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Les dangers du wokisme, par Jean-François BRAUNSTEIN

Transcription, par Taos AÏT SI SLIMANE, de la conférence de Jean-François BRAUNSTEIN, « Les dangers du wokisme » à l’Institut Diderot, le 09 février 2023

La conservation du style oral pour les transcriptions de ce site permet de rester au plus près des dits des locuteurs, et de ne risquer aucune interprétation. Évitez les copier-coller, vous aurez plus de chance de profiter d’un document de meilleure qualité en faisant un lien, sachant que j’apporte des corrections à chaque lecture ou sur propositions d’autres lecteurs, voire des intervenants, quand ils font des corrections, des ajouts, etc.

Pour toute observation, contactez-moi à cette adresse : tinhinane[arobase]gmail[point]com

Informations complémentaires : Sur ce site, vous trouverez également deux interventions de J.F. BRAUNSTEIN sur les ondes de France Culture, relues et corrigées généreusement par ses soins :
  Georges Canguilhem, sur les ondes de France Culture
  Sciences et conscience / Canguilhem

Jean-Claude SEYS : Bonjour à tous et bienvenue pour cette réflexion sur le wokisme animé par Jean-François BRAUNSTEIN. Je le remercie beaucoup de son intervention, bien évidemment, Je le remercie aussi parce qu’il nous a permis de battre deux records avant même de prendre la parole : l’annonce de son intervention a provoqué 80000 vues sur Twitter, je ne sais pas si vous vous rendez compte que c’est 80000, et deuxièmement, il nous a permis aussi de battre le record d’insultes que nous avons reçu parce que nous avons là abordé un sujet, qui évidemment est tabou, nous avons probablement blasphémé.

Alors, merci monsieur BRAUNSTEIN, André va vous présenter maintenant, je lui cède la parole.

André COMPTE-SPONVILLE : Bonjour à tous.

Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme disait Marx en 1848, presque deux siècles plus tard, on a envie de dire « un spectre hante l’Europe », plus encore les Amériques. Un spectre hante le monde, le spectre du wokisme. C’est devenu aujourd’hui un sujet de débat passionnant, plus souvent passionné, parfois d’une violence étonnante. Jean-Claude évoquait des insultes à l’instant. Donc, je suis très content d’accueillir, pour en parler, Jean-François BRAUNSTEIN, qui est un ami et un collègue, professeur de philosophie, il a enseigné en lycée, en École normale d’instituteurs, comme quelques-uns d’entre nous, et puis pendant longtemps dans le supérieur, en l’occurrence son dernier poste était à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, où il est toujours aujourd’hui professeur émérite.

Jean-François est un philosophe, spécialiste de l’histoire des sciences, spécialement de l’histoire de la médecine. Il est aussi le président de la Maison Auguste Comte, immense philosophe quelque peu sous-estimer, me semble-t-il, aujourd’hui. Et, il a publié récemment ce, ce sont ces deux derniers livres, il y a quelques années, « La philosophie devenue folle : Le genre, l’animal, la mort », où il s’inquiète des limites qui sont en train de se perdre entre la vie et la mort, entre les sexes, etc., et puis tout récemment « La religion woke », que nous avons le plaisir de vous offrir, qui a bien voulu nous présenter aujourd’hui.

Jean-François, encore merci d’avoir accepté notre invitation. La parole est à toi, pour 45 minutes.

Jean-François BRAUNSTEIN : Merci !

Merci à Jean-Claude SEYS pour son invitation.

Merci à André, que je connais depuis de longues années. J’ai évidemment une pensée particulière pour Dominique LECOURT, esprit libre et curieux, que j’aimais beaucoup et qui nous manque aujourd’hui, justement sur ce genre de sujet, je pense.

Il est vrai qu’effectivement, il y a quelques années, mon dernier livre portait sur « La philosophie devenue folle », il s’inscrivait tout à fait dans le cycle de conférences, qui est celui de cette année, je crois, la question de l’effacement des limites, l’effacement des frontières, dans trois domaines : le genre, effacer la distinction masculin féminin ; l’animalisme, effacer la distinction homme animal, et ce que j’appellerai l’euthanasisme, c’est-à-dire effacer le caractère tragique de la mort en tout cas.

Évidemment, il y a une différence, à mon avis centrale, entre ce projet d’effacement des frontières, et le projet moderne, qui était le projet de toujours repousser les limites, la devise de Charles Quint : plus ultra, aller toujours plus loin. Il s’agissait dans ce livre de thèses philosophiques qui, au nom de la bienveillance, luttent contre les discriminations : bien-être animal, bien mourir, etc., et au nom d’une logique purement abstraite pouvait conduire à des conséquences qui me semblaient plausibles et très dommageable d’une certaine manière, par exemple la justification de l’infanticide, par exemple la distinction entre les vies dignes d’être vécues et les vies indignes d’être vécues. Tout cela n’était que de la philosophie, mais je craignais effectivement que ces idées aient des conséquences, et de fait, ces conséquences sont venues plus vite que je ne le pensais, et ont très vite traversé l’Atlantique, notre quotidien est désormais rythmé par toute une série d’absurdités, de propositions paradoxales, en particulier autour de la question du genre, autour de la question de la race, et autour de la critique de la science, parce que je crois qu’au-delà de la race et le genre qu’on voit très clairement, il y a effectivement une attaque tout à fait délibérée contre la science objective, contre la connaissance scientifique. On va voir que c’est un des points essentiels de cette doctrine woke.

Alors, ces idées wokes sont là aussi, comme dans les idées précédentes, des idées bien sûr bienveillantes, c’est des idées de progrès, contre les discriminations, contre le racisme, contre le mépris des savoirs dominés, etc., mais elles ont des conséquences tout à fait déplorables, on va voir que d’une certaine manière il me semble qu’elles conduisent à des points de vue extrêmement paradoxaux, absurdes et toxiques, si je puis dire, problématiques, comme diraient les wokes, puisque c’est le mot qui est désormais à la mode. Ces idées sont en plus désormais sorties des universités. Elles sont d’une certaine manière, me semble-t-il, la pensée dominante dans le monde, je précise, occidental. De ce point de vue-là, il est tout à fait étonnant de voir à quel point le monde extérieur nous regarde avec étonnement, ou avec effarement, et on sait aussi que ces idées wokes sont d’une certaine manière un argument pour nos adversaires. On e voit avec Poutine et la question du genre. On le voit avec les Chinois et Black Lives Matter, qui est instrumentalisé pour dire que les Américains sont racistes. On le voit avec les chaînes islamistes, comme AJ+, par exemple qui font la propagande LGBTQIA+, etc., alors qu’on connaît quand même le sort qui réservé aux homosexuels dans cette doctrine islamiste.

De ce point de vue-là, effectivement quand je faisais cours à la fac, mes études chinois d’abord riaient quand je leur expliquais de ce qui se passait, puis ils étaient effondrés, à la fin, ils me disaient : « Ne vous inquiétez pas, vous pourrez venir continuer à enseigner chez nous … » C’est ce que j’avais sans doute me promettre de faire.

Il y a toutes sortes d’exemples, chaque matin on peut ramasser dans la presse toutes sortes d’exemples. Récemment une prof de danse de Sciences Po est obligée de quitter Sciences Po parce qu’elle ne veut dire homme et femme dans son cours de danse, plutôt que leader et follower. Hier, viennent d’arriver des nouvelles de deux théâtres canadiens, qui au nom de l’antiracisme font des pièces de théâtre interdites aux Blancs et aux Asiatiques, comme ce n’est pas possible de le faire légalement, il y aura quelqu’un à l’entrée pour dire aux Blancs et aux Asiatiques qu’ils ne sont pas les bienvenus. Il y a quelques semaines est apparu le fait que les étudiants en médecine de l’Université du Minnesota ne prêtent désormais plus serment à Hippocrate, mais ils s’engagent à combattre la binarité sexuelle, le suprématisme blanc et la médecine occidentale, qu’il faudrait remplacer par des savoirs indigènes. C’est une vraie fac de médecine, tout cela se fait sous la direction d’un professeur diplômé de Johnson C. Smith, qui est la meilleure fac de médecine américaine. On voit des conséquences de ce point de vue-là dans la vie de tous les jours, de plus en plus d’écoles, des collèges qui demandent aux enfants, y compris en France, par quel pronom ils veulent être désignés : il, elle, ou iel, ou quoi que ce soit d’autre. On voit que l’écriture inclusive fait une pression considérable, quasiment tous les courriers que je reçois à la fac sont en écriture inclusive. Les conférences sur le genre sont empêchées dans les entreprises, les collègues qui veulent faire des conférences sur le genre n’arrivent pas à les faire. J’ai battu aujourd’hui, semble-t-il, le record d’insultes, ça ne m’étonne pas vraiment.

