n’est pas Dieu. Du coup, le fruit désirable, derrière il y a le mensonge, de la convoitise, tout ce que vous voulez, et toutes les conséquences, c’est vraiment le fait de dire à Dieu, de le regarder dans les yeux et son commandement, et de lui dire : Non ! Parce que dans l’orgueil, il y a la désobéissance à la clef, un manque d’humilité profonde, d’être son propre maître, de se donner sa propre loi.
Père François POTEZ : Pour moi, c’est ça qui est vraiment au fond des choses. Ou bien je me reçois et j’accepte d’être créé, c’est-à-dire que je ne suis pas le créateur, je suis créée et je me reçois d’un autre, je ne suis pas moi-même par moi-même, je ne suis moi-même que par un autre, et il faut que je fasse confiance, une confiance radicale, une confiance existentielle, à celui par qui je suis ; ou bien il y a cette espèce de révolte que suscite le démon, le serpent le plus rusé, le plus astucieux des bêtes…, qui me dit : Dieu en réalité t’étouffe, il a peur de toi, il a peur que tu sois comme lui, mais ouvre les yeux et regarde, tu es capable toi aussi de décider par toi-même ce qui est ta propre vie, ce qui est bien et ce qui est mal pour toi…. C’est un péché qui est incroyablement actuel.
David MACAIRE : Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je me dis que pour ne pas tomber dans l’orgueil, est-ce que ce n’est pas l’unique péché pour lequel on a absolument besoin de la grâce ? Les autres péchés : la gourmandise, la luxure, l’envie, la colère, on peut prendre quelqu’un les yeux dans les yeux et lui dire : Ne fais pas ça, ce n’est pas rationnel, ce n’est pas intelligent, etc. mais de demander à quelqu’un, devant Dieu, de renoncer à son être, d’être anéanti, vous savez qu’à un moment Jésus dit à Catherine de Sienne : « Je suis celui qui est et toi, tu es celle qui n’est pas », il faut l’entendre quand on est un être spirituel…
Régis BURNET : Ce n’est pas très sympathique...
David MACAIRE : Cela fait peur, renoncer à son être face à Dieu, renoncer à son intelligence face à la foi, on ne renonce pas au contraire - il n’y a pas d’ambiguïté pour un dominicain - mais enfin, il faut à un moment donné une humiliation de l’intelligence pour avoir la foi.
Père François POTEZ : Ce que vous dites, j’apprécie… Vous dîtes, il faut la grâce. Effectivement, il faut la grâce. Mais qu’est-ce que la grâce, c’est Dieu qui donne son amour. Et, on l’a vu à plusieurs reprises dans nos émissions, chaque fois c’est pareil, mais là, c’est le moment où jamais, si je ne me mets pas en présence de Dieu, pour découvrir qu’il m’aime, pour découvrir qu’il me crée par amour, alors effectivement, je peux écouter le démon qui me dit : mais révolte-toi ! Tu es, toi, vivant, prends ton indépendance ! Si je manque ce regard de Dieu, qui me regarde comme quelqu’un qui m’aime,… Je commence tous les week-ends de préparation au mariage, par là : le seul fait que j’existe prouve que Dieu m’aime ; encore faut-il que je me mette devant Dieu, que j’accepte cette relation et que je me laisse aimer. Alors, je suis sauvé parce que je suis attiré par cet amour, et je vais découvrir que ma vie n’a de sens que dans cette relation d’amour. Mais, si par un moyen ou un autre, le démon me détourne le regard, ce qu’il faut avec Eve qui regarde le fruit, et tac, il est beau à voir et désirable à manger, je suis embarqué dans…
David MACAIRE : A mon avis, la phrase clef dans ce que vous dites, lorsque Jésus dit : « je ne vous appelle plus serviteurs mais amis », parce qu’être serviteur, ça serait très bien. Je crois que le démon aurait bien aimé rester serviteur. Je crois que nous aussi, être serviteur : « notre père qui êtes aux cieux, restez-y et nous on fait nos trucs. On sait que tu es là, on te donne de petits cochons, de petites vaches de temps en temps, dans un temple, et puis c’est bon. » Alors que Dieu, ce n’est pas ce qu’il veut. Il nous propose d’entrer dans une amitié. Or, l’amitié quand je suis ami de quelqu’un - quand vous parlez de mariage, je suis vraiment d’accord – je me sacrifie, je ne sacrifie pas quelque chose, mais c’est moi qui me donne. J’offre tout ce que je suis, donc, je dois renoncer à une partie de moi-même pour entrer dans l’amour, pour entrer dans quelque chose de plus. Est-ce qu’un père qui a des châteaux, de grosses voitures, toi qui a juste un appartement et une belle voiture, vient habiter chez moi, tu auras tous mes châteaux, toutes mes voitures, et l’autre qui lui dit : moi, je reste dans mon appartement, c’est mon appartement, ma voiture, c’est ma voiture. Mais, chez moi tu auras tout, c’est comme le père du fils prodigue.
