Régis BURNET : Bonjour et merci de nous retrouver pour La Foi prise au mot, votre rendez-vous de réflexion. Cette semaine nous poursuivons notre parcours des chemins de l’Orient à la découverte des pères de l’Église orientale. La semaine dernière nous étions à Nisibe en Syrie, et cette semaine nous voilà à Narek en Arménie, au passage nous avons fait un saut de sept siècles, pour découvrir Grégoire de Narek. J’ai beaucoup hésité avant de vous reproposer une émission sur Grégoire, car nous en avions enregistré une il y a trois ans, lorsque le pape François l’a déclaré docteur de l’église. Vous pouvez la retrouver sur le site internet de la chaîne Mais je dois avouer que je n’ai pas su résister à la beauté fulgurante de son œuvre qu’il faut ranger au rang des plus belles œuvres de la mystique mondiale. Alors, ne boudons pas notre plaisir et retrouvons Grégoire en compagnie de son traducteur en français et de son meilleur connaisseur Jean-Pierre MAHÉ ; Bonjour Jean-Pierre MAHÉ.
Jean-Pierre MAHÉ : Bonjour monsieur.
Régis BURNET : Vous êtes membre de l’Institut, et c’est vous qu’on avait déjà découvert, il y a trois ans, à propos de la première émission que nous avions fait au moment du doctorat. Là, vous me dites que vous êtes content de venir, parce que c’est une série sur l’Orient, et vous me dites : « C’est bien, on ne parle pas des pères Grecs »
Jean-Pierre MAHÉ : Oui, parce que traditionnellement on inclut parmi les pères orientaux des pertes de langue grecque, et j’irai presque des pères antérieurs au cinquième siècle. Or, la différence entre l’Orient et l’Occident à cette époque-là, je veux dire les quatre premiers siècles chrétiens, n’était pas encore marquée, à peu près tous les latins cultivés connaissent le grec et il n’y a pas vraiment de rupture, tandis que quand on parle des auteurs, qui sont véritablement orientaux, qui n’écrivent pas le grec mais le syriaque, l’arménien, le géorgien, on est en dehors des limites de l’empire et on trouve des formes de christianisme qui sont nettement moins intellectuelles, nettement plus spirituelle quelquefois, comme on l’entend dire, c’est-à-dire nettement plus mystiques que celles qu’on rencontre en Occident. Donc, je pense que cette spécificité, qui est d’ailleurs citée dans la constitution des Églises orientales, du concile Vatican 2, doit être prise en considération.
Régis BURNET : Parlons de l’Arménie. On est en l’an 1000, est-ce que vous pourriez nous faire, cela va être difficile, en quelques minutes une petite histoire de l’Arménie ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Vous dites, on est en dehors de l’empire, on ne l’a pas toujours été, mais à l’époque de Grégoire ou est-ce qu’on en ait de l’histoire de l’Arménie ?
Jean-Pierre MAHÉ : À l’époque de Grégoire, il y a eu une grande rupture dans l’histoire de l’Arménie, qui a été l’expansion de l’Islam. En 552 les Arméniens ont été obligés de signer un pacte avec le khalife. Au départ c’était un pacte assez libéral, qui en faisait un protectorat arabe, qui leur laissait toute autonomie religieuse, dans des conditions assez raisonnables. Mais, quand les Byzantins ont été entièrement exclus d’Asie Mineure, les Arabes ont transformé le protectorat en colonisation et à ce moment-là il y a eu des révoltes sanglantes, l’Église arménienne a été pillée, privée de tous ses biens, les monastères ont été détruits, … Finalement, c’est une guerre et en même temps une partie diplomatique extrêmement difficile, qui a réussi à rétablir, en 884, la monarchie arménienne, à la faire reconnaître d’abord par les Arabes et ensuite par les Byzantins. En réalité les Arabes ne reconnaissent qu’une situation de fait, ils ne sont pas du tout résignés à laisser à l’Arménie la voie libre. Le christianisme, c’est Byzance à leurs yeux, ils tentent de faire pression sur les Arméniens pour leur faire prendre des positions christologiques opposées à celles de Byzance, et l’Église arménienne doit se reconstruire très difficilement. Très difficilement parce qu’elle n’a plus qu’une ressource, elle ne peut plus vivre que du casevel (orthographe incertaine) et de l’ordinaire, c’est à dire de taxes ecclésiastiques, qui sont forcément impopulaires et qui vont provoquer des révoltes et des crises contre l’Église, c’est ce qu’on appelle le mouvement des Tondrakiens, qui disent : « après tout l’Église n’a pas été instituée par Jésus, il n’y avait pas d’Église du temps de Jésus, il y avait simplement un maître entouré de ses disciples, Jésus n’a jamais baptisé personne, … » évidemment, pour l’eucharistie c’est plus difficile, … Dans l’ensemble, ils contestent la valeur des sacrements de l’Église et ils prétendent revenir à l’époque originelle, où le Christ vivait, avec le précepte d’amour, auprès de ses disciples et auprès de tous ceux qu’il abordait. Et Grégoire de Narek appartient au parti contraire, c’est quelqu’un qui pense qu’il ne faut surtout pas abolir la grâce de l’incarnation, c’est-à-dire qu’il faut maintenir l’Église mais il faut la réformer. La réforme non pas par la brutalité mais en réformant les cœurs, et c’est cela tout le sens de son œuvre, c’est une entreprise de redressement, de restauration de la connaissance de Dieu et de la proche du Christ.