Ce que je voudrais dire, c’est que derrière ces apparents fait de société, qui semblent partir un petit peu dans tous les sens, il me semble qu’il y a une vision du monde assez cohérente, qu’il me semble possible de caractériser de façon à peu près claire, pour mieux en comprendre le succès, qui est indéniable, au moins dans une partie importante de notre population.

Dans cette présentation, je voudrais faire deux choses : d’abord justifier la raison pour laquelle j’ai choisi de parler de wokisme alors que je savais que ça allait m’attirer des soucis, non seulement du wokisme, mais pas d’idéologie woke mais de religion woke, il me semble que ça à bien des caractéristiques d’une religion. Et, dans un deuxième temps, je présenterai les idées qui composent ce corps de doctrine, qu’il est relativement simple de synthétiser, puisqu’on peut les réduire à 3 ou 4, ou 3 + 1 disons : deux théories anthropologiques, une théorie pratique et politique, et une théorie de la connaissance. C’est quelque chose qui est assez simple, et il me semble que lorsqu’on regarde les phénomènes actuels avec cette grille de lecture, on comprend mieux ce qu’il en est.

Premier point, la question de la religion woke. Le terme woke, tout le monde commence à savoir de quoi il s’agit, il signifie éveiller dans la langue populaire afro-américaine, dans la culture rastafari d’abord, Marcus Garvey dans les années 20 qui parle de « wake up Africa ! », il faut se réveiller d’une certaine manière, puis dans le reggae, vous connaissez tous Bob Marley sur ce point, et dans le rap, Erykah Badu en 2008, dans sa chanson « Master teacher stay woke », est la première à vraiment employer ce terme de cette manière. Petit à petit, depuis une dizaine d’années, ce terme s’est de plus en plus répandu aux États-Unis, et contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas l’extrême droite qui a sorti ce terme en premier, la première mention, si je puis, dire officielle, c’est dans le film de présentation de Black Lives Matter, le mouvement bien connu, qui en 2017 a fait un film de présentation qui s’appelle « Stay woke », et à la suite de la mort de George Floyd, ce terme woke s’est beaucoup répandu.

Woke, cela veut dire éveillé, et si l’on voulait le traduire en langage postmarxiste, ce qui est quelquefois le cas, cela serait conscientisé. Il faut essayer d’être conscient et de devenir conscient des injustices, etc.

Aujourd’hui, le terme est abandonné par les wokes, qui commence tout de suite par dire que le terme qui les désigne n’existe pas, ce terme serait péjoratif, serait employé par l’alt-right américaine, l’extrême droite américaine. Effectivement, si on utilise le mot woke, comme je le fais, c’est pour ça qu’il y a beaucoup de d’insultes, parce que vous auriez dit le politiquement correct, cela n’aurait pas été du tout la même chose. Le terme est abandonné, parce que d’une certaine manière ce terme a des connotations largement péjoratives. Lorsqu’on voit par exemple la fameuse vidéo d’Evergreen College, la première prise en main d’une université par des wokes, on se dit : ça jamais, ça ne passera par moi, mais à ce moment-là ils disent : nous ne sommes pas des wokes. Ils se présente plutôt aujourd’hui comme des social justice warriors, les guerriers de la justice sociale. Qui pourrait être hostile à l’idée de justice sociale ? C’est comme cela qu’ils veulent être appelés. Il me semble que ce n’est pas une bonne idée, parce que en fait il ne s’agit pas simplement de justice sociale, il ne s’agit pas simplement de corriger telle ou telle abus, il s’agit très clairement d’une nouvelle vision du monde. Il s’agit d’une vision du monde globale, et de ce point de vue-là, me semble-t-il, le mot woke a bien des avantages. D’abord parce qu’il permet de bien décrire l’état d’esprit de ses adeptes, ils sont éveillés, au sens où on parle d’un éveil religieux, et par ailleurs, l’autre avantage, c’est que cela fait signe vers ce qu’on a appelé aux États-Unis les grands réveils religieux, le Great Awakenings au XVIIIe et XIXe siècle, qui ont bouleversé l’Amérique de manière répétée. Et, d’une certaine manière, on va voir que beaucoup d’historiens du protestantisme américain insistent sur le les similitudes avec ce mouvement woke.

Il y a une autre raison, dont je vous parlerai plus tard, c’est que je pense que ça n’a rien à voir avec la French Theory, contrairement à ce que l’on dit, je vous dirai pourquoi cela n’a pas avoir, et de ce point de vue parler de religion woke, c’est dire : attention ce n’est pas juste de la French Theory qui nous revient à la figure, c’est autre chose. Il me semble que c’est autre chose, et si vous avez quelquefois échangé avec des wokes, essayé d’échanger avec des wokes, vous comprenez qu’il s’agit de bien-être autre chose.

Alors, pourquoi le terme de religion ? Pourquoi je suis arrivé à cette caractérisation ? Ce qui était le plus étonnant pour moi, c’était de voir des gens, j’en parlais tout à l’heure avec André, que je connais depuis 30 ans, qui sont de grands savants, qui sont des gens extrêmement intelligents, cultivé dans leur domaine, qui du jour au lendemain embrassent ces causes et effacent d’une certaine manière tout ce qu’ils ont fait jusque-là. Je donnerai comme exemple un professeur de littérature classique aux États-Unis, qui a décidé d’arrêter d’enseigner les humanités classiques, parce qu’elles sont le résultat d’une époque raciste, viriliste, esclavagiste, etc. On voit des biologistes qui, du jour au lendemain, disent la biologie n’est pas une science, c’est une discipline politique, j’arrête la biologie, etc. Dans ma fac, des gens, que je connais depuis 30 ans, qui du jour au lendemain, parce que j’ai écrit le premier bouquin, je n’imagine pas ce qu’il en est maintenant, refusaient absolument de discuter avec moi, de débattre, d’argumenter. Des amis de 30 ans. Des amis de 30 ans, on sait ce que c’est en politique. De ce point de vue-là, je me disais que c’est très étrange, comment des gens intelligents peuvent-ils croire à des choses aussi absurdes ? La biologie n’est pas une science, le corps n’existe pas, si on veut être antiraciste il faut être raciste, etc. Tout d’un coup, je me suis dit : évidemment s’ils croient ces choses absurdes, ce n’est pas malgré leur absurdité, mais c’est justement parce qu’elles sont absurdes. Il me semble qu’ils croient tout cela parce que c’est absurde, et j’ai pensé évidemment à la fameuse phrase de Tertullien, que les philosophes parmi vous connaissent, Credo quia absurdum, « Je crois parce que c’est absurde », cette phrase qui est d’ailleurs avancée pas tout à fait sous cette forme, dans un autre dans un texte de Tertullien où il discute avec des marcionites, des gnostiques. C’est là que je me suis dit, c’est une vraie religion, on ne peut plus discuter, ils ont le sentiment de voir un monde que nous ne verrons pas, ils ne veulent pas discuter avec nous, l’argument : « ça ne va pas », c’est quelque chose qui est tout à fait étonnant. Ils ont le sentiment d’arriver à une nouvelle vision du monde, d’accéder à des vérités inaccessibles au commun des hommes, par exemple l’idée que le corps ne compte pas, seule compte la conscience, c’est quand même assez osé comme proposition, ou l’idée qu’il y a un racisme d’atmosphère, c’est-à-dire qu’il y a toujours du racisme même s’il n’y a pas de racistes, c’est quelque chose d’assez étonnant, ou dire que les mathématiques sont des sciences racistes et virilistes, c’est assez énorme, il faut oser aller jusque-là. Il me semble que c’est vraiment une vision globale du monde, cela se voit d’ailleurs dans l’enthousiasme, l’exaltation qui est celle des militants wokes, voire la vidéo d’Evergreen College, qui est tout à fait étonnante, ou une vidéo hallucinée d’une jeune collègue, qui dit que la cuisine française est éminemment raciste, avec un air tout à fait inspiré, si je puis dire, voire aussi les réactions qu’il y a eu au Colloque des rares dissidents, que nous avons organisé à la Sorbonne il y a un an, on nous a traités de tous les noms, des manifestations, des demandes l’interdiction, nos universités qui ont pris fait et cause contre nous, etc. C’est tout à fait étonnant, il y a un véritable enthousiaste. Il y a aussi, surtout au lendemain de la mort de George Floyd, toute une série de rites, que l’on a pu observer à la suite de la mort de George Floyd, des demandes de pardon, des agents agenouillements, pour s’excuser de cette mort, même si on vit à l’autre bout du monde, et qu’on est en rien responsable de la mort de George Floyd, le lavement de pieds des Noirs par des Blancs, notamment des policiers Blanc, des fresques à la gloire de George Floyd, qui retracent les étapes de sa passion, et aussi toute une série de textes sacrés, que les wokes vous présentent comme argument : mais vous n’avez pas lu les études de genre de BUTLER [1], vous n’avez pas lu le livre de Kennedy sur la race [2], etc., textes qui pour les philosophes ne sont quand même pas des textes extrêmement consistants, si je puis dire.