Père François POTEZ : C’est exactement ça : tout ce qui est à moi est à toi, pouvais-je imaginer que tu n’osais pas me demander un chevreau pour festoyer avec tes amis, je te l’aurais donné immédiatement, il est à toi ?!
David MACAIRE : On – les théologiens - pense que c’est le péché, vous en avez peut-être parlé dans les autres émissions, du démon. Vous en avez peut-être parlé quand il a été question de la jalousie, de l’envie. C’est le péché du démon que de dire : Mais, non, je t’aime puisque tu m’accueilles comme créature, je te regarde, je contemple ta splendeur, c’est mon rôle. Mais quand Dieu lui propose de renoncer un peu à sa propre lumière pour entrer dans la sienne, non, il ne peut pas.
Régis BURNET : Dans ce texte, il y a la question de la nature du fruit, on a souvent traduit cela comme le fruit de la connaissance, c’est dit, la connaissance du bien et du mal, mais plus généralement de la connaissance. Je vais poser la question au dominicain : est-ce que le savoir, la science crée l’orgueil ?
David MACAIRE : Cela enfle, bien sûr, en particulier la théologie. Je me suis dit : ils ont peut-être invité un dominicain pour ça .
Régis BURNET : C’est bon à savoir
David MACAIRE : La science, toute science, on a l’impression de mettre la main… L’exemple le plus simple, qui n’est pas de l’ordre de la théologie, qui relève plutôt de la science, et même de la technique, aujourd’hui dans les recherches en médecine, sur le génome, le gène humain, on peut demain matin fabriquer un enfant, avec toutes ses caractéristiques. Eh bien, je crois qu’il y a là un véritable orgueil. Comme on a mis la main dessus, on n’a fait que découvrir d’ailleurs des lois qui sont là, on ne sait pas qui les a mises, nous les croyants nous le savons, mais le scientifique dans son ordre ne le sais pas, il découvre et pourtant à ce moment-là il a l’impression de mettre la main dessus, d’avoir le pouvoir. On est vraiment dans le fruit : c’est moi qui décide le bien et le mal. Ça ne va produire que des catastrophes après : elle va se séparer de son mari, ils vont corps et âmes ça n’ira pas, ils vont se retrouver nus, la nature va devenir un ennemi, il n’y aura que des catastrophes, on voit bien que c’est complètement irrationnel, mais sur le moment cela semble extrêmement séduit et c’est à la portée.
Régis BURNET : Vous aussi vous êtes d’accord ?
Père François POTEZ : Complètement ! Les pires violences sont les violences religieuses parce que c’est « ma conception de Dieu que je veux imposer ».
David MACAIRE : Et, c’est ce qui a tué Jésus !
Père François POTEZ : C’est ce qui a tué Jésus, exactement. Et la jalousie des grands prêtres dont on avait parlé une fois, on est là au péché d’orgueil, c’est ma conception de Dieu que je veux faire dominer, parce que c’est moi qui suis la référence. Pour moi, la plus grande rusé du démon, - quand Jésus dit le prince du mensonge homicide des origines - est de réussir à nous faire, et il nous le fait croire tous les jours, qu’on serait libre quand on serait indépendant. C’est l’indépendance qui va me rendre libre, la rage de l’indépendance d’aujourd’hui : je ne veux dépendre de personne ! Je veux m’émanciper le plus tôt possible de toute espèce de dépendance par rapport à mes parents, encore que je continue à vivre chez eux mais je suis indépendant, parce que je profite mais je ne veux pas dépendre de leur jugement ou de leur regard, et quand je suis vieux, - moi je ne le suis pas encore trop – je ne veux dépendre de personne. En fait les vieux qui ne veulent dépendre de personne sont beaucoup plus embêtant que les autres parce que justement ils ne se laissent pas faire,… au fond, l’essentiel est : est-ce qu’on est dans l’ordre d’un amour qui s’impose ou dans l’ordre d’un amour qui s’expose, qui accepte ? On va voir cela dévoilé dans la passion du Christ. Le Christ tout puissant, amour tout puissant, c’est un amour qui s’expose, qui se laisse aimer, qui se laisse injurier autant, et on découvre que sa puissance réside justement dans sa vulnérabilité. Tout est renversé. Et le démon a réussi à nous faire croire qu’en réalité, si je suis au sommet, que je peux imposer, là je serai indépendant et moi-même. En fait, c’est le péché moderne par excellence, dans lequel on est tous, on est tous tentés.