Régis BURNET : Il faut rappeler que les l’Arménie n’a pas toujours été ce petit pays qu’on connaît actuellement. C’est un pays qui a été très grand, qui est allé jusqu’à la Turquie, c’est d’ailleurs une des raisons du drame du génocide. Là, c’est un c’est un pays qui est finalement isolé, d’une certaine façon, du christianisme enfin du de dieu au monde chrétien, à cause de la montée en puissance des Musulmans.
Jean-Pierre MAHÉ : L’Arménie aujourd’hui, c’est moins de trente mille kilomètres carrés, à l’époque c’est quatre-cent-mille kilomètres carrés, à peu près, qui se trouve très, très loin de la Turquie, parce que les Turcs n’apparaissent pas dans la région avant le deuxième millénaire. Donc, il n’est pas question Turcs dans ce contexte, mais ils sont à l’Est de l’Asie Mineure, on peut dire même à l’Est de l’Euphrate, à peu près, et ils représentent à cette époque plusieurs principautés, dont les deux principales sont : le royaume des Bagratides, au Nord, qui est un royaume, au point de vue religieux, très intellectuel. On apprend Aristote, Platon, on apprend des choses comme en Occident. Puis, le royaume du Sud, qui est le royaume Vaspourakan, où vit saint Grégoire de Narek, où la spiritualité est fondée sur des paires, comme Évagre le Pontique, Nil d’Ancyre, qui insistent sur Dieu sensible au cœur. On ne connaît pas Dieu par des raisonnements intellectuels mais on le connaît si on sait retrouver les couches les plus anciennes de son cœur, avant que l’on soit pétrifié par la croûte de l’égoïsme, de l’indifférence, si on était capable d’émotion, d’abord charitable et désintéressée. Pour ça, il faut pratiquer ce qu’on appelle le don des larmes. Le don de l’élection où le don des larmes, c’est pareil. Il faut savoir ramollir son cœur et pleurer. Ça, c’est un des points fondamentaux de saint Grégoire de Narek. À quoi ça sert de faire un sermon devant un prince qui passe toute sa vie à massacrer des Sarrasins, la vie humaine pour lui d’une certaine façon c’est une valeur très relative, qui intrigue pour se maintenir au pouvoir ? Ça ne sert à rien, parce que si ce prince écoute le sermon, ce qui est d’ailleurs assez douteux, il l’aura oublié une heure après. En réalité, il faut trouver un moyen de toucher le cœur, il faut provoquer des larmes. C’est possible, même si vous avez à faire au pire des scélérats, parce que forcément tout individu a dans sa conscience, dans son histoire personnelle, quelque chose dont il ne s’est jamais consolé, quelque chose qui peut remonter très loin, à son enfance ou plus tard. Et si on arrive non pas à tenir des propos indiscrets mais à lui faire souvenir de cette chose, à la lui rappeler au fond de lui-même, il va se mettre à pleurer, à ce moment-là on peut commencer à lui parler de l’amour de Dieu.
Régis BURNET : Narek, le monastère dans lequel Grégoire se trouve, c’est un grand monastère ? C’était quoi, sa vie à Grégoire de Narek ?
Jean-Pierre MAHÉ : C’est un monastère qui a été fondé par une personnalité exceptionnelle, en 935, Anania de Narek, qui venait du Nord de l’Arménie. Il est qualifié de philosophe, on pourrait aussi bien le qualifier de poète. En réalité, c’est un maître en exercice spirituel, sa plus grande œuvre ce sont des parénèses, qu’on pourrait comparer un petit peu aux soliloques de Saint-Augustin, c’est l’âme qui parle avec elle-même pour se rééduquer, « S’il t’arrive un jour d’assister au festin songe à te dire en ton esprit : voilà qu’en sera-t-il dans dix ans ? Où seront les compagnons avec qui je suis en train de boire et m’amuser en ce moment ? » Il s’agit donc que l’âme se parlent à elle-même pour se ramener à la connaissance de Dieu. Donc, ça, c’est Le maître de saint Grégoire de Narek. Il a fondé Narek en 935, probablement vers 944, à peu près. La mère de saint Grégoire de Narek est morte, très peu de temps après sa naissance. Son père, qui était, à mon avis, ce n’est pas admis par tout le monde, un des princes de la région, en tout cas très familier des rois, a décidé de devenir prêtre, et a été bientôt évêque. Il a décidé de rééduquer, si je puis dire, tous les curés de son époque, pour leur apprendre à comprendre ce qu’ils disent et non pas à battre l’air avec leur langue. Il a fait ça, et du coup il a pris son fils aîné, qui devais avoir 14 ans à peu près cette époque-là, comme son secrétaire, pour écrire tout toutes ces affaires épiscopales. Il avait deux enfants, qui devaient avoir cinq ou six ans : Jean, qui était l’aîné et saint Grégoire, qui avait 5 ans. Et saint Grégoire a été mis au monastère de Narek, sous la conduite d’Aanania.