Autre aspect religieux, évidemment beaucoup de croyants m’ont dit : « attention, c’est horrible ce que tu dis, la religion, ce n’est pas possible ! … » Évidemment, c’est la religion au pire sens du terme : sectarisme, refus du débat avec ceux qui ne sont pas d’accord, qui incarnent le mal, ce qui résume le mieux cela à mon avis, c’est cette vidéo d’Evergreen College, qui est vraiment extraordinaire, que je vous conseille de regarder, il y a un seul professeur qui résiste à cette prise de pouvoir par les wokes, qui s’appelle Bret WEINSTEIN, c’est un professeur biologie, il essaie d’argumenter pourquoi il ne veut pas se plier aux nouvelles règles éditées par les wokes, et au bout d’un moment l’un des militants lui dit : « Arrête avec des argumentations, arrête de raisonner, la logique c’est raciste ». La logique, c’est raciste, c’est une proposition que je trouve quand même assez bouleversante. Si la logique c’est raciste, c’est vrai que toute l’université, toute l’argumentation doit tomber. C’est très étonnant de voir à quel point ils refusent de débattre. Plusieurs personnes, dans des journaux ou autres, qui ont essayé d’organiser des débats avec des wokes, ils ont tous, sauf un pour, des raisons très particulières, refusé de discuter, parce que je suis le mal d’une certaine manière.

Il y a effectivement derrière ce sectarisme bien sûr cette culture de l’annulation, ce qu’on appelle la cancel culture, la volonté d’éradiquer de notre histoire, de notre culture tout ce qui semble offensant pour nous. Donc, il faut reconstruire l’histoire à partir de zéro, c’est un iconoclasme radical, d’une certaine manière. Il ne faut plus étudier Voltaire, car il a quelques phrases antisémites, c’est vrai qu’il a dit quelques propos antisémites, mais ce n’est pas l’œuvre de Voltaire, Hugo est raciste, il semblerait qu’un de mes jeunes collègues à Paris 1, enseigne, en début de ses cours sur Platon, que Platon est un philosophe blanc, ce qui est pas très bon pour lui, c’est déjà bien qu’on en fasse quand même un cours, mais philosophe blanc, je sens que ça va mal se passer pour lui. Ne parlons pas l’Aristote, qui justifie l’esclavagisme et qui pense que la production d’une femme, c’est le premier signe de l’échec dans la forme de la procréation.

Et, autre aspect qui me semble assez notable, c’est le prosélytisme de ces militants wokes, notamment en direction des jeunes et des adolescents, en particulier dans le secondaire, on voit qu’il y a toute une série d’associations qui font la promotion notamment du changement de genre, mais aussi d’une vision communautariste et victimaire. Le syndicat SUD-éducation, pour ne pas le nommer, propose effectivement que les enfants puissent changer de genre à l’école et surtout que les parents ne soient pas prévenus. Ce qui a mis longtemps à arriver aux États-Unis, maintenant c’est chez nous, c’est quelque chose de tout à fait étonnant.

Il est évident aussi que ce prosélytisme est justifié, parce qu’il n’est pas si évident que ça de convertir des adultes compétents, si je puis dire. Il y a effectivement quelque chose de très étonnant dans cette volonté prosélyte, et on voit que les jeunes sortis de nos universités, et convertit dans les universités, sont maintenant professeurs, la génération honnie des boomers est en train de laisser la place, je pense qu’il y a beaucoup, je ne dirais pas de militantisme, de prosélytisme dans les écoles.

Ça, c’est le premier point, c’est une vision du monde global. Il faut voir d’autre part que c’est une religion post-protestante, je crois que ce terme de réveil a vraiment l’intérêt de nous renvoyer à ces grands réveils protestants du XVIIIe et du XIXe siècle, Joseph BOTTUM, l’historien américain du protestantisme, monte que cette montée du wokisme est corrélative de la baisse du protestantisme mainline, le protestantisme principal américain, plutôt modéré, etc. Il explique qu’il y avait effectivement 50% des Américains qui se déclaraient protestants en ce sens en 1965, il n’y en a plus que 10 % aujourd’hui. Ces élites américaines WASP étaient protestantes mainline, maintenant elles sont wokes, ce que ce que montre très bien BOTTUM et d’autres historiens du protestantisme américain, c’est qu’effectivement depuis le début du XXe siècle, la question du péché n’est plus aux États-Unis une question individuelle, elle est devenue une question sociale. Le mal est dans la société, et on peut guérir le mal dans la société. C’est ce courant que l’on appelle le social gospel, de Walter RAUSCHENBUSCH, au début du XXe siècle. Comme il y a quelques philosophes dans la salle, je signale que c’est le grand-père de RORTY, ce qui est assez étonnant. Donc, c’est une religion post-protestante, c’est une religion puritaine, il s’agit de séparer les purs et les impurs, de séparer les bons et les méchants, en fonction de leur comportement, et l’essentiel c’est effectivement que l’on fasse la confession de ses privilèges. De ce point de vue-là, cette volonté de poursuivre le mal, et de le marquer d’une manière indélébile, fait que beaucoup de collègues universitaires américains se rappellent effectivement de « La Lettre écarlate » de HAWTHORNE, le grand livre de HAWTHORNE, la marque indélébile de la femme adultère. Là, aujourd’hui, la marque anti-woke, si vous voulez, est également indélébile. Si je suis considéré comme raciste, transphobe, etc., ça ne disparaîtra pas de sitôt, parce qu’il y a la mémoire infinie des réseaux sociaux. Effectivement, je comprends de ce point de vue-là que beaucoup de jeunes collègues m’écrivent et me disent : « Je suis d’accord avec toi, mais tu comprends bien que je ne peux pas le dire, parce que je ne suis pas titularisé … parce que j’ai besoin de crédits de recherche … parce que je veux que mes doctorants trouvent un job, etc. » Effectivement, c’est quelque chose qui est assez fort, et cette mort sociale qui nous est promise est quelque chose dont on ne se défait pas plus que de « La Lettre écarlate » de HAWTHORNE.

Par ailleurs, c’est une religion extrêmement pessimiste, ça rappelle les serments terrifiants, que je cite dans le livre, de Jonathan Edwards, lors du premier grand réveil, avec l’idée de la double prédestination. Il y a la promesse de ceux qui sont sauvés, mais il a surtout la promesse de ceux qui sont damnés. L’enfer est à la porte, il faut se repentir dans des séances qui sont souvent très émotives, très spectaculaires, comme le sont les séances de militantisme woke.