David MACAIRE : Pour revenir à votre question sur la théologie, on y est, l’une des dépendances qui est la plus violente par rapport à l’orgueil de notre monde, et de nous-mêmes, c’est la dépendance par rapport à la nature. L’avenir, par exemple, je ne connais pas l’avenir, or, il me faut absolument le connaître, eh bien je vais regarder mon horoscope, c’est un acte d’orgueil, puisque je prétends, encore une fois, de façon irrationnel, à ce qui ne me regarde pas. Comme disent les Inconnus : « cela ne te regarde pas ! » Cela ne me regarde pas, mais j’ai envie de savoir, de mettre la main dessus. Mon grand-père est décédé, je veux lui parler, donc je vais voir une voyante, etc., c’est un acte d’orgueil, le refus de la dépendance, de dépendre de ma nature. Allons plus loin, les théories de gender : je suis un homme, je n’en ai pas envie, etc. Le refus de dépendre de quelque chose qui est au-dessus de moi. Vous voyez bien qu’on est dans le péché du démon qui enrage puisqu’il est forcément en train de dépendre de Dieu, c’est une créature !
Père François POTEZ : On est tellement tordus dans notre pensée moderne, on l’est tous, qui est que : je ne veux pas dépendre de quelqu’un ou de quelque chose qui est au-dessus de moi. Qu’est-ce que cela veut dire être au-dessus de moi ? Si c’est au-dessus de moi parce qu’il est la source de mon être et de mon existence, que c’est lui qui par son amour me permet d’être qui je suis, alors il est au-dessus de moi parce qu’il est l’origine, mais il n’est pas au-dessus de moi pour m’écraser. Nous, nous avons une espèce de déformation intellectuelle, tout ce qui est au-dessus de moi m’écrase, donc, il faut que je monte. Dès que je suis le N-1, il faut que je sois le N+1 pour être en haut de la pyramide. Finalement, notre monde et notre société se construit à partir de principes comme ça. C’est pour cela qu’on marche sur la tête, parce qu’on n’accepte pas de dépendre les uns des autres.
Régis BURNET : Justement comment articuler une vision positive du progrès, ce n’est pas si mal de pouvoir vivre un peu plus parce qu’on a la connaissance, et ce que vous dites ? Dans ce que vous dites, on a aussi l’impression que vous êtes en train de taxer la modernité de démon, d’une certaine façon : on est trop intelligent, on en a trop fait, et ce n’est pas bien…, vous parliez de la théorie des genres, etc., Comment ne pas être dupe de ce que vous dites, c’est vrai, il y a une partie d’orgueil, et ne pas tourner vieil imbécile, pour ne pas dire pire ?
David MACAIRE :… Un imbécile heureux…
Régis BURNET : Imbécile heureux, oui… Comment est-ce qu’on peut faire pour ne pas mépriser la science, la technique, le progrès ?
David MACAIRE : Je crois que là aussi, cette définition de l’orgueil n’est pas mal.
Régis BURNET : Décidément !
David MACAIRE : … Ne pas prétendre à ce qui ne me regarde pas, ou plutôt y prétendre de façon rationnelle, raisonnable, c’est-à-dire toujours sous la raison divine. Le progrès, 20/20, tant que le progrès reste dans cette dimension d’humilité. Je crois que pour le coup, je peux même en parler à quelqu’un qui n’est pas croyant, et lui dire : tu mets la main sur quelque chose qui te dépasse énormément, il faut rester dans cette humilité profonde de ce que nous avons reçus. En fait, l’orgueil c’est l’inverse de : « qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » Celui qui dit : je n’ai rien reçu, j’ai tout par moi-même… Le progrès aussi, l’ambition aussi, même ecclésiastique pourquoi pas, je suis dans un domaine, j’ai envie d’aller plus loin, d’offrir mes services, d’être N+1 s’il le faut, mais il faut que cela reste dans le cheminement de l’humilité. C’est pour ça qu’en va certainement en parler tout à l’heure, comment ne pas tomber dans l’orgueil…
Régis BURNET : On a toujours notre partie : les remèdes.
David MACAIRE : Il y a des remèdes pour se replacer toujours. Il y a souvent de grands hommes, je pense à notre pape Benoit XVI, tu ne peux pas être plus au sommet, c’est le pape, mais tu restes dans une humilité d’un bout à l’autre.
Régis BURNET : On a enregistré cette émission il y a quelques semaines, mais au moment où nous parlons, nous ne savons pas justement quel est le pape.
Père François POTEZ : J’allais dire ça, regardez de très grands hommes, parfois de très grands scientifiques, qui ont fait faire des pas magnifiques à l’humanité, dans la science, dans les connaissances, ils sont d’une discrétion, d’une humilité parfaite, qui sont finalement très détachés par rapport à eux-mêmes. On admire d’ailleurs ces gens-là. Et on voit des savants fous qui veulent dominer par leur science, qui mettent leur science à leur service, alors que les vrais scientifiques sont au service de la vérité en essayant de découvrir ce qui peut faire progresser l’humanité, et non pas les faire progresser eux pour pouvoir dominer.
Régis BURNET : Je vous propose de faire une seconde pause. Et cette fois, nous allons citer Saint Thomas mais Saint Bernard de Clairvaux, ce qui est bien aussi, justement dans son traité des degrés de l’orgueil. Il essaye d’expliquer quels sont les symptômes,. Pour arriver à guérir la maladie, il va falloir essayer de trouver quelques symptômes. On écoute Saint Bernard de Clairvaux, c’est tout à fait intelligent, on s’y reconnait quelquefois.
