Les clefs pour comprendre l’enjeu de toute question communautaire, ce sont les négativités de l’emploi de Bataille, et ce que Blanchot a nommé le « désœuvrement ». Chaque fois que l’on parle encore dans notre culture d’une crise de notre socialité fragmentée, en peut constater qu’en dessous de cette complainte se trouve un chemin dialectique : la communauté originaire à été perdue mais à la fin elle peut être reconstituée complètement. Or, il s’agit d’échapper à cette dialectique parce que ce n’est que devant la disparition de tout fondement onto-théologique que la question de la communauté peut vraiment être posée. La logique d’une humanité qui prétend fonder sa propre communauté comme une œuvre, comme un ouvrage à fabriquer et à achever par lequel on reste captif par l’immanence de sa propre existence, c’est une logique à défaire. Cela est d’autant plus remarquable dans le dernier épisode de notre série, « L’esprit d’insoumission », que l’on verra que, ainsi que le scande Paul Celan : « Nul ne témoigne pour le témoin. »
« Algériennes, Algériens, mes amis –Jacques Soustelle, 1959– me voici parmi vous. Je veux, d’abord, rendre hommage à notre magnifique armée d’Algérie. A tous ceux qui combattent dans ses rangs. Aux rappelés, aux jeunes soldats qui sont venus combattre sur ce sol. Je veux rendre hommage à ses chefs et d’abord au général Salan qui a su, dans des circonstances très difficiles, maintenir l’unité de toute l’armée, ici en terre d’Afrique, au général Massu, à tous les chefs de cette armée. Vous-même, mes amis,… »
« Là, j’ai compris que des groupes d’intellectuels – peut-être petits – pouvaient avoir une action importante –Jean-Pierre Vernant– parce que, d’abord ils analysaient un peu les choses et ensuite que les formes d’action qu’ils prenaient étaient toujours plus neuves que les formes traditionnelles, et par conséquent il y avait à la fois une certaine lucidité dans l’analyse politique et autre chose que les bons usages, bien rodés sur la façon dont on mène une opération. Et, je crois que ça été vrai. Je crois, par exemple, que le « Manifeste des 121 » a été ça. Cent vingt et un, c’est rien du tout. Il y avait des gens très divers. Enfin, c’était pas… une révolution dans le monde intellectuel, ça a flanqué, ça a eu une influence très grande ! Ça a fait BOUM dans la marre, hein ! »
« L’esprit d’insoumission », autour du groupe de la rue Saint-Benoît des années 40 aux années 60. Une émission de Jean Mascolo et de Jean-Marc Turine, direction des entretiens, Jean-Pierre Saez, réalisation Bruno Sourcy ( ?), Aujourd’hui, « L’insoumission ».
Comme nous l’avons entendu, hier, les amis du groupe de la rue Saint-Benoît sont unis dans le Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord mais ils ont des analyses divergentes quand à l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle et au sein de ce front du refus ils n’ont pas pu éviter des distanciations parmi ceux qui en étaient les initiateurs.
Nous sommes en 1960, la guerre d’Algérie se prolonge et Dionys Macolo provoque la rédaction d’un Manifeste : « Il m’a été inspiré par une jeune ami, qui était peut-être menacé lui-même d’être mobilisé, qui me disait que beaucoup de ses camarades, des gens de son âge avaient décidé de fuir, de se dérober à l’appel, de s’insoumettre, donc de ne pas répondre à l’appel puisque, comme vous le savez, le contingent était mobilisé dans la guerre d’Algérie. Et, alors, j’ai proposé à Jean Schuster, je lui ai dit qu’il me semblait que le moment était venu peut-être d’essayer d’intervenir à ce propos publiquement en demandant à chacun de se prononcer sur la situation de ces jeunes gens qui étaient provoqués à aller commettre des infamies dans un pays envahi par l’armée française. »
– Quels étaient les propos de la Déclaration des 121 ?
Dionys Mascolo : Eh, bien, vous le savez. Le titre même, qui a été suggéré par Maurice Blanchot, tardivement d’ailleurs, le titre même le dit : « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. » Dans la guerre d’Algérie, chaque Français était, on lui attribuait donc le droit de s’insoumettre. Et, c’est un droit inédit. C’est la proclamation d’un droit qui n’a même pas encore de nom, qui n’était pas encore reconnu et qui ne sera pas reconnu, qui sera tout au plus toléré, amnistié au cours des mois.
– Ce manifeste a divisé les intellectuels de gauche, les intellectuels engagés, pourquoi ?
Dionys Mascolo : Essentiellement, je crois, parce qu’en plus de la proclamation du droit à s’insoumettre, ils se déclaraient solidaires de ceux qui apportent aide et protection aux combattants algériens. Ici, certains de nos amis, souvent proches, ont reculé. Ils voulaient bien –et encore, je ne suis pas sûr- peut-être approuver que de jeunes Français refusent de servir dans l’armée d’oppression mais ils n’allaient pas jusqu’à approuver ceux qu’on a appelé « les porteurs de valises », c’est-à-dire ceux qui aidaient concrètement les combattants Algériens.
Dionys Mascolo sollicite donc ses amis parmi lesquels Edgar Morin : « Oui, je lui ai dit, et je l’aurais fait à l’époque, s’il avait limité le manifeste sur le droit à l’insoumission, je l’aurais signé mais que le reste du texte, qui sans être explicitement, parlait du FLN, mais parlait des combattants Algériens, comme si c’étaient les seuls, sans parler des autres problèmes, et aussi disait qu’il fallait apporter le soutien, c’est-à-dire « les porteurs de valises du FLN ». Moi, je voulais introduire, s’il y avait un texte, l’idée de la nécessaire négociation et la paix nécessaire. Enfin le texte des « 121 » allait dans l’idée du clash et de la radicalisation et moi je voulais aller dans le sens de la paix et de la négociation tout en acceptant, bien entendu, le droit à l’insoumission, c’est-à-dire à déserter. Donc, c’était deux visions tout-à-fait différentes bien, qu’au terme c’était l’indépendance algérienne qui était le point commun, de l’une et de l’autre. »
« L’Algérie restera française et ne sera pas autre chose que française. Le général Challe l’a déclaré et, il y a une solution militaire, la solution politique c’est-à-dire l’achèvement de la pacification en dépendra. » Maréchal Juin.