J’ajouterai aussi, c’est là qu’on voit que c’est dans la continuité de la religion des élites américaines, que c’est une religion des élites blanches, des universités d’Ivy Leangue, de grandes universités américaines. Il y a là-dessus un jeune chercheur, je crois qu’il n’a pas encore fini son doctorat, qui a eu une idée très intelligente, il a parlé à ce propos de ces croyances, de ce qu’il a appelé des croyances de luxe. Croyance de luxe, c’est-à-dire que pour affirmer, - s’acheter des sacs Vuitton, tout le monde peut plus ou moins le faire, si on économise beaucoup - par contre avoir des idées extrêmement paradoxales, c’est la preuve qu’on est vraiment quelqu’un de qui vit dans un monde particulier. Il parle par exemple d’une de ses camarades, lui est un enfant de l’Assistance publique, il a travaillé des études en faisant l’armée, en travaillant, c’est un prolo, comme on dirait, qui arrive dans ces universités, il parle d’une de ses collègues étudiantes, qui lui dit : « Moi je suis contre le mariage monogame, c’est complètement dépassé », puis il va un peu plus loin, il discute avec elle, il se rend compte que toute la famille de cette jeune fille est monogame et qu’elle aussi va se marier bientôt d’une manière monogame traditionnelle, alors qu’elle professe que le mariage s’est dépassé, c’est quelque chose tout à fait étonnant. Autre exemple de croyance de luxe, qui est arrivé depuis, c’est le slogan assez incroyable de dé-financer la police, pour dire ça, il faut, comme on le note, vivre dans une communauté fermée, se déplacer avec dans un taxi uniquement, avoir un service de sécurité privée … Personne de normal ne peut dire qu’il faut dé-financer la police, d’ailleurs lorsque ça a été appliqué, par exemple à Portland, à la suite de Black Lives Matter, l’augmentation des homicides c’était de 83% en un an, mais ce sont des croyances de luxe. Effectivement, professer des choses de cet ordre, c’est un signe de distinction extrême. Je crois que ce cet étudiant a touché quelque chose d’assez vrai.

Alors, autre point qui fait une vraie différence avec le christianisme, c’est que c’est une religion sans pardon. C’est ce que dit Joshua MITCHELL, le grand spécialiste de Tocqueville, qui dit qu’il y a effectivement dans cette religion woke un équivalent du péché originel, c’est le privilège Blanc, mais ce privilège Blanc, à la différence du péché originel, il n’est pas possible de l’effacer. Il n’y a pas de baptême qui efface ou qui pardonne ce privilège Blanc. La seule chose que l’on puisse faire, c’est comme ils disent « check your privilege », reconnaître ses privilèges, s’en excuser, tenter de s’en excuser, mais on reste toujours Blanc, c’est ça qui est assez étonnant. On en parlera peut-être d’ailleurs tout à l’heure, on peut changer de genre, on ne peut pas changer de race, ce qui semble, bon … Ça se discute … C’est un point intéressant, il y a des livres entiers écrits sur cette question par les wokes. On ne peut pas échapper au privilégiement. Il y a un autre péché qui est un petit peu mineur, mais qu’il faut aussi confesser, c’est bien sûr la masculinité toxique, il y a la blanchité et il y a la masculinité toxique. Là aussi, ce n’est pas très bon, mais on peut toujours essayer de son de s’en excuser, notamment en se déconstruisant. Il y a une femme politique française, qui est très heureuse que son homme soit déconstruit. C’est une hypothèse, il faut essayer de se déconstruire, ou éventuellement changer de genre, si cela est possible. Il est possible si on est un homme de devenir une femme, il suffit de le déclarer d’une certaine manière. Vous voyez que c’est quand même une religion de ce point de vue-là, avec moins de perspectives, si je puis dire, de salut que la religion chrétienne. C’est un point qui est tout à fait étonnant, c’est qu’il n’y a pas d’eschatologie, il n’y a pas une doctrine des fins dernières de l’homme et du monde, il n’y a pas, à la différence des religions séculières du XXe siècle, le marxisme par exemple, il n’y a pas d’avenir radieux. Ce qui est très étonnant chez tous ces auteurs, c’est qu’il y a une vision extrêmement pessimiste de l’avenir humain, en particulier chez les théoriciens de la race, les théoriciens critiques de la race, par exemple Ibrahim X KENDI, qui lui-même un cancer, qui dit : « Le racisme, c’est un cancer que l’on ne guérira jamais », ou le vrai fondateur de la théorie de la race Derrick BELL, qui explique, dans une nouvelle de science-fiction, que si des extraterrestres venaient, atterrissaient aux États-Unis et proposaient d’échanger tous les noirs des États-Unis contre des technologies dépolluantes, bien sûr tous les Américains voteraient pour se débarrasser des Noirs, et les Noirs repartiraient en soucoupes volantes, comme ils sont arrivés dans les bateaux des négriers. Les seuls qui de voteraient pas pour cela, dit-il, c’est les Juifs, parce que les Juifs, s’il n’y avait plus les Noirs, seraient les premières victimes, les racistes de remplacement. Vous voyez, des choses assez délirantes, qui indiquent que pour eux le racisme ne pourra jamais se terminer, quoi qu’il arrive, le racisme persistera toujours.

Il y a une autre perspective eschatologique, si l’on veut, mais qui n’est guère plus optimiste, c’est évidemment l’écologisme apocalyptique, le catastrophisme, on va vers une disparition de la planète, sous l’effet notamment du privilège Blanc. Voire, par exemple Sandrine ROUSSEAU, parce que c’est la plus connue en France, qui parle non pas d’anthropocène mais d’androcène, c’est-à-dire que ceux qui ont saccagé la planète ce sont les hommes Blancs occidentaux, et c’est eux qui sont responsables de tout cela, c’est l’homme Blanc européen qui a saccagé la planète.

Évidemment, lorsque je parle de tout ça, on me dit : « Est-ce que ce n’est pas une secte tout simplement ? » Je dirais, oui, c’est une secte, c’est une mauvaise nouvelle, et non, c’est une religion, parce qu’évidemment c’est une secte qui a largement réussi. On voit très bien qu’aujourd’hui cette religion a conquis une bonne partie du monde universitaire occidental, une bonne partie des médias, de la culture, des entreprises, etc. Et c’est une secte et c’est inquiétant parce qu’évidemment dans mon bouquin je cite un livre extraordinaire, que vous connaissez sûrement, le livre de FESTINGER, « L’Échec d’une prophétie », le grand livre de psychologie sociale, c’est une étude qui a été menée en 54-55 par un sociologue et ses élèves. Une mère au foyer annonce que le monde va disparaître le 25 décembre qui suit sous l’effet d’un déluge, elle prêche, réunit des gens pour prêcher et essayer d’éviter ce déluge. FESTINGER a eu la très bonne idée de rentrer avec quelques-uns de ses étudiants dans cette secte, pour voir ce qui allait se passer le lendemain du 25 décembre, il se doutait bien que ça n’allait pas s’arrêter. Il y va se rend compte que le 25 décembre la soucoupe n’atterrit pas, le monde n’est pas enseveli sous un déluge, et il y a un moment de difficulté, ce qu’on appelle la dissonance cognitive, c’est de là que grosso modo date cette expression, mais ce que dit la Marion KEECH, la leader de cette secte : « Ouf, c’est parce qu’on a énormément prié que le monde n’a pas disparu, c’est bien la preuve que notre religion marche », et elle continue, ça ne va pas se défaire tout de suite. On pourrait se dire que du jour au lendemain ça s’arrête, cela ne s’arrête pas de cette manière, et la conclusion de FESTINGER vaut me semble-t-il pour les wokes, « L’homme de foi - dit-il – est inébranlable, dites-lui votre désaccord, il vous tourne le dos, montrez-lui des faits et les chiffres, il vous interroge sur leur provenance, faites appel à la logique, il ne voit pas en quoi cela le concerne » C’est amusant, la logique ce n’est pas son problème. De ce point de vue-là, je pense que c’est une mauvaise nouvelle, si je puis dire, parce qu’il me semble que c’est un immense problème qui se pose à nous, on ne va pas s’en sortir avec l’argumentation.