En effet, comment celui qui pense l’emporter sur tout le monde, ne présumerait-il pas plus de lui que des autres ? Il s’assied au premier rang dans les réunions, répond le premier dans les conseils, se présente sans être appelé, et s’ingère là où il n’a pas besoin de se mêler ; il remet en ordre ce qui est déjà rangé et refait ce qui est fait, car il ne tient pour bien ranger et bien fait que ce qu’il a rangé et fait lui-même. Il juge les juges eux-mêmes et prévient leur jugement. S’il ne se voit point promu au prieurat, quand le temps est venu pour lui d’aspirer à cette charge, il pense que son abbé lui est hostile ou qu’il a été trompé. Si on ne le charge que d’un médiocre emploi, il s’en offense mais le dédaigne, convaincu qu’il ne doit pas être employé à de si petites choses, quand il se sent capable des plus hautes fonctions. Mais cet homme qu’on voit si empressé à s’ingérer en tout avec plus de présomption encore que de bon vouloir, ne peut certainement manquer de tomber dans quelque faute. Or, c’est au prélat à reprendre ceux qui manquent ; mais comment celui qui ne peut croire qu’il soit ou qu’on le regarde comme étant en faute, conviendra-t-il qu’il a failli en quoi que ce soit ? Aussi, quand on lui reproche quelque chose, ses torts au lieu de disparaître, augmentent ; et alors, sous le coup d’une réprimande, si vous voyez que son cœur se laisse aller à des paroles de malice, soyez assuré qu’il est tombé au huitième degré de l’orgueil qui est la défense du péché.
Régis BURNET : Voilà, on a entendu Saint Bernard. Ce qui est intéressant, c’est que là on est dans le 7ème degré de l’orgueil, que Bernard nomme la présomption. Et ce qui est tout à fait étonnent, c’est que Bernard commence par le 1er [1], qui pour moi n’est pas un péché, d’accord on a dit que c’est un vilain défaut, la curiosité. En quoi la curiosité est une marque d’orgueil ? En tant que professeur, je n’arrête pas de dire : soyez curieux !
Père François POTEZ : Cela a été un grand bouleversement quand j’ai lu pour la première fois ce texte de Saint Bernard et que j’ai découvert qu’il mettait la curiosité comme premier degré de l’orgueil. Ça m’a fait beaucoup réfléchir. Ça m’a d’abord cogné. Et je me suis dit : mais la curiosité c’est bon justement. Et je me suis aperçu qu’en réalité il y a deux curiosités. Il y a une curiosité saine pour me mettre au service de l’autre, pour mieux connaître quelque chose et pour mieux assumer ce que je dois faire, aller dans le sens de la vie. Puis, il y a une curiosité, quand on y réfléchi est la plus fréquente, qui est : je suis curieux parce que je veux savoir. Et quand je sais, je domine. Je suis à l’affût de l’info, pour être le premier à le savoir, parce que je pourrai donner l’info aux autres. Et donner l’info aux autres, c’est quand même une supériorité. Je serai le premier à donner le scoop. Et ça, c’est de l’orgueil. Je cherche à dominer en sachant et en connaissant.
Régis BURNET : Il y a d’autres degré qui me semblent aussi très intéressants, peut-être que vous n’avez rien à en dire. J’en cite quelques-uns : la légèreté d’esprit, la sotte joie, la jactance, le fait de parler un peu beaucoup, l’arrogance et la présomption. Qu’est-ce que cela vous dit cette liste ?
David MACAIRE : Il y en d’autres.
Régis BURNET : On basculera vite vers les derniers, qui me semblent très intéressants, en particulier la fausse contrition et la révolte, mais sur ces premiers degrés-là : la légèreté d’esprit, la sotte joie, la jactance, l’arrogance et la présomption ?
David MACAIRE : La joie inepte, la sotte joie, c’est marrant, là aussi, c’est une façon de dominer, d’une joie factice. On est un peu dans la moquerie. On est un peu dans la cours de récréation où tout le monde se lâche…
Père François POTEZ : Comme dans les entreprises où ça cause, on critique les autres, le temps, la société,…
David MACAIRE : Prendre la parole, c’est prendre le pouvoir d’une certaine façon, et quand c’est pour ne rien dire…
Père François POTEZ : Quand on entend le texte qu’on vient de lire, on se dit : mais c’est de moi qu’il parle. N’importe qui pourrait le penser.
David MACAIRE : Il y a quand même quelque chose de rassurant, quand je lis, Saint Thomas, qui reprend aussi Saint Bernard, je pense d’abord à notre monde, comme vous le disiez tout à l’heure, je suis parfois assez sévère avec notre monde, le monde médiatique, etc., on a l’impression d’être dans une émission de talk-show, où tout le monde dit tout sur n’importe quoi, donne son avis sur tout, et en même temps…
Régis BURNET : Ce n’est pas le cas, là ?