Anania faisait des choses extraordinaires, il donnait des devoirs aux enfants, par exemple : « Imagine que le jugement dernier est là, dans 5 minutes le Christ va paraître et tu devras parler devant lui, tu vas comparaître devant lui, tu devras parler devant lui » Imaginez une chose pareille ! En réalité saint Grégoire le sent très vite, le langage ne sert pas tellement à communiquer mais à dissimuler, mais devant le Christ ça ne marche pas, c’est impossible. C’est terrible de comparaître devant le Christ, parce qu’il voit tout, sait tout …
Régis BURNET : On ne peut pas mentir …
Jean-Pierre MAHÉ : … donc il faut trouver un langage de vérité, pour parler au Christ, il faut en premier lieu se prosterner, se reconnaître comme pêcheur, et en même temps ne pas tomber dans le désespoir, croire et implorer sa miséricorde. Il est probable que pour ce genre de compositions rhétoriques saint Grégoire est, en quelque sorte, devenu, très jeune, la gloire du monastère, cela a stupéfié tout le monde et qu’on très pieusement gardé ses copies.
Puis, voilà une vie tranquille qui se passe et tout à coup au moment de l’adolescence, évidemment viennent les tentations, alors qu’il était sûr de sa vocation religieuse, très probablement en ce moment-là, il y a des problèmes. Il ne le dit pas, comme je viens de vous le dire, le dit en racontant le naufrage de son âme. Il raconte qu’il était en train de voguer, comme un bateau, évidemment sur le lac qu’il avait sous les yeux, le lac de Van, et tout à coup une triple vague vient le frapper. Qu’est-ce que c’est que cette triple vague ? C’est les trois tentations de Jésus au désert : la tentation de la convoitise ; la tentation d’orgueil ; la tentation d’impiété, de démesure. Ces trois tentations viennent le saisir et son bateau est complétement démantelé. Il faut croire que cette crise a été surmontée, puisque en réalité « Le Livre de lamentations », ou on devrait dire les 95 paroles à Dieu des profondeurs du cœur, nous raconte justement un itinéraire qui permet de passer de la crise à la sérénité.
Régis BURNET : On va y revenir, je vous propose d’entendre - pour entendre pour une première fois la voix de Grégoire de Narek - une mélodie de Pâques, que vous avez traduit. Donc, c’est à la fois Grégoire de Narek et votre traduction, Jean-Pierre MAHÉ.
Jean-Pierre MAHÉ : C’est un chant très mélismatique, …
Régis BURNET : Mélismatique, qu’est-ce que vous voulez dire ?
Jean-Pierre MAHÉ : C’est très modulé, avec beaucoup d’inflexions, c’est un texte très court - relativement court, celui-là est assez long - dans lequel les paroles sont dites très lentement, sur un ton, une mélodie. On ne les a pas toutes conservées, mais on en a conservé quelques-unes.
Régis BURNET : Alors, espérons que notre comédien, Michel d’ARGENT, a réussi à bien l’interpréter.
L’amour dès le matin,
Dès le matin, l’amour se mit en route,
À l’aube de son désir.
Orient de l’aube,
Orient de l’aube, nom
De cette aurore !Ne serait-ce pas, tous là-bas,
Là-bas, en ce bas lieu,
Une lyre gisante ?Ou l’Amour,
L’Amour qui circulait,
Entouré des étoiles ?Voici la mer déployée le matin,
Déployée le matin, emmenée
Vers la porte de l’Orient.Elle s’étend à la cime des monts,
À la cime des hautes montagnes
La rosée répandueÀ l’ouest
À l’Occident, un peuple tout entier
RéuniAdressait des prières
Des prières salées de larmes
Vers le soleil levant,Vers l’éclat de sa course
L’éclat de sa course radieuse
Avec ses rayons d’or.Rayons aux mille reflets,
Aux milles reflets comme la tige
Du lys des vallées !Un astre resplendissant,
Resplendissant de son brillant éclat,
Venait de l’Orient :« Lune, ne pâlis point,
Ne palis point,
Parure de la nuit,J’apporte un message d’amour
Un message d’amour
Un écrit de salut. »Grégoire de Narek, Mélodie de Pâques
Régis BURNET : Jean-Pierre MAHÉ, quand vous êtes rentré dans ce studio, et que vous avez vu l’image qu’on mise - on appelle ça en Barco, ce n’est pas très joli - de Grégoire de Narek, que les téléspectateurs voient en ce moment, vous avez dit : « Cela ne va pas du tout, elle ne me plaît pas du tout cette image », pourquoi ?
Jean-Pierre MAHÉ : En réalité, je n’ai pas été aussi sévère, mais j’ai eu un réflexe un peu universitaire. Je me suis dit : c’est une image réalisée en Italie, au XVIIIe siècle, dans un esprit très occidental, donc avec un décalage … C’est italien parce que c’est une mosaïque, Ravenne n’est pas loin, n’est-ce pas ? D’autre part on représente saint Grégoire de profil. Dans les miniatures arméniennes traditionnelles, ce sont les méchants qui sont représentés de profil, les saints sont toujours représentés de face. Et on le représente occupé à manipuler un très gros livre. Il est vrai qu’il a écrit dans sa vie, mais en réalité en faire un homme de cabinet, de bureau, me paraît un contresens.
Régis BURNET : Dans votre livre, vous, vous prévoyez, vous avez proposé une autre illustration, là, vous l’avez en main. Commentez-la-nous.