Les signataires, de la proclamation sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, déclarent : « Nous respectons et jugeons justifier le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. Nous respectons et jugeons justifier la conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. La cause du peuple algérien qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial est la cause de tous les hommes libres. »
– Comment comprendre cette division, entre intellectuels de gauche, suscitée par le « Manifeste des 121 » ? Est-ce que d’une certaine façon, elle ne recouvre pas une division entre les partisans du FLN que seraient les « 121 » et ceux qui ne voulaient pas choisir un camp algérien ?
Dionys Mascolo : Je crois que la distinction est fallacieuse. Elle a été, je crois, oui mise en avant, mais elle ne correspondait pas à la réalité. Il n’y avait pas, en fait, deux camps algériens. De combattants réels, il n’y avait que le FLN. Il n’y avait, donc, pas à choisir. Les partisans de Messali El Hadj, - Messali El Hadj était, je crois, en résidence surveillée à Belle-Ile, en France, il était d’inspiration politique, certainement plus de gauche ou internationaliste que les gens du FLN, mais nous n’entrions pas dans ces considérations.
– Mais en n’entrant pas dans ces considérations, est-ce que vous n’avez pas oublié, justement, les messalistes et est-ce que vous n’avez pas soutenu, d’une certaine façon, un parti qui allait s’avérer être un parti unique, donc, un parti totalitaire ?
Dionys Mascolo : Mais quelle importance ? Nous n’avions pas, encore une fois, à demander l’identité politique des gens qu’on opprimait en notre nom !
« La mise en valeur du désert, c’est la grande tâche de notre génération. La France ne pourrait poursuivre son expansion sans l’Afrique et les richesses du sous-sol africain ne pourraient-être exploitées sans la France. Faut-il convaincre les calculateurs ? - Michel Debré– Montrons-leur le Sahara, ce désert où le coq gaulois s’est longtemps, en vain, réchauffé les ergots. »
– Claude Roy, vous êtes l’un des signataires de la « Déclaration des 121 », quel était pour vous le sens de cette signature que vous avez apposée au bas de ce texte ?
Claude Roy : Eh ! bien, c’était, je crois, la chose la plus radicale que l’on pouvait faire, qu’on était simplement un intellectuel, pour essayer de faire prendre conscience de ce qu’était la guerre d’Algérie. Conscience que très peu de gens avaient. La guerre d’Algérie a été vécue, exactement non vécue, par la plupart des Français comme une espèce de cauchemar vague puisque c’était une guerre non-guerre, une guerre qui ne disait pas son nom, qui n’avait pas lieu mais qui avait lieu pourtant. Je crois que le « Manifeste des 121 », c’était une façon de taper sur la table et de dire : Non, non, non ! C’est, je crois, ce que l’on a senti en le faisant.
– Cette déclaration a pourtant suscité une ligne de partage entre les intellectuels de gauche. Certains, voyant, dans cette déclaration, un soutien trop exclusif au FLN. Je pense, par exemple, à Edgar Morin, à Duvignaud, à Lefort, qui n’ont pas signé, la déclaration.
Claude Roy : Je sais. Je dois dire que, moi, je n’avais pas une grande sympathie pour le FLN, qui me semblait une société secrète de tueurs assez obtus et à un moment donné, j’étais en contact avec les gens du front, ici, et je n’avais pas envisagé, ils avaient envisagé que je puisse, comment dire, rendre des services, sinon porter la valise, et j’ai eu un sentiment tellement… je me dis, ce n’est pas la peine de quitter le parti communiste pour le retrouver avec l’accent du Maghreb. C’était une espèce de parti, je n’ai pas été très étonné de voir l’évolution qu’a suivie l’Algérie avec ses hommes-là. Je crois qu’ils avaient tué autant de messalistes, non j’exagère un peu, mais enfin la chasse aux messalistes a souvent pris le pas sur la guerre contre le colonialisme.
– Donc, pour vous, « La déclaration des 121 », c’était d’abord une protestation contre la guerre d’Algérie ?
Claude Roy : Contre la guerre d’Algérie. Je pensais qu’on ne pouvait pas lutter contre la guerre d’Algérie sans, indirectement, fortifier le FLN mais là on n’avait pas le choix, il fallait arrêter cette guerre c’était une guerre injuste, une guerre absurde, une guerre sanglante et bête.