David MACAIRE : Non, ce n’est pas le cas, dans La foi prise au mot ! Je me dis que c’est rassurant car au temps de Saint Bernard, c’était la même chose. L’homme est l’homme, et quand on entend ces choses, surtout les péchés capitaux, ces gens ont décrit ces réalités du cœur de l’homme, il y a plusieurs siècles, plusieurs millénaires, et c’est absolument vrai aujourd’hui. Quand on en parle avec des élèves en psychologie, ils me disent : mais c’est exactement ça ! D’où as-tu sortie ça ? On ne nous apprend pas ça. C’est exactement le cœur de l’homme et l’âme, la jactance, la présomption, pour le coup on est vraiment dans prétendre à quelque chose qui ne nous appartient pas…
Régis BURNET : Les derniers degrés : la fausse contrition et puis la révolte, est-ce que justement cela vous est arrivé, l’un comme l’autre, de voir des faux contrits ?
Père François POTEZ : Tout le temps !
Régis BURNET : Eh bien dites-donc !
Père François POTEZ : « Mon père, je m’accuse d’être épouvantablement orgueilleux, je suis le plus grand pécheur, etc. » N’allez pas rajouter un péché d’orgueil à tous les autres ! Il y a meilleur pécheur que vous. Vous êtes un pécheur très banal. Vous êtes un pécheur extrêmement ordinaire. En fait vous vous lamentez de ne pas être à la hauteur de l’image que vous voudriez avoir de vous-même. En disant cela, vous vous lamentez sur vous-même, et c’est exactement la définition du péché d’orgueil. « Je m’accuse… » Mais non, mais non, je demande pardon d’avoir fait ceci ou cela. Je demande pardon d’avoir pris la parole un peu trop, d’avoir coupé la parole à quelqu’un, d’accord mais cette espèce de fausse contrition, c’est, très courant.
David MACAIRE : Vous avez souvent dit dans vos émissions que j’ai écoutées : « l’accusation c’est démoniaque ! L’accusation, c’est le démon » Je suis entièrement d’accord. Il y a quelque chose d’orgueilleux à s’accuser, à dire à Dieu : écoute Dieu, je n’aurais pas dû faire ça, tu vois, je suis trop bien ! Je n’aurais pas dû faire ça. Ce petit garçon qui a cassé le vase de maman, il est triste, très bien. Il est triste parce qu’il va se faire tirer les oreilles. Il est triste parce que ses grands frères vont se moquer de lui en lui disant : ah, tu vas te faire punir. Il ne pense qu’à lui, c’est de l’égoïsme. L’Église parle de la contrition. La contrition, c’est j’ai le regret de t’avoir offensé, non pas parce que j’aurais dû être tellement génial, mais non, je suis un pauvre type ! Ce n’est pas normal que je pèche parce que je suis quand même un pauvre type, mais ce qui m’offense c’est parce que je te fais mal, toi que j’aime. C’est une tristesse d’amour. C’est parce que je t’aime que je demande pardon, ce n’est pas pour que je sorte du confessionnal la tête haute en me disant : c’est bon, je me suis confessé, tranquille ! Dieu ne peut rien me demander, je suis en règle.
Père François POTEZ : La pire chose qu’on puisse entendre : « moi je suis en règle, le bon Dieu ne peut pas m’en vouloir pour ça ? » mais qui es-tu pour dire : « Le bon Dieu ne peut pas m’en vouloir » ? D’abord, le bon Dieu n’en voudra jamais à personne, ce n’est pas Dieu ça, ce n’est pas mon Dieu. D’autre part, qui es-tu pour te juger toi-même ? J’expose mon âme devant Dieu, je mets mon cœur à nu devant Dieu, et c’est Dieu qui applique la miséricorde. Moi, je repars du confessionnal libéré parce que justement j’ai retrouvé la dépendance d’amour qui me rend libre. On disait que l’orgueil c’est l’indépendance : je me juge, quitte à dire à Dieu comment il doit me juger. Finalement, je peux me confesser sans Dieu. Je fais une confession seul à seul avec le prêtre, et je me justifie, c’était…
Régis BURNET : La défense du péché.
Père François POTEZ : La défense du péché : je me justifie. « J’ai fait ça parce que j’étais acculé à telle ou telle situation, et puis ma sœur ceci, mon mari cela, vous comprenez »…
David MACAIRE : On confesse les mêmes personnes.
Père François POTEZ : Et on se confesse nous-mêmes.
Régis BURNET : Justement, pour les derniers degrés, j’aimerais que vous reveniez sur cette idée de dépendance-indépendance, et en particulier de la révolte, cela fait partie pour Saint Bernard de… La révolte, c’est dire : je ne veux dépendre de rien...