Jean-Pierre MAHÉ : D’abord, c’est la plus ancienne miniature, d’une très vénérable copie de saint Grégoire de Narek, qui a été commandée par un autre saint, Saint Narsès de Lampron, qui fut un apôtre de l’œcuménisme dans le l’Arménie cilicienne. Il a fait faire quatre miniatures, celle-ci s’intitule Grégoire comme ascète. Alors, qu’est ce qui est important ? C’est que justement, il n’y a pas de livre, il n’y a pas d’écriture, il est en train de faire un exercice pratique, qui est de prier Dieu, comme de prier le Christ, qui d’ailleurs descend pour lui répondre, en quelque sorte, de prier Dieu par son ascèse, par ses larmes, justement, comme il le dit. Vous voyez les mains qui sont en position orante. Apparemment, sa prière a parfaitement réussi, parce que le Christ le béni. Vous voyez, on voit la main du Christ elle qui sort du nuage et qui le bénit, et parce que Grégoire lui-même est enveloppé dans la gloire du Christ. Vous voyez tout l’or du ciel qui émane du Christ. Et vous voyez les fruits de sa prière qui sont sur terre, ce sont des fleurs qui ont poussé à cause de ses larmes et de sa prière, et qui représentent évidemment les grâces qu’il voudrait dispenser dans son livre, à tous ses lecteurs. Donc, cela nous montre quelque chose de très important sur la piété des Orientaux. Nous, nous nous sommes assez intellectuels, nous attachons une très grande importance évidemment à tous les termes de la règle de foi, c’est universel dans le christianisme, bien entendu personne ne va vous dire qu’on ne croit pas dans les trois personnes de la Sainte Trinité, ça c’est très important, mais je veux dire il y a beaucoup de termes qui sont très commentés et on insiste sur la formation catéchétique …
Régis BURNET : Sur la théologie, Oui …
Jean-Pierre MAHÉ : Je rappelle que cela n’existe pas, ou ça n’existait pas récemment, dans les Églises d’Orient. Pourquoi ? Parce qu’on n’adore pas Dieu parce qu’on le connaît mais on apprend à le connaître en l’adorant, c’est-à-dire qu’il faut d’abord s’exercer justement aux larmes à la prière, au génuflexion, il faut que l’homme extérieur suive les mouvements de l’homme intérieur, c’est ce qu’a dit saint Grégoire dans un opuscule qui concerne à la prière, c’est seulement à partir de ce moment où on accepte de se conditionner soi-même, de se préparer que Dieu daigne se faire connaître.
Régis BURNET : C’est un peu pascalien. Quand Pascal dit qu’il faut s’abêtir à faire des génuflexions, etc.
Jean-Pierre MAHÉ : Pascal emploie ce mot abêtir, qui choque beaucoup, mais qui est une façon d’exprimer la vérité qui l’a redécouverte tout seul, dans son expérience personnelle, mais qui est très proche de la sensibilité des chrétiens Orientaux.
Régis BURNET : Vous avez déjà commencé à en parler du Livre des lamentations, quelle est l’œuvre de Grégoire ? Comment est-ce qu’on peut la ranger ? Qu’est-ce qu’il y a dans cette œuvre ?
Jean-Pierre MAHÉ : En réalité Grégoire a écrit toute sa vie. Et en réalité, il n’a jamais voulu publier ce qu’il avait écrit. Ce n’est jamais lui qui a décidé de publier ce qu’il a écrit, on lui a demandé. Un roi lui a demandé de commenter « Le Cantique des Cantiques », parce que « Le Cantique des Cantiques » pouvait donner lieu à des hypothèses hardies sur les seins de la bien-aimée, etc. il valait mieux assagir tout cela, bon. Il a refusé, naturellement, mais le roi a insisté, il a été obligé finalement de livrer cela au roi. D’autre part, l’empereur a donné une relique de la Sainte-Croix, on a construit une église pour cette relique et il a été obligé de prononcer le discours, d’écrire en tout cas le discours d’inauguration, c’est encore une commande royale. Il s’est passé qu’à un certain moment, il a voulu lui-même intervenir dans quelque chose qui était très important à ses yeux, qui était le fait que l’empereur Basile II avaient rétabli l’usage du sémantron, le gong en bois dans l’église, pour les Arméniens, qui en étaient privés, à cause de leur désaccord avec les Grecs, et il a châtié les ennemis de l’Église. Il a voulu faire un discours à ce sujet, et à ce moment-là tous les moines de l’abbaye ont dit : « Oui, mais si tu publies ça, il faut que tu publies tout le reste » Finalement, c’est son frère, qui était devenu abbé du monastère, Jean, son frère aîné de quelques années, qui a planifié la publication des œuvres de Grégoire. Et, il en a fait une espèce de triptyque, il y a d’un côté les panégyriques des saints, dont les reliques sont dans le Vaspourakan …
Régis BURNET : Qu’est-ce que le Vaspourakan ?