Dernier point, ça me semble être le point essentiel, même s’il a rarement été noté, cette religion c’est à ma connaissance la première religion universitaire, c’est la première religion qui soit née dans les universités, c’est rarement noté. Évidemment, les universités médiévales ont enseigné le christianisme, mais c’était né en dehors. Les universités du XIXe siècle, fondées sur le modèle des universités de recherche allemande, sont des lieux de science, sont les lieux de critiques scientifiques, ce sont des lieux où les religions ont plutôt été étudiées, disséquées historiquement, plus qu’elles n’ont été embrassées d’une certaine manière. Effectivement, on se trouve dans une situation tout à fait étonnante où le lieu de la science, de la raison, des Lumières, le lieu qui est théoriquement le conservatoire de l’argumentation scientifique, des échanges, est un lieu qui est le plus religieux, le plus haut au monde. Je rappelle de ce point de vue-là l’Article L141-6 du code de l’éducation, qui expliquait exactement ce que devait être l’enseignement supérieur [3] : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir, il respecte la diversité des opinions. Le professeur d’université est libre de son expression, dans les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires, les principes de tolérance et d’objectivité » Ces principes sont bafoués de part en part, il n’y a plus la moindre diversité d’opinion, et il est très difficile de faire respecter la diversité d’opinion dans les universités. Il n’y a plus de recherche de la connaissance objective, il n’y a plus d’échanges d’arguments, c’est quelque chose qui est tout à fait grave. C’est d’autant plus grave, et ça, c’est d’un point de vue de diffusion, que nous sommes maintenant dans une économie de la connaissance, ce que dit très bien un journaliste américain, gay et très progressiste, qui dit : « Nous vivons tous sur les campus maintenant », Andrew SULLIVAN. Le problème, c’est que cette religion des universités, c’est de fait la religion des gens qui sortent de ces universités, les GAFAM, les grandes entreprises internationales, les médias, la culture, etc. Donc, de ce point de vue-là, il semble tout à fait important de voir que c’est une religion universitaire, cela ne s’est jamais produit dans l’histoire, et c’est quelque chose qui me semble extrêmement préoccupante.

Par ailleurs, mais je ne vais trop pas insister là-dessus, si je parle de religion, je ne pense pas qu’il cela ait à voir avec la French Theory, si j’insiste sur cet aspect religieux c’est pour cela. Pourquoi les intellectuels français disent que c’est de la French Theory ? C’est de l’hubris, on croit que nous prédécesseurs ont inventé quelque chose qui saccage la terre entière, c’est évidemment un orgueil mal placé, d’une certaine manière. Il y a toute une série de différentes. D’abord différence de style : les DERRIDA, FOUCAULT, LACAN, etc., sont des auteurs ironiques, ce sont des auteurs mobiles, d’une certaine manière. Là, nous avons à faire à des militants tout à fait bornés. Deuxième différence, les auteurs de la French Theory, quoi qu’on dise, ne sont pas vraiment des politiques, ils proclament au contraire la fin des grands récits, la fin de la politique ; et surtout les wokes sont des penseurs identitaires, de race, de genre, etc., alors que les penseurs de la French Theory sont des critiques de l’identité, de la notion de sujets. D’ailleurs, les théoriciens du genre et de la race les plus subtils se rendent compte qu’il ne faut rien reprendre à ce qu’ils appellent ces mâles Blancs morts, ces théoriciens de la French Theory, parce qu’ils critiquent l’identité. Comme Bell HOOKS, une des plus brillantes de ces auteurs : « Nous ne devons pas nous référer à eux, la critique de l’identité, c’est un luxe de riches, qui sont déjà pourvus d’une identité. Oui, c’est facile - dit-elle – d’abandonner une identité quand on a une, pour nous effectivement il ne s’agit pas de critiquer l’identité. »

Je vais essayer d’accélérer un petit peu, je suis peut-être en retard

Le deuxième point, le contenu de cette religion. Il y a trois théories et une philosophie de la connaissance. Deux théories anthropologiques : théories du genre, théorie critique de la race ; une théorie politique, la théorie de l’intersectionnalité, et une philosophie de la connaissance, ce qu’ils appellent l’épistémologie du point de vue. J’insisterai un peu plus sur la théorie du genre, dans la mesure où il me semble que c’est la thèse qui est au cœur de cette religion woke. Comment résumer la théorie du genre ? J’ai repris ce que dit un livre de coloriage de Black Lives Matter, destiné aux enfants du primaire, qui est très répandu dans les classes américaines, je vous le lis : « Tout le monde a le droit de choisir son propre genre en écoutant son cœur et son esprit. Chacun a le droit de choisir s’il est une fille ou un garçon, ou les deux, ou aucun des deux, ou autre chose, et personne d’autres n’a le droit de choisir pour lui. » C’est ce qu’on enseigne aux enfants dans les écoles primaires. Cela veut dire que le corps n’existe pas. Seule compte la conscience que l’on a d’être homme, femme, ou n’importe quoi d’autre. Il y a l’idée qu’on peut être dans le mauvais corps, qu’on est tombé dans le mauvais corps, cela se voit avec l’expression assignée mâle ou femelle à la naissance, comme si c’était imposé, comme si effectivement cette identité était imposée de l’extérieur, que c’est quelque chose qui pouvait être contraire à ce que souhaiterait l’enfant. Je ne vais entrer dans cette théorie du genre, mais c’est une vieille histoire. Ça commence dans les années 1950, avec John MONEY, bien avant les penseurs de la déconstruction. C’est le modèle de toutes les théories ultérieures wokes pour l’implémentation globale. Pourquoi cette promesse séduit-elle ? Il me semble que c’est la plus séduisante, la plus miraculeuse, c’est l’émancipation portée à son extrême. On s’est libéré de toute détermination, il reste à nous libérer de ce corps qui nous pèse, et auquel on n’arrive pas à donner un sens. Nos corps ne comptent pas, ce sont nos consciences qui comptent. De ce point de vue-là, on voit un projet d’émancipation porté jusqu’au bout. Un progressisme devenu fou. Puisqu’on ne peut pas encore supprimer la mort, on peut déjà changer de corps. On voit qu’il y a des rapprochements très nets entre transhumanisme et transgenrisme. Un des personnages des plus emblématiques, étant Martine ROTHBLATT, un homme devenu femme est patron-patronne d’une société pharmaceutique et un des grands promoteurs du transhumanisme. C’est un combat enthousiasmant pour la liberté et l’autodétermination. D’où l’enthousiasme des transactivistes. C’est pour ça que c’est le sujet qui choque le plus, le plus problématique. Je dirais qui serait le plus original. À la rigueur, la théorie de la race, c’est la guerre des races reprise, ou la lutte des classes, plus ou moins ; l’intersectionnalité, c’est la convergence des luttes. La théorie du genre, ça c’est vraiment quelque chose qui est très nouveau. Il y a une dimension véritablement religieuse derrière cela. Cela fait penser bien sûr à l’hérésie chrétienne de la gnose au deuxième siècle, pour laquelle le corps est le mal dont il faut se libérer, il y a l’idée que l’on doit pouvoir effectivement que ce sont des consciences qui doivent pouvoir fabriquer le monde. On voit l’enthousiasme religieux des trans, notamment Beatriz PRECIADO, le plus célèbre en France, qui est devenu Paul PRECIADO, qui explique qu’il a choisi son nom dans une nuit de rêve. Paul, ça rappelle évidemment le fondateur d’une autre religion, et qui propose que Notre-Dame de Paris soit désormais consacrée au culte trans : « Je propose que l’État français retire à l’église la cathédrale de Notre-Dame de Paris et transforme cet espace en un centre d’accueil et de recherche féministe, queer, trans et antiraciste et de lutte contre les violences sexuelles. » Ça pourrait faire sourire, mais quand on lit les textes de PRECIADO, c’est quelque chose qui est tout à fait étonnant.