David MACAIRE : Pas de toi. Finalement, là on est à la racine de tous les péchés, parce que chaque péché, même le petit chocolat, je suis désolé d’en parler à la fin du Carême. Le petit carré de chocolat que je prends, c’est un tout petit péché, ce n’est pas un péché le petit carré de chocolat, vous pensez bien, mais en même temps, si je le fais en me disant que je regarde Dieu dans les yeux et que je dis non, je ne décide pas moi-même ce qui est bien, finalement là, je me donne la permission de… eh bien cela peut être un péché mortel. Inversement, je peux sauver le monde, comme dit Thérèse en ramassant les (manque un mot), ou en mangeant un carré de chocolat, si je le fais par amour. C’est dans l’intensité de la révolte qu’il y a dans mon cœur, ce n’est pas l’acte. C’est très difficile à expliquer aux catéchumènes, par exemple, certains catéchumènes venant d’autres religions, où le péché n’est pas dans la matérialité de l’acte, même si ce n’est pas sans importance, mais dans l’intention profonde de repousser Dieu, c’est l’une des définitions de l’orgueil. C’est pour ça finalement que tous les autres péchés entrent dans la fin l’orgueil, c’est la même finalité, rejeter Dieu, dire à Dieu : non ! Donc, la révolte, c’est la révolte des anges, la révolte des hommes, c’est la révolte de chacun d’entre nous à chaque péché. Il n’y a pas de péché mignon à ce moment-là, parce que cela mène à la mort de l’âme, parce que je dis non à Dieu.
Régis BURNET : Du coup, on voit bien dans ce que vous avez dit, on retrouve ce que vous avez dit au début, c’est très difficile de le diagnostiquer ce péché d’orgueil. Parce que quand vous commencez à nous dire que le petit carré de chocolat c’est peut-être pire que de faire des choses qui moralement sont très évidemment dangereuses, comment est-ce que je sais que je suis orgueilleux ?
David MACAIRE : C’est un péché caché. Il y a une chose qui est intéressante, c’est que l’orgueil - Saint Thomas le dit aussi, je suis très content de le retrouver chez lui – c’est quelque chose que j’ai observé comme confesseur - peut-être vous aussi, père – l’orgueil bizarrement fait tomber dans d’autres péchés beaucoup plus bas. Et souvent, quelqu’un qui a un péché de luxure, de gourmandise, etc., à la racine, c’est le péché d’orgueil…
Régis BURNET : Et le diagnostic, c’est ?
David MACAIRE : Le premier diagnostic, mais ce n’est pas systématiquement ça, cela peut aussi être complètement l’inverse, quelqu’un qui est nickel-chrome, qui ne sait même pas quoi dire en confession, cela peut-être ça aussi, il y a aussi des saints ça existe…
Père François POTEZ : Oui, mais le saint, lui, sait quoi dire.
David MACAIRE : Il sait quoi dire.
Père François POTEZ : Il sait dire : « je n’ai pas aimé comme j’aurais voulu aimer, j’ai fait ce que je n’ai pas voulu et je n’ai pas fait ce que j’aurais… » Le saint sait quoi dire, il a toujours de petites choses, qui dans la lumière ont pris beaucoup d’importance, parce qu’il a un cœur délicat, tellement fin… Celui qui n’a rien à dire en confession, soit parce qu’il ne se confesse pas assez souvent, parce que quand on se confesse une fois par an, qu’est-ce qu’on a à dire ? « Je n’ai pas volé, je n’ai pas fait ça, je n’ai pas fait ci… »
David MACAIRE : On n’a pas la conscience aiguisée…
Père François POTEZ : On n’a pas la conscience aiguisée, on n’a donc plus rien à dire. Si on se confesse a fortiori tous les trois –quatre ans, qu’est-ce que vous voulez dire ? On n’a plus rien à dire. Mais, celui qui se confesse un peu régulièrement et qu’il n’a rien à dire, là, c’est très grave parce que : eh ben non, je domine…
David MACAIRE : Là, il faut mener une enquête…
Régis BURNET : Je reviens à ma question. Comment savoir qu’on est soumis à l’orgueil ?
Père François POTEZ : De qui est-ce que je dépends dans ma vie ? Quelle est la référence de ma vie ? Avec un pénitent, on va le voir tout de suite. Quelqu’un qui ouvre son cœur et qui parle en présence de Dieu, on voit tout de suite qu’il est en référence à quelqu’un, ou qui va dire : j’ai fait du mal à mon épouse, j’ai parlé durement avec elle, etc., je suis en référence par rapport à quelqu’un. Celui qui se confesse et qui n’est finalement en référence à personne, il est en référence au modèle qu’il a de lui-même, l’image qu’il a de lui-même, là, on est dans l’orgueil à plein. Ce n’est même plus la peine de confesser les autres péchés, il n’y a plus qu’un seul péché qui compte, c’est celui-là.
David MACAIRE : Parfois, il n’y en a pas d’autres.
Père François POTEZ : Parfois, il n’y en a pas d’autres.