Jean-Pierre MAHÉ : La partie du royaume du lac de Van. Deuxièmement, il y a le livre des liturgies, les hymnes et les odes, qu’on dit au moment de la sainte-messe. Puis, il y a un livre, pour l’homme extérieur, je parle en termes de saint Paul mais repris par saint Grégoire, il faut évidemment profiter des cérémonies religieuses pour élever l’âme vers Dieu, pour transporter si possible toute l’assemblée, puis dès que la messe est finie, il faut se retirer dans sa cellule et il faut prier. Et ça, ce livre qui est le Saint des Saints de l’œuvre de saint Grégoire, c’est 95 paroles à Dieu, qui ont été réunies sous le titre, un peu inquiétant, « La livre de lamentations ». Livre des lamentations, parce que le don des larmes, c’est le début de la grâce. C’est surtout ce qu’il faut retenir. Et ce livre a été un succès absolument extraordinaire. Après l’Évangile, c’est le livre le plus copié en arménien. C’est au XVIIIe siècle, le premier livre arménien dont on fait un index, une concordance, pour pouvoir retrouver les tous les passages. Il arrive souvent que quand on rentre dans une église, on voit le livre de lamentations sur l’autel, à côté de l’Évangile, il y a même des prêtres, qui n’ont pas été loués par la hiérarchie officielle, qui ont dit que deux pages du Narek valaient tout une lecture des Évangiles, tellement cela a été aimé. Il y avait aussi des Narek à la maison, donc on les lisait. Il y avait des passages spéciaux, pour les maux de tête, … On les lisait au chevet des malades, et il y avait des personnes qui étaient reconnues, dont les lectures étaient pour ces choses-là. Et quand on partait en voyage, on emportait des petits bouts de Narek sur soi, pour se sauver en cas de danger. C’est un livre qui a été aimé, et dont évidemment la signification profonde, spirituelle, a été comprise par les moines. C’est une méthode pour cheminer vers le Christ, se rendre en face du Christ, et organiser sa vie entière comme un cheminement et une rencontre avec le Christ.
Régis BURNET : On va y revenir, mais je peux témoigner que j’ai des ami.es Arémnien.ne.s qui connaissent presque par cœur tout le recueil. Il me disaient - vous me direz si c’est vrai – que c’est aussi l’âme de l’Arménie en particulier lors de la longue période soviétique. C’est cela aussi qui fait le ciment de l’âme arménienne.
Jean-Pierre MAHÉ : Il faut peut-être parler – excusez-moi cette brève digression…
Régis BURNET : C’est moi qui vous y invite.
Jean-Pierre MAHÉ : Il y a un très grand poète arménien-soviétique, qui s’appelle Parouir Sévak, qui est mort d’un accident, c’est la version officielle, mais selon toute probabilité cet accident a été organisé par le KGB. Parouir Sévak avait fait sa thèse sur le style de saint Grégoire de Narek, et quand il est mort on a publié, en le censurant très fortement, son dernier recueil, qui s’appelle « Que la lumière soit ». Ce recueil c’est une tentative de parler à Dieu sous la période soviétique. Il commence très prudemment : « Mon Dieu, si vous existez… »
Régis BURNET : À cette époque en Union-soviétique, c’était prudent.
Jean-Pierre MAHÉ : Qu’est-ce qu’il dit :« […] si vous existez, éteignez les chandelles, les lumignons, les cierges de tous les faux-croyants, de ceux qui disent la vérité, excusez-moi, aussi facilement qu’on pisse, pour qu’enfin la lumière soit […] » C’est le premier point. Après, il revient au début de la création et dit : « C’est encore vide - c’est Dieux qui parle - on va créer un monde », puis après dit le poète : « … je vais voir si j’arrive à respirer là-dedans, et si j’arrive à respirer, je vous le dirai, je vous y inviterai… » Évidemment le nom de Grégoire de Narek n’apparaît pas mais il est évident que ces paroles à Dieu sous la période soviétique c’est l’esprit de Grégoire de Narek qui continue à maintenir la foi des croyants. C’était quelque chose de tout à fait émouvant, le livre a eu naturellement un très, très grand succès en son temps.
Régis BURNET : Grégoire l’âme de l’Arménie. On va entendre un extrait du « Livre des lamentation ». C’est un passage ou Grégoire montre qu’il est nécessaire de se confesser.
Poussière vivante, je me suis rebiffé,
Glaise partante, je me suis rengorgée,
Méprisable terreau, j’ai voulu faire le fier,
Cendres abjecte,
Je me suis redressé
Coupe à briser, j’ai levé le bras
Me croyant supérieur, je me suis dilaté,
Puis, comme un réprouvé, replier sur moi-même ;
Frange pensante, j’ai flamboyé du feu de ma colère,
Me jugeant immortel, je me suis exalté,
Prisonniers de la mort avec les quadrupèdes !
Ouvrant tout grand les bras pour aimer cette vie,
Je t’ai tourné le dos et dérobé ma face, […]
Mais de nouveau, Dieu de miséricorde
Puissant ami des hommes, considérant les mots de ma prière, reçoit-moi dans le repentir de ma confession, prosterné à tes pieds et faisant pénitence.
Toi qui pèses, enregistres, et estimes
À grand prix le soupir de l’âme,
L’appel gémissant d’un souffle,
Les lèvres fiévreuses,
La langue sèche, le visage affligé,
Le ferme propos plein de zèle au plus profond du cœur.Grégoire de Narek, Nécessité de la confession, « Livre des lamentations »
Régis BURNET : Voilà, on voit l’extraordinaire puissance poétique, j’imagine qu’en arménien c’est encore plus étonnant…
Jean-Pierre MAHÉ : Oui, c’est très beau, c’est rythmé, par groupe de cinq, cela donne une impression extrêmement entraînante, quand on l’entend.