Alors, je ne vais pas insister trop, d’abord parce que je suis en retard, et parce que je crois que Claude HABIB, vous en parlera, des conséquences que cela peut avoir pour les adolescentes, puisqu’effectivement cette dysphorie de genre frappe essentiellement les adolescentes, alors que la dysphorie de genre traditionnelle touchait plutôt des petits garçons de 4-5 ans et que cela passe et ensuite. Là, il y a effectivement une explosion des cas transgenres, les sondages sont très tout à fait étonnant là-dessus. C’est étonnant et pas étonnant puisqu’on apprend désormais aux enfants et aux adolescents à déconstruire le genre, c’est à dire à douter de leur sexe. Par exemple en Écosse « Your gender is what you decide », « ton genre, c’est toi qui en décide », on imagine la perplexité des jeunes sur ce point. Il y a toute une série de cas, qui sont rapportés à ce sujet. Je dirais que cet engouement transgenre est quelque chose qui est tout à fait étonnant. Il faut se rappeler qu’un grand historien de la médecine et la psychiatrie, Ian HACKING, a montré que les catégories dans les sciences humaines sont des catégories qu’il appelle interactives, ça fabrique des gens, lorsque vous dites qu’il y a une nouvelle nosographie, il y a un nouveau cas, la dysphorie de genre, il y a des gens qui vont s’en emparer, et qui vont transformer et s’approprier cette nouvelle catégorie nosologique. De ce point de vue-là, je dirais qu’effectivement il y a bien des précautions à avoir. Cette question du genre a des conséquences très évidentes puisqu’elle conduit à la volonté d’effacer les femmes, la notion de femme est quelque chose qui est choquante pour les trans, etc. et donc on ne va plus parler de femmes mais de personnes qui menstruent. On ne va plus parler de femmes enceintes, mais de personnes enceintes. On ne va plus parler de lait maternel, mais de lait parental. Ceux qui protestent contre cela sont critiqués très violemment sur les réseaux sociaux. J. K. ROWLING est désormais persécuté pour avoir simplement rappelé que plutôt que de parler de personnes qui ont leurs règles, il vaudrait mieux parler de femmes. On arrive aussi au moment où une juge nouvellement nommée à la Cour Suprême, à qui on demande ce que c’est une femme ? dit : « Ah, je ne peux pas vous répondre, je suis pas biologiste », c’est quand même tout à fait étonnant, d’autant qu’elle s’était vantée justement d’être la première femme noire à la Cour suprême. C’est aussi la fin des sports féminin, du caractère féminin de certaines prisons, etc.

Évidemment, critiquer ce trans-activisme n’a, à mon avis, rien à voir avec les discriminations sexuelles, ce sont au contraire les trans aujourd’hui qui sont très hostiles aux féministes, aux lesbiennes qu’ils qualifient de féministes excluant les trans. Ce qui est aussi intéressant, c’est qu’il y a une véritable guerre contre la réalité qui se mène autour de cette question du genre il ne faut plus croire le témoignage de nos sens, si on voit quelqu’un qui est un homme et qu’il vous dit qu’il est une femme, il faut s’adresser à lui comme s’il était une femme. Il y a la fameuse vidéo chez SCHNEIDERMAN, que vous connaissez peut-être, où un homme dit : « Je ne suis pas un homme, Monsieur ... » Le problème est qu’on ne peut plus faire confiance à ses sens, le langage perd tout sens. Si, comme le dit le planning familial, une femme peut avoir un pénis, effectivement on ne sait plus très bien ce que c’est qu’une femme. On pourrait appeler la femme ( ? manque un mot incompris) dit Helen JOYCE, dans un livre tout à fait intéressant [4], le langage perd cette signification. Si on demande à des adultes consentants de manière bienveillante, le nouveau point de vue que quelqu’un a sur lui-même pourquoi pas, mais le demander à des enfants, ça me semble être quelque chose d’extrêmement destructeur. Attention simplement de ne pas dire ça, le philosophe analytique lesbienne, Kathleen STOCK a dû renoncer à son job, parce que elle avait dit : « Le genre c’est une fiction, c’est comme toutes les fictions, ça peut avoir des effets positifs, mais on risque aussi de se perdre dans cette immersion dans la fiction ». De ce point de vue-là aussi, il y a un point qui est tout à fait étonnant, c’est que cette guerre à la réalité me semble très préoccupante, parce qu’il s’agit au fond de rejoindre les idéologies des GAFAM, du monde virtuel. Les gens qui se sont favorables au métavers, - dans le métavers, on peut changer de genre par un simple clic - et la séduction de ces théories du genre va de pair avec une vie totalement dans le monde virtuel, des ordinateurs etc. Il y avait des phrases prémonitoires de Christopher LASCH, dans son dernier livre « La révolte des élites », où il remarquait que ses élites, qui ne travaillent que sur des calculs et sur des opérations mentales, ont perdu le contact avec le réel, vivent dans un monde d’abstraction et d’image, méprisent les travailleurs manuels, qui sont encore en contact avec le réel. À ce propos, la Covid a fait voir qu’il y avait des travailleurs du monde réel, qui livrent les gens, qui sont derrière les ordinateurs, et de travailleurs du monde virtuel. Les travailleurs du monde réel savent que le monde existe encore. C’est ce qui fait dire que la gravité de ces idéaux, ce n’est pas que cela soit juste un délire universitaire, ça colle tout à fait avec l’idéologie des GAFAM. Je cite plusieurs auteurs, théoriciens du métavers, qui sont tout à fait dans cette direction.

Deuxième point, la théorie critique de la race. Je serai plus rapide, c’est une théorie directement opposée à l’antiracisme universaliste. Une théorie soi-disant antiraciste qui est obsédée par la race. On fait à nouveau des « race studies » à la Sorbonne. Le fait de ne pas prêter attention à la couleur, dire par exemple : « Je me moque que vous soyez noir, jaune, blanc ou vert », c’est le pire racisme, c’est le comble du racisme. Si vous ne voyez pas qu’il faut toujours tenir compte de la couleur, c’est que vous êtes un blanc raciste. Et, il y a une critique explicite de l’universalisme. L’universalisme, c’est une idée de blanc. Il n’y a que les blancs, qui peuvent croire que la question de la race n’est pas essentielle. C’était tout à fait étonnant. De ce point de vue-là, pour être antiraciste, il faut toujours tenir compte de la race, pour discriminer contre les discriminations. Cela va directement contre l’idée de responsabilité individuelle : le racisme est systémique, institutionnel, d’atmosphère, etc. C’est ce que l’on enseigne dans les écoles américaines, où l’on enseigne aux enfants blancs qu’ils sont déjà racistes, des 2-3 ans, et aux enfants noirs qu’ils sont déjà victimes. Quand notre ministre de l’Éducation dit : « C’est dommage, on ne parle pas assez de race en France à cause de l’extrême droite », je lui répondrais : « Non, on ne parle pas de race en France, parce qu’on est universaliste et républicain », en tout cas théoriquement.

Ce qui est très étonnant, c’est que les plus critiques de ces théories antiracistes racistes, si je peux dire, sont des intellectuels noirs universalistes, par exemple John McWhorter, Glenn Loury, Thomas Chatterton Williams, etc., qui ne supportent pas que l’on considère que leurs enfants sont des victimes par définition, et qui considèrent qu’on ne doit pas faire une éducation spéciale pour les noirs, en particulier le cas, tout à fait étonnant, d’un programme de mathématiques équitables, financé par la Fondation Gates, où on explique que la culture de la suprématie blanche, c’est quand on met l’accent sur la bonne réponse, ou lorsque les étudiants sont tenus de montrer leur travail, il n’y a pas de mathématiques objectives, il faut enseigner le rôle des mathématiques dans les discriminations sociales. La plupart des universités noirs ne veulent pas qu’on enseigne ce genre de choses. McWhorter a écrit un livre tout à fait passionnant, « Woke Racism : How a New Religion Has Betrayed Black America », qui s’appelle « Le racisme woke : comment une nouvelle religion a trahi l’Amérique noire », on voit qu’effectivement les stéréotypes racistes sont omniprésent dans cette perspective.

Troisième théorie, je m’excuse je vais un peu vide, mais il faut que je sois dans le temps à peu près. La théorie de l’intersectionnalité, une thèse politique, qui permet de potentialiser la théorie du genre et la théorie critique de la race, il s’agit de voir que l’on peut être victime de plusieurs côtés à la fois. L’image inventée par Kimberlé CRENSHAW, vient d’une série de procès qui ont été faits par des femmes noires, qui s’estimaient discriminées par des grandes entreprises à la fois comme femmes et comme noires, et qui n’a arrivaient pas à se faire entendre. Elle fait la comparaison avec une intersection routière, les femmes noires peuvent être victimes de discrimination de plusieurs façons : lorsque deux routes à double sens se croisent, la circulation se fait dans 4 directions différentes, la discrimination comme la circulation peut se faire dans un sens ou un autre, c’est un accident se produit à une intersection, il peut être causé par des voitures venant de plusieurs directions, et parfois de toutes les directions. Il y a l’idée d’une convergence des luttes et d’une potentialisation des victimisations. On peut être victime à la fois de grossophobie, de capacitisme, de validisme, etc. On peut ajouter d’autres discriminations potentielles, par exemple en France, on va rajouter l’islamophobie, le décolonial, etc. Il y a une course à la fragilisation, qui prospère sur fond de sentiment de fragilité. La nouvelle approche universitaire en termes care par exemple, explique que c’est la fragilité qui est une vertu. On voit aussi la fabrication des fragiles, voire le livre [5], des deux psychologues, HAIDT et LUKIANOFF, qui est tout à fait intéressant, où l’on voit que ces enfants de la génération Z sont fragilisés par des parents hélicoptères, qui enlèvent toutes difficultés autour d’eux. Cela joue bien évidemment sur le sentiment de culpabilité des hommes blancs, occidentaux, cisgenres, mais c’est un moyen de faire converger des luttes, de potentialiser des luttes, mais de plusieurs identités fixes et définies. Évidemment, chacun d’entre nous peut être discriminé de plusieurs manières, mais, là, il s’agit de faire converger des luttes de groupes victimaires différents.