David MACAIRE : Il y a des pénitents, parce qu’ils ont une excellente éducation, qu’on ne peut que louer, qui n’ont jamais l’intention de commettre des péché : médire, d’être gourmands, n’en parlons pas, la luxure, etc. ça ne fait pas partie de leur domaine et qui arrivent, c’est là que je dis il y a une enquête, ça demande un cheminement. Souvent, la personne c’est au bout d’un cheminement spirituel qu’elle arrive à mettre le doigt dessus, et cela sera une grande libération, une grande joie, non pas d’être pécheur mais de pouvoir dire : ah, c’est ça.
Père François POTEZ : L’orgueil du pharisien dont vous parliez tout à l’heure, elle est très facile pour certains, et pour nous : je jeûne deux fois la semaine, je donne, etc. seigneur je te remercie de m’avoir donné tout ce que tu m’as donné, je suis quand même content au fond de moi-même de ne pas être comme le publicain qui est là-bas, et ça je te le dois, mais je suis quand même content par rapport à lui,… Je me compare, je me mets à un niveau à un niveau par rapport aux autres, et là, c’est moi la référence une fois de plus.
David MACAIRE : C’est pour cela que mystérieusement, une fois de plus, le fait de tomber dans certains péchés un peu plus simples, comme je l’ai dit, quand j’explique à des jeunes, je leur dit : tu te promènes dans la campagne et tu tombes dans un marre de purin, ah, tu es tout sale, etc., et cinq minutes auparavant, tu es tombé dans une rivière, c’était de l’eau pure mais elle venait de l’usine nucléaire, qui est en haut, il y a une pollution, tu ne l’as pas vue, alors que le purin tu l’as vu, tu vas te laver après.
Régis BURNET : C’est très juste.
David MACAIRE : L’orgueil, c’est marqué, c’est caché, on ne le trouve pas tout de suite.
Régis BURNET : On arrive petit à petit à la fin de l’émission. Maintenant, les remèdes. Docteur, que faire ? En tant que confesseur, c’est compliqué à gérer, ça, quelqu’un qui est une sorte de mur en face de vous. C’est quoi votre petite vrille pour arriver à faire un petit trou ? Qu’est-ce que vous faites ?
David MACAIRE : Pour tous les autres péchés on a des trucs, pour ça, on n’a que l’humilité, j’ai envie de dire. Poser des actes d’humilité, d’abord dans la prière, la confession évidemment, poser l’acte, parfois il faut toute une éducation, même du confesseur. Une confession régulière avec la même personne, on ne discerne pas tout de suite, parce que c’est vraiment caché. L’orgueil, c’est vraiment le dernier. Puis, poser des actes d’humilité, des actes de prière, l’eucharistie, tout le dispositif que l’Église nous propose, en particulier pendant le carême, est un dispositif qui prépare le terrain à débusquer l’orgueil. Quand c’est évident, on voit le truc, par exemple la vaine gloire, la vanité, la jactance, tout ça, on le voit, c’est visible, la personne le voit bien, elle prononcer une phrase où on va dire : là, tu voies bien que tu as une ambition, un égoïsme, derrière il y a de l’orgueil, tu n’obéis pas profondément à Dieu, on sent bien que, etc. quand c’est ça, c’est une délivrance agréable. La personne pose un acte d’humilité intérieur ou extérieur, pas de problème. Mais c’est caché, cela demande une éducation. C’est rassurant, cela fait du sport pour la vie spirituelle.
Père François POTEZ : L’orgueil est un tel aveuglement que quelquefois on en vient à désirer une espèce d’accident, il faut un électrochoc pour qu’arrive quelque chose, qu’on prenne conscience, parce qu’il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Mais un acte d’adoration, se prosterner devant Dieu, « ah, mais mon père, je n’arrive pas à adorer », ah, il haut voir pourquoi, « mais moi, je ne sais pas quoi dire » On a dit l’orgueil, c’est la tentation forcenée d’être indépendant, la liberté est dans la dépendance d’amour. C’est compliquer à écouter pour des mentalités du XX-XXIème siècle, c’est difficile à entendre. On n’a pas encore fait la différence entre indépendance et autonomie. C’est bien d’être autonome, c’est bien d’apprendre à se débrouiller par soi-même, le scoutisme apprend à se débrouiller. C’est important d’être autonome, mais autonome dans une dépendance d’amour, pas n’importe quelle dépendance. Quand on a bien fait la distinction entre indépendance et autonomie, et bien avec cet acte d’adoration fondamental et la prière, est-ce que j’ose prendre du temps dans ma journée pour prier, de bruler du temps gratuitement et là on va voir, « mais ça ne sert à rien, de toute manière, moi cela ne me fait rien »,…
David MACAIRE : Pour certaines personnes, je propose un moment de silence. Silence intérieur pas de radio ni télé, etc. et silence intérieur, tu ne parles pas. Ou plus petits, par exemple le boyscout qui parle beaucoup, dans la patrouille, ce soir tu ne parles pas, tu écoutes les autres. Ou dans la famille, l’épouse ou l’époux, ce soir, tu rentres à la maison, tu parles, tu dis bonsoir, etc., mais tu écoutes, tu te mets en disposition d’écoute de l’autre. Je crois que ça, c’est un effort, certains sont dans un cheminement de… cela peut être valable, j’y pense à l’instant, dans la vie commune religieuse, tiens !…
Régis BURNET : Surtout quand on est prieur.