« Voilà cette belle terre algérienne, ce beau paysage méditerranéen. Dans la terre rouge des vignobles, les paysans travaillent.- Film de propagande des armées françaises, 1956– une des preuves les plus nettes de notre bon droit c’est le nombre de Musulmans qui combattent à nos côtés, près de 70 000 dans toute l’Algérie. Le médecin était, paraît-il, un suppôt du colonialisme. Voilà notre réponse, toubibs et toubibas soulagent leur misère. Ce sont donc de braves gens, inutile de leur tirer dessus ou de les faire partir ? Quant aux petits enfants, ils apprennent à devenir des citoyens français. Les parents étaient menacés d’égorgement si leurs enfants s’y rendaient. Maintenant, toutes les classes sont pleines. Ce Harki, ce fusil du groupe d’autodéfense, cette femme qui va voir le médecin, celui-là qui parle parce qu’il y a des vérités à dire, ceux-là qui travaillent en paix, tous ceux-là ont été libérés du FLN, c’est-à-dire de la peur. Ils savent que la seule vie possible pour la province algérienne, c’est la France qui la lui donne. Eux savent ce que cela veut dire, la paix. C’est absurde de dire que c’est la guerre ici. On fait la paix. »
La censure a immédiatement frappée « La déclaration des 121 » qui n’a donc pas été publiée. Les Temps modernes ont remplacé le texte par deux pages blanches dans le numéro d’août-septembre 1960. Maurice Nadeau, directeur des Lettres nouvelles : On s’est tous servi des Lettres nouvelles, pour le « Manifeste des 121 », parce que les journaux étaient difficiles à atteindre et puis on ne voyait pas… Les fameux journaux de gauche étaient…, bon, il faut se souvenir, il faut se souvenir de l’époque. C’était Guy Mollet qui faisait la guerre d’Algérie, c’était François Mitterrand qui était ministre, Garde des sceaux, ministre de la justice. Je me souviens d’une délégation, dont j’ai fait partie, avec Claude Bourdet, Jean-Jacques Mayoux etc. on est allé place Vendôme pour dire à monsieur Mitterrand, ministre de la justice, il y a des cas de tortures en Algérie, « Mais non, chers amis, mais vous exagérez, mais soyez tranquilles, on est… » Voyez, voyez, il y avait tout ça. Il y avait une époque quand même difficile. Il faut se replacer, aussi. Bon, alors, il n’y avait pas de journaux, même comme L’Observateur, j’avais été, pendant sept ans, j’avais été à L’Observateur, pour la partie littéraire, ça avait beaucoup changé. L’Expresse, j’avais travaillé à L’Express pendant un certain temps, ils étaient contre la guerre d’Algérie, mais ils n’étaient pas pour la désertion eux. Bon, j’avais rencontré, le général Buis, des gens comme ça, qui étaient,… qui étaient dans des positions très intenables, au fond, qui étaient… c’était le lieutenant Chabert, l’autre général ils étaient contre la guerre d’Algérie mais ils la faisaient quand même, mais enfin, ils protestaient contre. Enfin, c’étaient des situations difficiles. Alors que les Lettres Nouvelles et quelqu’un sans responsabilité, comme moi, je pouvais, on pouvait dire, on pouvait publier ce que l’on voulait. Il n’y avait aucune censure même pas de l’éditeur. L’éditeur n’a jamais mis son nez dans la revue, par exemple. Donc, quand c’est devenu absolument nécessaire de publier quelque chose, Dionys est venu me voir. D’abord on a discuté du texte, je ne sais plus combien de version, c’était tous les jours qu’il venait me voir et me disait : « Tiens j’ai une nouvelle version », etc. et la solution a été, finalement, trouvée par Blanchot, qui a repoussé tout ça, en on tenant compte, et qui a fait autre chose, sur un autre plan. Et, il avait trouvé, c’était l’oméga, enfin c’était ça qu’il fallait trouver, c’était l’appel à l’insoumission ! C’était ça. Et, la preuve que c’était ça, c’est le bruit que cela a fait. Le bruit que ça fait et qui nous a surpris nous-même. Enfin, bon, on savait bien qu’on n’était pas des enfants de cœur mais enfin passer d’un jour - moi j’avais vingt et une inculpation, je me souviens - passer d’un moment à l’autre ça devenait saisissant. Le fait est, comme j’étais le seul à avoir pignon sur rue, j’étais destiné à recueillir les signatures, donc destiné à tomber sous les coups de la répression parce que quand les policiers sont venus, il suffisait d’ouvrir un tiroir, j’étais passé par les partis, on faisait attention, la clandestinité on savait ce qu’on faisait et pourtant je me suis fais prendre avec une lettre dans le tiroir. Il y en avait qu’une mais ça suffisait, de quelqu’un, d’un écrivain qui donnait son accord. Plus les gens qui étaient pris au débotté et interrogés disaient : « C’est Nadeau qui nous passé, c’est lui qui nous a demandé… » Bon, c’était cuit, il n’y avait plus qu’à dire : « Eh ! bien épargnez-vous la peine de commander un taxi, monter donc dans la voiture, elle vous attend en bas. » Enfin, c’était ça. Mais bon, ce n’est pas très grave. Et, pour un certain nombre de gens, ils mettaient leurs situations en jeu, on l’a vu par la suite. Parce que, par exemple, les gens de l’enseignement ou les gens qui travaillaient, je ne sais plus, il y avait Bernard Pingaud qui était par exemple secrétaire à l’Assemblée, qui ont été immédiatement sanctionnés. Bon, on n’avait plus le droit de parler à la radio, etc. Moi, cela ne me gênait pas beaucoup j’y allais jamais, mais il y avait pour beaucoup… mais il y avait des sanctions. Le Figaro avait dit : on n’imprimera plus ces noms-là. Il y avait un certain nombre de noms dont j’étais, par exemple. Bon, ça commençait à faire du bruit, non seulement en France mais à l’étranger. C’est que la France menait sa guerre coloniale mais les autres n’étaient pas d’accord, hein ! pas plus les Américains que les Italiens, les Européens en général. Et, ils ont tous été heureux qu’enfin en France, une opposition, qui jusque-là n’avait pas existé. Ce n’était pas le Parti communiste qui faisait opposition à la guerre d’Algérie, ce n’étaient pas les socialistes, le gouverneur était socialiste, le gouverneur de l’Algérie, vous voyez, c’était… il n’y avait vraiment rien. Il n’y avait que nous, pauvres… sans pouvoir finalement, que celui de la parole. On s’est aperçu que c’était un pouvoir important, à ce moment-là.