Quatrième thèse, la thèse philosophique, thèse de théorie de la connaissance : la voie a été ouvertes par les critiques de la biologie, par la théorie du genre. Par exemple, un de mes collègues explique que la biologie traditionnelle nous biaise. Patriarcale, elle s’est vautré dans l’androsexisme et l’hétérosexisme. L’immunologie qui distingue le soi et le non soi serait une doctrine raciste et colonialiste. Il faudrait, selon le même auteur, constituer une antibiologie, génocentrique, matriarcale, homosexiste. Pour beaucoup d’entre nous, ça rappelle - Dominique LECOURT aurait été content d’être là - l’opposition chez LYSSENKO de la science bourgeoise et de la science prolétarienne. Cela ouvre une voie à la critique de toutes les sciences, y compris les plus pures, les mathématiques sont racistes et virilistes. On a le témoignage tout à fait étonnant de Sergiu KLAINERMAN, un immense mathématicien américain d’origine roumaine, qui dit : « Au moins en Roumanie CEAUȘESCU nous laissait la paix avec les mathématiques, on pouvait travailler tranquillement ». Voire aussi les médecins français, qui perdent leur temps en semaine du genre, ou à qui on reproche de sélectionner le meilleur plutôt que de tenir compte de sa race, son origine, etc. La science occidentale dans son ensemble serait raciste, colonialiste, etc., parce que par exemple la médecine coloniale, c’est une médecine qui a participé à la colonisation ; les mathématiques, plutôt le calcul aura servi à compter les esclaves dans les bateaux de négriers, donc il faut en finir avec cela. Et, plus largement, il faut constituer de nouvelles épistémologie, de nouvelles philosophies de la connaissance. C’est ce qui occupe à temps plein, si je puis dire, les philosophes wokes actuellement. Contre la recherche d’une vérité objective, il n’y a que des épistémologies du point de vue, féministes, décoloniales, intersectionnelles, subalternes, etc. Il y a l’idée que la connaissance objective ne peut pas exister, je cite deux auteures de ce courant [6] de ce courant : « L’idée chère – disent-elles – à l’épistémologie objectiviste qu’il est possible d’être nulle part et partout, en surplomb du monde pour l’observer, est donc fausse. Elle masque une position spécifique, une vision particulière, celle des dominants, rendue possible par des institutions sociales qui la soutiennent en organisant son apparente neutralité, son absence de localisation » La sociologie de la connaissance sait bien qu’il y a des biais en sciences, mais il s’agit - c’est l’objectif en général de l’épistémologie - de lutter contre ces biais. Pour les wokes, au contraire, toute science est située, c’est un aspect favorable, il faut simplement revendiquer cela et proposer des sciences faites du point de vue des dominés aux sciences faites du point de vue des dominants. Il y a vraiment l’idée qu’il faut se débarrasser de la science traditionnelle. Il y a un exemple que je cite longuement dans mon livre, c’est le ce qui se passe en Nouvelle-Zélande, où désormais les savoirs maoris, qui sont des mythes, tout à fait respectables, très beaux, sont enseignés comme étant de la science. Et, les quelques rares scientifiques qui ont osé protester ont été complètement mis à l’écarte. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut enseigner les mythes maoris, mais il ne faut les enseigner comme étant de la science. Les plus grands biologistes américains ont réagi en disant : « On ne s’est pas battu contre le créationnisme chrétien pour accepter le créationnisme maori. »

En conclusion, je dirais quelques mots, parce qu’il me semble que ce qui est le plus frappant ce n’est pas du tout, contrairement à ce qu’on croit, une théorie de gauche progressiste, etc., c’est au contraire une théorie qui s’attaque directement aux Lumières. La théorie critique de la race s’en prend à l’idée d’universalisme. L’humain universel, c’est une idée de Blancs. « On n’échappe jamais à sa communauté d’origine », Robin DiAngelo, KENDI, etc. Critique l’universalisme, qui serait un ennemi à combattre. Leur de l’homme n’existe pas, fait penser à l’idée de Joseph de MAISTRE : « … J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan ; mais quant à l’homme je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe c’est bien à mon insu. » Critique de l’idée d’individu autonome, contre l’idée que l’on peut choisir ses appartenances, que l’on peut se forger une identité. Robin DiAngelo, par exemple, critique l’individualisme, qui stipule que chacun d’entre nous est unique et se distingue des autres, même à l’intérieur de nos groupes sociaux. Comme le résume très bien l’écrivain américain Bret Easton Ellis : « Le but des wokes, c’est de se débarrasser de l’individu, c’est de revenir à une pensée tribale » On voit d’ailleurs leur réaction au grand livre de Philip ROTH, La tache, sur l’idée qu’on peut se choisir son individualité, qu’on n’est pas obligé de rester enfermé dans sa communauté d’origine. Pour eux, ce n’est pas un chef-d’œuvre absolu, c’est une offensive réactionnaire, contre la théorie critique de la race. Ils retrouvent cette idée qu’il n’y a pas d’individu, qu’il n’y a que du nous. Ça me fait penser à Louis de BANALD, philosophe contre-révolutionnaire, qui voulait une philosophie du nous contre la philosophie du moi. Critique aussi de la raison et du rationalisme ; éloge du sentiment, de l’expérience vécue ; refus de l’échange argumenté, seul le sentiment compte ; seuls les femmes les Noirs, les Trans savent ce que sont les femmes, les Noirs, les Trans ; si quelqu’un d’autre s’en occupe, c’est ce qu’on appelle de l’appropriation culturelle, ça veut dire qu’il y a un refus radical de l’altérité, de la connaissance d’autrui. On voit que par exemple Sandrine ROUSSEAU dit que « le coupable, c’est le rationalisme de Descartes, et c’est aussi la pensée de Buffon et de Linné, qui ont commis le crime de vouloir classer la nature » Pour qui a lu et apprécié Buffon et de Linné, c’est quand même un peu fort de café …

Les fondateurs de la théorie critique de la race, Richard DELGADO et Jean STEFANCIC, deux juristes, se prononcent au début de leur manuel [7] de Théorie critique de la race, je cite : « … contre l’universalisme, contre l’individualisme, contre le progrès, contre les fondements de libéral, contre le rationalisme des Lumières, contre les principes neutres du droit constitutionnel … » On voit qu’il y a une véritable offensive contre les Lumières.