Régis BURNET : Qu’est-ce qu’il y a dans le livre ? Comment est-ce qu’il est construit ce livre, dit des lamentations, et que vous, vous appelez « Paroles à Dieu »
Jean-Pierre MAHÉ : Je l’appelle « Paroles à Dieu » parce qu’en réalité il est composé de 95 chapitres, qui s’appellent tous Paroles à Dieu des profondeurs du cœur. Le premier s’appelle : Paroles à Dieu des profondeurs du cœur, mais après cela et derechef Plaintes renouvelées du même veilleur, le veilleur c’est Grégoire, Grigor l’éveillé, et « Paroles à Dieu des profondeurs du cœur ». Évidemment, « Parole à Dieu des profondeurs du cœur », ça rappelle, le « des profondeurs », « des profundis, j’ai crié vers toi seigneur », mais il faut bien comprendre que cette fois-ci, ce n’est pas une clameur sonore, c’est des prières qui sont mentales, parce qu’un des principes de l’Église de Narek, de l’école de Narek, je veux dire, c’est que battre l’air avec sa langue ne veut rien dire en soi, c’est l’attention du cœur qu’il faut avoir. Et même Grégoire supplie le Christ de lui garder le don de la poésie. En un autre passage, il dit : « Les mots forger des poètes n’ont pas de prise sur toi ». Si vous voulez, il y a un côté prophétique, ce que vous Dieu veut ce n’est pas l’holocauste, c’est la contrition, c’est le psaume 51. C’est un côté très prophétique de l’accent de Narek. La question, est pourquoi d’abord, chacun des chapitres reprend par « et de nouveau », comme s’il n’y avait pas de plan, de fin. Dans ce cas-là, pourquoi 95 prière et pas 96 ? D’ailleurs, il y a des recueils 100, les mêmes découpés autrement. En réalité, il y a un plan, parce que c’est un recueil d’exercices gradués. Une démonstration mathématique se fait en énonçant les principes, en tirant des conclusions, c’est une voie continue, de même, je dirais, que la plupart des processus sons sont planifiés, tandis que la conversion ce n’est pas quelque chose comme ça. C’est quelque chose qui va demander deux casser et de redresser chacune des 360 articulations du corps humain. On ne parle pas de la même façon à l’oreille, qu’aux yeux, au goût et à toute la sensibilité. Donc, il va falloir s’y reprendre à plusieurs reprises. C’est pour cela que l’on peut parler d’exercices spirituels, au sens où l’entendait le grand philosophe Pierre Hadot, a été mon professeur, là nous sommes exactement dans ce qui était cultivé par la philosophie antique. Saint Grégoire connaissait cela par Évagre, par les traductions patristiques, il s’en était inspiré.
Régis BURNET : Donc, il s’agissait de faire des exercices, par exemple très classiquement dans des exercices spirituels, un exercice face à la mort, etc.
Jean-Pierre MAHÉ : Qu’est-ce que je fais dans tel cas ? Qu’est-ce que je fais face au jugement ? Quelle attitude prendre à l’égard de la confession des péchés ? Par exemple, une fois il était dans une assemblée de moines, on lisait probablement la liste des péchés pour faire un examen de conscience, et un des moines a dit : « Moi, la fornication, l’adultère, je n’ai jamais fait cela », c’était probablement vrai, en tout cas plausible dans cette communauté monastique, et Grégoire dit : « Il a tort. Il a tort parce que son attitude ressemble à celle du pharisien. » Pourquoi elle ressemble à celle du pharisien ? Qu’elle est l’inconvénient de cela ? C’est que, si jamais on se désolidarise des pêcheurs, on se désolidarise également de la rédemption. Si on ne prie pas pour tous ceux qui ont fait des péchés, même invraisemblables, auxquels on n’avait même pas pensés, si on ne se déclare pas solidaire avec eux, eh bien on s’excepte de la rédemption du Christ. Il y a un autre poème, qui est très important, sur la couronne d’épinés, il parle de la parole : « J’ai péché », il dit que cette parole a un pouvoir extraordinaire, que même si on la dit au dernier moment, d’abord elle enlève quelque chose et elle dilate le temps. Dieu peut faire ce qu’il veut, si un condamné à mort la dit au dernier moment, il va retrouver le salut. « J’ai péché » qu’on répète, c’est une des épines de la couronne du Christ. « Ô la grande et glorieuse couronne dont même le Seigneur aime se parer ». Donc, il faut penser à s’exercer de cette façon-là. Il y a quand même un itinéraire.
Régis BURNET : On l’impression que ce sont des services spirituels mais c’est aussi l’histoire d’une âme, si je puis dire. Il parle aussi de lui.