(Extrait radiophonique) « En direct, avec vous, voici Jean Nocher : C’est par un sursaut de colère et d’indignation que vous venez de réagir, dans vos lettres, aux atroces dépositions des soi-disant intellectuels qui en plein tribunal militaire ont osé porter main-forte aux égorgeurs d’enfants du FLN en reniant la morale et en injuriant la France. On aura entendu un certain nombre de professeurs ou d’écrivains de langue française du nom d’Adamov, Lanzmann, Bruller, Maspero, Mandouze, Tcharniki ( ?), ou plus simplement Mabille ( ?) déclarer, textuellement, à des juges : « Nous approuvons la désertion et aidons les terroristes qui effacent la honte d’être Français. Tous les moyens sont bons pour faire triompher les Fellagas qui sont les résistants de 1960, « sic ! » La France se dégrade et les Français sont des criminels de guerre. Tous ensembles, luttons avec le FLN, « re sic ! » Tout cela pendant que nos soldats se font tuer en Algérie par les protégés de ces messieurs simplement pour que cesse enfin cette infamie. Le seul CRIME qui soit perpétré là-bas : des gosses massacrés dans des bureaux de poste et des femmes éventrées dans des autobus. Et, il y a chez nous des intellectuels qui se sont fait les défenseurs de ça. Des ouvriers manuels, certes non, mais des travailleurs de la plume et surtout du chapeau qui sont comblés, nantis, cousus d’or et couverts de placards publicitaires, dix d’entre eux se font chacun plus de cent millions par an. Et du fin fond du Brésil, où il se bat en faisant des conférences sur ou contre la France, Jean-Paul Sartre ose envoyer cette insulte au tribunal : si on m’avait demandé de transporter des valises... »
Gilles Martinet : J’ai, à l’époque, une situation très particulière. Je suis le rédacteur en chef, puis le directeur de France-Observateur et je suis l’un des principaux dirigeants du PSU. Alors, j’ai des problèmes complexes, notamment en ce qui concerne le PSU et notamment en ce qui concerne l’attitude à l’égard des « porteurs de valises ». Parce que d’un côté je comprends tout à fait qu’un certain nombre de camarades aident directement le FLN et d’un autre côté je ne veux pas que le PSU en tant que parti politique soit lié à cette action de solidarité. Pour toute une série de raisons. Parce que nous voulons coller, coller, plus exactement nous voulons influencer une partie de l’opinion pour qui le phénomène aussi bien « des 121 » que des « porteurs de valises » est un phénomène marginal. Nous voulons influencer plus loin. Nous avons le problème des Français d’Algérie que nous voulons, aussi, d’une certaine manière influencer. Et, nous voulons, donc, porter l’affaire sur le terrain des grandes manifestations,… Et, donc, je ne suis pas dans le groupe « des 121 » même si beaucoup de mes amis y sont. Je ne suis pas dans le groupe « des 121 » et je n’encourage pas, au sein du PSU, les « porteurs de valises ». Et, c’était une époque où nous avions avec des gens comme Badiou, comme d’autres, au sein du PSU, la théorie, que représentait aussi Jeanson, que c’est le socialisme algérien qui donnerait des leçons au socialisme français. Il y avait toute cette histoire-là qu’alors moi qui connaissais bien le FLN, qui allait très souvent à Tunis voir les gens du gouvernement algérien, considérais comme une aberration. Pour moi, c’était un transfert psychologique. On ne peut pas faire la révolution en France, alors on la fait par personnes interposées et on prête à la Wilaya I ou à la Wilaya II des idées qui sont ses propres idées. Ça, c’est un grand phénomène que nous retrouverons à propos des Palestiniens, à propos des Vietnamiens, à propos des Chinois, n’est-ce pas ? Des intellectuels révolutionnaires sans révolution, sans situation révolutionnaire, opèrent ce transfert, cet exotisme politique, disons, sur les autres. Il y a, là, toute une agitation qui ne mène strictement nulle part, qui créée des illusions dont les camardes reviendront une fois la libération accomplie, ce qu’est réellement un mouvement de libération national dans les pays du Tiers-Monde.
– Le « Manifeste des 121 » rassemble des sensibilités intellectuelles et politiques tout à fait différentes : les surréalistes, le groupe de la rue Saint-Benoît, les sartriens, quelques communistes également, comment Breton appréhendait-il ce rassemblement de tant de diversités ?