Je dirais que ce qui me semble étonnant, - mais je crois qu’on va s’arrêter là, parce que il y aurait des questions à développer sur ce qu’on peut faire - c’est de voir que les héritiers des Lumières ne sont pas les premiers à réagir. Je suis très frappé de voir que les universités qui sont hostiles assez thèses, on se connaît tous en France, on est une centaine à peu près, c’est assez étonnant de voir. Est-ce parce que certains voient par exemple dans la théorie du genre le comble de l’émancipation, la fin promise des doctrines progressistes ? Ou est-ce simplement qu’ils sont tombés, si je puis dire, avec les idées chrétiennes, qui elles aussi ont disparues ? Je ne sais pas. La question qu’on pourrait se poser, qu’on me pose souvent, c’est « que faire ? » Je dirais qu’il y a plusieurs choses à voir c’est que on pourrait de toute façon déjà se dire qu’il faut toujours dire non, même si ce n’est pas si facile que ça. mais Bari WEISS, une des journalistes les plus actives de ce point-là dit que c’est ça d’abord la solution, faire confiance aussi aux hommes ordinaires, je pense en particulier à certaines vidéos, où on voit les parents d’élèves dans les écoles et des conseils scolaires, notamment un ouvrier chaldéen chrétien, qui dit : « Vous voulez enseigner à mes enfants des pronoms, et ben appeler mon fils : Roi ; ma fille : Reine, et moi appelez-moi : Maître, s’il vous plaît. » Je pense qu’il a changé d’école après. Des tas de parents latinos ou noirs disent : « N’enseignez pas à mes enfants que je suis une victime. Je ne suis en aucun cas une victime, je ne suis pas juste le résultat du racisme … » Je pense qu’il y a peut-être des choses à faire, alors voit qu’aux États-Unis, c’est actuellement le débat qui est tout à fait prégnant. On voit que Ron DeSantis, le gouverneur de Floride a fait des résultats extraordinaires en luttant contre la théorie critique de la race, la théorie de genre dans les écoles, et depuis quelques jours en disant qu’il faudrait supprimer les bureaucraties autour de la diversité … et il y a deux jours Trump a repris entièrement le l’argumentaire de DeSantis. Il me semble que les politiques commencent à comprendre, - aux États-Unis, mais je pense que ça va être le cas aujourd’hui aussi en France - qu’il faut faire quelque chose et que la solution ne peut pas - en tout cas s’agissant des universités - venir de l’intérieur.

Je soumets cela à votre réflexion, je pense qu’il doit y avoir quelque chose à faire, en tout cas, il y a une attaque vraiment directe contre les fondements de la civilisation occidentale, la raison, les Lumières, l’universalisme, et par ailleurs, mais ça, c’est une autre question, cette dérive nous met dans une situation de faiblesse extrême à l’égard du monde extérieur, qui nous regarde avec consternation.

Je vous remercie.

André COMPTE-SPONVILLE : Merci beaucoup Jean-François !

Nous allons passer à la phase discussion. Je rappelle la règle : la parole est au premier ou la première qui la demande, mais merci de vous présenter, car les débats sont enregistrés, seront transcrits, il faut qu’on puisse attribuer à chacun les propos qui lui reviennent.

Qui demande la parole ?

Il y a micro dans la salle.

Alain RICHARD, sénateur : Puisque vous êtes un universitaire très implanté dans ce monde, est-ce que vous pouvez décrire les métastases, c’est à dire les disciplines dans lesquelles se développent cette démarche, et l’état du rapport de force actuelle du niveau de résistance, des champs disciplinaires et des équipes universitaires ? Pour qu’on essaie justement de regarder comment on peut circonscrire le mal.

Jean-François BRAUNSTEIN : Oui, c’est la question qu’il ne faut pas me poser, parce c’est une question à laquelle j’ai tendance à avoir une réponse pessimiste. S’agissant de la France, les universités des lettres et des sciences humaines, il me semble que la pénétration de ces idées est extrêmement importante. Lorsque des gens me disent : « Ou est-ce que mon enfant pourrait faire des études de philo sans avoir ce genre de choses ? » Je n’ai pas de réponse à leur apporter, c’est très compliqué. Il me semble que le débat et l’offensive maintenant se fait dans les facultés de sciences, de médecine, à travers des disciplines ambivalentes : sciences et sociétés, humanité médicale, etc., qui permettent de progresser. Je pense que là, il faudrait essayer de sanctuariser les choses. Ça commence, il y a quelques scientifiques qui sont au courant de ce qui se passe, et c’est très grave. Par exemple, un des plus réveillés, c’est un cancérologue de Bordeaux, qui me dit : « Je ne peux pas avoir de crédits si je ne me plie pas aux règles sur le genre ; on m’oblige à passer une semaine d’études sur le genre alors que je travaille sur le cancer, c’est quand même plus urgent … » C’est là qu’il y aurait semble-t-il des choses à faire. Il y aurait peut-être des actions possibles du côté des financements de tout cela, parce que beaucoup de ces projets sont financés par l’Europe, par la Ville de Paris, la région Île-de-France est un petit peu en retrait, par des fondations anglo – franco - américaines etc. Si vous voulez faire une thèse sur le genre, la race, etc., vous êtes sûr d’avoir de l’argent pour faire votre thèse, vous allez trouver un job ensuite, vous allez publier, avoir des crédits, etc. Si vous faites une thèse sur la métaphysique d’Aristote, ça va être beaucoup plus compliqué en philosophie. Qu’est-ce qu’on peut faire là-dessus ? Il y a cette idée, évidemment très radicale, mais les bureaucraties des DEI (Diversité, équité, inclusion), la lutte contre les discours des préjugés de genre, de race, etc., c’est des bureaucraties dont on pourrait peut-être se passer. Il me semble qu’il y a des choses à faire de ce côté-là. A minima, la bonne chose serait que l’on puisse garantir la liberté académique, que des enseignants puissent ne pas être d’accord. Or, cela n’est pas possible. Pour prendre un exemple, le colloque que nous avons organisé l’an dernier à la Sorbonne, les 100, à peu près, résistants ou dissidents, je sais pas comment il faut s’appeler, aucune de nos universités (Paris 1, Paris IV, etc.) n’a voulu donner de salle, c’est juste parce que le recteur, qui était là du fait de BLANQUER, nous a donné une salle de la Sorbonne, sinon on n’aurait jamais eu de salle à la Sorbonne. Il y a quelquefois des menaces contre des gens qui viennent faire des conférences, Sylvia AGACINSKI, etc., il faudrait que les présidents d’Université garantissent ces libertés académiques. Le problème est que le mode d’élection de ces présidents fait qu’il dépendent beaucoup des militants étudiants, des syndicats, comme SUD-éducation, qui sont une catastrophe. Il y aurait des choses à faire pour rétablir la liberté académique, cela serait déjà pas mal. Je dirais que la situation dans les facs des sciences humaines et très avancée. En droit, ça commence, les attaques viennent de choses bizarres, par exemple les animalistes, qui veulent faire un droit de l’animal, les juristes pro-gender, la nouvelle mode, si je puis dire, c’est les violences gynécologiques et sexuelles, qui permettent effectivement d’attaquer là aussi la médecine directement. Je suis assez pessimiste, je pense qu’il faut que les gens soient au courant, que des politiques, comme vous, soient au courant et essayent de faire quelque chose, je crois que c’est une très bonne chose. Mais, je dirais qu’on est bien avancé.

Par ailleurs, il y aurait des choses à faire aussi dans le secondaire. Il n’est pas normal que des associations militantes de cet ordre, le planning familial, on l’a tous connu, on l’a tous apprécié, mais aujourd’hui il enseigne que l’homme est enceint, que le pénis est un organe sexuel féminin. Je ne suis pas sûr que ce soit les mieux placés pour venir intervenir dans les classes. Ou des associations islamistes proches, ou féministes qui interviennent dans les collèges. On a vu ça il y a quelques jours. Ce n’est pas une très bonne idée milles.

[@ suivre]

notes bas page

[1Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Judith BUTLER, préface d’Éric FASSIN, traduction de Cynthia KRAUS, éd. La Découverte, Paris, 2005, pp. 284 (ISBN 978-2-7071-4237-5)

[2Race, Crime and the Law de Randall KENNEDY, éd. Vintage, 01/01/1997, pp. 538, ISBN 0-375-70184-2, EAN 9780375701849

[3L’article L. 141-6 dispose que « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique » ; l’Article L. 123-9 prévoit qu’« à l’égard des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent assurer les moyens d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle » ; et selon l’Article L. 952-2 « les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. »

[4TRANS – When Ideology Meets Reality : Edité par Oneworld Publications 2021-07-15, London (2021), ISBN 10 : 0861540492 ISBN 13 : 9780861540495

[5Il s’agit sans doute de The Coddling of the American Mind - How Good Intentions and Bad Ideas Are Setting Up a Generation for Failure, de Greg LUKIANOFF, Jonathan HAIDT, Ed. Penguin Books, paru le 06 juin 2019, pp. 338, ISBN 978-0-14-198630-2

[6Il s’agit probablement d’Éléonore LÉPINARD et Marylène LIEBER, auteures de Les théories en études du genre, Paris, La Découverte, coll. « Repères Sociologie », 2020, 128 p., ISBN : 978-2-348-04622-3.

[7Critical Race Theory : An Introduction, New York, NYU Press, 2001.

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