Laure Adler : Le théâtre est-il pour vous une offrande, un sacrifice ou un moyen de transmettre un message de liberté ?
Laurent Terzieff : Non, pour moi, c’est simplement un miroir que l’on tend au public et qui reflète la vie des hommes, à travers l’expérience du langage, et j’insiste bien, à travers l’expérience sans cesse renouvelée du langage. Qu’est-ce que je fais dans ce sermon ? Eh bien, je trouve que quand un texte est aussi beau que ça, eh bien il y a un pouvoir logomachique qui vous imprègne. Alors, il n’est pas question de se sentir l’archevêque, il est simplement question de se sentir porté par le mot, au-delà des mots, au-delà du filtre de l’écriture, de ce qu’il y a derrière les mots.
Laure Adler : Mais vous êtes, vous ne jouez plus, à un moment ?
Laurent Terzieff : Peut-être qu’il y a… ce n’est pas une question d’identité, ce n’est pas une question d’identification, mais il y a, si vous voulez, par moments, une espèce de… colletage congénital entre le mot… l’expression et ce qu’il y a au-delà de l’expression, ce n’est pas une question d’identité…
Laure Adler : C’est le corps-à-corps avec le langage…
Laurent Terzieff : Voilà.
Laure Adler : Mais il y a aussi votre corps, cette espèce de robe de burne, votre dos, que vous votez, votre cassure…
Laurent Terzieff : Voilà, je ne sais, il y a une… c’est ça aussi le théâtre. Moi, j’ai senti que j’étais un comédien, il y a très longtemps déjà, mais enfin - c’est venu relativement tard – quand j’ai senti vraiment que mon corps allait de pair avec le texte, avec le verbe.
Laure Adler : Parce qu’avant on vous prenez trop pour un trop beau garçon et après vous avez compris que vous pouviez faire autre chose que d’être un séducteur ?
Laurent Terzieff : Oh, non, non, non, non. Non, vous savez quand j’ai débuté, je n’avais pas du tout un physique à la mode, pas du tout.
Laure Adler : Oui, mais les filles vous aimaient bien quand même ?
Laurent Terzieff : Bien quand même, oui, heureusement.
Laure Adler : Mais au-delà même de cette séduction, que vous abdiquez complètement dans cette pièce, il y a comme quelque chose qui élève le public. Je ne vais pas prendre de grands mots mais il y a une espèce de grâce ou de sanctification. On est obligé d’employer des mots qui atteignent la spiritualité quand on vient voir Terzieff. D’ailleurs vient-on voir Laurent Terzieff ou entendre un texte ?
Laurent Terzieff : Non, non, non, on vient voir une pièce de théâtre, simplement le théâtre a une fonction sublimante et cathartique, elle apporte un troisième œil de visionnaire au public, c’est ça que j’essaye de faire, moi, à travers le théâtre. Le théâtre, c’est mille choses mais c’est surtout une expérience collectivement vécue, grâce...
Laure Adler : Mais qui peut changer la vie…
Laurent Terzieff : Bien sûr…
Laure Adler : Quand on sort, là, et qu’on descend cette rue du Théâtre de l’Atelier…
Laurent Terzieff : Bien sûr, bien sûr… Je sais qu’on a beaucoup glosé là-dessus, mais je pense, je pense très profondément, que la réalité vécue entre dans le monde des idées, donc dans le monde du théâtre…
Laure Adler : C’est-à-dire ?
Laurent Terzieff : Le monde des idées, c’est le monde des idées sur la place publique, n’est-ce pas, vécu collectivement par la fiction ; et le monde des idées modèle à son tour l’histoire, donc je pense que le théâtre -contrairement à ce qu’on a beaucoup dit - peut modifier notre histoire, dans la mesure où la réalité vécue rentre dans le monde des idées, que le monde des idées à son tour modèle l’histoire.