David MACAIRE : Se mettre dans une disposition où on va écouter. On a écouté ce que disait Saint Bernard, le moine est dans son truc…
Régis BURNET : Pourquoi le silence, ça aide ? Qu’est-ce que cela produit en fait ?
David MACAIRE : Je crois que la parole est une prise de pouvoir, une façon de se mettre en avant. Le fait de parler tout le temps exprime assez bien l’orgueil, le désir de se monter et de montrer qu’on sait, qu’on est au-dessus des autres. Ce n’est pas toujours négatif. Une classe avec des élèves qui posent plein de questions, parce qu’ils sont au courant et qui disent : au catéchisme on a vu ça, c’est intéressant, mais on sent bien celui dépasse un peu la mesure, qui lève tout le temps la main et écrase les autres. Donc, le silence, c’est une très belle éducation à l’humilité, à écouter, écouter Dieu, écouter les autres.
Père François POTEZ : Le silence creuse, « j’écoute ce que dit le Seigneur Dieu », dit le psaume. Ce que dit le Seigneur c’est la paix pour son peuple et ses fidèles. Le silence creuse quelque chose, il creuse un manque, il a le même effet que le jeûne. Du coup, j’éprouve ce manque et je prends conscience que je dépends, je me reçois. Alors que parler, être tout le temps dans le bruit, finalement je n’ai besoin de rien. Notre civilisation de bruit et de brouhaha permanent est très grave parce qu’on ne peut plus creuser cette vie intérieure. L’orgueilleux n’a pas de vie intérieure.
David MACAIRE : Et, il retrouve sa juste place.
Père François POTEZ : Oui.
Régis BURNET : On arrive à la toute fin de l’émission, et donc à la toute fin de la série. Qu’est-ce qui pour vous est le plus important dans cette série ? Mais vous allez pouvoir y répondre aussi connaissez les sept péchés. Qu’elle est l’attitude, le remède suprême finalement ? C’est quoi le remède des remèdes ? On les a tous passés en revue, on a tous l’impression d’en faire partie, on se sent tous un petit peu gourmand, orgueilleux, etc., c’est quoi pour vous la vraie arme contre le péché ?.
Père François POTEZ : Laisse-toi aimer. Laisse-toi aimer. Le péché, c’est toujours « je voudrais ma rattraper parce que j’ai l’impression que je manque de quelque chose ». Je voudrais manger du chocolat parce que… J’envie quelqu’un qui… je vais me vautrer dans la luxure, je cherche un plaisir, je cherche à combler un manque. La seule réalité qui peut me combler, c’est l’amour. Laisse-toi aimer, je dirais ça, c’est un maître mot. Et pour se laisser aimer, il faut être vulnérable. Ça, c’est vraiment Jean-Paul II qui ma’ révélé ça. La vulnérabilité. Moi, je l’appelle aujourd’hui, la sainte vulnérabilité, que je mets au-dessus de toutes les vertus, qui me rend radicalement dépendant de l’amour.
David MACAIRE : Je me doutais qu’on aller poser la question. Vraiment, aussi loin que j’ai pu aller dans mes réflexions, je pense que c’est l’eucharistie, cela rejoint ce que dit le père. D’un point de vue concret, vivre vraiment tout ce que l’Église - je prêche depuis quelques années déjà, je ne crois pas être allé jusqu’au bout, je ne sais pas si quelqu’un peut le dire - vivre vraiment l’eucharistie, écouter la parole, entre les silences, faire un déplacement avec d’autres, et puis s’offrir en sacrifice, comprendre le sacrifice du Christ, l’expérimenter, c’est une question d’expérience encore, je crois que c’est la solution. Évidemment il y a un petit côté Marie-Madeleine derrière qui touche le Christ.
Régis BURNET : Voilà une excellente transition pour le site de la Sainte-Baume, si on veut vous retrouver et retrouver l’actualité de la Sainte-Baume : www.dominicainssainte-baume (le site a changé depuis c’est désormais : www.sainte-baume.org) et vous venez de faire paraitre aux éditions Peuple libre, Les petites prières, paru le 23 avril 2015.
Père François, Merci !
Père François POTEZ : Merci à vous !
Régis BURNET : C’était pour moi un très bel exercice de carême.
David MACAIRE : Pour les auditeurs et téléspectateurs aussi.
Régis BURNET : Il faut remercier les téléspectateurs de leur fidélité. Vous pouvez toujours retrouver cette émission sur KTOTV.com. Merci de nous avoir suivis et joyeuses Pâques.
Père François POTEZ : Je vous souhaite une bonne semaine sainte et de bonnes fêtes de Pâques.