Eh ! bien il a été, comme tout le monde, surpris du succès de l’opération – Gérard Legrand – Je me rappelle bien, alors ça, je me souviens très bien. Lorsqu’on a pour la première fois évoqué ce projet dans une réunion, assez fermée, on s’est dit, nous allons avoir cinquante intellectuels au grand maximum, n’est-ce pas ? Je crois même que Breton a du faire allusion qu’on risquait d’avoir les signatures habituelles et on a quand même causé un peu stratégie. L’un des buts était déjà d’avoir Sartre. Si Sartre signait quelque chose, nous, nous n’étions que des gens relativement obscure. Et les circonstances étaient favorables à un tel rapprochement pour plusieurs raisons. La première c’est qu’il y avait quand même eu une déclaration extrêmement prudente que des naïfs taxeraient d’hypocrite, mais qui malgré cette prudence ou cette hypocrisie n’en était pas moins une déclaration, signée de Mauriac, de Malraux et de Martin Dugard en leur qualité de Prix Nobel, pour deux d’entre eux, et de Malraux, en tant que Malraux, s’interrogeant sur les conditions dans lesquelles se poursuivait la guerre en Algérie. Ça n’avait l’air de rien, c’était sensé ne concerner que la torture mais ça arrivait quand même alors que, bon, on se trouvait à la veille de ce phénomène des désertions parce que la déclaration n’est pas tombée comme ça de la lune n’est-ce pas ? C’est le phénomène des désertions qui commençait même à inquiéter l’Humanité, journal du Parti communiste, que nous avons commencé à nous poser des questions sur ne pourrait-on pas faire quelque chose ? Sur quoi, on se met en quête de signatures. Et, alors, c’est là que se produit un phénomène assez intéressant, c’est que beaucoup d’intellectuels qui avaient plus ou moins milité dans l’ancien comité contre les opérations en Afrique du Nord, naturellement on les relance et ils marchent, il n’y a pas d’autres mots, bon. Ils marchent, ils marchent, ce qui expliquent aussi leurs disparités. Ils y avaient déjà parmi eux des communistes oppositionnels qu’on n’avait pas tellement revus depuis, mais qui se remanifestent à cette occasion, bon. Et, puis je ne sais pas pour quelle raison, cela se situe au mois de septembre, parce que là, j’ai un repère très précis, je suis rentré le premier septembre à Paris, et immédiatement, je crois le lendemain, j’avais une convocation à participer justement à une réunion rue Saint-Benoît. Il y avait beaucoup de monde. Nous nous sommes trouvés avec des gens que nous ne connaissions pas. Qui avaient été mobilisés pendant l’été, essentiellement, je pense par Dionys Mascolo et quelques autres, des coups de téléphone, des lettres, etc. Des gens en nombre se trouvaient là, et nous nous sommes trouvés pile pour que la déclaration soit prête, imprimée etc. comme vous le savez au moment du procès Jeanson où elle a fait l’effet d’une bombe supplémentaire. Il y a eu, donc, la déclaration qui est sortie là. Et, je dois dire, pour parler de l’ambiance du café surréaliste, nous étions ravis de voir tant de gens, n’est-ce pas. Parce que ce que l’on craignait que cela se limite à la rue Saint-Benoît et à nous, plus quelques individualités éventuellement.
– Après que vous ayez donné votre signature pour le « Manifeste des 121 », avez-vous eu d’autres ennuis ?
Gérard Legrand : Non je n’ai pas eu d’ennuis au sens professionnel du terme, pas du tout. Non, je n’ai eu aucun ennui. J’ai été inculpé parce que mon nom figurait déjà sur les fichiers de la police. Il y avait en ce temps-là une chose très amusante qui s’appelait le carnet B et qui groupait tous les oppositionnels variés qu’on devait fourrer en prison s’il y avait une guerre. Il suffisait bien évidemment que j’aie participé à quelques réunions avec des trotskistes, que j’aie écrit dans « Vérité » ou dans le « Libertaire », à plus forte raison, pour être immédiatement fiché au carnet B. On est venu à une adresse que je n’habitais plus depuis dix ans. Enfin, on est venu me chercher, gendarmes pour m’inculper puis je suis rentré chez moi et j’ai dormi sur mes deux oreilles.
En toile de fond, le son d’une foule qui scande : Massu, Massu, Massu : J’ai dit, à tous les soldats Français, votre mission ne comporte aucune équivoque et aucune interprétation, vous avez à liquider la force rebelle qui voudrait chasser la France de l’Algérie et instaurer sa dictature de terreur, de misère et de stérilité…
Voici un passage de la déclaration : Ni guerre de conquête, ni guerre de défense nationale, ni guerre civile, la guerre d’Algérie est peu à peu devenue une action propre à l’armée et une caste qui refuse de céder devant un soulèvement dont même le pouvoir civil se rendant compte de l’effondrement général des empires coloniaux semble prêt à reconnaître le sens. C’est, aujourd’hui, principalement la volonté de l’armée qui entretient ce combat criminel et absurde, et cette armée, par le rôle que plusieurs de ses hauts représentants lui ont fait jouer, agissant parfois violemment en dehors de toute légalité, trahissant les fins que l’ensemble du pays lui confie, compromet et risque de pervertir la nation même, en forçant les citoyens sous ses ordres à se faire complices d’une action factieuse et avilissante. Faut-il rappeler que, quinze ans après la destruction de l’ordre hitlérien, le militarisme français, par suite des exigences d’une telle guerre, est parvenu à restaurer la torture et à en faire comme une institution en Europe ? Parmi les signataires, nous trouvons Simone de Beauvoir, Pierre Boulez, Louis-René des Forêts, Daniel Guérin, Jérôme Lindon, Florence Malraux, François Maspero, Alain Resnais, Nathalie Sarraute, Simone Signoret, Claude Simon.
« Je n’ai pas participé personnellement ni, je crois, aucun membre de l’équipe des Temps Modernes à la rédaction. La rédaction, n’est-ce pas, était l’œuvre de Blanchot et de Mascolo, et Jean Schuster, aussi. Sartre n’a été averti, il me l’a dit, et il était entendu que un nous la signons et que les Temps modernes faisaient tous ce qu’ils pouvaient pour la diffuser – Jean Pouillon – Comme j’étais à Paris pendant tout l’été, j’ai contacté beaucoup de gens que je ne connaissais même pas avant, je dois, encore, avoir dans un coin, dans un tiroir, les lettres, non pas que j’ai écrites, car je ne garde pas de double, mais les réponses tantôt positives, tantôt négatives que j’ai reçues, de tas de gens. Ça a duré tout le mois d’août pour ne sortir qu’au moment précis où le procès Jeanson commençait. C’est pourquoi d’ailleurs c’est « 121 », parce qu’il n’y avait que cent vingt-et-une signatures à ce moment là. Mais beaucoup d’autres ont signé après. »
– Vous avez été surpris par certains refus, je crois, à ce moment-là ?
Jean Pouillon : Oui. Oui, J’ai été surpris. Je suis allé voir, deux fois, Merleau-Ponty mais il n’a pas voulu. Surpris, aussi, par le refus de Colette Audry, ce qui m’a d’ailleurs plus étonné, c’est qu’après ils ont signé avec quelques autres, une sorte de manifeste pour défendre les signataires du 121.