Jean-Pierre MAHÉ : Oui, il parle vriament de lui. Il faut une certaine familiarité, c’est comme quand on est dans une salle sombre, il faut un certain temps pour que les yeux y voient clair. Un des points essentiels, puisque c’est une initiation au Christ, cela se passe dans un lieu initiatique, ce lieu initiatique c’est l’église tout simplement. Saint-Grégoire lui-même le dit très nettement à la fin de son livre : « J’ai bâti ce bâtiment extraordinaire, cet édifice extraordinaire » L’église, c’est comme le Saint des Saints du Temple de Salomon, ou c’est comme l’Arche de Noé. Quel est le point entre les trois éléments ? C’est le chiffre trois, c’est-à-dire qu’il y a un narthex, ou la cale dans l’Arche de Noé, dans laquelle il y avait uniquement les quadrupèdes et les reptiles, il y a l’étage du milieu, dans lequel il y a Noé sa famille, et il y a l’étage du dessus, dans lequel il y avait les oiseaux. Eh bien, ça, ce correspond au vestibule du Temple, puis au Saint, puis au Saint des saints. Pourquoi ? Parce qu’en réalité c’est un itinéraire spirituel. Qu’est-ce qu’on fait dans le narthex de l’église ? C’est là que sont les tombes des morts. On n’enterre pas dans les églises arméniennes, c’est seulement dans le narthex. Quelle est la cause de la mort ? C’est le péché. On a vu le péché avec les quadrupèdes, pourquoi ? Parce que les quadrupèdes n’ont qu’une aucun espoir d’immortalité, ils meurent tout simplement, la mort avec les quadrupèdes, c’est ça. Qu’est-ce qu’on fait dans cette salle ? On commence par dire : « J’ai péché », on se confesse de ses péchés, et on arrive à la porte de l’église, de la salle de l’église, c’est à dire du saint, là on dit la règle de foi et on rentre. Et là, on suit la vie de l’église, on apprend à dire les prières, on reçoit les sacrements, … puis, finalement, après probablement des rechutes, on atteint une certaine stabilité, et à ce moment-là, on peut élever les yeux vers l’autel et vers ce qu’il y a de plus important dans l’église arménienne, c’est derrière le rideau de l’autel. Qu’est-ce qu’il y a derrière le rideau de l’autel ? C’est le Saint des saints, c’est le ciel, l’autel du ciel en quelque sorte, où a lieu la vision d’Isaïe.
Régis BURNET : Pardon, il faut expliquer que dans les églises arméniennes, il n’y a d’iconostase mais on tire un rideau au moment des saints mystères.
Jean-Pierre MAHÉ : On tirer un rideau, qui n’est pas forcément figuratif, je dirais. Il peut y avoir simplement un signe de la croix.
Régis BURNET : C’est au moment où on fait ce que nous on appelle l’eucharistie, le mémorial, …
Jean-Pierre MAHÉ : … le rite, c’est comme ça. Vous avez une première partie jusqu’à la règle de foi, c’est apprendre à confesser ses péchés. Confesser ses péchés avec sincérité, puisque Dieu voit tout, mais sans désespoir, parce que les trois vertus théologales viennent à notre secours, et on a un commentaire des paraboles de l’Évangile, la brebis perdue, le bon samaritain, qui nous montre que les vertus théologales arrivent, et elles sont les unes dans les autres. Elles sont trois : la foi, l’espérance et la charité. Elles sont les unes dans les autres et sont une image à l’intérieure de nous de la trinité. Quand on a fait ça, on est en mesure de dire la règle de foi et de rentrer dans l’Église. Et là, on apprend à prier, alors qu’on est pécheur, avec les mots des saints. Il y a un passage, qui est tout à fait remarquable, qui concerne le psautier. Quand on est moine, on doit réciter le psautier toutes les semaines, en entier. On sait les psaumes par cœur, on a un peu tendance, peut-être, à la somnolence mais tout à coup il y a une parole qui se détache, si on reste attentif. Il y a une parole qui se détache, qui est un message actuel qui nous est adressé. On comprend comme ça qu’on est sanctifié, ou du moins on est pardonné, à cause de la communion des saints. Puis, il y a naturellement, l’accompagnement de l’exemple de toutes les prières de pécheurs, qui ont été pardonnés, en particulier Salomon, le roi (manque le nom), toutes sortes de très beaux poèmes à ce sujet. Puis, l’éloge du Christ médecin, dont l’ordonnance est toujours la guérison. Puis, après ça, on passe derrière le rideau de l’autel. Il y a une prière du soir, qui est la dernière prière, disons, avant la résurrection, puis une prière pour l’aube de la résurrection, qui est la conclusion de ce livre de « Paroles à Dieu ».
Régis BURNET : Je propose qu’on entende une des étapes, c’est le moment où Grégoire dit que Dieu est tout puissant, et qu’il est au-dessus même de notre mal, et qui finalement il va nous pardonner. On écoute, « Douceur toute puissante du Christ »
Tu n’écoutes pas l’anathème, tu ne te réjouis pas du mal,
Tu ne veux pas les perdre, tu ne désires pas leur mort,
Tu ne te laisses pas gagner par le tumulte,
Tu ne cèdes pas au courroux,
Tu ne succombes pas à la colère,
Tu n’occultes jamais ton amour,
Tu ne te départis jamais de ta pitié,
Tu n’altères jamais ta bonté,
Tu ne sais ni tourner le dos, ni détourner la face,
Mais tu n’es que lumière et dessein de salut.
Faut-il me pardonner ? Tu en as la puissance,
Soigner ? Tu en as le pouvoir.
Rendre la vie ? Tu le peux.
Faire grâce ? Tu es si généreux.
Guérir ? Tu en as le remède.
Donner ? Tu débordes de bien.
Justifier ? Tu as tous les talents.
Rassurer ? Tu es le prince suprême.
Renouveler ? Tout est entre tes mains.
Faire des merveilles ? Tu es le grand roi.
Refonder ? Tu es le créateur.
Régénérer ? Tu es Dieu.Grégoire de Narek, « Douceur toute puissante du Christ », « Livre des lamentations »
Régis BURNET : On a déjà compris que c’est très, très beau, que c’est quelqu’un, comme je disais, d’une force poétique tout à fait étonnante, qu’est-ce que la fréquentation, la méditation de ce livre, produit ? Pourquoi c’est si beau ? Et pourquoi c’est si intéressant de lire, Grégoire de Narek ?