(Extrait des actualités radiophoniques) Le procès du réseau Francis Jeanson, se poursuit l’après-midi, au tribunal militaire de Paris, dans cette perpétuelle cascade d’incidents qui a déjà marqué toutes les audiences précédentes. Maurice Princet : Dès l’ouverture de l’audience l’un des accusés musulmans s’est levé et a demandé une minute de silence à la mémoire des morts du FLN. Le président a menacé d’expulser cet accusé et lui a enjoint de se taire. Le président a ensuite appelé deux défenseurs, maître Jacques Vergès et maître Roland Dumas, qui avaient hier gravement offensé la justice en tenant des propos outrageants. Ces deux avocats sont absents. Le président s’adresse, sans succès, à deux de leurs confrères pour assurer la défense des deux défaillants mais aucun n’y consent. Après en avoir délibéré, le tribunal a finalement prononcé la suspension par défaut de maître Vergès pour six mois…
– Quand Sartre a-t-il été associé à cette déclaration ?
Jean Pouillon : Eh, bien, Sartre avait signé, donné son accord, il n’y avait aucun problème en disant vous faites et vous m’engagez s’il y avait d’autres choses, à Péju, Lanzmann et moi. Mais il était parti au Brésil et il est resté six mois absent. Il n’est rentré qu’après le procès Jeanson. Mais nous l’avons utilisé, avec son accord à la fois antérieur et postérieur, il ne nous pas démentis, puisque nous avons rédigé une fausse lettre de soutien et d’intervention dans le procès. On était sûrs de son accord et effectivement il ne nous l’a pas marchandé par la suite.
– C’est vous qui étiez en contact avec Sartre, quand il était au Brésil, pour le tenir informé de l’évolution ?
Jean Pouillon : Oh ! il n’y avait pas que moi. On lui avait écrit. Il y avait aussi bien moi que Lanzmann, que Péju. Mais simplement pour qu’il soit parfaitement informé, on lui avait dit, ne rentrez pas directement à Paris, vous aurez des tas de journalistes qui sont là, vous ne serez pas tout-à-fait au courant, vous pourrez dire des bêtises,… Rentrez par l’Espagne, on ira vous chercher. Et, je suis allé avec Bost en voiture le chercher à Barcelone. Nous sommes rentrés très tranquillement, par l’école buissonnière. On a mis trois jours pour rentrer, de Barcelone à Paris, mais comme ça, quand il est arrivé, il savait bien de quoi il retournait. Et, il a donné une conférence de presse, il a marqué très vivement sa participation et son adhésion.
(Extrait radiophonique) Jean Nocher : Eh bien ! Cet acte de monsieur Sartre, qu’on me permette de dire avec vous que c’est de la provocation au crime et de la complicité d’assassinat. Que ce coupable doit être traité comme un délinquant ordinaire et qu’il ne doit être protégé ni par sa gloire scandaleuse, ni par sa courageuse absence, ni par ses amitiés littéraires, ni par ses monstrueux droits d’auteurs, ni même par le fait indécent qu’on ait cru devoir mettre, jadis, ce singulier maître au programme de nos lycées et de nos facultés. Les titres des œuvres de monsieur Sartre étaient déjà, en eux-mêmes, tout un programme ! Les mains sales, La Nausée, Les salauds, je cite, et La p… respectueuses, j’abrège. Cet écrivain dégradant, qui ne développe que les thèmes de l’angoisse, du désespoir, de l’impuissance, de l’absurdité de la vie, du néant, de la morale et de l’absolu de la mort, ce désintégrateur qui est responsable du mal d’une certaine jeunesse, ose à présent s’autoriser de l’idéal de la Résistance pour porter aide et assistance aux anciens nazis qui instruisent les Fellagas. Nous n’avons pas eu l’honneur de rencontrer monsieur Sartre en prison de 40 à 44. Il était trop occupé à se faire jouer et éditer, sous l’occupant, et les hitlériens pouvaient se reconnaître avec délice dans cet existentialisme qui a été entièrement…
– Le 5 septembre 1960 commence le procès Jeanson. Vous y assistez, vous y témoignez, quelle était l’atmosphère de ce procès ?
Jean Pouillon : Oh !... La séance dont, surtout, je me souviens, ça a été celle des témoignages. On était là. On n’était, plutôt pas contents, parce qu’il y avait des gens qui allaient faire de la prison, mais enfin c’était un moment de combat, de lutte. Oh ! ce n’était pas contre le président, contre les juges, mais il y avait les journalistes, c’était vraiment une réunion politique en quelque sorte.
Archives des Actualités, voix de femme : A Paris, suite du procès Jeanson. (voix d’homme) L’audience a été mouvementée. Une succession d’incidents a opposé comme au cours des précédentes audiences, le tribunal et les avocats. Dans le procès de l’agresseur de monsieur Abdeslam, député d’Alger, les débats ont été renvoyés à samedi pour permettre aux défenseurs de se rendre, cette après-midi, à l’audience du procès du réseau Jeanson. (voix de femme) Nous apprenons à l’instant qu’à la suite de la campagne, lancée dans certains milieux, en faveur de l’insoumission et de la désertion, une information judiciaire a été ouverte et une enquête administrative ordonnée. (Voix d’homme) Quatre-vingts personnes ont été entendues dans les services de la police judiciaire, dix fonctionnaires ont été suspendus et plusieurs inculpations prononcées. (voix de femme) L’ordonnance adoptée, hier, en conseil des ministres aggrave les peines prévues pour tous ceux qui prônent l’insoumission et prévoit également que toute condamnation entraînera pour un coupable l’exclusion de toute fonction publique. (voix d’homme) Un autre texte, dont un prochain conseil des ministres sera saisi, prévoit que des sanctions disciplinaires définies selon une procédure simplifiée pourront, indépendamment de toute condamnation pénale, atteindre les fonctionnaires ayant accepté de faire de la propagande en faveur de l’insoumission ou de la désertion.