Jean-Pierre MAHÉ : Parce que Grégoire fait un effort absolument extraordinaire pour essayer de nous faire voir notre vie à nous du point de vue de Dieu.
Régis BURNET : Rien que ça !
Jean-Pierre MAHÉ : Rien que ça, c’est à dire que du point de vue de Dieu, nous sommes un des innombrables vivants, qui sont en même temps les vivants d’hier, les vivants d’aujourd’hui, et les vivantes de demain. C’est donc d’établir une espèce de solidarité entre tous les hommes qui prieront, les uns pour les autres, jusqu’à la fin des temps. Et, d’une certaine façon, la prière, si on répète la confession des péchés, qui est contenue dans ce livre, de génération en génération, quand le jugement dernier arrivera, le Christ dira : « Tout a été confessé », donc finalement tout le monde est sauvé, on n’en a pas perdu un seul. C’est cet espoir extraordinaire, qui s’oppose à toutes les déviations qu’on reproche à l’Église son temps. C’est une prière entièrement gratuite où chacun prie pour les autres et reçoit par la suite, après sa mort la prière de tous les âges. C’est un rêve de prière perpétuelle et d’abolition du jugement, ou d’absolution complète.
Régis BURNET : Donc, ce n’est pas du tout un livre de lamentations ? C’est un livre de gloire, c’est un livre j’allais dire optimiste ?
Jean-Pierre MAHÉ : Absolument ! C’est le livre d’un très grand consolateur de l’humanité. C’est certainement proche par les faits de saint François d’Assise, mais c’est aussi proche du Bouddha, je ne crois pas que cela soit sacrilège de le dire dans le cas de ce livre.
Régis BURNET : Alors, quand on veut lire ce livre, on va retrouver votre traduction, vous m’avez amené deux livres : le premier, c’est le fameux livre des « Paroles à Dieu de Grégoire de Narek »
Jean-Pierre MAHÉ : Disons que c’est le plus important. Vraiment.
Régis BURNET : C’est là-dessus que l’on a longuement parlé. Cela paraît très beau, très cher, mais en fait il n’est pas très cher et on peut le trouver assez facilement …
Jean-Pierre MAHÉ : On peut le trouver à l’église arménienne, de la rue Charlot, et cela vaut 10 euros.
Régis BURNET : C’est en forme quasiment comme les psautiers …
Jean-Pierre MAHÉ : On peut le demander, si par hasard on avait des difficultés à le trouver, rue Charlot, on peut aussi écrire à l’Éparchie Sainte Croix, qui est au 10 bis, rue Thouin, Paris 7005, à l’évêque, Mgr Élie Yéghiayan, tout cela est à la disposition. C’est le patriarche Krikor Bedros qui a fait imprimer tout cela, et qui les a rendus accessibles.
Régis BURNET : Et puis : « Trésor des fêtes, hymnes et odes de Grégoire de Narek », que vous aussi traduit.
Jean-Pierre MAHÉ : Ça, c’est un autre volet du diptyque, c’est les prières communes, mais on n’a plus que des fragments. J’aurais voulu mettre un disque des mélodies qui ont été conservées, cela existe, on peut les trouver à la Fnac, mais cela n’a pas été possible …
Régis BURNET : Et dans d’autre magasins, pour ne pas faire de la publicité à un
Jean-Pierre MAHÉ : Ailleurs aussi, oui.
Régis BURNET : Il nous reste deux minutes pour en parler, vous nous avez apporté un petit texte : « L’alphabet arménien dans l’histoire et dans la mémoire », c’est aux éditions des Belles lettres. Je suis heureux d’en parler parce que c’est une des invitées de la semaine dernière qui est la directrice de cette collection, qui essaye de publier des textes orientaux. Vous n’étiez pas complètement satisfait du titre, « L’alphabet arménien dans l’histoire et dans la mémoire », en fait qu’est-ce que cela veut dire ?
Jean-Pierre MAHÉ : J’aurais voulu l’intituler les lettres données par Dieu », parce que les Arméniens croient que les lettres ont été données à deux peuples : aux hébreux sur le Sinaï, par Moïse, et aux arméniens par un saint moine : Mesrop Machtots, et qu’elles ont été données pour sauver la foi in extremis. À l’époque où ils ont reçu l’alphabet, bien les Arméniens étaient déjà menacés par les Perses, le christianisme allait être effacé, les querelles christologiques se multipliaient dans le Proche Orient, … Donc, Dieu, pour fixer la foi à donner aux Arméniens une écriture, qui par la suite a aussi profité aux Géorgiens et à des gens qu’on appelle les Albaniens, qui sont en fait les anciens habitants de l’Azerbaïdjan.
Régis BURNET : « L’alphabet arménien dans l’histoire et dans la mémoire », paru aux éditions des Belles lettres.
Un tout grand merci Jean-Pierre MAHÉ. Vous nous confirmer qu’il faut absolument lire, relire, Grégoire de Narek et que c’est l’une des plus belles œuvres de l’histoire de l’humanité. Je pense que vous n’en disconviendrez pas.
Jean-Pierre MAHÉ : Oui, certainement. C’est un très grand chef-d’œuvre.
Régis BURNET : Merci beaucoup de nous avoir suivi, vous savez que vous pouvez retrouver cette émission sur le site internet de la chaîne : www.ktotv.com, et on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro de La Foi prise au Mot de cette série d’Avant.
Merci à tous.