– Il n’y a pas eu à proprement parler « 121 » auteurs, mais chaque signataire s’est auto proclamé coauteur du manifeste, pourquoi ?
« Eh ! bien, parce que nous avons été, très rapidement, en quelques mois, surtout sur l’insistance d’un fanatique, qui s’appelle Michel Debré, nous avons été une trentaine d’inculpés - Dionys Mascolo – et le juge d’instruction tentait de faire des distinctions. C’est-à-dire, demandait : Avez-vous rédigé ? Êtes-vous l’un des rédacteurs ? Êtes-vous l’un des diffuseurs ? etc. A quoi, sur une proposition très ferme de Maurice Blanchot, tous les signataires ont été invités, par circulaire de nous, à se déclarer : Étant cosignataire, corédacteur et codiffuseur, à titre égal avec tous les autres. Il y a eu 121 rédacteurs, 121 diffuseurs dans la version officielle présentée à l’instruction. »
– Quelle fut donc la répercussion réelle du « Manifeste des 121 » ?
Dionys Mascolo : Ça a été un vrai bouleversement. Et, je dois dire, que ça a mobilisé d’autant plus l’opinion que le gouvernement, gaulliste, en avait interdit, censuré la publication. Le texte, il y était fait allusion constamment, sous son titre, dans les journaux et il n’était publié nulle part. D’où d’ailleurs l’initiative qu’on pris beaucoup de petits groupes que nous ne connaissions pas, notamment venant de Belgique, de reproduire et diffuser très largement, le texte de la déclaration.
– Est-ce que vous avez eu du mal à trouver 121 signataires ?
Dionys Mascolo : Non.
– Et qui a décidé qu’il fallait s’arrêter à 121, justement ?
Dionys Mascolo : Mais personne, naturellement. Le jour où on l’avait imprimé, il y avait 121 signatures. C’est un pur hasard, naturellement.
– Est-ce que vous avez été poursuivis à la suite de la publication de la déclaration ?
Dionys Mascolo : Oui. Je vous l’avais dis, nous avons été une trentaine d’inculpés.
– Est-ce que vous avez été jugés ?
Dionys Mascolo : Non.
– Pourquoi ?
Dionys Mascolo : Eh ! bien je ne sais plus comment ça s’appelait, est-ce que ça s’appelle amnistie, non je ne sais plus. Mais enfin, vous savez, c’est de Gaulle qui a forcé Michel Debré à interrompre les poursuites. Je ne sais plus comment ça s’appelle légalement mais c’est alors la phrase fameuse de De Gaulle, authentique ou supposée, qui concernait Sartre, lequel rentrait du d’Amérique du Sud et allait être inculpé et, la phrase fameuse de De Gaulle, c’est : on n’emprisonne pas Voltaire. Voilà.
Jean Nocher : Quand Jean-Paul Sartre dit : Je souhaite la victoire du FLN, il copie, une fois de plus, un mot célèbre de Pierre Laval : je souhaite la victoire de l’Allemagne. Et, c’est avec ces mots-là que l’on fait toujours les défaites de la France et nous en avons assez. La vérité est que ces faux intellectuels, les penseurs en chambre qui sont toujours coupés du peuple français ne peuvent plus miser que sur l’intervention étrangère tout comme les profiteurs de la défaite de 40. Et, je suis sûr que vous serez tous d’accord pour qu’un sursaut de la conscience des français que nous sommes balaie ces inconscients et les efface de la mémoire des vivants ne fait-ce que par respect des morts. A demain, bonsoir.
Durant la guerre, on a fait des choses énormes, quand même -Marguerite Duras– Et, ainsi, tenir tête à la guerre, rester ensemble et répandre l’antigaullisme. Leur répondre, juger bon de parler sans aucune précaution. Moi, je me souviens, qu’un jour on m’a dit, vous avez un casier judiciaire maintenant, comme les criminels du droit commun, tu sais. Ça fait un certain effet puis après ça passe immédiatement, quoi. Vous savez, le enfreindre les lois, un beau mot. Enfreindre, oui… Le bonheur de la désobéissance, fabuleux ! Enfonce toutes tes enfonces qui n’ont pas pu se révolter dans la classe de madame l’institutrice. Il y a ça aussi. Ces actions politiques très dangereuses elles ramènent à l’enfance parce que la mère dit toujours que c’est dangereux. Mais c’était un vrai bonheur, quoi. Je ne connais pas de bonheur aussi fort, aussi merveilleux, que celui de faire de la politique ou de faire la politique qu’on veut faire. C’est ça le bonheur fou. Et maintenant il n’y a plus de ça. Il faut que le bonheur fou revienne.
Jean Toussaint Desanti : Le temps de la rue Saint-Benoît continue de vivre en nous. Le passé ne meurt pas. C’est pas vrai. Il fait signe. Il fait signe symboliquement vers le présent. Il le marque. Il le marque symboliquement. Il en est inséparable. Mais c’est cela que j’ai ressenti. Oui. Le temps de l’insoumission, le temps de la rue Saint-Benoît c’est bien de cela qu’il faut parler maintenant. Absolument ! C’est un signe adressé en ce temps-là au temps que l’on vit maintenant.
– En faisant le bilan des différentes actions collectives auxquelles vous avez participé est-ce que vous arrivez à percevoir la part des hommes de pensée sur le cours des choses ?
Dionys Mascolo : L’influence des hommes de pensée sur le cours des choses ? Elle est indéniable mais elle s’accomplit par des voies souterraines, qu’il est très difficile de reconstituer. La diffusion lente de certaines pensées, de certains refus, de certaines indignations, de certaines révoltes, puis le moment où elles atteignent une intensité suffisante, elles touchent un assez grand nombre pour avoir un effet même sur les détenteurs des pouvoirs, tout cela est un processus, en général très lent, sauf dans les périodes que l’on appelle, précisément pour cela, révolutionnaires. Évidemment ce sont des périodes que nous souhaitons de tout cœur mais qui ne sont pas là, qui ne se présentent pas du jour au lendemain. Les périodes révolutionnaires sont proprement celles où il y a une accélération du passage de l’idée dans les faits, dans l’état de choses.
– La notion d’esprit d’insoumission, qui définirait la ligne de votre action, signifie-t-elle qu’il faut s’insoumettre tout le temps à n’importe quel pouvoir ?
Dionys Mascolo : A la rigueur, oui. C’est-à-dire, sinon qu’il faut s’insoumettre, du moins ne pas se soumettre à n’importe quel pouvoir puisque tout pouvoir est par essence provisoire, imparfait. Il représente un point, un point du progrès de l’humanité sortant de la misère, peut-être, mais il est encore misérable. Tout pouvoir est misérable. Tout pouvoir est détenu par des impuissants qui se sont résolus, précisément pour avoir le pouvoir, à leur impuissance. L’esprit d’insoumission, si vous voulez, ce que je veux dire, la faculté de refus. Se refuser à tenir pour valable l’état des choses, celle, l’attitude qui prouve l’existence, je ne dirais pas même de l’intelligence, mais l’existence de l’âme.
– La notion d’esprit d’insoumission, vous paraît-elle pertinente pour définir ce groupe ?
Maurice Nadeau : Oui. Je crois que c’est la meilleure définition. Ce qui est curieux c’est que c’est quelqu’un qui est un peu extérieur au groupe, c’est Blanchot, qui l’a trouvé. Mais elle était sous-jacente, comme on dit. On est passé par la révolte, la contestation, toutes sortes de choses et c’est Blanchot qui a trouvé la définition, l’esprit d’insoumission. Oui, C’est ça. Dire non. Non je refuse. Ça paraît tout simple et c’est la seule solution qu’on trouve en beaucoup de circonstances, je crois. Il y en a peu qui peuvent maintenant dire ça. C’est toujours un risque de dire ça. Le refus, ça paraît simple et c’est difficile.
Écoutez, personne dans la vie ne peux se targuer d’être constamment insoumis – Claude Roy – je crois que la rue Saint-Benoît a été tour-à-tour et quelquefois simultanément soumise à l’ordre et au désordre des choses et insoumise. Nous avons été, je dis nous avec toutes les nuances du terme dont nous avons fait l’inventaire auparavant, nous avons été quelquefois des communistes naïfs, dociles, obéissants, soumis à des ordres quelquefois absurdes et à des illusions sûrement coupables et puis nous avons été, à l’intérieur même de ce parti communiste, des insoumis, des rebelles des contestataires, des esprits critiques.
Oui, il y a eu des périodes de soumission certainement dans ma vie mais ma vie presque entière a été faite d’insoumission – Hélène Parmelin – Picasso m’appelait toujours l’insoumise d’ailleurs, mais en riant. Je ne crois pas que l’on puisse vivre les temps que nous vivons sans être des militants de l’insoumission. Mais de l’insoumission dans tous les sens. Le monde actuel semble plus épouvantable que celui que nous avions vécu quand nous étions jeunes pourtant il y a eu Hitler et tout, c’était une des choses les pires que l’on pouvait imaginer, en même temps, la pensée humaine fait autant de progrès dans le domaine fabuleux, la petite sonde qui va toucher le soleil en ce moment c’est fabuleux, juste pour dire mais la pensée de l’homme est au ras de terre en ce moment. Il y a des relents de racisme partout, insoumission, il y a de relents d’inconditionnalités, insoumissions partout, il y a des relents, il faut démolir les socialistes, les foutre par terre, insoumission parce qu’alors on aura qui etc. Donc, j’ai l’impression que jamais on n’a vécu une période aussi propice à l’insoumission que celle que nous vivons en ce moment. Nous n’avons pas été des héros, mais nous avons vécu, vécu, vécu, et nous ne regrettons rien de cette vie, y compris les conneries, voilà.
Marguerite Duras : On a été emporté par une foi en soi, d’abord, une foi dans notre force. On était jeune, on n’était pas bête, on était intelligent, ça arrivait. Et on voulait du bien des gens et de soi. On voulait la liberté de gens et de soi. On voulait tuer, aussi, même si on ne le savait pas. On voulait casser. Les intellectuels ne cassent pas, ne tuent pas, donc, on ne l’a pas fait. On était ce que l’on appelle les révolutionnaires.
Commentaires laissés sur le blog
- (1) Netch, vendredi 3 novembre 2006 à 22 h 14 : Voici ce qui manque "...insataurer sa dictature de terreur, de misere et de sterinite.." Dicsour de Charles de Gaule en 1958
- (2) réponse de Tinhinane, le samedi 7 avril 2007 à 22h 26 : "Avant tout merci pour avoir pris la peine de lire et de me signaler une correction. J’ai remplacé le point d’interrogation -qui indiquait que j’avais mal entendu un mot- par "de terreur" dans le paragraphe suivant : "En toile de fond, le son d’une foule qui scande : Massu, Massu, Massu : J’ai dit, à tous les soldats Français, votre mission ne comporte aucune équivoque et aucune interprétation, vous avez à liquider la force rebelle qui voudrait chasser la France de l’Algérie et instaurer sa dictature de terreur, de misère et de stérilité..." Je n’ai pas rajouté d’autres commentaires car sur la bande son de l’émission je n’ai pas reconnu la voix de Charles de Gaulle et le commentateur de l’émission indiquait également Massu.